15/04/2023 (2023-04-15)
[Source : chine365.fr]
Par Christophe et Haixia
L’art du jardin chinois (中国园林, zhōngguó yuánlín) est l’une des quintessences de la culture chinoise. Combinant les principes de l’architecture, de l’horticulture, de la calligraphie ou encore du Feng Shui, la conception des jardins traditionnels chinois est une activité associée à une pratique profondément intellectuelle et artistique. L’objectif est de relier le domaine du physique à celui de l’idéal, où le spirituel et le réel se rencontrent, pour exprimer l’harmonie qui devrait exister entre les humains et la nature.
Si vous avez déjà visité un jardin chinois, vous avez certainement remarqué que sa conception chamboule les perspectives et bouleverse les conventions occidentales. Il n’y a pas de rangées de fleurs bien ordonnées ni de parterres bien définis. Vous n’y trouverez pas non plus de statues ni de fontaines sculptées.
Dans les jardins chinois, l’objectif n’est pas de plier le monde naturel à l’idée humaine d’ordre, mais de créer un espace dans lequel les éléments de la nature sont réunis pour représenter le monde naturel dans son ensemble.
Comment définir le jardin chinois ?
De manière générale, l’art du jardin chinois consiste à simuler un paysage naturel dans un environnement construit artificiellement. Prenant le paysage naturel comme base, les couvertures végétales comme décor, les montagnes, l’eau, les plantes, les roches et les pavillons comme moyens d’expression, les jardins classiques chinois utilisent l’espace limité pour créer une nature raffinée, résumée et symbolisée, afin de créer un effet artistique naturel sans aucune décoration artificielle.
Le jardin chinois idéalise la nature en mettant l’accent sur l’équilibre et l’harmonie. La clé de leur réussite réside dans la manière de simuler la nature sans en laisser de traces.
Ces microcosmes de paysages réels, ou potentiellement réels, sont des versions miniaturisées de montagnes et de lacs tout en représentant symboliquement l’ordre naturel de la création.
Les jardins chinois sont souvent associés avec la poésie, la calligraphie, la peinture traditionnelle et la poésie, ce qui augmente considérablement la splendeur poétique de l’ensemble. C’est un modèle d’esthétique chinoise, qui reflète la profonde pensée philosophique du peuple chinois et sa quête de la vie.
Quelle sont les origines des jardins chinois ?
Les premiers jardins chinois qui ont été découverts remontent à la dynastie Shang, il y a plus de trois mille ans. Ils étaient à l’origine de vastes parcs construits par l’aristocratie pour le plaisir et la chasse.
La conception traditionnelle des jardins chinois vise intentionnellement à donner un aspect naturel aux terrains sculptés. Un équilibre parfait entre ce que l’homme conçoit et ce que la nature lui offre, censé créer des espaces de réflexion où les pensées et les émotions peuvent émerger, libérées du stress quotidien.
C’était particulièrement vrai après la chute de la dynastie Han au 3e siècle de notre ère, qui a entraîné une période de grande instabilité politique. Pour échapper au stress du monde extérieur, les fonctionnaires de la cour ont commencé à construire des jardins où ils pouvaient renouer avec la nature et se concentrer sur l’art et la littérature.
Un type de jardin plus petit et plus intime s’est également développé. Des peintures et poèmes décrivent les célèbres jardins des lettrés, qui sont souvent considérés comme le reflet de la culture et du goût esthétique de leurs propriétaires. Le nombre de jardins privés, notamment dans la région de Suzhou, dans le sud de la Chine, n’a cessé de croître après le 12e siècle.
Le climat tempéré et la grande richesse agricole et commerciale de la région encourageaient les membres de la classe supérieure à consacrer leurs ressources à la culture des jardins.
Pendant la période de la dynastie Mongole Yuan, à la fin du 13e siècle, de nombreux lettrés se sont écartés des emplois officiels de fonctionnaires, pour se consacrer à la culture personnelle et aux arts. Le jardin est devenu le centre d’un style de vie alternatif qui célébrait la contemplation tranquille et les activités littéraires, souvent en compagnie d’amis partageant les mêmes idées.
Concepts esthétiques des jardins chinois
Les jardins chinois traditionnels étaient censés évoquer le sentiment d’être dans un monde naturel plus vaste, de sorte que celui qui le visitait pouvait saisir les sensations d’une déambulation dans un paysage.
Les compositions de rochers du jardin étaient considérées comme des chaînes de montagnes et des sommets imposants ; les arbres et les buissons miniatures suggéraient des arbres et des forêts anciennes ; et les petits étangs ou les sources représentaient de puissantes rivières et des océans.
En d’autres termes, le jardin représentait le grand monde de la nature en microcosme.
Les masses de fleurs cultivées colorées, les dispositions en forme géométrique régulière ou les effets de perspective étaient tous évités, conformément à l’objectif des paysagistes recréer des paysages réels. Au lieu de cela, les nombreux aspects d’un jardin chinois se révèlent progressivement un à un.
Le jardin chinois n’est pas conçu pour être découvert d’un seul coup d’œil, mais pour inciter et surprendre en permanence.
En se promenant le long de petits sentiers, de couloirs menant d’une structure à l’autre, le visiteur peut soit profiter activement de l’expérience du paysage organisé, soit choisir de se plonger dans la contemplation.
Sous la forme de tableaux soigneusement composés, des points de vue sont mis en valeur par la construction de structures dédiées. Les murs et les allées des jardins chinois sont ainsi ornés de fenêtres et de portes, parfois rondes, rectangulaires ou hexagonales, qui encadrent des scènes dignes d’être admirées. Les portes, dites portes de lune (月亮门, yuèliàngmén), sont parfois couronnées d’inscriptions calligraphiques.
Dans les jardins chinois, la langue et la calligraphie sont également à l’honneur : les proverbes et les poèmes inscrits sur les pavillons servent à alimenter la réflexion. La dynastie Tang (618 – 907) est considérée comme le premier âge d’or du jardin classique chinois. Les jardins de lettrés construits à cette époque étaient censés inspirer la poésie et la peinture chinoises classiques et s’en inspireraient à leur tour.
Le mur d’enceinte du jardin, les étangs avec des fleurs de lotus et d’autres plantes aquatiques, les ponts laqués, les bosquets de bambou, les pavillons, les temples et les pagodes constituent également un décor constamment modifié par les effets changeants de la lumière et des saisons, qui constituent une partie importante de l’expérience d’un jardin et contribuent à mobiliser tous les sens, et pas seulement la vue.
Un aspect autre important de la conception du jardin chinois est l’emprunt du paysage qui entoure le jardin. Le but de cette technique est de créer un jardin qui s’intègre dans son environnement, donnant l’impression qu’il fait partie d’un paysage semblant sans fin.
L’une des considérations les plus importantes dans la conception d’un jardin est la disposition harmonieuse d’éléments exprimant différents aspects du Yin et du Yang. La juxtaposition et le mélange des opposés peuvent être observés à travers les éléments humides et les éléments secs, les zones de lumière et les zones d’ombre, les roches et les parterres de fleurs.
Tout en se complétant, ces éléments opposés ne sont pas directement confrontés, mais soigneusement positionnés pour se compléter les uns des autres.
La philosophie et la conception des jardins chinois ont été rapportées pour la première fois en Occident par Marco Polo au 13e siècle. Dès le début du 17e siècle, les missionnaires jésuites ont contribué à faire connaître ce style d’aménagement paysager inspirant, déclenchant un engouement pour la « chinoiserie » qui a atteint son apogée dans les années 1700.
Les différents types de jardins chinois
Si les jardins chinois sont généralement divisés en deux catégories (jardins impériaux et jardins privés), ils peuvent également être classifiés en fonction de leur situation géographique.
Les jardins impériaux ont été spécialement conçus pour la détente et le divertissement des empereurs. Ils se caractérisent par leur grande taille, l’abondance de montagnes et d’eau naturelle, des couleurs majestueuses et des constructions magnifiques.
Sous la dynastie Qin (221 – 207 av. J.-C.), l’empereur Qin Shi Huang, le premier empereur de Chine, a construit un jardin impérial sur le modèle des terres merveilleuses de la mythologie chinoise ancienne, avec trois îles dans un grand lac, qui représentaient trois montagnes dans la mer à l’Est, là où vivaient des divinités.
Dès lors, la construction d’un lac avec trois îles a été une disposition importante appliquée par la plupart des palais et jardins impériaux de Chine.
Les jardins privés ont été construits pour permettre aux princes impériaux, aux membres de la classe aisée de se détendre. Ils se caractérisent donc par leur petite échelle, des montagnes et des bassins artificiels, des constructions petites et élégantes pour créer une ambiance soignée.
La structure et l’aménagement des jardins chinois varient également en fonction de leur emplacement géographique.
Les jardins du nord se caractérisent par leur grande envergure et leurs magnifiques constructions sur des terrains spacieux. C’est là que se concentrent les jardins impériaux, car le nord du pays a depuis toujours été le centre du pouvoir des dynasties impériales. Mais comme le climat est plus sec, il y a moins de rivières, de lacs, de roches ou d’arbres à feuilles persistantes. En raison de leur style architectural brut et direct, ils peuvent également manquer d’un certain charme dans leur esthétique.
Les jardins au sud du fleuve Yangtsé sont généralement de petite taille en raison de la densité de la population dans cette partie de la Chine. Cependant, ils se caractérisent par des paysages raffinés et élégants, car il y a beaucoup de rivières, de lacs, de roches et de forêts d’arbres à feuilles persistantes dans le sud de la Chine. Ces jardins sont ainsi lumineux, élégants, sinueux et denses.
Encore plus au Sud, les zones subtropicales de la Chine profitent de tous les avantages que la nature offre, notamment une végétation luxuriante due au climat plus humide.
Les différents éléments d’un jardin chinois
Dans un jardin chinois, il est nécessaire de montrer un sentiment d’unité avec la nature, autant dans son côté sauvage que bienveillante. Les différents éléments de sa composition sont là pour faire ressortir le rythme de la nature, en les mélangeant délibérément pour créer un concept remarquablement intégré. C’est un lieu où l’on suppose que le visiteur regardera avec un esprit et un œil éduqués.
Un jardin chinois est un microcosme du macrocosme, une petite expression complète de l’immensité de la nature. Les rochers, l’eau et les plantes sont les trois éléments de base de la conception. Les plantes ne sont pas essentielles à l’intégrité d’un jardin chinois. Les roches et l’eau venaient en premier, suivies de l’architecture, des plantes, des arbres et des fleurs.
Les roches
En Chine, les rochers sont admirés depuis longtemps comme un élément essentiel des jardins. Au début de la dynastie Song, les petites roches ornementales étaient également collectionnées comme accessoires de l’étude du lettré, et la représentation de rochers individuels, souvent associés à un vieil arbre ou à un bambou, est devenue un genre pictural favori et durable.
Pour les Chinois, la montagne est un symbole de vertu, de stabilité et d’endurance.
Les rochers étaient au jardin chinois ce que la sculpture était à son homologue européen. Une profonde appréciation des roches découlait d’anciennes attitudes religieuses envers la nature, y compris la vénération des montagnes. On pensait que les roches avaient une quantité concentrée d’énergie naturelle et symbolisaient les lieux d’habitation des immortels taoïstes.
Des roches ont été introduites dans le jardin en tant que spécimens individuels, puis en tant que composants d’un assemblage plus complexe. L’une des caractéristiques les plus remarquables du jardin chinois est les montagnes artificielles, construites à partir de plusieurs pierres individuelles, qui ont été cimentées ensemble pour former des structures complexes.
Si une roche semblait poreuse avec de nombreux trous, et avait une forme globale étrangement tordue, elle était considérée comme un atout très précieux pour le jardin.
L’eau
La circulation de l’eau est également l’un des éléments les plus importants pour la création d’un jardin chinois. L’eau était censée servir d’équilibre aux autres éléments, et se retrouvait dans plusieurs petites zones séparées, parfois reliées à des étangs, une rivière ou un ruisseau. Les bassins sont faits pour errer, disparaître, puis réapparaître au prochain coin.
L’eau est légèreté et communication, elle transporte sur son chemin la nourriture nécessaire à la vie, c’est un symbole important dans les philosophies chinoises.
Il y a plusieurs façons d’intégrer l’eau dans un jardin, suivant l’effet artistique que l’on souhaite réaliser.
La dissimulation consiste notamment à utiliser des bâtiments et des plantes pour ombrager la rive sinueuse du bassin. Par exemple, les pavillons sont souvent construits à la surface de l’eau pour donner l’illusion optique que l’eau s’écoule dessous, ce qui rompt les limites visuelles des berges. Des roseaux peuvent également être plantés le long des berges d’un étang et ainsi masquer ses limites pour le rendre plus grand.
À l’aide de digues, de ponts, d’îles et d’autres bâtiments auxiliaires, la surface de l’eau est divisée en scènes de différentes formes.
Les ponts semi-circulaires sont souvent choisis parce qu’ils se « complètent » en se reflétant dans l’eau ; ils sont aussi une référence symbolique à la lune.
Les plantes
Les concepteurs de jardins chinois avaient une approche assez traditionnelle dans le choix des plantes. Ils sélectionnaient des végétaux cultivés depuis très longtemps, et qui avaient une signification symbolique dans la poésie et la littérature, tels que le pin, le cyprès, le prunier ou le bambou.
Le pin, robuste et résistant, était considéré comme un symbole de l’érudit vertueux qui traversait les hauts et les bas de la vie officielle. Le cyprès, tordu et flétri, était un symbole de longévité. Le bambou était considéré comme l’emblème du parfait gentilhomme confucéen, qui gardait sa vertu pure et ses émotions sous contrôle ; comme une tige de bambou, il pouvait se plier au vent sans se briser. Le prunier, qui symbolise la renaissance après l’hiver et l’arrivée du printemps, était également très apprécié pour ses fleurs roses et blanches, ainsi que pour leur son doux parfum.
Les fleurs personnifiaient également les désirs. La pivoine est un symbole de richesse, l’orchidée est un symbole de noblesse et d’amour impossible, et le lotus est devenu un symbole de la recherche de la connaissance.
Des effets visuels étaient créés avec des végétaux, par exemple des jeux d’ombre ou de lumière diffuse sur des murs qui seraient autrement unis. Lorsque les plantes sont placées à côté de cours d’eau, elles contribuent à élargir visuellement l’espace du jardin. Souvent, les effets visuels créés avec les végétaux étaient plus importants que les plantes elles-mêmes.
Bâtiments et pavillons
Dans le jardin chinois, tout est basé sur les personnes et leur interaction avec l’environnement. Les bâtiments et structures architecturales sont considérés comme le quatrième la quatrième composante de l’aménagement.
De nombreux pavillons, pagodes, tours et halls ont été utilisés comme points clé ou « faces » du jardin. Ils étaient généralement simples, bien ventilés, éclairés naturellement et spacieux. Ils étaient destinés aux loisirs : la musique, les échecs, la calligraphie et la peinture. Les pavillons étaient généralement construits au bord de l’eau, ou sur un lieu élevé, pour en fait un point d’observation et de contemplation.
Les structures périphériques comprenaient des « portes de lune », des murs, des ponts, des allées ou de simples abris. Ces dernières étaient conçues pour s’abriter du soleil et de la pluie, pour admirer le jardin et se détendre. Elles étaient placées là où vous pouviez regarder quelque chose, écouter quelque chose, là où il y avait une belle vue sur le paysage.
Alors certaines structures sont attachées à des bâtiments plus imposants, d’autres sont isolées afin d’être propices à la méditation ou bien pour servir de bibliothèque.
Les galeries, ces couloirs étroits, rarement droits, et couverts relient les bâtiments, protègent les visiteurs de la pluie et de la chaleur, et divisent le jardin en plusieurs parties. On y aménageait des fenêtres, carrées, rondes, ou parfois de forme géométrique irrégulière, pour avoir un aperçu du paysage.
Les ponts et les passerelles sont un autre élément caractéristique du jardin. Leurs formes sont diverses : droites, en zigzag, en arc de cercle.
L’influence des philosophies chinoises dans la conception des jardins
Le bouddhisme, le taoïsme et le confucianisme sont des aspects importants de la philosophie classique chinoise et, ensemble, ils ont influencé la création des jardins chinois. Des trois, c’est le taoïsme qui a eu la plus grande influence.
Le jardin chinois est conçu pour être utilisé et admiré. On y organise toutes sortes de célébrations, on y enseigne l’écriture, la lecture et la musique. Dans le jardin, on boit du thé et on médite. Le taoïsme a fait du jardin un lieu pour atteindre l’illumination en contemplant l’unité de la création, où règnent l’harmonie et l’ordre.
Chaque jardin chinois est une quête du paradis, d’un monde perdu, d’un univers utopique et de l’immortalité. La créativité humaine tente, aussi fidèlement que possible, d’imiter la nature et de la manifester dans toute sa beauté.
Les philosophies du confucianisme et du taoïsme se reflètent dans la conception des jardins. Les Chinois ont tenté de recréer les merveilles poétiques de la nature en créant un jardin qui serait l’expression extérieure de la force intérieure de l’homme. C’est une expression du Yin et du Yang, les deux forces opposées au cœur de la philosophie chinoise, où le yang, rude et masculin, est équilibré par le yin, doux et féminin.
Par exemple, les rochers et l’eau étaient des opposés, mais ils se complétaient et se complétaient. Les roches étaient solides, mais l’eau pouvait les user.
Pour les Chinois, les associations symboliques et rituelles accumulées étaient ainsi bien plus importantes que l’apparence. Le modeste lotus représentait une transformation, émergeant du fond trouble de l’étang pour pénétrer à la surface de l’eau, où il révèle progressivement son visage au soleil, dont il tire force et beauté. Les Chinois abordent les plantes dans une perspective symbolique plutôt que par intérêt pour les spécimens botaniques.
La pensée taoïste se concentre généralement sur la nature et sur les relations entre l’humanité et le cosmos, afin d’établir une harmonie entre l’homme et la nature. La plupart des jardins avaient un tracé géométrique irrégulier, à l’image des montagnes, des rivières et des lacs naturels, bien que certains aient également une disposition géométrique régulière influencée par Confucius. Le parc du Temple du Ciel à Pékin en est un bon exemple.
Les aménagements urbains de la Chine se conformaient strictement aux principes du confucianisme. Confucius a fourni une structure ordonnée pour les relations sociales, ce qui a influencé la conception ordonnée des villes. Le bouddhisme a influencé l’imagerie poétique des jardins, une pierre pouvait symboliser une montagne, ce qui faisait de la conception du jardin chinois une forme d’art abstrait.
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