L’appareil du pouvoir et l’état d’urgence

15/08/2024 (2024-08-15)

[Source : arcaluinoe.info]

Par Dennis Kingsley

Le psychiatre polonais Andrew Lobaczewski, dans son livre Ponerologie politique, nous a donné l’étude du mal dans la politique contemporaine. Il n’est peut-être pas surprenant que les recherches d’Andrew Lobaczewski aient révélé des pourcentages élevés de comportements psychopathiques au sein des échelons les plus élevés de l’establishment politique dans diverses sociétés. Lobaczewski en a conclu que si des modes de comportement humain anormaux s’enracinent au plus haut niveau de nos institutions politiques, ces modes de comportement et ces perspectives anormales sont plus susceptibles de se propager et de se « normaliser » au sein des cultures humaines. Comme le dit Lobaczewski : « Si un individu en position de pouvoir politique est un psychopathe, il ou elle peut créer une épidémie de psychopathologie chez des personnes qui ne sont pas, par essence, psychopathes »1. Une épidémie de pensée psychopathique n’est pas si difficile à créer, car les formes de pensée sont aussi contagieuses que n’importe quel virus biologique2. En fait, elles peuvent se propager plus rapidement, presque simultanément. Une personne peut publier une idée en ligne, exprimer une opinion ou une idéologie, et celle-ci peut être reçue par d’autres personnes presque instantanément à l’autre bout du monde. En d’autres termes, des personnes du monde entier peuvent être « infectées » par une idée, une opinion ou une idéologie (une forme de pensée) instantanément. Grâce à nos moyens de communication technologiques, il est relativement facile d’obtenir une psychologie de masse, une intoxication mentale et une identité culturelle reprogrammée. Selon le professeur Mattias Desmet3, les quatre conditions socioculturelles qui permettent de manipuler facilement une psychologie de masse — ou une épidémie de pensée psychopathique — sont les suivantes : un manque de liens sociaux ; des personnes qui ressentent la vie comme dénuée de sens ou insensée ; une anxiété flottante4 ; et une frustration et une agression flottantes. Ces dernières années en particulier, on a assisté à une montée progressive du nihilisme, de l’absence de but et d’un sentiment de déni, qui s’intensifie aujourd’hui grâce à l’environnement technomatérialiste de nos vies. Toutes ces stratégies sont soigneusement dissimulées par l’« appareil » du pouvoir.

L’appareil du pouvoir

Le terme « appareil » est une désignation particulière qui fait référence à la technologie du pouvoir. Il a été utilisé de manière spécifique par le théoricien social français Michel Foucault, qui l’a décrit comme les forces stratégiques du pouvoir soutenues par des connaissances spécifiques. À l’époque actuelle, ce savoir est hautement technologique et aligné sur une profonde compréhension occulte des royaumes métaphysiques ou invisibles opérant dans cette dimension de l’existence. En outre, l’appareil est un réseau profondément omniprésent qui a été établi entre les technologies qui créent le pouvoir et les réseaux qui soutiennent ces relations de pouvoir. Ces appareils ou technologies du pouvoir sont à la fois matériels (physiques) et immatériels (numériques) et doivent, par nécessité, produire leur « sujet » (par exemple, l’être humain) au sein de leurs dispositifs mécanisés (et de plus en plus automatisés) de contrôle social. Le philosophe italien Giorgio Agamben a plus récemment développé la notion d’« appareil » de Foucault pour la définir comme suit : « … littéralement tout ce qui a, d’une manière ou d’une autre, la capacité de capturer, d’orienter, de déterminer, d’intercepter, de modéliser, de contrôler ou de sécuriser les gestes, les comportements, les opinions ou les discours des êtres vivants »5. Aujourd’hui, il n’y a peut-être pas un seul instant où la vie des individus n’est pas surveillée, influencée ou contrôlée par un appareil quelconque. Les instruments de ce contrôle sont les gadgets et les dispositifs, les logiciels et les algorithmes, qui sont tous subrepticement programmés dans un réseau — un appareil — de gestion sociale qui capture non seulement le véhicule6 physique de l’être humain, mais aussi son âme.

Les formes modernes de pouvoir ont été furtivement intégrées dans le tissu de nos sociétés par le biais d’appareils qui sont maintenant principalement composés de technologies. Cette voie de la ségrégation et de la catégorisation continues est contraire au caractère sacré de la vie ; en fait, elle constitue la voie de l’anti-vie (au sens organique du terme, du moins). Cette profanation est la négation même de l’être humain en « non-être ». C’est sans doute pour cette raison que le blasphème envahissant de nos sociétés contemporaines est responsable de l’apparition d’un sentiment généralisé de subjectivation et de perte de sens chez tant d’individus. L’époque actuelle est témoin d’un programme de déshumanisation rampante à une échelle jamais vue jusqu’à présent. Et si l’Humanité mondiale reste sur cette voie — la voie du déni — elle est confrontée à une catastrophe imminente. La machine bio -techno-politique de l’Appareil a conduit la civilisation humaine à un état d’exception. Comment définir cet « état d’exception » ? L’état d’exception est étroitement lié à la guerre civile, à l’insurrection et à la résistance dans sa relation avec l’état d’urgence. Sans calendrier défini, la notion de « temps de paix » se mêle à la socio-militarisation pour produire un état de paix terrifiant. Le programme de mondialisation plonge une grande partie du monde dans un état de guerre mentale et émotionnelle ; les activités accrues de paix terrifiante caractérisent désormais la construction sociale de l’ordre mondial multipolaire émergent. Parallèlement, le monde global a été transformé en une économie de guerre permanente.

Ainsi, de nombreux États modernes semblent aujourd’hui se trouver dans un « état d’urgence permanent » où l’exception est devenue la règle. Le paradigme dominant actuellement utilisé par les autorités technocratiques est l’état d’urgence (ou « état de siège »), qui permet aux pouvoirs en place d’étendre leurs pouvoirs exécutifs. L’état d’urgence est généralement déclaré pendant les hostilités et les troubles civils internes, ce qui donne une excuse supplémentaire pour étendre les pouvoirs exécutifs non démocratiques. Il s’agit d’une stratégie de polarisation qui consiste à créer un problème afin de susciter une réaction et d’imposer une solution.

Ces états d’exception (ou états d’urgence) ont été historiquement perçus comme des périodes de dictature, qui ont été transformées en formes modernes de technocratie. L’annulation ou la modification des règles de droit établies confère à l’État de nouveaux pouvoirs pour faire face à des circonstances extraordinaires telles que celles qui surviennent lors d’hostilités, et plus encore lorsque ces hostilités et ces crises sont asymétriques et peuvent inclure des facteurs contributifs tels que la dissolution de la société civile et l’effondrement de l’économie. La création d’un état d’exception permet donc de créer un théâtre d’opérations dépourvu de droit et où les distinctions entre le public et le privé sont intentionnellement dissoutes. La légalité n’est pas nécessaire pour créer de nouvelles lois — seul le pouvoir de créer des lois est nécessaire. Cela laisse un espace dangereux, et crée un précédent dangereux, où l’appareil passe à la vitesse supérieure et éloigne encore plus la vie du caractère sacré de la vie.

La vie est désormais placée sous la juridiction d’un appareil mondial technologisé7 qui considère la « vie biologique » comme un état à réglementer dans son cadre. En effet, une fois que la vie biologique (bio-vie) est enregistrée dans le cadre d’un organe de pouvoir transnational, elle peut être incluse dans son champ de gouvernance. La vie biologique est alors interprétée comme un pouvoir biologique. Et pour soutenir l’autorité du bio-pouvoir, la vie biologique doit être subjectivisée et donc transformée en corps faibles ou dociles. Cette représentation dépouillée de la vie biologique est ce que j’appelle une vie symbolisée, c’est-à-dire une construction physique et biologique dépouillée de ses aspects spirituels et sacrés. L’individu humain souverain est ainsi transformé en une construction machinique, un ensemble de données qui peuvent être téléchargées dans l’appareil du pouvoir occulte et technomatérialiste alimenté par l’intelligence artificielle. La « vie symbolisée » constitue la vie humaine par le biais d’un cadre de données qui cible les technologies du soi. Il s’agit de formes de subjectivation fragmentée de l’individu basées sur des « identités » — sociales, politiques et sexuelles. Ces identités sont liées à des doctrines externes de pouvoir qui sont devenues de plus en plus indistinctes. Nous pouvons maintenant voir comment notre civilisation mondiale actuelle a été détournée par le haut (au-dessus de la gouvernance nationale) et a muté en un état d’exception indistinct. Le métapouvoir sur l’individu est désormais informe, fluide et vague, de sorte qu’il n’est pas clairement visible depuis la microposition, bien qu’il soit dûment appliqué depuis la macro-position.

La vie biologique a été subjectivée en tant que « vie symbolique » afin qu’il soit plus facile de la fusionner avec un appareil de pouvoir technologique centralisé. En d’autres termes, la vie humaine est subsumée par un cadre machinique qui la traduit ensuite en un programme transhumaniste. La vie consciente — et en particulier une vie intériorisée et spiritualisée — est une abomination pour la tyrannie technocratique où le dieu IA est à portée de main. Le sacré organique, un royaume où le corps biologique et la conscience spirituelle sont en correspondance avec les forces cosmiques et les pouvoirs psychiques, est considéré comme la menace numéro un pour l’appareil du pouvoir. L’individu humain est effectivement un non-être dans un corps docile, dépourvu de distinction sociale. Toute personne née dans un lieu physique deviendra un corps de données sous la juridiction d’un appareil technocratique. Personne ne bénéficie d’une immunité à moins de succomber aux nouvelles règles qui sont, au contraire, établies pour créer une conformité au programme dominant. La seule véritable immunité disponible dans ce royaume profane est une rébellion sacrée. La véritable menace pour cet appareil artificiel de pouvoir se situe au niveau de la passerelle métaphysique ou spiritualisée : l’éveil à une plus grande perception et à une conscience élargie est désormais le plus grand des crimes.

L’« appareil de pouvoir » montre un avenir qui deviendra encore plus anti-humain qu’aujourd’hui. C’est la voie de la négation de l’esprit humain — de l’âme dans l’Humanité — et de la soumission (volontaire ou non) à des forces au-delà de l’humain qui n’ont pas notre intérêt à cœur. Au contraire, ces forces du pouvoir technocratique visent à rendre muet et à transmuter l’individu humain en une forme de golem — un corps de données automatisé et sans vie qui dépend d’un organisme extérieur, ou « maître », qui exerce l’autorité ultime. C’est un chemin vers la densité et l’obscurité, loin de la lumière naturelle du développement et de la croissance. Le domaine de la plus grande obscurité est l’endroit le plus éloigné de la lumière et de la chaleur de l’esprit humain. C’est le moment où l’esprit humain doit se manifester et réclamer sa souveraineté ou être submergé dans une construction artificielle de tyrannie et de contrôle. C’est le moment où la vie doit affronter son adversaire — l’anti-vie — et prendre l’avenir en main en embrassant la composante biologique et organique de la vie. Nous approchons du seuil où nous devons choisir entre la vie et l’anti-vie. Le choix que nous faisons aujourd’hui décidera de nos lendemains.

Le royaume de la plus grande obscurité est l’endroit le plus éloigné de la lumière et de la chaleur de l’esprit humain.

Dennis Kingsley

KINGSLEY L. DENNIS, PhD, est un écrivain et chercheur à plein temps du Royaume-Uni. Il est l’auteur de plus de vingt livres, dont Notes from a Lesser Reality, Life in the Continuum et Unified—Cosmos, Life, Purpose (Notes d’une réalité moindre, La vie dans le continuum et unifiée — Cosmos, vie, but). Il est l’auteur de nombreux articles sur l’avenir social, la technologie et les nouveaux médias, les affaires mondiales et l’évolution consciente. Kingsley dirige également sa propre maison d’édition : Beautiful Traitor Books.


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