03/03/2024 (2024-03-03)
[Source : laselectiondujour.com]
Par Louis Daufresne [2 février]
Le salon de l’agriculture fermera ses portes demain à l’issue d’une semaine éprouvante et houleuse. Cette 60e édition aura maintenu la pression sur le gouvernement. Après la visite chahutée du chef de l’État samedi 25 février (que La Croix fait revivre en détail), les jets d’œufs et les sifflets ont accompagné hier Christophe Béchu et Marc Fesneau, respectivement ministres de la Transition écologique et de l’Agriculture. Les syndicats pensent déjà au lendemain : ils ont rendez-vous avec Emmanuel Macron à la mi-mars, avant qu’une grande loi d’orientation agricole soit présentée au printemps.
Cet événement généralement chaleureux n’aura pas réussi à mettre un couvercle festif sur la marmite sociale. Pourtant, dimanche dernier, Gabriel Attal déclarait dans les allées du salon que « chaque jour d’ouverture est un jour de fête nationale ». Le Premier ministre assurait que « le gouvernement est aux côtés de [ses] agriculteurs » et qu’il assumait « une vision claire pour l’agriculture ». Une phrase, relayée par Capital, nuançait son propos : « Protéger ne veut pas dire isoler. Notre ennemi n’est pas l’étranger, c’est la loi du marché débridée. »
En voici un exemple cruel : Laurent Fichter est apiculteur en Alsace depuis 13 ans. Son miel, sa famille, sa vie implorent une ligne Maginot. Installé à Ensisheim, au nord de Mulhouse (Haut-Rhin), le producteur de 34 ans attend toujours que des grossistes lui achètent son nectar de tilleul, de sapin ou d’acacia, alors que la récolte est finie depuis longtemps.
Ses abeilles volent dans le ciel du haut de gamme : labellisées bio, elles butinent aux critères de l’Indication géographique protégée (IGP) « Miels d’Alsace ». Les fûts se vendent habituellement entre 11 et 13 euros le kilo. Et même en rognant sur ses marges pour retomber à 8 euros, comme le miel classique, Laurent Fichter ne trouve pas preneur. Avec 3 000 euros de crédit à rembourser chaque mois, il a besoin d’écouler ses dix tonnes.
Que faire ? Interrogé par l’AFP, il lance un cri du cœur : « On fait l’effort d’une production de qualité, et finalement c’est presque comme si on avait travaillé pour rien », regrette-t-il. « En mai, je ne sais plus comment payer. Il va me rester quoi ? De finir comme un agriculteur qui se suicide ? Ce n’est pas le but », confie ce père de quatre enfants, qui en veut aux banques de refuser de jouer leur rôle « de tampon ».
Ce qui est à la fois paradoxal et tragique, c’est que la demande de miel en France s’élève à environ 45 000 tonnes par an ! Le marché peut largement absorber la production nationale estimée à 34 000 tonnes en 2023. Laurent Fichter devrait vivre de son métier où la tradition épouse la qualité.
Sauf que « la loi du marché débridée » est en train de le tuer. Pour survivre, la vente directe ne suffisant pas, Laurent Fichter a pris un second travail d’ouvrier dans une usine d’agroalimentaire. Ce salaire paiera une partie de ses charges. Le tout, c’est de « ne pas perdre l’entreprise (…) J’y ai mis du cœur, je veux absolument éviter la liquidation judiciaire », explique-t-il. En 2019, il avait investi dans un bâtiment et de nouvelles machines pour doper une activité familiale perpétuée depuis quatre générations…
Mais qui l’écoute et qui va l’aider, lui et tous les autres ? Car sa situation n’est pas une exception. Selon la Fédération des associations de développement de l’apiculture (Ada France), 63 % des apiculteurs français peinent à vendre leur récolte 2023.
Il y a deux causes à leur malheur : la première, c’est la concurrence des miels importés de l’étranger, notamment d’Ukraine ou de Chine, à des prix souvent inférieurs à… 2 euros le kilo ! La seconde, c’est le consommateur paupérisé, attiré par les prix bas des grandes surfaces, et peu regardant de la qualité comme de l’origine. Selon Marie Lecal-Michaud, directrice générale du grossiste Famille Michaud, le plus gros acheteur sur le marché tricolore, « ce sont les consommateurs qui font l’arbitrage (…), et on a du mal à vendre le miel français en grande distribution ».
Combien, parmi ses consommateurs en survêtement rivés à leur chariot, voteront Jordan Bardella ou Marion Maréchal ? Tout en achetant ukrainien ou chinois.
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