27/03/2024 (2024-03-27)
[Source : E&R]
Par Béa Bach
Dans un élan d’optimisme spontané, nous adhérons à l’idée que la science et les progrès technologiques qui en découlent profitent à l’ensemble de la population. Pourtant l’efficacité est loin d’être toujours au rendez-vous sur des sujets simples et pratiques. Ce que le grand public ne sait pas, c’est que la médecine de la preuve, qui s’appuie sur le prestige des essais en double aveugle, aboutit souvent à une impasse1. Beaucoup de ces essais coûteux se sont montrés incapables de servir la pratique médicale quotidienne. À tel point que l’on peut aujourd’hui légitimement se demander si, en définitive, nous n’aurions pas là une déclinaison de l’art d’enfoncer des portes ouvertes. Une récente étude publiée dans Nutrients2 servira à la fois de petite révision naturopathique sur les vertus du magnésium — toujours utile dans l’optique d’une prise en charge autonome de sa santé — et d’illustration de la déconnexion de la recherche médicale des besoins concrets des malades et des médecins.
Un carrefour de bonne santé
Le magnésium est un oligo-élément vraiment essentiel, puisqu’il ne régule pas moins de 80 % des fonctions métaboliques connues. Il participe à des centaines de réactions enzymatiques qui garantissent le bon huilage des différents rouages de nos fonctions corporelles. Ainsi, le magnésium joue un rôle majeur dans le transport du calcium et du potassium, et la signalisation cellulaire, c’est-à-dire la communication des cellules entre elles pour coordonner leur action. Le magnésium intervient aussi dans le métabolisme énergétique permettant au corps de produire son énergie à l’échelle de la cellule. Il participe encore à la stabilité du génome, ainsi qu’au processus de réparation et de réplication de l’ADN. Alors que plus d’une personne sur deux ne couvre pas ses besoins journaliers en magnésium, maîtriser l’apport et l’absorption du magnésium est donc essentiel en santé humaine. Il fallait bien que la science s’empare de la question.
De l’étude des causes de sa raréfaction
À l’échelle agricole, l’évolution des modes de cultures a considérablement appauvri les sols en minéraux naturels, et en particulier en magnésium. L’utilisation d’engrais à base de phosphate est connue pour générer la production de complexes de phosphate de magnésium, insolubles dans l’eau, qui prive le sol à la fois de phosphore et de magnésium. La recherche du rendement maximum a eu également un effet néfaste sur la teneur en magnésium des fruits et surtout des légumes, qui en ont ainsi perdu 80 à 90 % en un siècle. Déjà dans les années 1930, le74e Congrès des États-Unis avait tiré la sonnette d’alarme en alertant sur la pénurie de magnésium et d’autres minéraux dans certains produits3. Les sources alimentaires, qui sont pourtant nombreuses, ne suffisent donc pas. Les aliments les plus riches en magnésium sont les légumes verts à feuilles (78 mg/portion), les fruits à coque (80 mg/portion) et les céréales complètes (46 mg/portion), mais la recherche montre qu’aucun de ces aliments ne représente un pourcentage suffisamment élevé, ni n’est consommé de manière suffisamment régulière, pour assurer un apport adéquat en magnésium.
Cette teneur réduite dans les matières premières alimentaires se complique ensuite par leur transformation industrielle, par l’abandon du cuisiné maison et l’extension de la junk food [malbouffe]. En effet, la carence s’aggrave avec l’augmentation de consommation d’aliments « usinés ». Les céréales blanches, c’est-à-dire raffinées, ainsi que la cuisson des légumes, pourraient entraîner jusqu’à 80 % de perte en magnésium. Les sodas, riches en acide phosphorique, ainsi que des taux élevés de phytates, de polyphénols et d’acide oxalique dans certains aliments contribuent au problème, en raison de leur pouvoir chélateur. La réduction des protéines dans la ration alimentaire aggrave encore le problème. L’eau du robinet contient une bonne dose de magnésium, mais le fluor gêne son absorption par production de complexes insolubles. Le recours à des systèmes de filtration — pour d’excellentes raisons — concourt malheureusement au même phénomène. La consommation de café et d’alcool augmente de son côté l’excrétion rénale du magnésium, tout comme les diurétiques4. Pour finir, certains médicaments ont un effet délétère sur l’absorption du magnésium, en particulier les antiacides en raison de l’augmentation du pH du tractus gastro-intestinal5, les antibiotiques6, ou les contraceptifs7.
Considérations anatomiques
Pourtant, à la différence d’autres minéraux, le gros intestin dans son intégralité assure l’absorption du magnésium, dans des proportions différentes toutefois. Mais le mécanisme d’absorption est si complexe que l’article explique qu’« une grande confusion règne dans la littérature ».
Deux types de transports, actif et passif en assurent la fonction. La science sait particulièrement bien les décrire :
« Lorsque les concentrations intestinales de magnésium sont plus faibles, un mécanisme de transport transcellulaire et saturable prédomine et repose sur un transporteur actif, les TRPM6 et TRPM7 […] Les TRPM6 et TRPM7 sont très sensibles aux niveaux de magnésium intracellulaire, ce qui entraîne l’inhibition et la saturation du transport transcellulaire à des concentrations de magnésium plus élevées, l’absorption du magnésium étant alors dominée par le transport paracellulaire. »8
Absorption et stockage d’une grande complexité
À cela s’ajoutent des problèmes d’absorption et de solubilité, liés à la forme de magnésium utilisée (sel inorganique, sel organique, etc.). Une fois absorbé, le magnésium est distribué dans tout l’organisme pour être utilisé. La zone la plus importante de magnésium stocké reste les os. D’autres facteurs jouent un rôle dans l’homéostasie du magnésium, comme la fonction rénale, puisque 5 à 70 % du magnésium filtré peut être excrété dans les urines, en fonction de variables en constante évolution (alimentation, régulation hormonale, mobilisation à partir des os et des muscles, prises médicamenteuses). Il faut rajouter à cela la variable du sexe, puisque les œstrogènes améliorent l’utilisation du magnésium, en favorisant son absorption par les tissus mous et durs. C’est ce qui fait que les femmes jeunes retiennent mieux le magnésium que les hommes, surtout en période ovulatoire, ou quand elles prennent la pilule. L’indice de masse corporelle (IMC) peut également affecter le statut en magnésium, en particulier chez les femmes et les enfants. L’article nous apprend qu’il a été démontré que les patients considérés comme obèses (IMC ≥ 30) consomment moins de magnésium et ont un statut en magnésium réduit par rapport à des témoins non obèses du même âge.
Le verdict de la science
La science admet que tous ces paramètres sont trop difficiles à maîtriser, et qu’ils sont susceptibles par conséquent de fausser les études sur le magnésium humain. Bien que beaucoup d’études aient été menées, il n’a pas non plus été possible pour la recherche de trancher sur le compartiment du sang qui serait le mieux à même d’évaluer le déficit en magnésium : sang, urine, matières fécales, épithélium, ou salive. Ainsi, aucun biomarqueur de la carence en magnésium, commercialement viable et sans ambiguïté, n’a pu être identifié ni validé. La recherche scientifique de la maîtrise des taux de magnésium dans le corps a fait chou blanc.
L’article conclut que les études cliniques sur la supplémentation en magnésium chez l’homme sont difficiles à extrapoler et à interpréter. Selon une tournure souvent utilisée dans les publications scientifiques, la recherche sur le magnésium est décrite comme « loin d’être complète » et « les conclusions qui ont été tirées sont loin d’être claires ».
Que faire en pratique ?
Le déficit en magnésium est associé à de nombreuses maladies, notamment l’hypertension, les maladies coronariennes, le diabète, l’ostéoporose ou les troubles neurologiques. Si aucun test de laboratoire standardisé n’est capable de décrire avec précision l’état du magnésium, alors nous ferons sans ! C’est-à-dire que nous ferons comme nous avons toujours fait. Un patient qui s’alimente mal, en consommant par exemple trop de sodas, de café ou d’aliments transformés, qui utilise des médicaments néfastes pour le magnésium (diurétiques, antiacides, contraceptifs oraux, etc.), qui de surcroît est malade (cardiopathie ischémique, diabète ou ostéoporose), et qui se plaint de crampes dans les jambes, de troubles du sommeil ou fatigue chronique, est un bon candidat. Il doit tout à la fois changer son mode de vie, et prendre du magnésium.
Loin des essais randomisés coûteux, l’importance de se supplémenter avait été démontrée par le docteur André Gernez à la fin du siècle dernier. Le docteur Gernez — dont Wikipédia nous dit dès la première phrase qu’il est un charlatan9 — avait pourtant étudié la relation entre la carence alimentaire en magnésium en raison de l’appauvrissement des sols, et les records de cancérisation dans les pays où elle sévissait, comme la Belgique par exemple. On peut remarquer que l’article de Nutriens a fait l’impasse sur un autre facteur important corrélé au magnésium : l’alcoolisme. Notre charlatan français, sans études en double aveugle, avait mis en évidence le lien entre le manque de magnésium, l’alcoolisme et la pathologie cancéreuse.
« En France, les régions détenant le record de mortalité cancéreuse sont aussi celles qui détiennent le record de mortalité par cirrhose alcoolique. Le lien procède du fait que l’alcoolisme engendre deux facteurs favorisant essentiellement les cellules cancéreuses : l’hypomagnésinémie — c’est-à-dire la perte de fixation de magnésium — et l’alcalose. On comprend la relation qui lie les mortalités alcoolique et cancéreuse. » (Jean-Claude Meuriot & Jacques Lacaze10)
Conclusion
Alors que la référence à la science est devenue aux yeux de tous une sorte de label de qualité, la réalité est moins reluisante. Les essais se perdent souvent dans un labyrinthe de questions de détails et de réponses inutiles, non pas à la connaissance en général, mais à celui en particulier qui cherche seulement à améliorer la santé de ses patients. L’appréciation d’une chose aussi complexe que la vie, au sein de laquelle l’équilibre de toutes les fonctions du corps humain reste fragile, n’est pas — il faut sans cesse le rappeler — réductible à une équation mathématique. La conclusion de cette longue étude sur le magnésium se termine par le conseil d’« augmenter les fourchettes » et de tenir compte des paramètres individuels. Soit, en d’autres termes, faire son travail de clinicien par l’interrogatoire et le suivi. Puisqu’on pouvait offrir cette sage conclusion pour beaucoup moins cher, la recherche scientifique du magnésium perdu revient, en somme, à tuer une mouche avec un canon…
Notes
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