Société libre ?

14/01/2021 (2021-01-14)

Par Joseph Stroberg

Il est paradoxal que nos sociétés modernes mettent autant en avant les notions de démocratie et de liberté quand dans le même temps dans nos régimes prétendument démocratiques, les êtres humains se trouvent de plus en plus contraints, avec très peu de souveraineté et de pouvoir de décision (sauf lorsqu’ils se trouvent au sommet des hiérarchies). Des dizaines de milliers de lois et de règlements prétendent gérer nos vies jusqu’au plus petit détail, depuis notre naissance jusqu’à notre mort, et ceci dans tous les secteurs : scolarité, métier, famille, santé, échanges, communication, loisirs, déplacements… et même jusqu’à notre respiration limitée par le port d’un masque. Nos gestes et paroles sont de plus en plus surveillés, scrutés à la loupe, et même dénoncés comme déviants ou « complotistes » lorsque nous ne marchons pas droit dans les rails du conformisme social, politique, culturel, professionnel, éducatif… et laïc. Parallèlement, par la destruction des religions et des valeurs morales, puis par l’anonymat et le caractère addictif des réseaux sociaux, et enfin par le fait de se cacher maintenant derrière un masque, les individus abandonnent tous les tabous et tendent à compenser leur manque de libertés concrètes par celle du discours et du jugement, critiquant tout et donnant leur avis trop souvent superficiel en toutes circonstances, même lorsqu’ils sont ignorants des domaines considérés. Si dans « l’autrefois » religieux la suprême sanction n’était pas tant la peine de mort que la promesse de l’enfer, dans notre « maintenant » matérialiste, elle a plutôt été remplacée par la perte du portefeuille ou d’un pouvoir social, au pire par la mort elle-même.

La liberté totale implique l’absence totale de règles et donc le règne de l’arbitraire. Si elle n’est pas régulée par un quelconque principe supérieur ou d’autorité, ne serait-ce que moral, elle a obligatoirement comme conséquence le chaos, car les diverses volontés individuelles partent dans toutes les directions et finissent tôt ou tard par se heurter plus ou moins violemment, à l’image des particules d’un fluide. Les sociétés humaines impliquant de multiples individualités aux volontés distinctes ont donc dû trouver, au cours de l’Histoire, des compromis entre le pur arbitraire non régulé et le totalitarisme qui règle le moindre aspect de la vie individuelle et collective. Parfois, le laxisme et l’absence de règles et de lois conduisaient à la barbarie. D’autre fois, des administrations, bureaucraties et systèmes gouvernementaux trop lourds favorisaient l’apparition de tyrannies sous le caractère arbitraire (ou l’arbitrage) d’un seul individu ou groupe d’individus. Les peuples pouvaient se voir alors confrontés à une dictature individuelle (dirigée par un monarque, un grand prêtre ou un chef marchand, selon la caste dominante) ou oligarchique (dirigée par une assemblée de nobles, de prêtres, ou de marchands). Dans la pratique, la caste des producteurs, la plus grande masse du peuple, n’a jamais elle-même vraiment dirigé les destinées de la nation ou du peuple considéré (même pas dans le cas des dictatures communistes, car dans celui-ci, les vrais dirigeants n’appartenaient plus, de facto, à la classe productrice ou ouvrière, mais à une clique, une « nomenklatura » qui jouait un rôle souvent équivalent à celui des anciens nobles, sans en avoir pour autant la grandeur).

L’exercice de la liberté d’action et de choix par un individu dans un groupe implique toujours des conséquences sur un ou plusieurs membres de ce groupe dès qu’il entre en interaction. Soit il agit en contrôlant un minimum ses mouvements et ses gestes (incluant les mouvements de sa langue, ou parole), de sorte à ne pas entrer en collision violente avec les autres, mais plutôt à seulement les effleurer ou à les toucher en douceur. Ou soit il ne se préoccupe guère des conséquences de ses mouvements et auquel cas il augmente plus ou moins considérablement la chance de heurter violemment les autres, de leur nuire, d’empiéter sur leur propre espace de liberté… Dans le premier cas, l’individu tend à agir avec maturité et responsabilité, limitant lui-même volontairement sa liberté. Il devient son propre arbitre, capable de juger l’impact potentiel de ses choix et actes (propos compris) avant de les accomplir. Il diminue volontairement son caractère arbitraire, se fixant lui-même des règles de conduite, comme certains chevaliers pendant le moyen-âge, ou encore comme certains moines, quelle que soit la religion considérée. Ce n’est bien sûr pas réservé à des castes ou à des types d’individus particuliers. C’est avant tout une question de conscience et de degré de maîtrise sur soi-même, quelle que soit la voie d’action choisie par l’individu. Néanmoins, combien existe-t-il à notre époque d’êtres humains qui vivent selon une telle approche, notamment prêts à sacrifier volontairement une partie de leur confort (matériel et même psychologique ou psychique) au profit de la collectivité ? Il ne s’agit pas ici d’une acceptation sous la contrainte, comme dans le cas du port d’un masque sous la menace d’amendes ou par peur d’attraper une maladie. Ce n’est pas non plus pour se faire bien voir ou apprécier. Non, c’est simplement pour ne pas nuire et par respect pour l’espace de liberté d’autrui.

Dans le second cas, l’individu pense prioritairement à lui-même ou est encore dominé par ses instincts, dont celui de survie. Il porte un masque par peur de la maladie ou de mal paraître. Lorsqu’il s’occupe des conséquences de ses actes, c’est le plus souvent à court ou à très court terme et sous un angle de vue plutôt restreint. Pour poursuivre sur l’exemple des masques, il se laisse le plus souvent guider par le conformisme ou par la voix dominante. Il étudie au mieux les conséquences sous le regard de psychopathes, un point de vue presque obligatoirement biaisé. Si on lui dit que la science indique que les vaccins sont sécuritaires et permettent d’empêcher les épidémies, mais qu’il faudra quand même continuer à porter le masque pour éviter que ses gouttelettes potentiellement porteuses de virus ne rendent malade quelqu’un d’autre, alors qu’il est lui-même en très bonne santé, il ne cherchera généralement pas plus loin, satisfait d’une explication simpliste, même si elle peut se révéler incohérente après une analyse plus approfondie. Il se conforte éventuellement dans l’idée qu’il est généreux parce qu’il empêche ainsi les autres d’attraper une maladie épidémique présentée comme très grave, bien qu’il ne voit personne dans la rue tomber raide mort à cause d’elle. Envisager que le confinement, la distanciation sociale et le port du masque puissent largement contribuer à détruire l’économie et le tissu social pour aboutir à moyen terme à un état bien pire que l’épidémie lui effleure rarement l’esprit.

Si l’on se fie par exemple un peu aux statistiques concernant le degré de docilité ou non face à la prochaine vaccination contre ladite maladie, le Québec présente un peuple largement soumis, un peuple qui a abandonné ce qu’il lui restait encore de liberté, sous le prétexte de sécurité sanitaire. Ceci vaut, à peu de choses près, pour de nombreuses autres nations « occidentales ». La tyrannie arbitraire de quelques tireurs de ficelles mondiaux a supprimé largement et presque totalement la liberté individuelle grâce à un ensemble supplémentaire de règles, cette fois orientées autour de la maladie et de la peur de la mort qu’elle engendre. L’incohérence et le changement presque quotidien, ou au moins hebdomadaire ou mensuel de ces règles favorisent la confusion et celle-ci à son tour facilite la diminution de la réflexion et de la lucidité face au réel. Par son degré de soumission, le peuple est ainsi sanctionné par un pouvoir tyrannique arbitraire, parce que les tyrans échappent eux-mêmes à toute possible sanction dans le cadre légal et le système qu’ils ont largement contribué à renforcer, sinon à créer. Leur liberté utilisée abusivement et sans contrôle s’est installée en retirant celle de ceux qui subissent au contraire un énorme contrôle de leur vie. Le « deux poids, deux mesures » est devenu si criant, si visible, qu’il faut être sourd pour ne pas l’entendre et aveugle pour ne pas le voir. La société humaine moderne a perdu la justice en cours de chemin. Les juges sont devenus de simples outils supplémentaires aux mains des dictateurs qui se cachent derrière le mot « démocratie » et derrière les gouvernements modernes.

Dans le passé, la liberté — née d’une situation sans règles écrites, mais avec seulement quelques lois ou commandements oraux ou religieux — aurait pu engendrer une pléthore de conséquences arbitraires. Chacun aurait pu devenir a priori un tyran pour ses voisins. Cependant, de suprêmes sanctions, des mesures de justice communément admises, permettaient de l’éviter. L’individu qui n’était pas capable de lui-même de maîtriser son degré de liberté par rapport à autrui vivait toujours sous la menace de la suprême sanction : enfer, décapitation, écartèlement, flagellation, lapidation par la foule, pendaison, etc. selon les peuples et les époques. Dans nos sociétés matérialistes, les valeurs morales disparues ont laissé la place à des idéologies corrompues, à l’inversion de principes universellement reconnus depuis la nuit des temps et, parallèlement, à la fin de ce type de sanctions suprêmes, puisque la peine de mort a pratiquement disparu de presque toutes nos nations si « civilisées » et que la religion et ses concepts tels que celui d’enfer ont pris également le bord. Les bagnes ont disparu et les prisons sont souvent devenues des hôtels de luxe, à la principale différence de la limitation des déplacements. Celles-ci ne dérangent plus guère les malfrats. Ces derniers peuvent souvent y poursuivre leurs petites « affaires » et préfèrent s’y trouver que dehors sous la neige. Les récidives sont fréquentes. Il en existe beaucoup moins en cas de décapitation.

L’Histoire humaine tend à démontrer que les sociétés les plus libres, à la différence de ce que nous connaissons aujourd’hui, reposaient sur pas ou peu de règles écrites. Les principales lois de vie commune étaient orales, souvent d’inspiration ou de guidance religieuse. La véritable liberté n’étant possible que conjointement avec la responsabilité, comme le sens de cette dernière n’est pas universellement présent en chaque être humain (il en faut probablement encore de beaucoup), pour la permettre néanmoins en de grandes proportions, l’Humanité doit alors mettre en place une mesure qui permette malgré tout de pallier l’irresponsabilité, même du plus grand nombre. Peut-elle trouver mieux que les sanctions suprêmes passées ? Sinon, il faudra probablement se résoudre à en réhabiliter quelques-unes pour ne pas s’enfoncer davantage dans le chaos, mais pour construire au contraire un Nouveau Monde.

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