De Gaulle et le référendum

11/04/2024 (2024-04-11)

Alors que le Conseil constitutionnel vient de rejeter le référendum d’initiative partagée (RIP) sur l’immigration, rappelons ce que disait le Général de Gaulle, dans son dernier entretien télévisé, le 10 avril 1969, sur sa conception du référendum :

« Pour un bon nombre de professionnels de la politique qui ne se résignent pas à voir le peuple exercer directement sa souveraineté par-dessus leur intermédiaire, et aussi pour certains juristes qui en sont restés au droit tel qu’il était à l’époque où cette pratique éminemment démocratique n’existait pas dans nos institutions, le référendum apparaît comme fâcheux et anormal. Et cela parce qu’il est la participation directe de chaque français aux décisions qui règlent le sort de la France.

En 1945, c’est malgré ces objecteurs que j’ai institué le référendum afin qu’il rouvre la porte à la démocratie, et qu’il devienne ensuite la sanction obligatoire de toute constitution.

En 1958, comme le danger public contraignait leurs habitudes, et foudroyait le régime des partis, ces opposants de principe et ces juristes engagés se sont, sur le moment, pliés à l’inévitable. J’ai alors établi la constitution nouvelle et l’ai proposé au pays par un référendum.

Mais dès lors que le référendum s’était imposé, d’abord comme le moyen éclatant de rétablir la république, après la Libération, et ensuite comme la source même de nos actuelles institutions, tout commandait de prévoir désormais comme un recours normal en matière constitutionnelle. Et de fait, l’actuelle constitution l’a prévu et d’une manière tellement explicite, qu’il est incroyable qu’on puisse le nier.

L’article 11, en tête de ceux qui fixent les pouvoirs du Président de la République, lui attribue le droit de soumettre au référendum, sur la proposition du gouvernement, tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics. Je répète et je souligne : tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics.

Or qu’est-ce que c’est qu’une constitution, sinon précisément l’organisation des pouvoirs publics ? Si bien que la loi constitutionnelle de 1875, d’où est sortie la République, était intitulée tout justement “loi sur l’organisation des pouvoirs publics”.

Par conséquent, ne pas admettre qu’on puisse proposer au pays un changement de la constitution, portant sur l’organisation des pouvoirs publics, c’est nier que ce qui est écrit est écrit.

C’est ne tenir aucun compte de l’évènement capital suivant lequel, depuis 1945, c’est le peuple qui détient directement le pouvoir constituant. C’est ne pas vouloir reconnaître ce qui a été décidé par 75 % des Français par leur vote.

C’est fermer les yeux sur le fait qu’étant moi-même le principal auteur de l’actuelle constitution, puisque c’est moi qui étais chargé de l’élaborer avec mon gouvernement et de la soumettre au pays, j’en ai arrêté et proposé le texte, parce que l’article 11 signifie ce qu’il signifie. Et je n’aurais certainement ni arrêté, ni proposé autrement.

Certes, il est de bon sens, quand il s’agit de modifications qui peuvent être apportées à la constitution, à cause de la marche du temps, comme c’est le cas pour tout ce qui est humain, il est de bon sens que la voie parlementaire soit ouverte à la révision, parallèlement à celle du référendum. Et c’est pourquoi l’article 89 de la constitution prévoit cette procédure.

Étant donné la nature de ce qui est en cause, et le changement de structure très important qu’il comporte, le mieux, de toute façon, c’est de le soumettre à la direction, à la décision directe du pays. Mais il se trouve, en outre, que le référendum est la seule voie possible. En effet, l’article 46 de la constitution interdit de procéder par la voie parlementaire à tout changement qui n’aurait pas la, concernant le sénat, et qui n’aurait pas l’accord du sénat. Cette voie-là est donc bouchée, et ça devrait suffire, me semble-t-il, à faire taire ceux qui prétendent qu’on ne peut pas utiliser l’article 11. Car adopter leur thèse, ce serait reconnaître au Sénat le privilège unique et sans précédent, d’être à son gré, de siècle en siècle, et quoiqu’il arrive, immuable et intangible.

La querelle qui m’était faite, en 1965, en 1962 veux-je dire, et qui m’est refaite aujourd’hui, quant à l’emploi de l’article 11, en matière constitutionnelle, est donc la mauvaise querelle des partis pris, et de la routine. Il est vrai que l’indignation apparente, qui, à la suite de la soi-disant violation de la constitution sur ce sujet, soulevait les opposants, n’a nullement empêché tel et tel de leurs principaux représentants de s’efforcer, en 1965, de devenir chef de l’État, en empruntant cette voie, qu’ils prétendaient maudite et illégitime. Alors, sans aller jusqu’à suspecter leur vertu, on s’interroge sur leur sincérité. »

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