Balzac et la première rébellion féministe des femmes

26/09/2023 (2023-09-26)

Par Nicolas Bonnal

La Femme de trente ans… Ce roman lance le bovarysme psychologique et sociétal. Mais Julie est beaucoup moins passive qu’Emma et elle se rebelle intellectuellement contre les hommes… Et déboulonne la société, annonçant nos législations folles d’aujourd’hui (on n’en fait pas un drame : après tout, qu’elle dégage, l’espèce dite humaine) :

« — Obéir à la société ?… reprit la marquise en laissant échapper un geste d’horreur. Hé ! monsieur, tous nos maux viennent de là. Dieu n’a pas fait une seule loi de malheur ; mais en se réunissant les hommes ont faussé son œuvre. Nous sommes, nous femmes, plus maltraitées par la civilisation que nous ne le serions par la nature. La nature nous impose des peines physiques que vous n’avez pas adoucies, et la civilisation a développé des sentiments que vous trompez incessamment. La nature étouffe les êtres faibles, vous les condamnez à vivre pour les livrer à un constant malheur. Le mariage, institution sur laquelle s’appuie aujourd’hui la société, nous en fait sentir à nous seules tout le poids : pour l’homme la liberté, pour la femme des devoirs. Nous vous devons toute notre vie, vous ne nous devez de la vôtre que de rares instants. »

Makow rappelait que pour les féministes le sort des femmes dans la société machiste c’est Auschwitz. ! Notre sacré Balzac (pas son personnage) n’en est pas loin non plus :

« Hé bien, le mariage, tel qu’il se pratique aujourd’hui, me semble être une prostitution légale. De là sont nées mes souffrances… »

Pour notre bon gros romancier réaliste (réaliste ou romantique ?), la vie de la femme devient un cercle des horreurs dantesques :

« Mon avenir est horrible, je le sais : la femme n’est rien sans l’amour, la beauté n’est rien sans le plaisir ; mais le monde ne réprouverait-il pas mon bonheur s’il se présentait encore à moi ? Je dois à ma fille une mère honorée. Ah ! je suis jetée dans un cercle de fer d’où je ne puis sortir sans ignominie. Les devoirs de famille accomplis sans récompense m’ennuieront ; je maudirai la vie ; mais ma fille aura du moins un beau semblant de mère. Je lui rendrai des trésors de vertu pour remplacer les trésors d’affection dont je l’aurai frustrée. Je ne désire même pas vivre pour goûter les jouissances que donne aux mères le bonheur de leurs enfants.

Je ne crois pas au bonheur. »

Cerise sur le gâteau : 

« Vous honnissez de pauvres créatures qui se vendent pour quelques écus à un homme qui passe, la faim et le besoin absolvent ces unions éphémères ; tandis que la société tolère, encourage l’union immédiate bien autrement horrible d’une jeune fille candide et d’un homme qu’elle n’a pas vu trois mois durant ; elle est vendue pour toute sa vie. Il est vrai que le prix est élevé ! Si en ne lui permettant aucune compensation à ses douleurs vous l’honoriez ; mais non, le monde calomnie les plus vertueuses d’entre nous ! Telle est notre destinée, vue sous ses deux faces : une prostitution publique et la honte, une prostitution secrète et le malheur. Quant aux pauvres filles sans dot, elles deviennent folles, elles meurent ; pour elles aucune pitié !

La beauté, les vertus ne sont pas des valeurs dans votre bazar humain et vous nommez Société ce repaire d’égoïsme. »

Et ces braves gens n’avaient rien vu.

Le pauvre curé répond à Julie :

« — Madame, vos discours me prouvent que ni l’esprit de famille ni l’esprit religieux ne vous touchent, aussi n’hésiterez-vous pas entre l’égoïsme social qui vous blesse et l’égoïsme de la créature qui vous fera souhaiter des jouissances…

— La famille, monsieur, existe-t-elle ? Je nie la famille dans une société qui, à la mort du père ou de la mère partage les biens et dit à chacun d’aller de son côté. La famille est une association temporaire et fortuite que dissout promptement la mort. »

Balzac tape ensuite sur le désastreux bilan napoléonien des réformes du droit civil :

« Nos lois ont brisé les maisons, les héritages, la pérennité des exemples et des traditions. Je ne vois que décombres autour de moi. »

Le curé est excellent (ah, si nos bons prêtres pouvaient parler comme ceux de Stendhal, de Balzac ou même de Pagnol) :

« — Madame, vous ne reviendrez à Dieu que quand sa main s’appesantira sur vous, et je souhaite que vous ayez assez de temps pour faire votre paix avec lui. Vous cherchez vos consolations en baissant les yeux sur la terre au lieu de les lever vers les cieux. Le philosophisme et l’intérêt personnel ont attaqué votre cœur ; vous êtes sourde à la voix de la religion comme le sont les enfants de ce siècle sans croyance ! Les plaisirs du monde n’engendrent que des souffrances. »

Et ici le prêtre enfonce très bien le clou.

« Vous allez changer de douleurs voilà tout. »

C’est le fardeau de la personnalité qui va apparaître, dont parlera plus tard Pearson, et dont se moquera Nietzsche dans son Zarathoustra. Debord évoquera ce conglomérat de solitudes sans illusions que nous sommes devenus. Tout cela se termine par une destruction — destruction ou anéantissement ? — de la démographie européenne qui aujourd’hui s’exporte au reste du monde, Amériques, Asie, Afrique exclue bien entendu.

Sources 

Balzac — La femme de trente ans, ebooksgratuits.com, pp. 96-102-103

Nicolas Bonnal — Chroniques sur la fin de l’histoire (I, II et III), Amazon.fr

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