Sur la République

[Source : Revue Méthode]

Les pièges du débat sur les évolutions historiques de la Res Publica

par Valérie BUGAULT

Réponse à l’article
de Jacques Sapir « Les débats sur la souveraineté révélés par les
évolutions des représentations de la Res Publica » –
http://www.revuemethode.org/m121815.html –
https://reseauinternational.net/les-debats-sur-la-souverainete-reveles-par-les-evolutions-des-representations-de-la-res-publica/#comments

Cet
article se veut un commentaire critique de l’article de Jacques Sapir
commentant un ouvrage de Madame Claudia Moatti, professeur « d’histoire
intellectuelle », qui traite de « l’évolution de la chose publique, de
la Res Publica dans le monde romain »… c’est-à-dire des interprétations
de la notion de « chose publique mais aussi des notions de légitimité et
de droit ». Le présent article ne commentera pas ledit ouvrage, que
l’auteur n’a pas lu, mais se revendique en tant que critique
constructive à la présentation de cet ouvrage faite par Jacques Sapir.Il
est en effet intéressant, et sans doute non contestable, de savoir que
le concept de « Res Publica » a subi, au temps de la Rome antique, de
sérieuses variations tant quantitatives que qualitatives.Néanmoins,
ce genre d’analyse comporte, en particulier lorsqu’elle est mise en
parallèle avec les temps républicains actuels, un biais intellectuel et
cognitif. Une telle mise en perspective historique du concept de
république a pour effet direct de tronquer les débats institutionnels en
les enkystant définitivement autour du seul concept de République,
avec, en arrière-fond, l’idée que la République instaurée en 1789 est
incontournable.Or, précisément, les Républiques du XVIIIème
siècle ne sont pas nées par hasard ou par la simple nostalgie des temps
antiques. Les Républiques du XVIIIème siècle sont nées de la volonté
d’une nouvelle caste dominante, celle de la bourgeoisie menée par les
banquiers, de prendre le pouvoir politique à un ordre ancien dominé par
l’aristocratie et le clergé.Il est ici impératif de constater
que l’ordre politique de l’Ancien Régime était donc, tout imparfait
qu’il était, fondé sur deux forces de valeur quasi égale et qui se
faisaient face ; ces deux pouvoirs agissaient comme un contre-pouvoir
l’un sur l’autre, libérant au passage un espace public libre. C’est
justement sur cet espace de liberté qu’a pu se développer la bourgeoise
commerçante et financière.

Or,
avec l’avènement des Républiques du XVIIIème siècle, la domination par,
d’une part l’aristocratie et, d’autre part, le clergé catholique, a
laissé la place, sous couvert de « bien public », à la domination de la
seule caste de la bourgeoisie, menée par les banquiers commerçants. Pour
résumer, une domination bicéphale a laissé la place à une domination
monocéphale, dont nous voyons aujourd’hui l’aboutissement. Or, cette
domination des banquiers commerçants est restée anonyme, elle s’est
hypocritement cachée derrière :1°) des institutions politiques organisées autour du principe de « mandat représentatif » ;2°)
de belles pétitions de principes telles que la revendication de la
liberté pour tous, alors qu’il s’agissait principalement de la liberté
du commerce… de la libre concurrence qui bénéficie au bien commun, en
oubliant de préciser qu’en système concurrentiel, seuls les plus forts
s’en sortent…. Alors précisément que les critères de détermination « des
plus forts » étaient fondés sur des règles, non dites, d’interprétation
extrêmement flexible : ainsi, acquérir une fortune par malversations,
assassinats et autres vilénies, n’en reste pas moins un signe que
l’auteur de ces méfaits est « le plus fort ». La liberté de laquelle
sont nées les Républiques du XVIIIème siècle fait bon cas de la morale,
de la droiture et de la Justice au profit de ce qui s’apparente
juridiquement de facto à la glorification de la « voie de fait ».

Pour
résumer, il faut constater que la liberté proclamée par les Républiques
du XVIIIème siècle se cache derrière des institutions politiques
fondées sur la prééminence des parlements dont les membres sont cooptés
par des partis politiques avant que leur élection ne soit entérinée, sur
fonds de nombreuses et très opaques tractations médiatico-politiques,
par un public pris en otage. Ce public – le peuple – étant dans
l’incapacité totale et définitive de sanctionner les actions
particulières prises par ses représentants autrement que quelques années
après les faits en votant pour d’autres individus élus dans des
conditions tout aussi fallacieuses et pernicieuses.Pour
parler clairement, les parlements, d’origine anglaise, généralement
déployés dans le monde depuis le XVIIIème siècle ne sont rien d’autres
que la vitrine présentable du fait que le pouvoir politique échoie
désormais à des « partis politiques ». Or, lesdits partis ne peuvent
vivre que s’ils sont financés, ce qui permet aisément aux puissances
d’argent d’en prendre le contrôle. Cette prise de contrôle est d’autant
plus aisée que l’accaparement généralisée des richesses, par ces mêmes
puissances d’argent, est atteinte.Ainsi, le retour à
l’analyse de la Res Publica des temps antiques ne doit pas cacher les
raisons et le contexte de la naissance des Républiques des temps
modernes ! Il est donc impératif, pour éviter toute manipulation
intellectuelle, de rappeler que si l’on peut trouver des points de
ressemblance – notamment dans la terminologie utilisée – entre la Res
Publica antique et les républiques modernes, il faut impérativement
garder à l’esprit que les raisons profondes de la réapparition, en
occident, de la République ne sont pas tant dues à la nostalgie d’un
passé glorieux et libre, plus ou moins bien interprété et réapproprié,
qu’aux contraintes de la prise de pouvoir politique par une nouvelle
caste arrivée à maturité : celle des banquiers commerçants.