14/01/2021 (2021-01-14)
Par Joseph Stroberg
Il semble bien que la meilleure façon de connaître quelque chose soit de l’expérimenter soi-même directement. Une connaissance qui reste livresque ou par l’intermédiaire de vidéos, pour ne citer que deux exemples d’intermédiaires, peut-elle en effet atteindre la même complétude? Peut-on connaître la sculpture sans sculpter soi-même, une émotion sans l’éprouver soi-même, la mer en restant sur la plage, une idéologie ou une religion sans s’y relier, une autre personne sans la fréquenter…? Oh! bien sûr, on peut toujours les critiquer, de l’extérieur. « La critique est aisée, mais l’art est difficile ». Si l’on n’expérimente pas soi-même ce dont il est question, cela demeure externe et superficiel. Cela est surtout bon pour engendrer des conflits. Et l’on finit souvent par critiquer les personnes elles-mêmes au lieu de chercher à connaître ou à comprendre qui elles sont, ce qu’elles disent, ce qu’elles font et ce qui les motive… Bien sûr, critiquer fait aussi partie de l’expérience humaine. Ce faisant, c’est souvent bien après que l’on réalise l’objet réel de la critique : la connaissance de soi!
Si la meilleure manière de connaître quelque chose est de l’expérimenter soi-même, comment pouvons-nous nous connaître nous-mêmes? Pour nous « expérimenter », il faut en quelque sorte nous dédoubler. L’expérimentateur, non seulement agit sur l’objet de l’expérience, mais aussi l’observe. Et il constate ses réactions aux différents stimuli. Comment être l’expérimentateur de nous-mêmes en tant qu’objet d’expérience ou d’étude? À moins d’avoir le don d’ubiquité et de pouvoir se trouver simultanément en deux endroits différents, il n’existe que peu de manières de se dédoubler. L’une d’elles est l’utilisation d’un miroir qui renvoie alors de nous une image assez fidèle, à la symétrie près. Une autre consiste à faire appel à ce qui, en l’Homme, est l’observateur (du moins si cela existe effectivement). Et l’on peut comprendre que ceux qui ne vivent pas sa présence puissent en douter. Il existe aussi la solution de s’en remettre aux perceptions d’un autre individu (avec tous les risques que cela peut comporter).
Quel genre de miroir peut permettre l’observation de notre personnalité, non seulement sur le plan physique visible, mais aussi sur celui du caractère, des émotions et de la manière dont nous gérons l’univers des pensées? Depuis plusieurs milliers d’années, des êtres humains ont découvert que d’autres humains ou d’autres êtres pouvaient jouer ce rôle. Et la psychologie humaine moderne traduit maintenant cela en termes de mécanismes de « projection » (cf. entre autres : « Juger l’autre, c’est porter un jugement sur soi » et « La projection comme mécanisme de défense »). Comme êtres humains, nous avons naturellement tendance à projeter sur l’autre ce que nous ne parvenons pas à reconnaître sur nous-mêmes. L’autre nous sert ainsi de miroir. La paille que nous voyons dans l’oeil du voisin peut représenter la poutre qui se trouve dans le nôtre. C’est souvent un miroir déformant, mais un miroir quand même.
Une situation typique lors de laquelle ce mécanisme de défense entre en jeu est lorsque nos croyances fondamentales (idéologiques, religieuses ou existentielles, scientifiques, etc.) sont remises en question. Notre personnalité ou notre cerveau (ou notre mental) met en œuvre la projection. Au lieu d’argumenter sur les idées ou les concepts autour de la croyance, nous tendons à attaquer ou à juger, voire à condamner la personnalité adverse. Qu’on laisse ce mécanisme s’exercer ou non, que l’on utilise ou non une autre personne comme un miroir, et quelles que soient nos actions, nos attitudes, nos émotions et même les pensées qui nous traversent, l’observateur en nous le perçoit sans jugement. Cependant, nous ne pouvons en bénéficier que si nous lui ouvrons la porte. C’est un peu comme si quelqu’un nous observait au travers d’une porte fermée ou au travers des murs (les barrières que nous érigeons, par exemple), mais que nous ne pouvions en prendre connaissance qu’en ouvrant nous-mêmes la porte qui nous en sépare. Il a pu recevoir plusieurs noms : Soi, Surmoi, Esprit, Présence…
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