14/01/2021 (2021-01-14)
Par Joseph Stroberg
Lorsqu’un individu ou un groupe est en conflit ou en crise avec un autre, leur nature subjective rend différentes (parfois radicalement) leurs perceptions de ce conflit ou de cette crise. Il y a la perception de celui qui s’en perçoit (à tort ou à raison) comme victime. Et il y a celle de celui qui en est responsable, et qui pense l’être ou au contraire se défend de l’être. Ces perspectives différentes dépendent des sens humains limités (et sujets à des illusions, voire à des hallucinations), de filtres psychologiques divers (religieux, culturels, éducatifs, sociaux…) et des points de vue ou des positionnements momentanés adoptés par rapport aux circonstances ou à la scène du conflit ou de la crise.
Si les protagonistes sont amenés à témoigner, directement devant un tribunal ou indirectement devant l’Histoire, nous aurons donc la version de la victime réelle ou supposée, et celle de l’autre bord. Cependant, il en existe une troisième. Il s’agit de celle exposant la stricte vérité objective. Il semble bien qu’elle ne soit jamais connue totalement, même après des enquêtes minutieuses de la part d’historiens, de journalistes ou de détectives… Et souvent, elle est ignorée.
Qu’il s’agisse d’événements historiques, criminels ou sociaux, traités respectivement par des historiens, des enquêteurs tels que des détectives, ou des journalistes, l’Histoire retient généralement la version du « vainqueur » du conflit ou de la crise, oublie celle du perdant et sacrifie la troisième : la vérité. Celle-ci ne peut pas être totalement connue, mais approchée de plus ou moins près, grâce à des indices et à des faits.
D’un point de vue impartial, scientifique et objectif, les témoignages des protagonistes d’un conflit ou d’une crise sont subjectifs. Ils ne devraient donc pas être considérés comme des faits indubitables, mais comme des indices ou des éléments à charge plus ou moins probants et plausibles. Les traces matérielles liées à l’événement relèvent davantage de faits. Cependant, elles tendent à disparaître ou à s’effacer au cours du temps et peuvent être sciemment altérées, voire fabriquées. Il est difficile de reconstituer après coup une scène de crime ou de conflit. Et il l’est d’autant plus lorsque s’ajoute la pression du « vainqueur » quand celui-ci ne tient pas, pour diverses raisons, à voir sa version modifiée ou remplacée au profit de celle du « vaincu » (et encore moins au profit de la vérité).
Particulièrement pour des motifs idéologiques ou politiques, l’Histoire se charge progressivement de tabous : des indices ou des faits gênants pour la version du vainqueur. C’est notamment le cas pour deux chapitres spécialement violents : la Révolution française et la Seconde Guerre mondiale. Dans le premier exemple, le vainqueur est la « République » et le perdant, la royauté. Et comme cette dernière a presque disparu, elle ne peut guère se défendre. La version officielle, celle des gagnants mentionne en particulier que cette Révolution aurait été spontanée, faite par le peuple pour s’approprier le pouvoir aux dépens du Roi. Le gros problème de cette version est que les masses populaires n’ont jamais eu le pouvoir depuis lors (pas plus qu’elles ne l’avaient avant).
La version des perdants, notamment celle des Chouans, est occultée, oubliée, mais plus ou moins ressuscitée par certaines personnes, comme Marion Sigaut. Selon cette version, les instigateurs de la Révolution française seraient plus spécialement les franc-maçons. Et les véritables auteurs de la prise de la Bastille et autres événements parisiens seraient un ramassis de criminels sortis des prisons marseillaises. Dans une nation de type « république », une telle hypothèse est taboue. Néanmoins, elle n’est pas nécessairement plus juste que l’autre. Et la version réelle, la troisième, est à rechercher peut-être quelque part entre les deux, ceci si possible par des historiens non animés par l’idéologie ou par des intérêts politiques.
Le second chapitre historique évoqué, la Seconde Guerre mondiale, présente des éléments probablement encore plus tabous. La version inscrite dans les livres d’Histoire, dans (presque ?) toutes les nations, est bien sûr celle des vainqueurs du conflit. Elle retient qu’Hitler aurait été le plus grand super gros méchant de tous les temps, dépassant en cruauté les Alexandre, César, Genghis Khan, Attila… et autres conquérants. Il aurait exterminé jusqu’à six millions de Juifs et autant d’individus issus d’autres branches culturelles ou ethniques, selon certains des vainqueurs, mais un peu moins selon d’autres. Pour ce faire, il aurait utilisé toute une structure de déportation, puis d’extermination en camps de la mort, grâce à une industrie de chambres à gaz.
La version des perdants, celle en particulier des Allemands et des Japonais, est même officiellement condamnée par ceux-ci, car l’Allemagne et le Japon ont été vaincus et sont encore occupés militairement par une partie des vainqueurs (qui y possèdent toujours plusieurs bases). Elle ne tente de renaître que par le biais de personnages bien sûr très controversés et généralement taxés de révisionnisme, quand ce n’est pas de « négationnisme ». Selon ces derniers, il n’y aurait notamment eu aucun gazage. Comme on peut s’y attendre, ils avancent de nombreux arguments pour tenter de démontrer leur thèse. Cependant, celle-ci peut devenir aussi extrémiste que l’autre, surtout lorsqu’elle est poussée par une idéologie. Et ici de même la vérité historique est probablement à chercher quelque part entre les deux.
Si un jour nous disposons d’un moyen fiable de remonter ne serait-ce que visuellement dans le temps, à défaut d’y voyager en chair et en os, nous constaterons peut-être que notre Histoire relève davantage des contes de fées que de réalité. La vérité s’élèvera d’entre les différentes thèses et antithèses historiques. Elle en émergera comme une forme de synthèse et le bilan de tout cela nous apparaîtra comme une leçon : l’objectivité humaine ne peut naître que de l’union des subjectivités individuelles. C’est en unissant nos divers points de vue que la vérité jaillit.
Voir aussi : Pensée multiple.
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