Laurence (de Russie) voyage en France

13/03/2024 (2024-03-13)

[Publication initiale : nicolasbonnal.wordpress.com]

Par Nicolas Bonnal

« Je passe, dès que surgit le soleil, des moments à lézarder, car en Russie, je manque terriblement de lumière, et elle est là, la lumière. Le ciel la déverse à pleins seaux. »

Passages des deux textes de Laurence :

Les territoires protocolaires

Le village lui-même est ravissant, mais j’ai eu un peu de mal à arriver, car tout autour, c’est un labyrinthe pavillonnaire. J’avais mis mon GPS russe, qui m’a guidée jusqu’à un parking, à peut-être 50 mètres de chez eux, mais de là où j’étais, je ne pouvais soupçonner les ruelles de pierre, les toits de tuiles, les escarpements que j’ai découverts ensuite. Je suis passée par une succession de ronds-points, de dos d’âne, de pistes cyclables, de pistes piétonnes, de massifs, de décrochements en béton pour obliger les gens à slalomer, cela me faisait penser aux billards électriques de mon enfance, ou à un parcours de maternelle. C’était plein de flèches, de rayures, de panneaux, fait pour aller d’un point à un autre, d’une façon déterminée par je ne sais quel personnage dans je ne sais quel bureau, à la limite, je m’étonnais d’être encore au volant, et non pas passivement promenée par un engin téléguidé, mais c’est certainement l’objectif ultime.

Vive la religion orthodoxe en France :

À l’entrée du monastère, cela sentait les néfliers, j’avais oublié cette odeur. J’avais même un peu oublié l’extraordinaire élévation spirituelle des offices dans la très belle église, leur ferveur, leur noblesse, et le bonheur de comprendre tout ce qui se chantait. Le lendemain, c’était le dimanche du publicain et du pharisien. Le père Théotokis a fait un sermon superbe, lorsqu’il officie, il semble qu’il ne touche plus terre. Sa voix plane comme un ange joyeux. Il nous a dit que le pharisien avait un tel ego qu’il ne laissait plus aucune place à Dieu en lui-même, qu’il considérait Dieu comme l’agent de sa propre perfection. « Le péché, expliquait-il, ce n’est pas un vice honteux ou des pratiques méchantes, qui en sont les conséquences, c’est la séparation, la séparation d’avec les autres, d’avec les animaux et la nature, avec le cosmos, avec Dieu qui en est la Source. Nous commençons à nuire à tout le monde quand nous sommes séparés les uns des autres, séparés de Dieu et de tout ce qui vit. Le publicain a une vie tout à fait déshonorante, mais il en est conscient, il est conscient que Dieu seul peut le sortir de son bourbier, alors que le pharisien se croit parfait. Apprenons à être au moins de bons pécheurs, la prière ne peut souvent plus entrer en nous que par le chemin des égouts de nous-mêmes ».

Complotisme en forme

Les paroissiens du monastère m’ont accueillie par de grandes exclamations : « Les Russes t’ont laissée sortir ! » Bah oui… Je ne suis pas encore au GOULAG. Photinia, qui était une ermite complètement détachée du monde, se retrouve en première ligne du combat anti covicircus, antivax, complotiste, et ne jouit pas toujours d’une grande compréhension. Je n’en croyais pas mes yeux, quand j’ai vu sa voiture couverte de slogans. Elle est infirmière en EPHAD et subit toutes les persécutions qui frappent les soignants récalcitrants depuis le début de l’affaire. « Ces gens n’ont pas d’âme, me dit-elle, et il ne faut pas exclure de finir sa vie en prison, ou pire, comme les saints martyrs de Russie. »

Bénédiction

Sa terrasse domine tout le pays, les rues anciennes, l’église, et les pavillons. Le vieil homme m’a demandé de dire aux Russes que tous les Français ne leur étaient pas hostiles, et quand j’ai demandé sa bénédiction, il m’a pris la tête entre ses mains, l’a attirée sur son épaule et m’a dit : « Je te bénis avec tous ceux que tu aimes et tous ceux qui t’aiment, petit enfant, que le Seigneur vous prenne tous dans sa miséricorde et sa tendresse ». Cet être lumineux est complètement ignoré de son entourage, à l’exception de ses amis belges.

Imprudence avec la hippie

Après, j’ai réussi à voir une encore jolie dame de ma génération, écolo hippie d’autrefois, qui a eu la chance de trouver un pavillon provençal de base, pas trop loin du monastère, et ce pavillon a un avantage inattendu, un morceau de nature vierge juste derrière. Le jardin, avec petits massifs et gros mimosa, les anciens propriétaires l’ont fait devant, et elle le conserve et l’aménage, mais elle a encore quatre cents mètres carrés derrière de végétation originelle, c’est comme un petit miracle. Les choses ont failli se gâter quand, oubliant où je me trouvais, j’ai parlé de la guerre, car cette amie est une fervente militante bleue et jaune, je l’ai vu au reflet à la fois sauvage et égaré qui est passé dans ses yeux, et j’ai détourné la conversation sur les plantes, les fleurs et les infusions thérapeutiques.

Russie sans soleil

Son quartier est tranquille, des pavillons de style pseudo-provençal qui, dans leur banalité, ont au moins une espèce d’homogénéité, mais qui dégagent un ennui sans issue. On rencontre, en promenant le chien, des gens fort aimables. Je passe, dès que surgit le soleil, des moments à lézarder, car en Russie, je manque terriblement de lumière, et elle est là, la lumière. Le ciel la déverse à pleins seaux.

Bourgeois arabes bien élevés

… nous avons fait le tour du centre de Pierrelatte, qui est complètement sinistré. La plupart des magasins que je connaissais ont fermé, les rues sont vides, on y voit circuler essentiellement des voitures. Je me suis souvenue de photos que j’avais faites au début des années 2000, il y avait encore des jardinières de fleurs partout, et une certaine vie. Maintenant, c’est terminé. Dans les supermarchés errent de vieux Français et le reste des clients, ce sont des femmes voilées, leurs enfants, leurs ados, leurs maris. Pendant que des Françaises se réjouissent bruyamment de l’officialisation constitutionnelle de l’avortement, la nouvelle population se reproduit frénétiquement, j’ai vu passer une mère exotique pourvue de cinq garçons d’âges divers. J’avais parfois l’impression de voir des moniales orthodoxes, mais non, c’est la nouvelle société, et pour être juste, on a plus d’allure avec un voile de matrone romaine sur une robe décente qu’avec des cheveux bleus et des joggings avachis. L’avion marocain était bourré de bourgeois arabes, qui parlaient un français impeccable et portaient des fringues tout ce qu’il y a de plus chic. Un joli petit garçon répétait sans arrêt les deux ou trois mots d’arabe qu’il avait appris dans sa famille, au pays : « Salam aleikum », « Allah akbar », il se montrait prévenant avec la vieille que je suis. À l’issue de cette promenade dans les ruelles vides, nous avons rendu visite au petit coiffeur qui m’adore, et qui travaille avec son mari.

Petits-enfants et changement de genre

Je suis allée voir une amie d’école que j’aimais beaucoup, pour son intelligence, son bon sens, son humour et son indépendance d’esprit. Nous avions en commun notre amour de Brassens et du monde paysan. Elle habite aussi un pavillon pseudo-provençal, derrière la ferme de ses parents, qu’habite son frère. Nous avons évoqué le bon vieux temps avec tendresse, examiné ses plantations, puis elle m’a fait comprendre avec délicatesse que Poutine était un affreux dictateur. Oui, bon… Et Macron, non ? Enfin, passons. Ensuite, elle m’a parlé de ses petits-enfants. Elle a une petite fille lesbienne, bon, c’est son choix, et une autre qui fait une transition de genre, avec les mutilations et les drogues qui vont de pair, et là, ça passe moins bien, et je le comprends.

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https://chroniquesdepereslavl.blogspot.com/2024/03/un-petit-tour-en-france-2-solan.html

https://www.dedefensa.org/article/gustave-flaubert-et-notre-eschatologie-francaise

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