16/07/2022 (2022-07-16)
[Source : kairospresse.be]
L’énergie éolienne contemporaine a pour caractéristique principale de cristalliser la fracture qui opposent les tenants du capitalisme vert et ceux d’une écologie radicale. Et, de fait, ce que l’on nomme « l’éolien industriel » revêt des intentions souvent bien éloignées des préoccupations environnementales. Les conditions de mise en place de la filière sont décriées par de nombreux militants écologistes mais, aussi et surtout, par des ruraux qui dénoncent l’industrialisation de la campagne.
Cette dernière s’opère selon une logique capitaliste croissanciste, financière, technophile et transnationale qui n’a rien de neuve ; la production de l’éolien industriel se basant sur des usines en Chine et des constructeurs (les turbiniers1) en Allemagne ou au Danemark, le tout enrobé dans « la plus pure tradition financière2». En témoigne le cas de l’entreprise Théolia, rebaptisée Futuren et rachetée par EDF en 2017, qui s’est faite connaître « par ses magouilles boursières et les endettements à répétition sur le dos de ses petits actionnaires3» et ses attaques judiciaires4 contre l’opposition à l’éolien industriel. A vrai dire, l’implantation de l’industrie éolienne dans les campagnes se fait très souvent de manière brutale et corrompue. A cet égard, le Service central de Prévention de la Corruption s’inquiète, depuis près de 10 ans maintenant5, des prises illégales d’intérêts, entre les élus et les multinationales des énergies renouvelables qui les courtisent6, qui émaillent l’installation de centrales éoliennes.
Les grands industriels qui composent le secteur ont, pendant longtemps, profité de subventions publiques très incitatives à l’implantation. Aujourd’hui, les directives européennes s’attaquent progressivement aux tarifs réglementés et le marché de l’éolien industriel se concentre toujours plus; entraînant, pour le consommateur, une hausse des factures et une course à la rentabilité. Les grands groupes qui dominent le marché ont alors les moyens de financer leurs campagnes de greenwashing en faveur de « la transition énergétique » et ainsi d’occulter l’aberration sociale, économique et environnementale que constituent les chaînes d’extraction de métaux rares dans les mines d’Afrique ou de Chine. Elles s’emploient également à masquer le coût écologique impliqué par chaque socle de béton nécessaire à l’érection d’un mât : soit environ 1.500 tonnes pour une éolienne et 1 million de tonnes par an pour l’ensemble de la filière7. On pourrait aussi parler des composites (mélange de résines et de fibres de verre) nécessaires pour les pales et dont le recyclage est difficile7.
Concrètement, la seule perspective de ces « nouvelles technologies » réside dans le passage à l’« écotechnocratie » ; synonyme de la dépendance des sociétés à des ensembles techniques exclusifs, démesurés et centralisés qui participe au renouvellement de la mystification du phénomène technicien. L’homme n’a pas plus la compréhension ni le contrôle réfléchi de ses moyens techniques d’interaction avec le monde naturel lorsque l’énergie qu’il utilise lui provient d’une centrale solaire thermodynamique géante ou d’une centrale électrique thermique classique.
De plus, les énergies solaires, éoliennes et hydrauliques ne parviendront jamais à fournir aux sociétés les quantités massives de matières premières et d’énergie qu’exigent des populations extrêmement concentrées et une industrie hyper-centralisée. A l’inverse, l’emploi conjugué des différentes technologies à l’échelle locale pourrait largement suffire aux besoins de petites collectivités. En ce sens, malgré les critiques caricaturales adressées aux militants anti-éolien, ces derniers ont le mérite de politiser la question de l’énergie, de sa production à sa consommation. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’éolienne miniature8, relativement facile à faire et à réparer n’est pas (assez) diffusée. Elle, mais aussi les Low-tech, l’agroécologie, les constructions autonomes, permettraient aux citoyens d’une communauté locale de devenir les producteurs et les consommateurs autonomes de leur énergie.
Témoignage
J’ai 35 ans, je suis agricultrice bio en Auvergne. Il y a deux ans, j’ai été contactée par une entreprise privée qui avait pour projet d’installer un parc d’éoliennes dans ma commune. Je l’ai reçue avec joie ! J’avais hâte de participer à un projet écologiste.
– Première surprise : je m’attendais à rencontrer un représentant de l’État, ou de la préfecture pour ce genre de projet (l’énergie est, il me semble, le bien de tous et nous sommes tous concernés). En fait, il n’en était rien ; c’était bien une entreprise privée, financée par des fonds de pensions étrangers, qui était chargée du projet. Un peu bizarre mais, après m’être renseignée, je me suis aperçue que tous les projets étaient tenus par des sociétés privées qui prospectent un peu partout en France pour chercher des terrains où placer des éoliennes. Je pensais donc que cette société voulait m’acheter un bout de terrain, un peu comme un promoteur immobilier « du vert ».
– Deuxième surprise : la société envisageait effectivement d’implanter une éolienne chez moi, mais elle ne voulait « surtout pas » me déposséder de mes terres. Elle voulait seulement louer le terrain. Et cela, pour une somme absolument mirobolante : 30.000 euros par an pour deux éoliennes implantées. Mes revenus actuels sont de 1.500 euros par mois, pensez-donc, 30.000 euros net par an et pendant 20 ans ! Pendant 20 ans… 30.000 euros qui tombent tous les ans et je participe à l’écologie nationale. Un rêve !
La société a insisté pour que je signe « rapidement », car d’autres agriculteurs pouvaient être aussi intéressés. A 30.000 euros par an, je n’en doutais pas une seconde. Mais… je suis auvergnate, et par nature méfiante, « ils veulent payer 75 fois le prix de la terre sans la posséder ? Ici ? Là où nos terres ne valent pas grand-chose ? Il y a un loup quelque part ». Alors j’ai cherché le loup. Et je l’ai trouvé en demandant un nouveau rendez-vous avec la société. Je leur ai demandé un contrat du bail. Et j’ai lu toutes les petites lignes. Et voici la question que je leur ai posée : au bout de 20 ans, que se passe-t-il ? Une réponse très floue : « (.…) On ne sera plus là, car on revend nos implantations à des entreprises étrangères (chinoises notamment). Mais, comme la loi nous demande de prévoir le démantèlement de l’éolienne, nous vous provisionnons 50.000 euros pour vos deux éoliennes. »
Parce que, bien entendu, au bout de 20 ans, une éolienne, elle est en fin de course, foutue, et il est stipulé de la démonter.
Ah bon ? Alors j’ai fait venir plusieurs entreprises spécialisées dans le démantèlement des éoliennes. Résultat : devis pour une éolienne (hauteur : 80 mètres), le coût minimum est de 450.000 euros par éolienne, à charge du propriétaire du terrain. Et s’il ne peut pas payer ? Comme il s’agit d’une éolienne industrielle, l’État se retourne contre le propriétaire, puis contre la commune. Je fais un rapide calcul : le projet d’ensemble de ma commune de 200 habitants comprend 7 éoliennes, soit 450 000 x 7 = 3.150.000 de dette pour la commune. C’est la faillite pour tous !
Ensuite, je me suis demandé pourquoi cette société voulait implanter des éoliennes dans un endroit où il y a si peu de vent. Réponse : « En effet, il n’y a pas assez de vent, mais nous allons construire des éoliennes beaucoup plus hautes… de 80 mètres de haut ». Fort bien. Pour des éoliennes qui ne tourneront que 25 % du temps, ce n’est pas très rentable.
Mais, comment se fait-il que des fonds de pension s’intéressent tant à l’éolien en France ?
Tout simple ! En France, une loi exige que l’énergie verte des éoliennes soit achetée en priorité deux fois le prix des autres énergies (l’hydraulique, qui est pourtant totalement vert, n’a pas ce privilège !). Donc, c’est intéressant pour les investisseurs étrangers, sans doute en pleine complicité avec notre gouvernement car, qui paye cette différence ? … C’EST NOUS ! Regardez bien votre facture EDF, il y a une petite ligne qui indique que nous « participons au développement de l’énergie verte ». En fait, nous finançons des actionnaires étrangers.
Ah oui ! Je ne vous ai pas tout dit ! Cette énergie est essentiellement destinée à être exportée.
Ça, les actionnaires s’en fichent totalement. Moi pas ! Le développement de l’éolien en France va coûter 75 milliards d’euros financés par nous-mêmes pour détruire nos paysages, notre tourisme, la valeur de nos biens immobiliers et nos parcelles cultivables. Au lieu de ça, avec cet argent, l’État pourrait redistribuer à chaque français une part pour isoler dignement son logement. Mais ça, ça ne rapporterait rien aux actionnaires.
Faites circuler, et réfléchissez.
Sous couvert de «VERT», on nous prend pour des…
M‑T.
Notes et références
⚠ Les points de vue exprimés dans l’article ne sont pas nécessairement partagés par les (autres) auteurs et contributeurs du site Nouveau Monde.
- [1]Les turbiniers les plus importants en France sont les Allemands de Senvion, Nordex et Enercon et les Danois de Vestas. Voir Souchay, Grégoire. « L’économie de l’éolien, de plus en plus concentrée, n’est pas alternative », Reporterre, 29 novembre 2017.
https://reporterre.net/L‑economie-de-l-eolien-de-plus-en-plus-concentree-n-est-pas-alternative[↩] - [2]Souchay, Grégoire. « L’éolien signe la fracture entre deux visions de l’écologie », Reporterre, 27 novembre 2019.
https://reporterre.net/L‑eolien-signe-la-fracture-entre-deux-visions-de-l-ecologie[↩] - [3]Vidalou, Jean-Baptiste. « L’éolien industriel, faussement écolo mais vraiment répressif », Reporterre, 2 février 2018.
https://reporterre.net/L‑eolien-industriel-faussement-ecolo-mais-vraiment-repressif[↩] - [4] Ce genre d’entreprise emploie, notamment, des cabinets d’avocats dont la spécialité est de simplifier et d’accélérer les procédures d’implantation de l’éolien industriel. Voir note 7.[↩]
- [5] https://reporterre.net/Le-marche-de-l-eolien-en-France[↩]
- [6] Desfhiles, Philippe. «Le marché de l’éolien en France est susceptible de corruption », Reporterre, 10 septembre 2014.
https://reporterre.net/Le-marche-de-l-eolien-en-France[↩] - [7]Souchay, Grégoire. « Quel est l’impact des éoliennes sur l’environnement ? Le vrai, le faux », Reporterre, 30 novembre 2019.
https://reporterre.net/Quel-est-l-impact-des-eoliennes-sur-l-environnement-Le-vrai-le-faux[↩][↩] - [8] Plassard, Thomas. « Pourquoi parle-t-on toujours des grosses éoliennes et jamais des petites ? », Reporterre, 22 septembre 2014.
https://reporterre.net/Pourquoi-parle-t-on-toujours-des[↩]