07/03/2024 (2024-03-07)
Daniel Estulin et la culture occidentale comme arme de destruction massive
Par Nicolas Bonnal
« Le public ne peut pas comprendre cette arme, et donc ne peut pas croire qu’il est attaqué et soumis par une arme. » Cité dans l’opuscule Silent weapons for quiet wars [Armes silencieuses pour guerres tranquilles].
On a longtemps opposé la petite lumière occidentale et le reste. En réalité nous voyons bien que le monde entier est entré dans la matrice de l’Occident et de sa culture graisseuse, basique et politiquement correcte, Chine, Équateur, ou Niger ou Qatar compris, et que le monde entier va en crever. Ce sera à coups de cinéma puéril en 3D, de jeux vidéo sadiques bons pour tueurs de masses, de soap-opéras pour sourdes-muettes, de drugstores bourrés de sucreries et de best-sellers sélectionnés par le NYT et tous ses clones. Partout les mêmes effets sur des masses sans nations ni idéaux. Comme disait déjà le sociologue Adorno :
« La répétitivité, la redondance et l’ubiquité qui caractérisent la culture de masse moderne tendent à automatiser les réactions et à affaiblir les forces de résistance de l’individu. »
C’est pourquoi j’ai été très intéressé par le dernier opus de l’écrivain Daniel Estulin sur Tavistock Institute. Je laisse de côté le Tavistock Institute, institut de manipulation psychique anglais, et les acronymes dont ce type d’écrivain est toujours trop friand ; et je vais délivrer à mon lecteur le vif du sujet, auquel je mêle ma propre expérience et mes observations.
La culture contemporaine postérieure à, mettons, 1960, m’a toujours répugné sous sa forme élitiste ou de masse ; je n’ai jamais été bien seul à le penser, mais il était trop tard… La culture dans laquelle nous vivons, et qui a tourné le dos à notre patrimoine, qu’il s’agisse de Lady Gaga, du bouquin Millenium, du jazz, du rap, de la peinture genre Piss Christ ou du film Avatar, n’est pas fortuite, elle n’est pas le fruit des goûts du public et du génie naïf de ses initiateurs. Cette culture n’est plus chrétienne, n’est plus enracinée dans l’histoire d’un peuple ou dans un sol ; elle est liée au conditionnement de masse, elle est abstraite et massifiée, elle a des buts abscons et des objectifs précis, mondialisés, qu’on peut aussi retracer à travers l’histoire de « l’alittérature contemporaine » ou du cinéma postclassique. La musique moderne doit rendre fou, disait déjà l’inévitable Adorno.
Par exemple, explique Estulin, le jazz imposé partout a été fabriqué à l’époque de Gershwin et il a sciemment remplacé les negro spirituals traduits par la grande Marguerite Yourcenar. Il a contribué à la déchristianisation des noirs américains, chose visible aussi dans le très beau biopic de Taylor Hackford sur Ray Charles. Ces noirs US ont été rendus teigneux par le système dans les années 60, et je me souviens qu’Alain Daniélou, le frère hindouiste du cardinal, l’observait déjà dans ses mémoires. Quant aux rappeurs, ils ont accompagné le million de jeunes noirs tués pour quelques trottoirs de drogue…
On sait depuis longtemps que, comme le rock, la culture beatnik a été lancée et encouragée pour détourner les plus entreprenants de la politique. L’intronisation des drogues et de la contre-culture correspond à un projet policier et politique : Estulin cite les projets MK-Ultra, Cointelpro, Artichoke dont Hollywood s’inspira peu et mal à une époque plus contestataire. Ken Kesey, l’auteur du scandaleux Vol au-dessus d’un nid de coucous, essayait les drogues pour les programmes de contrôle mental. Les univers parallèles ont été plus faciles à contrôler que les partis politiques à noyauter. Quant à la révolution sexuelle, elle était déjà perçue comme un remède à l’esprit contestataire par Huxley… ou par les tyrans antiques ! Elle a débouché sur une pornographie de masse accessible à tous et sur les meutes hargneuses du politiquement correct. L’œil du voyeur fusionne avec celui du délateur. Le corps du petit monstre des télétubbies, émission emblématique chargée de conditionner les… bébés (antiracisme, héliotropisme, sociabilité de bonobo, animalisation) est déjà orné d’un énorme écran blanc. L’enfant est un hardware qui marche et qu’on programme jusqu’à l’âge adulte.
Dans le même esprit bien sûr, toute la culture « sexe, drogue et rock’n’roll » a eu un seul but : abrutir la jeunesse et pour plusieurs générations, répandre le consumérisme, l’hédonisme et le nihilisme et canaliser ainsi toutes ses énergies : il faut se transformer en canal, en « pod » (cosse, en anglais), en tube (you… tube ?). Cette possession — ou connexion — induit bien sûr la référence au satanisme, qui a été évidente dans la musique heavy métal, puis dans la littérature pour enfants (Harry Potter, Warcraft, et tout le reste) et la culture pop contemporaine via des bourriques comme Rihanna, Gaga ou Beyonce qu’Estulin nous invite à voir d’un autre œil avec leur symbolisme maçonnique de bazar. L’œuvre de Houellebecq a justement dénoncé cette collusion entre « les forces du marché » et la « culture libertaire » des années 60 et 70, qui ont désaxé nos sociétés un peu naïves. L’abrutissement par la musique qui effarait Soljenitsyne au sortir de l’URSS épargnée (ce n’est pas pour rien que la Russie est demeurée l’ennemi numéro un de l’oxydant) est aussi le fruit de patientes recherches en laboratoire.
Mais poursuivons. Pour Alvin Töffler et pour bien d’autres apôtres de la technologie, il était important au siècle de la propagande d’éviter toute nouvelle solidification des masses, comme le communisme ou le nationalisme — pour ne pas parler bien sûr du fascisme. On est alors passé de la solidification à la liquidation, liquidation massifiée. Il fallait séparer le réuni, d’où l’extension des villes. L’offensive philosophique a été menée en Amérique par la publicité, issue de la propagande de guerre (Bernays, toujours), puis par l’école de Francfort et sa chasse systématique à la figure autoritaire. On a ainsi promu, comme le prévoyait l’irréprochable Adorno pour la télévision, la figure de l’homosexuel, on a diabolisé le père de famille autoritaire, on a transformé la femme en madame Bovary de série, éternellement endettée, stressée et divorcée, on a créé l’ado rebelle insatisfait et demeuré avec sa casquette retournée ; revoyez L’Équipée sauvage de Brando, qui remplace dès 1953 les héros traditionnels comme Wayne et Stewart. On a détruit la famille, puis l’idée de nation, jugée fascisante, et bien sûr celle de civilisation ; on ne parlera pas de la race ! En France, l’école de Francfort a, entre autres, détruit notre enseignement après mai 68 et créé le bobo fluo et bio qui y va mollo… La France venait de plus bas que l’Amérique et c’est pourquoi, nous, gens de droite, aimions si bien cette Amérique fordienne disparue le 22/11/1963 sur fond d’assassinat aux forts relents occultistes, comme l’explique si bien le livre Kill King 33…
Estulin fait enfin allusion à Kerouac et à la génération très crétine du routard qui gesticulait pour rien (revoir dans cet esprit la balade inepte des deux bikers junkies d’Easy rider). Cette bougeotte sans but annonce la geste eschatologique du touriste de masse qui clique tout le temps sur son appareil numérique dans un paysage banalisé et plastifié ; elle atteint aujourd’hui des sommets avec les monstrueuses croisières parodiant le Titanic ou la Genèse. Cette culture aberrante du voyage, comme celle du sexe, de l’alcoolisme, de la drogue, du reste, a recyclé la poésie symboliste française ou l’œuvre à clé de Maeterlinck, L’oiseau bleu. J’ai déjà montré que Tolstoï se méfiait déjà fort de cette école symboliste dans son essai sur le déclin de l’art.
La culture comme arme de destruction massive est beaucoup plus redoutable que n’importe quel bombardement. Elle est une reprogrammation de masse comme celle que les Romains appliquaient sur les peuples conquis. Je laisserai le mot de la fin à Philippe Muray, qu’on cite en rigolant, maintenant, comme si c’était un ennuyeux sketch de Benny Hill :
« après Hitler, cette vache folle, on a voulu faire disparaître le troupeau ».
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