Koursk : de la réalité de la guerre aux appels à la virtualisation de l’armée

14/08/2024 (2024-08-14)

[Source : russiepolitics.blogspot.com]

Par Karine Bechet-Golovko

Alors que des territoires sont occupés à Koursk depuis une semaine et que Poutine donne l’ordre ferme de repousser l’ennemi en dehors des frontières nationales, le nouveau ministre de l’Économie militaire, Beloussov, déclare la virtualisation de l’armée, pardon sa numérisation, comme le premier pas vers la Victoire. Y a-t-il un pilote dans l’avion ? — et je ne parle pas des F 16, ni des programmes de pilotage automatique.

Au 7e jour de combats militaires acharnés dans la région de Koursk, le front est dangereusement en train de s’installer sur le territoire russe et l’arrivée des forces vives russes peine à bloquer la situation (je ne parle pas de reprendre la main — voir à ce sujet les rapports quotidiens et en français la chaîne Telegram Rybar FR, l’une des rares à donner de véritables informations sur le sujet). L’on entend enfin la question de l’impasse stratégique côté atlantico-ukrainien, mais nous attendons toujours les percées russes.

Hier, pourtant, la tonalité du discours présidentiel a (enfin) changé. Poutine a tapé du poing sur la table et exigé que l’ennemi soit repoussé en dehors des frontières, excluant toute possibilité de discussion avec des gens qui ciblent les civils. Guérassimov, le chef de l’état-major, va devoir sortir de la stratégie habituelle du regroupement stratégique et du recul non moins stratégique. Il va falloir se battre. 

Ceci répond notamment à la sortie politico-médiatique d’Oleg Déripaska, l’oligarque russe du clan globaliste, tenu par les États-Unis auxquels il a cédé contre sa tranquillité l’aluminium russe en 2018 (voir notre texte ici). Celui-ci depuis le Japon, où il représentait officiellement la Russie à la Coopération économique pour l’Asie-Pacifique (APEC), déclarait que la guerre était une folie, qui coûtait trop cher au business et qu’il fallait arrêter le feu, immédiatement et sans condition. Finissant cette diatribe la veille de l’agression de la frontière russe à Koursk par l’armée atlantico-ukrainienne, dont il défend les intérêts, par cette formulation surprenante au sujet de ses relations avec le Kremlin : Je ne les touche pas et ils ne me touchent pas, je ne fais pas de politique. En effet, ces déclarations sont parfaitement hors du champ politique ………. 

Jusqu’à hier, aucune réaction officielle n’avait suivi. L’on peut logiquement estimer que la réponse de Poutine fut claire : on ne négocie pas, on libère militairement le territoire. Pourtant, la protection de Déripaska doit faire pâlir d’envie bon nombre de représentants de ce clan, car même après cette interview, il fut encensé par les médias étatiques russes pour ouvrir des pseudo-écoles en Sibérie. Un Khodorkovsky ne leur a manifestement pas suffi.

Bref, Poutine a fixé le but, mais toujours aucune remise en cause de la déstructuration de l’armée russe n’est en cours, bien au contraire. Donc la question de la réalisation du but fixé devient cruciale. Au lieu de se demander où trouver ces hommes pour défendre la Patrie, car il faut bien des hommes pour se battre, repousser l’ennemi et reprendre physiquement le territoire, ce dont manque cruellement l’armée russe, le nouveau ministre de l’économie militaire a fait hier un éloge de sa numérisation. Beloussov a avancé quatre conditions pour la Victoire, dont une seule, la dernière, concerne la qualité du commandement militaire. Il faut commencer par le fait que ce ministre nouvellement nommé considère ce conflit comme un de ces « conflits modernes ». Non, il ne parle pas de la Syrie, mais bien de cette guerre classique en Ukraine, où des armées s’affrontent. Cette guerre, qui est pourtant l’incarnation de l’échec des préventions néolibérales, selon lesquelles les guerres classiques, c’est du passé. Beloussov n’aurait-il pas été mis au courant ? Cela expliquerait pourquoi il reste focalisé sur la haute technologie. 

L’on se souviendra des délires autour du char nouvelle génération Armata, hypersophistiqué… et absolument inutile ici, même s’il fait très joli dans les Forums. C’est pourtant la première condition avancée par le ministre, fournir des armes technologiques, qui à son corps défendant se trouve justement occupé à un Forum. Voyons la suite.

La deuxième condition touche enfin la question fondamentale de la stratégie. Mais étrangement, elle est ridiculement limitée à l’utilisation des drones et des robots. 

La troisième est encore pire — il faut mettre en place un système efficace d’utilisation de l’IA sur le front.

Quelle Victoire peut-on attendre avec ce bricolage globaliste, préparé justement pour affaiblir les armées et les pays, afin de garantir leur soumission à la puissance des institutions globalistes ?

Bref, l’intelligence humaine est totalement absente de cette vision néolibérale assez primaire, qui a détruit l’armée russe à petit feu depuis la guerre de Géorgie de 2008, dont le discours posé est celui d’une défaite, pour une victoire militaire en quelques jours, dont nous sommes très loin à Koursk même.

Il ne s’agit pas de développer la réflexion stratégique, il ne s’agit pas même de revenir sur la conscription d’un an. Or, la question du contingent est fondamentale et pour Koursk à court terme, et stratégiquement pour défendre les frontières et repousser l’ennemi, comme le Président l’a déclaré. Et ce sont des appelés, qui défendaient glorieusement le pays avant.

Au lieu de s’interroger sur une nouvelle mobilisation, à laquelle la société russe n’est pas prête après 30 années de reformatage néolibéral sur le mode bisounours individualiste pleurnichant (puisqu’il y a quand même une différence entre prendre les armes pour défendre la Patrie et envoyer des médicaments et accumuler les likes), il serait déjà urgent de revenir sur la réforme néolibérale de la conscription, qui a réduit le service militaire de deux à un an. Et cela en réinstaurant une véritable formation militaire (et je ne parle pas uniquement de la gestion des drones et des robots, ni de l’utilisation des programmes, pardon de « l’IA »), il serait alors possible de restaurer une véritable armée. 

Mais c’est une décision idéologique à prendre, qui n’entre absolument pas dans le cadre économiste néolibéral, qui vient d’être posé par Beloussov. Il faudra bien à un moment, et le plus tôt sera le mieux, choisir entre les impératifs idéologiques numériques globaux et la défense de la Patrie. Bref, il va bien falloir gouverner.

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