Justine, Lola, Ryma, Daria, Déborah, Alexia, et les autres…

28/10/2022 (2022-10-28)

Par Lucien SA Oulahbib

Comme indiqué dans « Le “féminicide” meurtre misogyne et/ou “cultu(r)el” (Dogma, été 2022, p. 50) il ne suffirait pas de signaler que tous ces meurtres sont plutôt ceux de (très jeunes) femmes (et jeunes filles) pour signifier qu’il y aurait, en soi, une sorte de montée en puissance anti-féminine, alors que, et plutôt, et ce depuis toujours, se conjugue sans doute plusieurs lignes de force qui questionnent en effet la masculinité d’aujourd’hui et aussi issues de la nuit des temps : d’une part l’appréhension, encore impensée, — y compris par “le” féminisme prétendument moderne et progressiste, du pouvoir d’être une femme en tant que telle, en dehors de sa condition, réelle cependant, de génitrice et de compagne (en ce sens l’orientation innée maternelle existe et l’on naît femme, on ne fait pas seulement “que” le devenir, ou comment écarter à la fois Simone de Beauvoir et Élisabeth Badinter, fioles fragiles contre le trans queer actuel) ; d’autre part reste aussi impensée la difficulté d’accepter pour certains hommes (et femmes aussi) le fait qu’une relation, même intime et si passionnée dans l’instant, ne veut pas dire, hélas, vouloir faire durer cette dernière dans le sens souhaité ; enfin certains meurtres dévoilent aussi un défaut institutionnel certain de prise en charge non seulement psychiatrique, mais culturelle et éducative qu’il serait intéressant de comparer pays par pays région par région.

Mais il y a bien plus, et mettons les pieds dans le plat : “l’éducation sentimentale” d’aujourd’hui, la littérature actuelle depuis la vie sexuelle de Catherine M (sans parler des journaux intimes d’Angot) les magazines féminins/masculins privilégiant surtout l’apparence, l’instant, l’envie du moment, et la vie obligatoirement mouvementée des “stars”, sans oublier, et bien en amont, le Bleu du ciel de Bataille, ou encore Femmes de Sollers, voire, plus en amont encore, les “Liaisons dangereuses” plutôt que La Princesse de Clèves, tout en relativisant le rôle de Milady chez Dumas, celui d’Angélique dans Roland amoureux, et aussi le dilemme de Lancelot, le jeu de Lucrèce Borgia, la vie de Thérèse Raquin de Zola, sa Nana…, sans oublier, enfin, le cinéma français avec Les Valseuses, Nuits fauves, Nettoyage à sec, et d’autres encore, tous ces éléments aussi disparates et profondément ancrés dans “les archétypes collectifs” participent à la constitution, pour une part séculaire, et aujourd’hui hyperréelle, d’une atmosphère, d’une ambiance, d’a priori divers, qui aident de moins en moins à la compréhension de ce que veut, en soi, une femme, ce qu’est une femme, en particulier aujourd’hui, hormis le fait qu’elle soit plus audacieuse (Ève défiant Dieu, Jeanne sauvant le Roi…) et soit plus à l’écoute d’une recherche de qualité, d’un bien vivre, telle Marie demandant à Jésus de transformer l’eau (du quotidien) en vin (en félicité joyeuse).

D’ailleurs, concernant cette “écoute” (étudiée aussi dans Rhombe) il serait possible de pouvoir affirmer avec Joseph Nuttin dans sa Théorie de la motivation humaine (1980, PUF, p. 166) que selon les études étudiées et aussi des observations effectuées, » la » femme aspire plus à la recherche de la qualitédans les rapports sociaux alors que « l » homme est plus intéressé par la performance quantitative ; ce qui ne se réduit cependant pas seulement au fait de chercher un « nid » confortable afin de procréer, mais sans doute surtout au fait de pleinement ressentir l’espace-temps de chaque instant vécu c’est-à-dire ce qu’il peut apporter de vif dans son harmonie, sa beauté, comme ces sensations supplémentaires qui égayent telle une déhiscence voluptueuse leur présence comme autant de présents qu’un sentiment (ou jugement régulant l’action si l’on suit ici Pierre Janet) celui du vrai par exemple (comprenant logique ou cohérence et raison ou sens) ou celui du bien, comme le fait de se demander si cette relation à cet instant T s’avère durable ou pas, viendra aiguiller le comportement vers un accomplissement/affinement plutôt qu’une dissolution négative de Soi.

Or, il semble bien qu’aujourd’hui, dans le relativisme et le nihilisme ambiant d’un côté, dans le retour au rigorisme et au séparatisme de l’autre, toutes ces interrogations sont, soit posées sur un plan seulement purement formel — jusqu’à demander d’abord à un chaperon mental si l’on peut échanger un regard, soit de façon platement physiologique sexologique telle cette « éducation sexuelle » qui n’est en rien éducative et surtout favorise plutôt la confusion entre camaraderie, amitié, amour, sous-tendue par des a priori oscillant entre « ouverture » sexuelle comme preuve de « progressisme » (l’éclosion du porno illustrant cette régression de l’érotisme déjà perçu chez Bataille) et « fermeture » comme vœu de chasteté nécessairement réactionnaire.

Il n’est bien sûr ici guère question de généraliser en prétendant corseter chaque meurtre dans une grille « juridiste » commune comme le font certain/e/s en négligeant ou en surdéterminant tel ou tel facteur : ainsi quel rapport entre une Déborah massacrée, parce que chrétienne, une Lola détruite et bouc émissaire expiatoire, une Daria explosée à la place de son père, des civils pourtant, une Alexia assassinée par un refus envieux de grandir, d’être un homme, d’une Ryma parce qu’elle ne voulait pas tout simplement épouser son prétendant, enfin d’une Justine parce que semble-t-il (alors qu’elle aurait consenti) elle a pu sans doute refuser d’aller plus loin dans la relation, déclenchant une bouffée furieuse de possessivité isotrope que l’on observe dans ces jalousies obsessionnelles envieuses lorsque chaque geste, souffle, de l’autre est épié comme s’il était le sien en propre.

Mais qu’elle est l’utilité au fond de toute cette diatribe ?… Le fait de souligner que, décidément, non, l’assassinat de Justine ne vient pas non plus comme « fait divers », mais symptôme également d’une époque qui est marquée par la désertion des élites politiques et culturelles incapables de plus en plus non seulement de comprendre, mais d’expliquer que le simplisme ne suffit pas, n’a jamais suffi, puisqu’il s’agit non pas seulement de « gérer » la Cité, mais aussi de la hisser vers le bonheur en ce sens où il n’est pas question de seulement de cohabiter (le fameux, mais si vague « vivre ensemble »), mais de se sentir bien ensemble : lorsque le fait de croiser une (jeune) femme, un (jeune) homme, un/e enfant, peut s’accompagner d’un sourire, d’un échange, sans cependant que tout de suite les seuls cadres souvent contradictoires de la morale (des mœurs du moment) viennent corseter l’éthique (ou les vertus) c’est-à-dire flétrir et piétiner rageusement la juste mesure qui conjugue justice et justesse en ce sens où la transgression de la règle doit être par exemple strictement sanctionnée…

Ainsi, comment est-il possible de voir sa peine « allégée » en appel après avoir voulu faire violer sa propre fille sinon en ayant perdu le sens de ce que signifie la sanction, ou la disparition de la notion de crime ? Ce qui peut expliquer d’ailleurs un sentiment plus général d’impunité (les fameuses « incivilités » qui pourrissent la qualité du quotidien…), mais aussi de dépossession de l’acte de punir lorsque l’on voit à l’autre extrême des actes de légitime défense se voir par contre sanctionnés comme si le criminel était, lui, la victime, dans une sorte de lecture misérable (mais sans le talent de Hugo) des facteurs à la fois singuliers et généraux sous-tendant chaque passage à l’acte (tant admirée par une certaine littérature portant Sade en triomphe…) ; une lecture idéologisée donc biaisée en fait qui dans ce cas ne peut pas plus comprendre ou expliquer ni encore moins sanctionner lesdits « féminicides » ; même si comme d’habitude certains s’en sortent en créant uniquement un néologisme ou en triturant plutôt les mots pour échapper aux choses…

C’est tout cela qu’il faudrait aborder d’abord, avant de parler de « récupération » ou de cacher ce crime, là, « que je ne saurais voir »…

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