10/03/2021 (2020-10-08)
[Source : Le Grand Soir]
[NdNM : L’introduction suivante du très long article publié par le journaliste Tareq Hadda est-elle descriptive de l’état des grands médias nationaux et internationaux ? En d’autres termes, peut-on encore se fier à ce que rapportent ces derniers, en dehors peut-être des faits divers qu’ils parviennent à couvrir sans grandes déformations ?]
Mensonges, Newsweek et Contrôle de la Narrative Médiatique : Compte-rendu de première main
[Auteur :] Tareq Hadda
La presse est dirigée par une mafia. La liberté de la presse est morte. Les journalistes et les gens ordinaires doivent se lever.
Introduction
Il y a quelques jours encore, j’étais journaliste à Newsweek. J’ai décidé de remettre ma démission parce que, essentiellement, on m’a donné un choix simple. D’une part, je pouvais continuer à travailler pour l’entreprise, rester dans ses bureaux londoniens chics et gagner un salaire stable uniquement si je m’en tenais à ce qui pouvait ou ne pouvait pas être publié et censurais des faits essentiels. J’avais aussi le choix de quitter l’entreprise et dire la vérité.
En fin de compte, la décision fut assez simple, même en sachant que son coût sera sensible. Je serai au chômage, j’aurai du mal à me financer et je ne trouverai probablement pas un autre emploi dans l’industrie qui me tient tant à cœur. Si j’ai un peu de chance, je serai dénigré en tant que complotiste, peut-être un apologiste d’Assad ou même un agent russe – la dernière insulte grotesque en vogue.
Bien que je sois citoyen britannique, l’ironie est que je suis à moitié arabe et à moitié russe. (message personnel à Bellingcat : Je serais heureux de répondre à toutes vos questions.)
C’est terriblement triste de voir des gens parfaitement loyaux qui ne veulent rien d’autre que le meilleur pour leur pays être étiquetés avec des accusations aussi grotesques. Prenons l’exemple de Tulsi Gabbard, ancienne combattante de la guerre en Irak et membre du Congrès hawaïen, qui a été la cible d’une torrent de boue pour s’être opposée à l’intervention des États-Unis en Syrie et pour s’être simplement opposée à Hillary Clinton, la politicienne la plus corrompue du Parti démocratique. Ces calomnies sont immatures pour une démocratie, mais en fait, je me réjouis de telles attaques.
Lorsque les faits présentés sont totalement ignorés et que les messagers eux-mêmes sont crucifiés de cette façon, cela indique aux personnes sensées qui sont en réalité les vrais auteurs des mensonges et où se trouve la vérité.
Cette vérité est ce qui compte le plus pour moi. C’est ce qui m’a d’abord poussé vers le journalisme alors que je travaillais dans l’industrie financière offshore de Jersey après avoir obtenu mon diplôme à Binghamton University’s School of Management dans le nord de New York. J’ai été tellement scandalisé lorsque j’ai réalisé que cette petite île idyllique que j’aimais et sur laquelle j’avais grandi depuis l’âge de neuf ans, une dépendance de la Couronne britannique à quinze milles des côtes françaises, était en fait une plaque tournante pour la fraude fiscale mondiale. Cette prise de conscience m’est venue alors qu’on disait aux Britanniques que l’austérité devait se poursuivre – le financement public des écoles, des hôpitaux, des services de police et de toutes sortes d’autres choses devait être réduit – pendant que le gouvernement « se remettait » après avoir renfloué les banques après le crash de 2008. Ce mensonge de l’austérité, je n’ai plus pu le supporter dès que j’ai compris que mon rôle administratif et terne faisait en fait partie de ce réseau mondial d’entreprises pour aider les multinationales, les hommes d’affaires, les politiciens et les membres de diverses familles royales à éviter de payer des milliards de dollars en impôts, le tout dans une infrastructure parfaitement légale dont le gouvernement était pleinement conscient mais dont il n’avait jamais parlé.
Dans ma naïveté, alors que je quittais cette industrie et que je commençais ma formation en journalisme, j’ai rédigé un article qui décrivait en détail une partie de cette corruption dans l’espoir de sensibiliser davantage le public à ces questions et dans l’espoir qu’elles ne se poursuivent plus – bien que je l’aie fait d’une manière qui me mettrait dans une situation embarrassante et complexe – mais à ma grande déception, mon article est passé inaperçu et le système demeure à peu près inchangé à ce jour. Néanmoins, depuis, je n’ai pas regretté une seule fois d’avoir dit la vérité, surtout pour mon propre bien-être mental : Je n’aurais pas pu me regarder dans un miroir si j’avais continué à participer dans ce que je savais être un mensonge. C’est la même force qui me pousse à écrire aujourd’hui.
Il y a aussi une autre force, plus profonde, qui me pousse à écrire. Depuis le moment où j’ai décidé de devenir journaliste et écrivain, bien que je soupçonne l’avoir su intrinsèquement bien avant, j’ai appris que la vérité est aussi le pilier le plus fondamental de cette société moderne que nous tenons si souvent pour acquis – une réalité qui ne nous est pas venue facilement et que nous devons être extrêmement attentifs à ne pas négliger. C’est pourquoi, lorsque les institutions journalistiques oublient ce pilier central, nous devrions tous être scandalisés parce que c’est notre destruction mutuelle qui vient ensuite. Ça peut ressembler à de l’hyperbole, mais je vous assure que ce n’est pas le cas. Lorsque l’histoire de nos origines est faussée, ou plus simplement notre vérité, les nouveaux mensonges s’empilent sur les anciens jusqu’à ce que notre connexion à la réalité devienne si incohérente que notre compréhension du monde finit par s’effondrer. L’échec du journalisme actuel, entre autres facteurs, est sans doute lié à la régression actuelle du monde occidental. En conséquence, nous sommes devenus les plus grands auteurs des crimes que nos démocraties ont été créées pour prévenir.
Bien sûr, pour ceux qui y prêtent attention, cet échec du journalisme grand public dont je parle n’a rien de nouveau. Elle dure depuis des décennies et n’était que trop évidente après le fiasco de la guerre en Irak. Les gouvernements des États-Unis et du Royaume-Uni, dirigés par des gens qui ne se souciaient guère d’autre chose que de leur gain personnel, ont dit à la population de leurs pays respectifs une ribambelle de mensonges et les médias, à quelques exceptions près, ont tout simplement suivi le mouvement.
C’est quelque chose qui a monopolisé mon intérêt quand j’étais en formation pour devenir journaliste. Comment des centaines de journalistes réputés et bien intentionnés ont-ils pu se tromper à ce point ? J’ai lu de nombreux livres sur la question, de notamment Manufacturing Consent [La Fabrique du Consentement] de Noam Chomsky et The First Casualty de Philip Knightley’s aux travaux de Chris Hedges, l’ancien correspondant étranger du New York Times, lauréat du prix Pulitzer et qui fut viré du journal pour s’être opposé à cette guerre (je tiens à préciser que sur certains points, je suis en désaccord avec lui), mais je croyais néanmoins qu’on pouvait pratiquer un journalisme honnête. Cependant, rien de ce que j’ai lu n’était aussi malhonnête et trompeur que ce que je viens de vivre à Newsweek. Auparavant, je croyais qu’il n’y avait pas assez de journalistes qui remettaient suffisamment en question le discours du gouvernement. Je croyais qu’ils n’avaient pas examiné les faits avec suffisamment d’attention et qu’ils n’avaient pas relié les points comme une poignée d’autres l’avaient fait.
Non. Le problème est bien pire que ça.
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