16/01/2024 (2024-01-16)
[Source : France Soir]
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Jacques Attali a la réputation de tirer beaucoup de ficelles… Si lui ou ses nègres pouvaient déjà noircir moins de papier, on leur en saurait gré…
Charly Triballeau/AFP]
Jacques Attali murmure depuis plus de 40 ans à l’oreille des présidents de la République française. Il fut conseiller spécial et sherpa de François Mitterrand puis conseiller informel de Nicolas Sarkozy, de François Hollande et d’Emmanuel Macron, dont il est le mentor, voire « l’inventeur », selon ses propres termes. Attali n’a jamais été un dirigeant politique. N’empêche, l’ex-président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), qu’il quitta la queue basse, a été une figure influente, sinon incontournable des coulisses de la politique française. Un parcours rempli de controverses, dont certaines accusations de plagiat et une grosse polémique liée à ses prises de position sur l’euthanasie.
Sherpa shooté à l’air des sommets
Jacques Attali, c’est le genre très fort en thème. Major de promotion de l’école polytechnique en 1965, ce qui lui permet de devenir ingénieur du Corps des mines en 1968, il entreprend entre-temps un cursus à l’Institut des études politiques de Paris, dont il sort diplômé en 1967. Il intègre également l’École nationale d’administration (ENA) et, deux ans plus tard, en 1970, sort troisième de la promotion Robespierre.
À sa sortie de l’ENA, il devient auditeur au Conseil d’État. Il prépare au même moment un doctorat en sciences économiques à l’Université Paris-Dauphine et soutient sa thèse en 1972. Ses études terminées, il occupe un poste de maître de conférences en sciences économiques à l’école Polytechnique, qu’il occupera jusqu’en 1985.
C’est en 1973 que Jacques Attali adhère au Parti socialiste, dont le Premier secrétaire est François Mitterrand. Ce dernier mise sur cet énarque pour diriger sa campagne présidentielle de 1974. Mitterrand échoue face à Valéry Giscard d’Estaing (« Vous n’avez pas, monsieur Mitterrand, le monopole du cœur »), avant de prendre sa revanche sept années plus tard et d’enfin accéder à l’Élysée.
À peine nommé en 1981 conseiller spécial de Mitterrand et sherpa (l’homme chargé de préparer les sommets du G7), Jacques Attali fait déjà étalage de son influence et de ses aptitudes de « chasseur de têtes ». Il prend deux jeunes énarques sous son aile : François Hollande, chargé de mission à l’Élysée et Ségolène Royal, conseillère du Président. Son ancien assistant, Laurent Fabius, a lui été promu au ministère du Budget dès 1981, puis est nommé Premier ministre, à 37 ans, en 1984. Un record de précocité tout récemment battu par Gabriel Attal. Cette réputation de dénicheur de talents, Jacques Attali s’en rengorge encore publiquement aujourd’hui.
À la BERD, une diva crucifiée dans le marbre
À l’aube du second septennat de François Mitterrand, Jaques Attali quitte le palais présidentiel. La Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), établissement chargé de favoriser la transition des pays ex-soviétiques vers l’économie de marché, venant d’être créée, il en prend la présidence. Certes, l’idée d’un tel organisme est française, ce qui explique pourquoi les 42 membres fondateurs de la banque ont porté leur choix sur Attali. Mais, qui sait, peut-être ses nombreuses participations aux réunions discrètes du Bilderberg ont-elles aussi plaidé en sa faveur…
Cette expérience outre-Manche tournera court. Jacques Attali est confronté à l’hostilité des Anglais. Il dénonce « une attention négative croissante de la presse » et affirme « qu’aucune de ses actions ne pourrait en quelque façon que ce soit mériter un reproche ». Mais la presse britannique dévoile peu à peu le train de vie luxueux du président de la BERD : investissements pharaoniques pour offrir un siège digne de ce nom à la banque (55 millions de livres), bureau du chef en marbre de carrare (750 000 livres), goût pour les jets privés. On pointe aussi un laxisme certain quant aux procédures et aux contrôles budgétaires…
Jacques Attali annonce sa démission de la BERD en juin 1994, deux ans après son arrivée. À l’époque, cette décision est expliquée dans la presse française par la campagne menée contre lui par les médias britanniques et son effet « négatif sur le travail de la banque et ses équipes ». « C’est en pensant à l’intérêt de la banque que j’ai pris cette décision », déclare-t-il. Comment pourrait-il en être autrement ?
Petit hic : un comité d’audit, chargé quelques mois avant la démission d’Attali d’examiner la gestion de la BERD, a confirmé les révélations de la presse britannique. Son rapport pointe des dépenses privées sur le compte de la banque, la perception d’honoraires pour des conférences du patron, bien que les statuts de la banque l’interdisent, et un possible conflit d’intérêts lié à l’architecte du siège de la BERD, qui entretenait des liens étroits avec monsieur le président démissionnaire…
Début 1996, son grand homme, le mentor du mentor, François Mitterrand, s’éteint. Croustillante anecdote : il se dit que Jacques Attali a été déclaré persona non grata rue Frédéric-Le-Play (Paris VIIe) dernier domicile du Sphinx. Lorsqu’on annonce sa venue à la veuve de François Mitterrand, Danielle aurait, paraît-il, lâché : « Épargnez-moi cela. »
Quand je pompe tu Verbatim
Jacques Attali prend alors du champ. S’il continue à mener carrière dans le monde de la finance, il cultive ses violons d’Ingres, la musique, comme chef d’orchestre (aspiration à diriger pour le moins révélatrice) et l’écriture. C’est que le sieur Attali est un prolifique auteur et même un graphomane. Certes, l’homme se vante de ne dormir qu’une poignée d’heures chaque nuit. Mais on finit par ne plus compter les essais, romans, bibliographies et mémoires (Onfray et Attali : même combat !) sorties ou non de sa plume. Car, parmi ses abondantes « œuvres », deux lui valent une réputation de plagiaire, notamment une Histoire du temps paru en 1982, où notre « écrivain » s’est fait prendre la main dans une besace appartenant au grand écrivain allemand Ernst Jünger (dont la bibliographie est, elle aussi, longue comme un jour sans fin. Mais Jünger est un maître de la littérature moderne et est mort centenaire…). Sur ce coup, Attali s’est piteusement défendu en évoquant des « guillemets qui ont sauté à la relecture »…
Ses mémoires élyséennes, Verbatim (trois volumes), vont aussi essuyer de nombreuses critiques. D’anciens collaborateurs de François Mitterrand, comme Jack Lang et Laurent Fabius, affirment que leurs propos ont été déformés. D’autres dénoncent la divulgation de notes, comptes-rendus et lettres officielles ou informelles. Jacques Attali est aussi accusé d’avoir gentiment puisé dans des entretiens entre François Mitterrand et l’écrivain Elie Wiesel, devant servir à l’écriture d’un livre.
Le rapport Attali ou le serpent des abysses
En 2007, le conseiller pas tant dans l’ombre que cela (au regard du nombre de ses apparitions télévisées où il aime à pontifier et prendre de très haut), reprend du service. Il est chargé par Nicolas Sarkozy de présider une commission chargée d’étudier « les freins à la croissance » française. Dans cette commission Attali figure un jeune espoir : Emmanuel Macron, banquier d’affaires chez Rothschild. « J’ai tout de suite pensé que c’était quelqu’un de très brillant, très compétent, et qu’il avait une envie de politique sans penser qu’il serait président de la République aussi vite », expliquera plus tard le mentor.
Les premières propositions de la commission suscitent la polémique, particulièrement la suppression des départements ou le retrait du principe de précaution de la Constitution, introduit en 2005 sous l’impulsion de Roselyne Bachelot et permettant de prendre des mesures pour prévenir un risque jugé grave et irréversible, même si ce celui-ci n’est pas scientifiquement prouvé. Jacques Attali remet son rapport fin janvier 2008. Sur plus de 300 propositions, jugées par de nombreux observateurs bien libérales, Nicolas Sarkozy n’en retient qu’une vingtaine, parmi lesquelles la réduction du coût de travail pour les chefs d’entreprises, l’ouverture des professions réglementées à la concurrence et la réduction des délais de paiement des PME par l’État et les grandes entreprises à un mois.
En 2012, la commission Attali sera ressuscitée par l’un de ses anciens protégés, François Hollande. Celui-ci commande à l’« ami » et mentor un rapport sur la situation de l’économie positive en France. Le but de ce document est de « mettre fin au court-termisme » au profit d’une « économie fondée sur l’intérêt général et celui des générations futures ». L’ancien sherpa de Mitterrand remet en septembre 2013 un rapport contenant 45 propositions.
Sans effet. Trois ans après, la France demeure un élève bien moyen dans le domaine de l’économie positive selon les chiffres publiés à la veille du cinquième forum consacré au sujet… organisé par Jacques Attali lui-même au Havre.
Mentor, « mitterrandôlatre », et légèrement mytho ?
Le rapport Attali reste tout de même une source d’inspiration de tous les exécutifs. En 2014, François Hollande nomme Emmanuel Macron ministre de l’Économie. L’actuel président rédige alors une loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite « loi Macron ». Il puise dans le rapport de la commission Attali, dont il était un des rédacteurs, pour faire adopter plusieurs mesures, comme la restriction du droit au repos du dimanche, la promotion du travail de nuit, la levée du caractère fixe des tarifs des professions réglementées, ou encore le plafonnement des indemnités de licenciement et des dommages et intérêts en cas de licenciement abusif.
Une fois élu président en 2017, Macron ne jette toujours pas le rapport Attali à la corbeille. Il s’en inspire dans son programme présidentiel pour lancer, entre autres, ses réformes de l’Éducation et de l’enseignement supérieur, du système de santé et surtout, de la retraite. De quoi rendre fier son mentor ? Pas vraiment. Si Jacques Attali rend toujours hommage à « l’extrême compétence » de Macron, auprès de qui il aurait introduit Édouard Philippe (mais qui n’a-t-il pas « fait » si on l’écoute ?), il brocarde la réforme des retraites qu’il qualifie de « mauvaise », « mal faite », « injuste » et non prioritaire.
Chat Gepetto…
Le conseiller de l’ombre est aussi au cœur d’une polémique liée à ses déclarations sur l’euthanasie. Ce routinier du forum de Davos, carrefour des puissants, dont certains qualifiés d’eugénistes, estimait dans les années 1980 que l’euthanasie « sera un instrument essentiel de nos sociétés futures », particulièrement « capitalistes », dans lesquels il serait bon d’éliminer ceux pour qui la vie sera devenue insupportable ou économiquement trop coûteuse.
Face aux critiques, Jacques Attali a intenté et gagné de nombreux procès. Mais il n’a pas encore obtenu gain de cause dans l’affaire de la fresque peinte au printemps 2022 sur un immeuble d’Avignon le montrant tel un Gepetto manipulant un Pinocchio qui a le visage de Macron. Son auteur, le graffeur Lekto, accusé « d’injure publique, en raison de l’origine, l’ethnie, la race ou la religion » et de « provocation à la discrimination en raison de l’origine, l’ethnie, la nation, la race ou la religion » a été relaxé fin novembre 2023. Jacques Attali a fait appel de cette décision.
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