17/09/2021 (2021-09-17)
[Source : Le Courrier des Stratèges (lecourrierdesstrateges.fr)]
Par Éric Verhaeghe
Est-il possible d’éviter la suspension de salaire à partir de demain pour les salariés et les fonctionnaires soumis à l’obligation d’un passe sanitaire, à partir du 15 septembre pour les salariés et les fonctionnaires soumis à l’obligation vaccinale ? La réponse est oui. Nous avons synthétisé ici les grands points à connaître (avant d’approfondir ou de prendre un avocat) pour sauver la mise au milieu de la tempête.
Oui, il est possible d’éviter la suspension de salaire à partir de demain pour tous les salariés et fonctionnaires qui doivent en principe présenter un passe sanitaire et qui n’en disposent pas, ou à partir du 15 septembre pour ceux qui sont soumis à l’obligation vaccinale. Nous vous rappelons ici comment faire, tout en soulignant que le mieux, pour vous, est d’être accompagné d’un avocat spécialisé en droit du travail (la facturation moyenne d’un avocat se situe entre 1.500 et 2.000€).
Dans quelle catégorie êtes-vous ?
Pour bien vous repérer, il faut que vous sachiez à laquelle de ces 4 catégories vous appartenez :
- salarié du secteur privé soumis à l’obligation d’avoir un passe sanitaire
- fonctionnaire soumis à l’obligation d’avoir un passe sanitaire
- salarié du secteur privé soumis à l’obligation de se vacciner
- fonctionnaire soumis à l’obligation de se vacciner
Ces distinctions sont importantes, car il ne faut jamais oublier que les salariés du secteur privé ont un contrat qui relève du code du travail, alors que les fonctionnaires sont soumis au statut de la fonction publique. Ces deux “ordres” fonctionnent de façon relevant différente. Les salariés peuvent par exemple faire un recours devant les prudhommes, alors que les fonctionnaires doivent saisir le tribunal administratif compétent pour leur domicile.
Dans les “fonctionnaires”, nous regroupons ici tous les agents publics, c’est-à-dire ceux qui sont titulaires d’un emploi permanent et ceux qui ont signé un contrat relevant du décret sur les contractuels de la fonction publique.
La suspension en droit public et en droit privé
Vous êtes désormais exposé au risque d’une suspension avec interruption de salaire. Il faut bien comprendre, pour déterminer votre stratégie, ce qu’est une suspension selon votre statut public ou privé.
Une suspension, sur le fond, n’est pas une rupture définitive de contrat ou de nomination comme fonctionnaire, mais une interruption temporaire de ses effets. Il s’agit donc d’une position bâtarde, que la loi du 5 août 2021 n’a pas pris soin “d’encadrer”. Ce flou ouvre la voie à de nombreuses innovations jurisprudentielles qui devraient profiter aux salariés, beaucoup plus qu’aux employeurs.
Dans le secteur privé, il n’y aucune ambiguïté : la suspension est une sanction disciplinaire. Elle ne peut donc intervenir que dans le respect des “garanties disciplinaires” habituelles (entretien préalable, etc.)
Dans le secteur public, la suspension n’est pas une sanction, mais l’article 30 de la loi du 13 juillet 1983 prévoit qu’elle n’entraîne pas l’interruption du traitement. En imposant le contraire sans aucune explication, la loi du 5 août 2021 a pris beaucoup de risques, notamment celui de faire basculer la suspension du fonctionnaire dans le champ de la sanction disciplinaire, comme dans le Code du Travail.
La suspension du fonctionnaire : une chance !
S’agissant de la suspension dans la fonction publique, nous restons sur notre avis et nos conseils déjà publiés, la jurisprudence devrait être favorable aux fonctionnaires qui demanderont leur maintien de salaire à l’occasion d’un référé devant le juge administratif. La loi du 5 août 2021 prévoit en effet la pire des sanctions disciplinaires (l’interruption immédiate sans indemnité du salaire) en soutenant qu’il ne s’agit pas d’une sanction, donc qu’elle est décidée unilatéralement sans que le fonctionnaire ne puisse exposer ses arguments.
C’est une invention baroque qui n’a pas de sens. Elle ouvre la voie à des décisions d’application massive du droit ordinaire :
la suspension avec maintien du traitement. Nous avons publié des recours-types pour l’obtenir.
Les risques pour l’employeur
Globalement, et avant d’examiner les situations au cas par cas, un point important doit être rappelé, martelé et au besoin écrit à votre employeur. La loi n’a pas prévu de sanction pour en employeur qui ne vérifie pas le passe sanitaire de ses salariés, et elle a prévu des sanctions modestes pour l’employeur qui ne vérifie pas le respect de l’obligation vaccinale. Elle a en revanche prévu des sanctions lourdes en cas de demande abusive d’un employeur à ses salariés (un an de prison et 45.000€ d’amende).
Mathématiquement, un employeur a donc tout intérêt à ne pas jouer les auxiliaires du gouvernement en faisant respecter une loi dont il ne tirera aucun profit, et qui risque de lui coûter très cher s’il se trompe… ce qui sera très souvent le cas.
Le cas des salariés soumis à l’obligation du passe sanitaire
Si vous êtes salarié du secteur privé non soumis à l’obligation vaccinale, mais en apparence soumis au passe sanitaire, nous vous conseillons de collectionner les demandes écrites de votre employeur, et d’attendre sagement votre suspension pour l’attaquer devant les prudhommes. Comme nous l’avons indiqué, il faut invoquer la discrimination en raison de votre état de sante et la violation du secret médical.
Il faut par ailleurs vérifier que votre activité est effectivement soumise à l’obligation du passe sanitaire.
Surtout, n’oubliez pas la différence entre le passe sanitaire et la vaccination obligatoire. Vous pouvez obtenir un passe sanitaire sans vaccin…
Le cas des fonctionnaires soumis à l’obligation du passe sanitaire
Si vous êtes fonctionnaire et que votre employeur vous demande de présenter un passe sanitaire, commencez par vérifier que vous êtes réellement concerné par cette obligation.
Nous avons par exemple cité le cas d’un adjoint technique de ménage qui n’est pas concerné par le sujet, mais à qui le maire demande un passe sanitaire.
Si vous ne pouvez échapper à ce passe sanitaire, attendez la notification de votre suspension sans traitement
pour demander, en référé, le rétablissement de votre traitement au juge administratif.
Le cas des salariés soumis à l’obligation vaccinale
Si vous appartenez aux catégories socio-professionnelles concernées par l’obligation vaccinale (essentiellement les soignants de l’hospitalisation privée et les para-médicaux), n’oubliez pas que la suspension est une sanction disciplinaire. Il vous faut agir comme pour les salariés soumis au passe sanitaire, en invoquant la discrimination en raison de votre état de santé et la violation du secret médical.
N’oubliez pas que l’employeur doit vous proposer un entretien pour évoquer votre reclassement.
Le cas des fonctionnaires soumis à l’obligation vaccinale
Pour ces cas où la pression est forte, nous le savons, il faut là aussi saisir le juge administratif en référé pour demander le maintien du salaire pendant la période de suspension.
Écrivez-nous vos difficultés
Nous recevons déjà énormément de courrier, qui nous instruit sur la réalité des pratiques dans les entreprises. Continuez à nous écrire sur les difficultés pratiques et les comportements de vos employeurs. Ces informations sont indispensables pour ne pas donner de conseil déconnecté du réel.
Notre adresse est : lecourrierdesstrateges@gmail.com
Merci à tous.
GRATUIT : le référé-type des fonctionnaires contre la suspension imposée par l’employeur
Par Éric Verhaeghe
Il y a quelques jours, je vous ai exposé ma conviction selon laquelle la suspension du fonctionnaire sans traitement et sans garanties disciplinaires n’était ni constitutionnelle ni « conventionnelle ». Autrement dit, suspendre un fonctionnaire et son traitement sans l’avis d’une commission de discipline viole à la fois la Constitution et la Convention Européenne des Droits de l’Homme (et son droit au procès équitable prévu par l’article 6). Je vous avais promis un modèle de référé à introduire. Le voici ! Mais surtout lisez bien les conseils qui le précèdent…
Le référé que vous introduisez obéit à une mécanique simple que vous devez bien comprendre. Il ne concerne que les fonctionnaires exposés à la suspension sans traitement, et pas les salariés de droit privé.
Rappelons qu’on entend par “fonctionnaire” tous les agents de droit public, qu’ils soient titulaires d’un concours de la fonction publique ou bénéficiaire d’un contrat avec une collectivité publique. Mais ce dispositif ne concerne pas les salariés de droit privé.
Dans la pratique, le raisonnement est simple :
- en droit français, toute sanction disciplinaire infligée à un fonctionnaire suppose un passage devant un conseil de discipline (ce qu’on appelle les “garanties disciplinaires”)
- suspendre un fonctionnaire n’est pas une sanction lorsque la suspension se fait avec maintien du traitement
- la suspension devient une sanction lorsqu’elle s’accompagne d’un arrêt du traitement (c’est-à-dire de la paie)
- suspendre un fonctionnaire et son traitement sans garanties disciplinaires est donc inconstitutionnel (et contraire à la Convention Européenne des Droits de l’Homme).
Comme la suspension du traitement est une mesure d’urgence, elle vous ouvre droit à un référé devant le tribunal administratif compétent pour votre lieu de travail. Dans ce référé, vous demandez le rétablissement de votre traitement pendant votre suspension.
Bien comprendre la procédure administrative
Pour bien comprendre les opérations, il faut avoir en tête que l’intervention d’un avocat n’est pas obligatoire devant le tribunal administratif de première instance. Je vous recommande toutefois d’en choisir un qui connaisse un peu le droit administratif.
En outre, le droit administratif n’est pas plaidé, mais écrit, ce qui signifie qu’il se passe essentiellement sur dossier.
Pour que votre dossier soit complètement carré, il faut qu’il soit précédé :
- d’un recours dit “hiérarchique” contre la décision prise,
- d’un recours ordinaire devant le tribunal administratif
Ces documents doivent être cités dans votre référé.
ASTUCE : multipliez les écrits. Souvent, les gestionnaires de personnel dans le service public sont des burnes finies qui ne connaissent pas les textes. Faites-les écrire le plus possible, ils commettront rapidement des fautes qui vous serviront (je vous en donnerai quelques exemples au fil de l’eau).
Commençons par le recours hiérarchique
Cette étape consiste à écrire à celui qui a un pouvoir de nomination sur vous. Dans la plupart des cas, il s’agit du président du conseil d’administration de l’hôpital où vous travaillez (on part de ce cas-type, hein).
Une fois que votre suspension vous est notifiée, vous lui écrivez ceci :
XXX, le 15 septembre 2021
Albert Dupond, Infirmier à l’hôpital XXXX
à
M. le Directeur de l’Hôpital de…
OBJET : recours hiérarchique contre ma suspension sans traitement
M. le Directeur, par arrêté en date du XXX, vous avez procédé à ma suspension sans traitement, en application de l’article 14 de la loi du 5 août 2021. J’ai l’honneur de solliciter de votre haute bienveillance le retrait grâcieux de cette mesure que je considère comme contraire à la Constitution et aux traités dont la France est signataire.
S’il entre en effet dans vos prérogatives de procéder à ma suspension, l’interruption de mon traitement est une sanction disciplinaire qui ne peut être prise sans le respect des garanties disciplinaires prévues par la Constitution, telles que le Conseil Constitutionnel les a rappelées dans sa décision du 10 mai 2019.
En outre, ce procédé viole le droit à un procès équitable prévu par l’article 6 (§1) de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme.
Par conséquent, je vous serais par avance reconnaissant de bien vouloir respecter les règles de l’Etat de droit et, par conséquent, de rétablir mon traitement sans délai.
Pour votre information, je saisis ce jour-même le tribunal administratif d’un référé en ce sens.
FORMULE DE POLITESSE
Un grand rappel : surtout on ne polémique pas dans ce genre de courrier, et on s’en tient aux faits.
Ce courrier doit être envoyé en recommandé avec accusé de réception.
Continuons par le recours au principal
Ce qu’on appelle le recours au principal est le dossier de fond que vous montez contre l’employeur qui vous a suspendu. Il est obligatoire de déposer un premier recours sur le fond pour ouvrir droit à un référé, qui est une procédure d’urgence, mais provisoire.
Le recours au principal est gratuit et ne suppose pas forcément l’intervention d’un avocat, même si (j’insiste) mieux vaut en avoir un qui ne soit pas une bille complète en droit administratif. Dans la pratique, le tribunal administratif ne prendra aucune décision sur le fond avant plusieurs mois. Vous aurez tout le temps d’améliorer votre dossier, qui ne dira pas grand chose d’autre que votre référé.
Voici comment vous pouvez le libeller :
XXX, le 15 septembre 2021,
M. le Président du Tribunal Administratif de…
OBJET : recours pour excès de pouvoir contre une suspension d’un fonctionnaire avec interruption de traitement
POUR : M. Albert Dupont, infirmier hors classe à l’hôpital de…
Ici, vous présentez rapidement votre situation administrative, votre adresse personnelle, etc.
CONTRE : l’arrêté de suspension sans traitement en date du 15 septembre 2021 pris par M. le directeur de l’hôpital de… en application de l’article 14 de la loi du 5 août 2021 créant une obligation vaccinale pour certaines catégories de personnel.
FAITS : le 15 septembre 2021, le directeur de l’hôpital de XXX a suspendu sans traitement Albert Dupont, infirmier, pour défaut de présentation d’un schéma vaccinal complet, en application des articles 12 et 14 de la loi du 5 août 2021 sur le passe sanitaire.
M. Dupont a été recruté le 5 septembre 1986 et bénéficie d’un excellent dossier administratif. Sa manière de servir a toujours été exemplaire. Il est employé dans le service de réanimation de l’hôpital depuis le… Il a toujours manifesté son grand attachement au service public. Il est père de trois enfants, etc.
(sur tous ces points, mentionner le maximum d’annexes qui taillent un portrait flatteur de vous).
DISCUSSION :
- sur la légalité externe de la décision attaquée :
La décision de suspension sans traitement est prise en application de la loi du 5 août 2021. Dans la mesure où elle crée le grief d’une interruption de traitement, elle constitue indéniablement une sanction disciplinaire grave et lourde.
Pour mémoire, l’article 30 de la loi du 13 juillet 1983 rappelle que, durant la suspension : “Le fonctionnaire suspendu conserve son traitement, l’indemnité de résidence, le supplément familial de traitement et les prestations familiales obligatoires. Sa situation doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois.” La loi de 1983 a entendu exclure la suspension du champ de la santion disciplinaire dans la mesure où elle s’accompagne d’un maintien du salaire.
Dès lors que la suspension entraîne une interruption du traitement, elle constitue donc forcément un grief entraînant un dommage financier évident pour le fonctionnaire suspendu. Ce dommage est caractéristique d’une sanction disciplinaire.
Or, il est de jurisprudence constitutionnelle et conventionnelle constante qu’une sanction disciplinaire ne peut être prise sans le respect des garanties disciplinaires d’usage : communication du dossier, respect du principe du contradictoire, convocation d’un conseil de discipline en bonne et due forme.
- rappel du principe constitutionnel des garanties disciplinaires
L’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen stipule que : “Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution.” Il est de jurisprudence constante du Conseil Constitutionnel d’interpréter cette disposition comme une cause de nullité sans qu’il soit besoin d’examiner d’autres motifs pour toute sanction disciplinaire qui serait prise sans le respect des garanties disciplinaires.
Ce principe général du droit a été rappelé dans la décision 2019-781 QPC : “En application de l’article 3 de l’ordonnance du 6 août 1958, peut être sanctionné disciplinairement l’agent des services déconcentrés de l’administration pénitentiaire qui prend part à une cessation concertée du service ou à tout acte collectif d’indiscipline caractérisée, lorsque ces faits sont susceptibles de porter atteinte à l’ordre public. Toutefois, en prévoyant que cette sanction peut être prononcée « en dehors des garanties disciplinaires », le législateur a méconnu le principe du contradictoire.”
Il est donc constant que le Conseil Constitutionnel annule toute disposition prévoyant une sanction disciplinaire sans respect du principe du contradictoire.
- sur les effets de sa décision du 5 août 2021
Dans sa décision sur la loi de gestion de la crise sanitaire, le Conseil Constitutionnel a pris soin de préciser (considérant 125) : “Le Conseil constitutionnel n’a soulevé d’office aucune question de conformité à la Constitution et ne s’est donc pas prononcé sur la constitutionnalité des autres dispositions que celles examinées dans la présente décision.” Autrement dit, n’ayant pas été saisi sur la légalité de la suspension sans garantie disciplinaire, le Conseil Constitutionnel a laissé libre le champ jurisprudentiel sur cette question.
Selon sa jurisprudence classique, il ne peut en aucun cas valider une différence de traitement entre le droit privé où la suspension du contrat de travail avec interruption de traitement est sans ambiguïté considérée comme une sanction disciplinaire, et le droit public où l’analyse inverse serait faite.
- sur le respect de la Convention Européenne des Droits de l’Homme
L’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme prévoit le droit à un procès équitable. Il est de jurisprudence constante que ce droit est entendu, s’agissant des fonctionnaires, comme incluant les conflits professionnels. Dans son arrêt Vilho Eskelinen et autres c. Finlande [GC], 2007, §§ 50-62, la Cour a conclu qu’il y a présomption
que l’article 6 trouve à s’appliquer, et il appartiendra à l’État défendeur de démontrer,
premièrement, que d’après le droit interne un requérant fonctionnaire n’a pas le droit d’accéder à
un tribunal, et, deuxièmement, que l’exclusion des droits garantis à l’article 6 est fondée s’agissant
de ce fonctionnaire.
Au titre de cet arrêt, il est donc manifeste qu’un conflit du travail, dans le cadre de la fonction publique, conduisant à suspendre unilatéralement un traitement, ne peut être mené sans respect du contradictoire.
- sur le rétablissement du salaire
Compte tenu de l’inconstitutionnalité et de l’inconventionnalité d’une suspension sans traitement décidée sans respect du principe du contradictoire, il est évident que la mesure de suspension ne peut intervenir qu’en application de l’article 30 de la loi du 13 juillet 1983, c’est-à-dire avec maintien de salaire. Sans qu’il soit besoin d’examiner d’autre motif, il vous est donc demandé de procéder à cette mesure sans délai.
PAR CES MOTIFS et tous autres à produire, déduire ou suppléer, au besoin d’office,
l’exposant conclue qu’il plaise à Monsieur le Président du Tribunal administratif de XXXX
– Ordonner la suspension de la décision attaquée;
– Rétablir le versement du traitement de M. Albert Dupont
– Condamner le directeur de l’hôpital de… à verser à l’exposant la somme de 5.000 euros en
application de l’article L.761-1 du code de justice administrative;
le tout sous astreinte de 100 euros par jour de retard
dans un délai de 8 jours à compter de la notification de l’ordonnance à intervenir.
SOUS RESERVE DE TOUS AUTRES ELEMENTS DE DROIT OU DE FAIT A PRODUIRE ULTERIEUREMENT PAR MEMOIRES COMPLEMENTAIRES, ET SOUS RESERVE DE TOUS AUTRES RECOURS
Vous devez déposer ce recours par lettre recommandée au tribunal administratif. Vous pouvez l’envoyer le même jour que votre référé, dont voici le texte.
Venons-en au référé que vous envoyez
Dans ce référé, qui est une procédure urgente et provisoire, qui vous permet d’obtenir une décision rapide du tribunal administratif, vous devez mettre en copie et en annexe :
– l’arrêté de suspension dont vous faites l’objet
– votre recours hiérarchique
– votre recours au principal
– tout autre document que vous jugez utile (bien numéroter ces pièces à la fin de votre recours)
Voici comment vous devez libeller votre référé :
XXX, le 15 septembre 2021,
M. le Président du Tribunal Administratif de…
OBJET : référé contre une suspension d’un fonctionnaire avec interruption de traitement
POUR : M. Albert Dupont, infirmier hors classe à l’hôpital de…
Ici, vous présentez rapidement votre situation administrative, votre adresse personnelle, etc.
CONTRE : l’arrêté de suspension sans traitement en date du 15 septembre 2021 pris par M. le directeur de l’hôpital de… en application de l’article 14 de la loi du 5 août 2021 créant une obligation vaccinale pour certaines catégories de personnel.
FAITS : le 15 septembre 2021, le directeur de l’hôpital de XXX a suspendu sans traitement Albert Dupont, infirmier, pour défaut de présentation d’un schéma vaccinal complet, en application des articles 12 et 14 de la loi du 5 août 2021 sur le passe sanitaire.
M. Dupont a été recruté le 5 septembre 1986 et bénéficie d’un excellent dossier administratif. Sa manière de servir a toujours été exemplaire. Il est employé dans le service de réanimation de l’hôpital depuis le… Il a toujours manifesté son grand attachement au service public. Il est père de trois enfants, etc.
(sur tous ces points, mentionner le maximum d’annexes qui taillent un portrait flatteur de vous).
DISCUSSION :
– sur le bien-fondé du référé :
L’alinéa ler de l’article L.521.1 du code de justice administrative prévoit que « quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ».
Il ressort de ces dispositions procédurales législatives que le prononcé du référé est subordonné à la réunion de deux conditions :
– d’une part, une condition d’urgence;
– d’autre part une condition tenant à l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée.
En l’espèce, ces deux conditions sont à l’évidence réunies.
Concernant l’urgence, l’arrêté du directeur de l’hôpital de… prive M. Albert Dupont de son traitement. Conformément à l’Ordonnance du juge des référés (Mme Aubin), du 22 juin 2001, 234434, mentionné aux tables du recueil Lebon, le Conseil d’Etat reconnaît qu’il s’agit d’une situation d’urgence.
S’agissant du doute sérieux concernant la légalité de la décision attaquée, cette condition est satisfaite pour les raisons suivantes.
La décision de suspension sans traitement est prise en application de la loi du 5 août 2021. Dans la mesure où elle crée le grief d’une interruption de traitement, elle constitue indéniablement une sanction disciplinaire grave et lourde.
Pour mémoire, l’article 30 de la loi du 13 juillet 1983 rappelle que, durant la suspension : “Le fonctionnaire suspendu conserve son traitement, l’indemnité de résidence, le supplément familial de traitement et les prestations familiales obligatoires. Sa situation doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois.” La loi de 1983 a entendu exclure la suspension du champ de la santion disciplinaire dans la mesure où elle s’accompagne d’un maintien du salaire.
Dès lors que la suspension entraîne une interruption du traitement, elle constitue donc forcément un grief entraînant un dommage financier évident pour le fonctionnaire suspendu. Ce dommage est caractéristique d’une sanction disciplinaire.
Or, il est de jurisprudence constitutionnelle et conventionnelle constante qu’une sanction disciplinaire ne peut être prise sans le respect des garanties disciplinaires d’usage : communication du dossier, respect du principe du contradictoire, convocation d’un conseil de discipline en bonne et due forme.
- rappel du principe constitutionnel des garanties disciplinaires
L’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen stipule que : “Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution.” Il est de jurisprudence constante du Conseil Constitutionnel d’interpréter cette disposition comme une cause de nullité sans qu’il soit besoin d’examiner d’autres motifs pour toute sanction disciplinaire qui serait prise sans le respect des garanties disciplinaires.
Ce principe général du droit a été rappelé dans la décision 2019-781 QPC : “En application de l’article 3 de l’ordonnance du 6 août 1958, peut être sanctionné disciplinairement l’agent des services déconcentrés de l’administration pénitentiaire qui prend part à une cessation concertée du service ou à tout acte collectif d’indiscipline caractérisée, lorsque ces faits sont susceptibles de porter atteinte à l’ordre public. Toutefois, en prévoyant que cette sanction peut être prononcée « en dehors des garanties disciplinaires », le législateur a méconnu le principe du contradictoire.”
Il est donc constant que le Conseil Constitutionnel annule toute disposition prévoyant une sanction disciplinaire sans respect du principe du contradictoire.
- sur les effets de sa décision du 5 août 2021
Dans sa décision sur la loi de gestion de la crise sanitaire, le Conseil Constitutionnel a pris soin de préciser (considérant 125) : “Le Conseil constitutionnel n’a soulevé d’office aucune question de conformité à la Constitution et ne s’est donc pas prononcé sur la constitutionnalité des autres dispositions que celles examinées dans la présente décision.” Autrement dit, n’ayant pas été saisi sur la légalité de la suspension sans garantie disciplinaire, le Conseil Constitutionnel a laissé libre le champ jurisprudentiel sur cette question.
Selon sa jurisprudence classique, il ne peut en aucun cas valider une différence de traitement entre le droit privé où la suspension du contrat de travail avec interruption de traitement est sans ambiguïté considérée comme une sanction disciplinaire, et le droit public où l’analyse inverse serait faite.
- sur le respect de la Convention Européenne des Droits de l’Homme
L’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme prévoit le droit à un procès équitable. Il est de jurisprudence constante que ce droit est entendu, s’agissant des fonctionnaires, comme incluant les conflits professionnels. Dans son arrêt Vilho Eskelinen et autres c. Finlande [GC], 2007, §§ 50-62, la Cour a conclu qu’il y a présomption
que l’article 6 trouve à s’appliquer, et il appartiendra à l’État défendeur de démontrer,
premièrement, que d’après le droit interne un requérant fonctionnaire n’a pas le droit d’accéder à
un tribunal, et, deuxièmement, que l’exclusion des droits garantis à l’article 6 est fondée s’agissant
de ce fonctionnaire.
Au titre de cet arrêt, il est donc manifeste qu’un conflit du travail, dans le cadre de la fonction publique, conduisant à suspendre unilatéralement un traitement, ne peut être mené sans respect du contradictoire.
- sur le rétablissement du salaire
Compte tenu de l’inconstitutionnalité et de l’inconventionnalité d’une suspension sans traitement décidée sans respect du principe du contradictoire, il est évident que la mesure de suspension ne peut intervenir qu’en application de l’article 30 de la loi du 13 juillet 1983, c’est-à-dire avec maintien de salaire. Sans qu’il soit besoin d’examiner d’autre motif, il vous est donc demandé de procéder à cette mesure sans délai.
PAR CES MOTIFS et tous autres à produire, déduire ou suppléer, au besoin d’office,
l’exposant conclue qu’il plaise à Monsieur le Président du Tribunal administratif de XXXX
Vu l’article L.521.1 du code de justice administrative :
– Ordonner la suspension de la décision attaquée;
– Rétablir le versement du traitement de M. Albert Dupont
– Condamner le directeur de l’hôpital de… à verser à l’exposant la somme de 5.000 euros en
application de l’article L.761-1 du code de justice administrative;
le tout sous astreinte de 100 euros par jour de retard
dans un délai de 8 jours à compter de la notification de l’ordonnance à intervenir.
SOUS RESERVE DE TOUS AUTRES ELEMENTS DE DROIT OU DE FAIT A PRODUIRE ULTERIEUREMENT PAR MEMOIRES COMPLEMENTAIRES, ET SOUS RESERVE DE TOUS AUTRES RECOURS
Bien entendu, il s’agit ici d’une trame “développée” mais que vous pouvez enrichir (ou martyriser, ma contribution est gratuite, solidaire, et sans amour-propre… faites-en juste profiter les autres), de préférence avec un bon avocat si vous en connaissez.
Tenez-moi au courant !
Dans tous les cas, souvenez-vous qu’un acte administratif ne peut faire l’objet d’un recours que dans les deux mois suivant son édiction. Ne traînez surtout pas !
Première victoire des anti-passe sanitaire au tribunal administratif contre un maire abusif
Par Éric Verhaeghe
Depuis plusieurs semaines, nous vous incitons à introduire des référés devant le tribunal administratif de votre domicile pour faire annuler soit certaines dispositions de la loi du 5 août 2021, soit des applications abusives qui en sont faites notamment par certains employeurs. La décision que nous publions ci-dessous, obtenue par la CGT des fonctionnaires territoriaux du Gard, illustre le bien-fondé de cette démarche. Le juge de Nîmes vient en effet d’annuler le passe sanitaire dans les services municipaux de Saint-Laurent-d’Aigouze, demandé illégalement par le maire.
Le tribunal administratif peut parfois réserver de très belles surprises. La preuve en est fournie par cette ordonnance en référé rendue par le tribunal administratif de Nîmes annulant l’obligation du passe sanitaire imposée par circulaire à tous les fonctionnaires municipaux de Saint-Laurent-Aigouze, dans le Gard. Le juge du référé n’a pas hésité à suspendre cette demande abusive d’un maire (parmi tant d’autres, nous avons reçu de nombreux témoignages à ce sujet) de voir tout le monde présenter un passe sanitaire alors même que la loi ne le prévoit pas.
Les arguments du tribunal administratif
Pour suspendre le passe sanitaire dans les services municipaux de cette ville, le juge administratif a considéré, de façon très prévisible, qu’un maire n’était pas habilité à ajouter des critères restrictifs à la loi. L’extension du passe sanitaire décidée par le maire constitue donc une “atteinte grave et manifestement illégale au droit des intéressés, au respect de leur vie privée et à leur droit au travail”.
Ces motivations sont importantes, car elles pourront être retenues dans d’autres jurisprudences. Nous rappelons ici que le tribunal administratif est compétent pour annuler des décisions administratives (des circulaires, mais aussi des arrêtés de suspension…) qui ne seraient pas conformes à la loi ou à la constitution (ou aux traités).
Une campagne de référés contre la suspension
Nous avons beaucoup souligné, au mois d’août, l’importance de saisir les tribunaux de première instance (tribunal administratif, prudhommes, notamment) contre les applications abusives du passe sanitaire. Nous avons aussi proposé un guide complet de référé administratif contre la suspension dans le cadre de l’obligation vaccinale.
Démonstration est désormais faite de l’utilité de ces propositions… N’hésitez pas à vous en emparer.
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