26/01/2022 (2022-01-26)
Par Karen Brandin
Notes de lecture autour de l’ouvrage : « Adieu la liberté » de Mathieu Slama (éditions : La Cité)
On pourrait se dire qu’il s’agit là d’un essai bien ingrat finalement tant il ne semble pas tenir compte du fait notable qu’à partir du 16/02/2022, les citoyens responsables auront de nouveau la possibilité de consommer debout le petit coup de « pression » par exemple, si cher à notre ministre de l’Intérieur (et ce, sans condition de stature, notez bien).
Comment ne pas sentir alors sur notre nuque, la promesse de cette brise de liberté, la brise après « la vague » ou la chronique maritime sans fin d’une balade au bord d’une mer noire de mensonges ?
À l’annonce de mesures d’une telle audace quand le virus est pourtant le maître du temps, on se serait attendu à un « hourra » général et ému de la part d’une population en transe, pétrie de reconnaissance. Finalement, l’accueil, l’enthousiasme ont été timides, pudiques presque. Heureusement, sur les ondes le 24 janvier, France-Info d’un ton guilleret annonçait l’arrivée (je cite) « d’un petit nouveau » : le pass vaccinal comme on annoncerait l’arrivée du Beaujolais (après le pass culture, le pass dégustation et à Bordeaux d’ici quelques jours, le pass Braderie pour 3 euros ; bref, le pass… partout !).
Avec un registre sémantique tout aussi surprenant, nous apprendrons quelques minutes plus tard d’une intervenante que les Français auront jusqu’au 15 février pour « régulariser » leur situation. Fin des soldes vaccinales ensuite, faute de stock. En attendant, tout doit disparaître ; qu’on se le dise. Rappelons-nous de cette phrase du gouvernement :
« Nous voulons protéger les Français, même contre eux-mêmes. »
Frissons garantis face à cette mise sous tutelle qui ne se cache même plus.
Humour mis à part, l’intention annoncée par Mathieu Slama en écrivant ce texte était de nous soulager et c’est une complète réussite. Cet essai, à lire sans modération, est écrit sans concession. Il est lucide, sobre et donc parfois sombre, mais comme l’est la période que nous tentons de traverser. Ni plus ni moins.
Il nous donne à entrevoir le cheminement qui a pu nous conduire à cet état d’acceptation, de passivité parfois ; de résignation, trop souvent. Il nous emmène aux origines du mal, à ce besoin toujours renouvelé de contentions, ce goût pour l’État-nounou, l’État-care [« Care » en anglais = « Soin »]. Nous le peuple revendiqué des « Lumières » ; un peuple si facile à aveugler finalement.
Rousseau disait : « On vit tranquille aussi dans les cachots ; en est-ce assez pour s’y trouver bien ? »
Apparemment oui. C’est l’histoire d’une déshumanisation ordinaire, aussi progressive qu’inéluctable si l’on ne sort pas rapidement de ce coma émotionnel.
Comme l’explique précisément l’auteur, nous étions prédisposés à accepter une politique disciplinaire avec cette nouvelle, mais envahissante obsession du » coaching » ou l’imposture du développement personnel à tout prix, démasquée par Julia de Funès par exemple.
Alors que nous avons à bien des égards failli durant cette période, nous enseignants de tous horizons, aurions dû anticiper ce glissement. Depuis quelques années, on sent chez les lycéens, les étudiants un vertige, une résistance, lorsque l’on souhaite les guider vers une autonomie de penser et d’agir ; bref, lorsque l’on souhaite créer les conditions d’une émancipation
À un âge où tout est possible, nos élèves sont demandeurs de protocoles, de rédaction type et sont saisis de terreur lorsqu’on les encourage à emprunter des chemins de traverse pour construire leur propre cheminement de réflexion. Ils ne souhaitent plus créer, s’aventurer, s’égarer, ni même raisonner, mais seulement reproduire. Par manque de confiance en eux bien sûr ; par paresse aussi ou lassitude. En ce sens, nous avons collectivement manqué de vigilance et de responsabilité souvent par confort ; à moins que ce ne soit par vanité. Reste que c’est collectivement que nous devons refuser d’être le relais d’un quelconque conditionnement.
Concernant les plus petits, deux ans plus tard, il y a désormais pour les parents et plus que jamais la nécessité d’une désobéissance aussi civile que solidaire, car elle est devenue un devoir pour les préserver.
Les enfants, les jeunes sont finalement les seuls absents de cet ouvrage pourtant très dense ; on aura donc tout intérêt à lire en complément une parution tout aussi récente des docteurs Nicole et Gérard Delépine : « Les enfants sacrifiés du Covid » (paru chez Fauves)
https://www.fauves-editions.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=72231
qui propose une étude exhaustive, très soignée, rigoureuse et profondément humaine de l’impact de cette crise sur la jeunesse ; sur l’avenir donc. Des enfants offerts en sacrifice sur l’autel de nos peurs, pour lesquels on se devait pourtant d’être un havre de sécurité et de protection et qui ont finalement été les dépositaires de nos angoisses en plus d’en être les témoins.
J’ai sans doute un seul point, non pas de divergence, mais d’appréhension, car Mathieu Slama, qui s’appuie volontiers sur les écrits de Deleuze et de Foucault, évoque longuement la biopolitique, l’éloge ou la défense de la vie nue.
On aurait presque de ce fait le sentiment que la crise a été gérée de manière rationnelle et/ou scientifique quand il est rigoureusement impossible de se draper derrière ce paravent. Non, il n’y a pas selon moi de loi mathématique du virus (p141). Si la gestion a été, ne serait-ce qu’une fois scientifique, que la honte s’abatte sur nous, coutumiers des sciences dures.
Ce concept finalement d’une vie dépouillée d’affects, régie par des capteurs, des constantes à surveiller, des seuils à contrôler pouvait se défendre après tout. On peut aussi imaginer une médecine réduite au contrôle strictement numérique d’un équilibre physico-chimique type « acide-base ». Une médecine « objective » par opposition (alors qu’elles sont complémentaires) à une médecine sensible, de terrain ; celle du regard, de l’écoute, bref de l’examen clinique et du patient appréhendé dans sa globalité. Cette médecine, art médical avant tout, qui ne tourne le dos ni à l’empathie ni au serment d’Hippocrate.
Mais à aucun moment durant cette gestion calamiteuse et tâtonnante, il n’a été question de préserver la vie même bassement organique sans quoi comment expliquer le refus autoritaire des traitements précoces, l’oxygénothérapie en ambulatoire, le traitement terrible réservé aux personnes âgées dont la fin de vie a été parfois précipitée (on pense aux injections de Rivotril), le refus buté d’autoriser des vaccins non ARNm ? Même la vie nue, celle dans sa plus simple expression donc, n’aura pas été épargnée.
Ce que l’on a vu en revanche, c’est une vénération quasi mystique des journalistes, des éditorialistes et autres politiques, pour une science [ou plus exactement un « scientisme »] érigée au rang de religion, avec des médecins de plateau télé rien de moins qu’en pâmoison, recevant bien volontiers ces bouffées délirantes d’adoration.
Nous avons croulé sous les formulations absurdes : « je crois en la science ; je suis pour le vaccin. » Ou encore : « vous ne trouvez pas formidable qu’un vaccin ait été conçu en quelques mois. » Une fascination complètement irrationnelle qui confond, assimile, innovation et progrès.
Ce à quoi l’on a assisté, c’est au naufrage de l’esprit critique, mais aussi de la démarche scientifique avec un vaccin non immunisant dont on a changé les conditions de conservation, la durée entre deux doses ; dont on a prétendu une efficacité décuplée si l’on couplait Pfizer/Moderna avant de se raviser. Quant à la détermination de doses pédiatriques, elle n’a jamais été clairement justifiée, tout ceci avec comme point d’orgue cette notion éthiquement inacceptable de « vaccination altruiste ».
Ce que l’on a entendu, ce sont des phrases absurdes dont on n’a d’autres choix que d’en sourire pour ne plus en avoir honte :
« Tous vaccinés, tous (infectés ; non, on blague) protégés ».
« Ce variant est certes beaucoup plus dangereux, mais nettement moins sévère que ses prédécesseurs »
(le message était-il subliminal ? Le Premier ministre évoquait-il le président en exercice ? Nul ne le sait)
« Le virus circule moins vite, mais plus rapidement. »
Alors bien sûr, on connaît le concept de croissance ralentie associée à une fonction concave et croissante, mais cela reste malgré tout difficile de tirer le soldat Véran de ce marais d’approximations.
Les ministres se sont bien sûr quotidiennement ou presque, relayés tous autour d’une même idée devenue mantra et qui semble avoir leur préférence : « on apprend en marchant » croyant ainsi justifier leurs errements. Si tel est le cas, on ne peut que les encourager à se mettre d’urgence à la randonnée et surtout à changer de GPS, un GPS [actuellement] paramétré par les soins des grands laboratoires pharmaceutiques visiblement.
Parce qu’il y a beaucoup à dire et à comprendre, on ressort apaisés d’« Adieu la liberté » ; on en sort un peu plus libres aussi ou tout au moins, « libérés » et pour cela, merci infiniment à l’auteur. La mission cathartique de cet ouvrage est largement remplie. Ces pages sont en outre soutenues par une très belle plume, ce qui ne gâche rien. Acérée parfois, mais toujours juste.
En complément, ne pas hésiter à lire « Faire face : le visage de la crise sanitaire » (aux éditions Point de Bascule 2021) de Martin Steffens et Pierre Dulau et, pour les enseignants notamment, à se replonger dans l’écrit visionnaire de Michéa : « L’enseignement de l’ignorance » (aux éditions Climats).
Karen Brandin
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