23/04/2021 (2021-04-23)
[Source : Nice Provence Info (nice-provence.info)]
Par Alexandra SCHREYER
Emmanuel Macron, Président de la République française, déclarait le 18 avril 2021 « Il faut déconstruire l’histoire de France ! » Certains n’ont pas attendu l’espoir exprimé par le président Macron. Ils ont déjà commencé !
« Là où on brûle des livres, on finit aussi par brûler des hommes »
(Heinrich Heine dans Almansor)
Dans la nuit du 26 au 27 juin 2018, une voiture a été projetée dans la devanture de la Médiathèque des 4 000 à la Courneuve. Un incendie s’est ensuite déclaré, brûlant les livres, les documents, etc… Mais, depuis une vingtaine d’années, au moins 70 bibliothèques et sans doute bien plus, sont parties en fumée dans les banlieues de toute la France, dans les cités HLM et grands ensembles prioritairement. Il est notoire que les attaques de bibliothèques sont souvent passées sous silence, par une sorte de déni des maires qui ont un peu honte de l’ambiance de leur ville ou qui ne veulent pas, tout simplement, subir de représailles.
Pour les sociologues, un tantinet gauchistes, qui s’intéressent à l’affaire, il s’agit bien sûr d’une population de jeunes désœuvrés, mal aimés, qui rejettent le symbole du Pouvoir dans une légitime révolte, car ces livres ne parlent pas de leur sort douloureux de pauvres victimes. D’autres seront plutôt tentés d’y voir l’action délibérée de bandes organisées et politisées, voire mues par des sentiments religieux, qui veulent détruire tout ce qui représente à leurs yeux l’Occident, sa culture et ses valeurs. Il est en effet tentant de traduire ces destructions comme une attaque contre un savoir et une connaissance rejetée afin de prôner, éventuellement, un certain obscurantisme.
Pour mémoire, les nazis détruisirent par le feu les ouvrages dissidents (notre illustration à la une) et les phalanges franquistes firent de même.
Diego de Landa ordonna la destruction des manuscrits racontant l’histoire de la civilisation maya et Savonarole, au nom de la Sainte Inquisition, alluma le « Bûcher des Vanités » à Florence.Quant aux Talibans, ils ont détruit d’anciens livres rares, et la révolution française ne fut pas en reste, etc… la liste est loin d’être exhaustive.
Alors pourquoi tant d’acharnement à détruire et même brûler des livres afin qu’il ne reste absolument rien de leur contenu ?
Dans le livre des dieux égyptiens, il est dit que les hiéroglyphes ont le pouvoir de s’animer, il en est de même d’ailleurs pour les mots hébreux. Parfois, le scribe de l’ancienne Égypte détériorait ou mutilait ces signes afin de leur ôter ce pouvoir de création. C’est ce qu’ont sans doute pressenti toutes les grandes dictatures, celles qui ne supportent pas la contradiction, la différence, la liberté : brûler un livre revient à brûler l’esprit et la pensée. On peut donc s’inquiéter, à juste raison, quand on observe ce qui se produit avec l’incendie des bibliothèques en France. Cherche-t-on à mutiler et brûler des livres afin de leur enlever ce pouvoir de transmission d’une certaine pensée et culture ? Dans le film « Farenheit 451 » (le nombre de degrés auquel le papier se consume), l’action se situe dans une société totalitaire où le livre est interdit car il stimule la réflexion.
Alors, des « hommes-livres » ont choisi d’apprendre chacun un livre par cœur afin de sauvegarder la connaissance. Une vieille femme préfère s’immoler sur l’autodafé purificateur organisé par le dictateur.
Mais il est difficile de pulvériser complètement le contenu d’un livre. Ces œuvres détruites recèlent encore l’âme des lettres comme les cimetières contiennent le livre de la vie des défunts et leur mémoire (un tel cimetière de livres existe réellement en Israël, à Safed). L’écrivain argentin José Luis Borges est à la recherche du livre ultime qui contient à la fois tous les mots de l’alphabet, tous les ferments de la création et toute la mémoire du monde, dans la gigantesque « Bibliothèque de Babel ». Il rêve de trouver un livre sans commencement ni fin, dont les pages s’ouvrent sur un autre monde invisible à nos yeux et au potentiel illimité.
Mais il est vrai qu’il y a plusieurs manières de brûler ou d’enterrer un livre.
Il suffit d’user d’inculture, c’est ce qui menace nos sociétés comme un péril supplémentaire. Nous sommes en passe de perdre tout simplement le chemin du savoir et si nous n’y prenons pas garde, bientôt « le temps approche où l’on ne saura plus lire ni écrire, où quelques mandarins chuchoteront des secrets à l’oreille… » (Jean Cocteau).
Ou d’user de malveillance…
Alors, il faut être vigilants, si nous ne voulons pas un jour prochain errer dans la fictive et profonde vallée de Kloriole(1) où s’étend un cimetière d’ossements de papiers, où gisent des livres fragiles comme des feuilles mortes et froissées dont nous ne recueillerons plus que la poussière, cimetières qui seront parcourus par des lettrés à la recherche des reliques de leur connaissance du passé, tant il est vrai qu’un peuple qui oublie son Histoire est un peuple perdu.
Alexandra SCHREYER
(1) NDLR : en références aux lieux imaginaires en littérature.
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