Censure et répression des scientifiques et médecins hétérodoxes durant la crise sanitaire

29/11/2022 (2022-11-29)

[Source : qg.media]

Par Laurent Mucchielli

La Covid-19 a donné lieu à de nombreuses controverses. Pour contrer la menace que représentaient les médecins et les scientifiques contestant la position des autorités sanitaires gouvernementales et intergouvernementales, des partisans de l’orthodoxie ont entrepris de les censurer et de les réprimer. Les résultats montrent le rôle central joué par les organisations médiatiques, et en particulier par les entreprises de technologie de l’information. En lieu et place d’une discussion ouverte et équitable, elles ont porté atteinte à la réputation et à la carrière des médecins et des scientifiques dissidents. Et ceci a eu des implications délétères et de grande portée pour la médecine, la science et la santé publique.

Par Yaffa SHIR‑RAZ (University of Haifa, Israël), Ety ELISHA (Max Stern Yezreel Valley College, Israël), Brian MARTIN (University of Wollongong, Australie), Natti RONEL (Bar Ilan University, Israël) et Josh GUETZKOW (Hebrew University of Jerusalem, Israël).

Ce texte constitue la traduction de la plus grande partie de l’article paru dans la revue de sociologie des sciences Minerva le 1er novembre 2022 sous le titre « Censorship and Suppression of Covid‑19 Heterodoxy: Tactics and Counter‑Tactics ». Je remercie les auteurs pour leur accord. J’ai choisi de traduire cet article car, bien que ses matériaux proviennent des pays anglophones, il illustre particulièrement bien ce que nous avons vécu également en France. Tout ce qui est décrit et analysé dans cet article est directement transposable dans l’hexagone et nous serons nombreux parmi les scientifiques et les médecins à nous y reconnaître. Il s’agit de phénomènes qui ont traversé de façon largement comparable l’ensemble du monde occidental et ses zones d’influence (LM).


Par Yaffa Shir-RazEty ElishaBrian MartinNatti Ronel & Josh Guetzkow

Introduction

L’émergence du COVID-19 a donné lieu à de très nombreux différends et désaccords (Liester 2022), notamment sur l’origine du virus SRAS-CoV-2 (van Helden et al. 2021), les mesures restrictives prises par la plupart des gouvernements, telles que la « distanciation sociale », le confinement, la recherche des contacts et l’obligation de porter un masque (Biana et Joaquin 2020), l’utilisation de certains traitements de la maladie et l’exclusion d’autres (Mucchielli 2020), l’innocuité et l’efficacité des vaccins contre le COVID-19, et la mise en œuvre de « pass vaccinaux » dans de nombreux pays (Palmer 2021). Harambam (2020) a qualifié ces conflits de « guerres de la vérité sur le Corona ».

Depuis le début de la pandémie, alors que les gouvernements et les autorités sanitaires ont soutenu que les politiques restrictives de confinement étaient nécessaires pour faire face à la pandémie et prévenir les décès, de nombreux scientifiques et praticiens médicaux ont remis en question l’éthique et la moralité de telles tactiques, y compris des lauréats du prix Nobel et des médecins et universitaires de premier plan (par exemple, AIER 2020 ; Abbasi 2020 ; Bavli et al. 2020 ; Brown 2020 ; Ioannidis 2020a ; Lenzer 2020 ; Levitt 2020). En outre, à partir du début de l’année 2020, un nombre croissant de scientifiques et de médecins ont soutenu que la pandémie, ainsi que les chiffres de morbidité et de mortalité, étaient gonflés et exagérés (Ioannidis 2020 ; Brown 2020) ; que les politiques et les restrictions extrêmes violaient les droits fondamentaux (Biana et Joaquin 2020 ; Stolow et al. 2020) ; et que les gouvernements utilisaient des campagnes de peur fondées sur des hypothèses spéculatives et des modèles prédictifs peu fiables (Brown 2020 ; Dodsworth 2021). Certains universitaires, médecins et avocats ont souligné les biais, la dissimulation et les distorsions d’informations vitales concernant les taux de morbidité et de mortalité du COVID-19 qui ont induit en erreur les décideurs et le public (AAPS 2021 ; Abbasi 2020 ; AIER, 2020 ; Fuellmich 2020 ; King 2020).

Il a été affirmé qu’une grande partie de la discussion autour de la pandémie COVID-19 a été politisée (Bavli et al. 2020), et que la science et les scientifiques ont été bafoués en raison d’intérêts politiques et économiques (Bavli et al. 2020 ; King 2020 ; Mucchielli 2020). Ces critiques se sont multipliées, notamment après le lancement de la campagne de vaccination. Les critiques ont porté sur la rapidité avec laquelle les vaccins à ARNm ont reçu l’autorisation d’utilisation d’urgence de la FDA, même pour les enfants ; la qualité des essais cliniques qui ont conduit à l’autorisation des vaccins (y compris les violations des protocoles de recherche et les preuves de fraude) ; le manque de transparence concernant le processus et les données qui ont conduit à l’autorisation ; l’exagérations trompeuse des estimations d’efficacité ; et la minimisation ou l’ignorance des événements indésirables (Doshi 2020, 2021 ; Fraiman et al. 2022 ; Thacker 2021).

Des critiques ont affirmé que le discours scientifique et politique entourant le Covid-19 n’a pas été mené sur un pied d’égalité en raison de la censure et de la suppression des opinions contraires à celles soutenues par les autorités sanitaires et gouvernementales (Cáceres 2022 ; Cadegiani 2022 ; Liester, 2022 ; Mucchielli 2020).  Certains gouvernements et entreprises technologiques, tels que Facebook, Google, Twitter et LinkedIn, ont pris des mesures pour censurer les points de vue contraires, arguant que les opinions remettant en cause les politiques gouvernementales sont de la désinformation dangereuse, et que la censure est donc justifiée pour protéger la santé publique (Martin 2021).

Orthodoxie et hétérodoxie

Décrire un point de vue ou une position sur le Covid-19 comme hétérodoxe implique l’existence d’une position orthodoxe, qui fait ici référence à la position dominante soutenue par la plupart des grandes agences de santé gouvernementales et intergouvernementales. Liester (2022) fournit une liste comparant ce qu’il appelle les points de vue dominants et les points de vue dissidents, qui comprend l’origine du virus (zoonose ou produit de laboratoire ?), les obligations de se masquer (cela empêche-t-il ou pas la propagation ?), le traitement précoce avec des médicaments tels que l’hydroxychloroquine et l’ivermectine (inefficace et dangereux ou efficace et sûr ?), l’utilité de l’usage de l’ivermectine et de l’hydroxychloroquine dans le traitement, l’utilité des mesures de confinement et d’autres restrictions (efficace et bénéfique ou bien inefficace et nuisible ?), les vaccins anti-Covid (sûr et efficace ou bien non sûr et dangereux ?), et les obligations et passeports vaccinaux (nécessaire et éthique ou bien nuisible et non éthique ?). S’il est vrai qu’aucune de ces positions dominantes n’a été adoptée par tous les gouvernements du monde au même degré ou dans les moindres détails, il n’en reste pas moins qu’une position dominante ou orthodoxe sur toutes ces questions peut être identifiée pays par pays, avec de fortes similitudes au-delà des frontières nationales.

Il convient de noter que les positions orthodoxes peuvent changer. Par exemple, au milieu du printemps 2020, la discussion sur les potentielles origines de laboratoire du SRAS-CoV-2 était interdite sur certains sites de médias sociaux, comme Twitter et Facebook (Jacobs 2021). Plus récemment, la théorie de la fuite en laboratoire a gagné en légitimité, notamment à la suite d’articles parus dans les Proceedings of the National Academy of Sciences (Harrison et Sachs 2022), Frontiers in Virology (Ambati 2022) et Vanity Fair (Eban 2022) ainsi que d’une déclaration du directeur général de l’OMS, Ghebreyesus, qui a commenté un rapport intermédiaire du Groupe consultatif scientifique sur les origines des nouveaux agents pathogènes, en déclarant que toutes les hypothèses doivent être prises en compte et en critiquant le rapport pour son évaluation inadéquate de l’hypothèse de la fuite en laboratoire (OMS 2022). Un autre exemple concerne la nécessité du port du masque. Des responsables américains tels que le directeur du National Institute of Allergic and Infectious Diseases (NIAID), Anthony Fauci, ont recommandé de ne pas porter de masque universel en mars 2020, avant de changer de position en avril et de le recommander (Roche 2021).

Les entreprises de technologie de l’information et leurs liens avec le pouvoir politique

Depuis le début de l’année 2020, on assiste à une recrudescence des plaintes pour censure de la part d’individus et de groupes présentant des points de vue et des informations hétérodoxes liés au Covid, avec une recrudescence des plaintes en 2021 suite au déploiement des vaccins anti-Covid. De nombreux cas concernent la censure sur les médias sociaux, notamment la suppression de comptes (« déplatforming ») ou le blocage de la visibilité du contenu d’un utilisateur sans l’en informer (« shadow banning ») (Martin 2021).

Même si des plaintes concernant la censure et la discréditation de scientifiques avaient existé avant la pandémie (Elisha et al. 2021, 2022 ; Martin 2015), une caractéristique de l’ère Covid est le rôle prépondérant joué par les entreprises de technologie de l’information telles que Facebook et Google (Martin 2021). Un exemple frappant a été le déclassement du site Web de la Déclaration de Great Barrington par Google (Myers 2020).  La Déclaration, menée par trois épidémiologistes des universités de Harvard, Stanford et Oxford, a été publiée en octobre 2020 (Kulldorff et al. 2020) et signée par de nombreux scientifiques et médecins de renom, dont le lauréat du prix Nobel Michael Levitt. La Déclaration plaidait contre les confinements pour appeler en retour à se concentrer sur la protection des groupes réellement vulnérables. Toutefois, pour réduire sa visibilité, Google a modifié son algorithme de recherche (Myers 2020). En février 2021, Facebook a supprimé une page mise en place par un groupe de scientifiques impliqués dans la déclaration (Rankovic 2021). En avril 2021, YouTube a supprimé l’enregistrement d’une audience publique officielle sur la pandémie à laquelle participaient le gouverneur de Floride Ron DeSantis et les auteurs de la déclaration de Great Barrington.  L’un d’eux, le professeur Kulldorff, qui est l’un des épidémiologistes et experts en maladies infectieuses les plus cités au monde, a lui-même été censuré par Twitter en mars 2021 (Sarkissian 2021). Bien que son tweet affirmant que tout le monde n’a pas besoin d’un vaccin anti-Covid n’ait pas été retiré, il a été averti et les utilisateurs n’ont pas pu approuver ou retweeter le message (Tucker 2021).

Les cas similaires sont nombreux. Par exemple, le site de recherche et de réseautage ResearchGate a supprimé l’article du physicien Denis Rancourt sur les masques (Rancourt 2020) et, en 2021, il l’a complètement banni (Jones 2021).  En juillet 2021, LinkedIn a suspendu le compte du Dr Robert Malone, un virologue et immunologiste de renommée internationale, une action répétée par Twitter en décembre 2021 (Pandolfo 2021). Ce ne sont là que quelques-uns des nombreux exemples de censure liés à Covid.

Une autre caractéristique nouvelle de la censure liée à Covid est ses cibles. Bon nombre des médecins et des chercheurs censurés par les plus grandes entreprises technologiques mondiales ne sont pas des personnalités marginales. Comme dans les exemples ci-dessus, il s’agit de scientifiques classiques, dont beaucoup sont des experts de premier plan travaillant dans des universités et/ou des hôpitaux prestigieux, et dont certains ont écrit des livres et publié des dizaines, voire des centaines d’articles, et dont les études ont été largement citées. Certains d’entre eux sont rédacteurs de revues scientifiques/médicales et d’autres sont à la tête de services médicaux ou de cliniques.

Cette lourde censure s’est faite avec l’encouragement des gouvernements (Bose 2021 ; O’Neill 2021), qui ont coopéré avec des entreprises technologiques telles que Facebook, Twitter et Google. Par exemple, le 7 mars 2022, le chirurgien général américain Vivek Murthy a demandé aux entreprises technologiques de signaler au gouvernement fédéral les « fausses informations sur la santé » et d’intensifier leurs efforts pour les supprimer (Pavlich 2022). Par la suite, des courriels publiés dans le cadre de procédures judiciaires ont documenté la manière dont les responsables gouvernementaux ont directement coordonné avec des entreprises technologiques comme Twitter et Facebook pour censurer des médecins, des scientifiques et des journalistes (Lungariello et Chamberlain 2022 ; Ramaswamy et Rubenfeld 2022). En décembre 2021, un courriel datant de l’automne 2020 a été publié via une demande de la loi sur la liberté d’information (FOIA). Il révélait un effort en coulisses de Francis Collins, alors directeur des National Institutes of Health (NIH), à son collègue Anthony Fauci, directeur du NIAID, pour discréditer la déclaration de Great Barrington et dénigrer ses auteurs.  Dans ce courriel, M. Collins a déclaré à M. Fauci que « cette proposition des trois épidémiologistes marginaux (…) semble faire l’objet d’une grande attention », ajoutant qu’« il faut publier un démantèlement rapide et dévastateur de ses prémisses. Je ne vois rien de tel en ligne pour l’instant – est-ce en cours ? » (Wall Street Journal 2021).

Des pratiques de censure ont également été utilisées par le ministère israélien de la santé (IMOH) et les médias contre les médecins et les chercheurs dont les opinions vont à l’encontre de l’orthodoxie institutionnelle. L’un de ces exemples est celui du Conseil public israélien d’urgence pour la crise du Covid. Cette organisation, composée de médecins et de scientifiques de premier plan, a été prise pour cible par l’IMOH et les médias à de nombreuses reprises, y compris sous forme d’attaques individuelles contre des membres de l’organisation (Reisfeld 2021).

Le retour de la censure

Cette censure et cette exclusion des opinions des experts dissidents se constatent dans de nombreux autres domaines controversés de la science et de la médecine, comme le sida, les études environnementales, la fluoration et la vaccination (Delborne 2016 ; Elisha et al. 2021, 2022 ; Kuehn 2004 ; Martin 1991, 1999 ; Vernon 2017). En fait, la censure a une longue histoire, et son but est de supprimer la liberté de parole, les publications et d’autres formes d’expression d’idées et de positions perçues comme une menace pour des organismes puissants tels que les gouvernements et les grandes entreprises.

La censure d’opinions et de points de vue opposés ou alternatifs peut être préjudiciable au public (Elisha et al. 2022), en particulier lors de situations de crise et d’incertitude telles que les épidémies, car elle peut conduire à ignorer des points de vue, des informations et des preuves scientifiques importants. En outre, le déni ou la réduction au silence des opinions contraires peut susciter la méfiance du public (Gesser-Edelsburg et ShirRaz 2016 ; Wynne 2001). Des études ont indiqué que dans des situations de risque, en particulier de risque impliquant une incertitude, le public préfère une transparence totale de l’information, y compris des points de vue différents, et que le fait de la fournir ne soulève pas de réactions négatives en termes de comportement, mais contribue plutôt à réduire les sentiments négatifs et à accroître le respect du public pour l’agence d’évaluation des risques (De Vocht et al. 2014 ; Lofstedt 2006 ; Slovic 1994). Comme le prévient Wynne (2001), les tentatives de la science institutionnelle d’exagérer son contrôle intellectuel et d’utiliser les connaissances pour justifier les engagements politiques, tout en ignorant ses limites, ne font qu’aliéner le public et accroître la méfiance.

En outre, la censure peut être contre-productive, se retourner contre elle, car elle peut conduire à accorder une plus grande attention à l’information censurée, susciter de la sympathie pour ceux qui sont censurés et promouvoir la méfiance du public envers les acteurs et les agences engagés dans la censure (Jansen et Martin 2003, 2004, 2015). Ce phénomène est particulièrement évident à l’ère d’internet. Si les entreprises de technologies de l’information telles que Google et Facebook jouent un rôle de premier plan dans cette censure (Martin 2021), il s’agit pour elles d’un sérieux défi à relever pour y parvenir complètement. La visibilité des voix discordantes dans les médias et dans les résultats de recherche sur Internet peut être réduite, mais il existe trop d’options de communication alternatives pour empêcher les dissidents de communiquer leurs positions (Cialdini 2016). Par conséquent, les tentatives de faire taire et de censurer les critiques peuvent parfois se retourner contre leurs auteurs.

Compte tenu de l’ampleur de la censure signalée pendant l’ère du Covid-19, ainsi que de l’implication importante des entreprises technologiques, d’une part, et des gouvernements, d’autre part, il est important d’étudier ce phénomène. La présente étude a pour but d’explorer les perceptions subjectives de médecins et de scientifiques reconnus et compétents qui ont été victimes de censure et/ou de suppression après avoir exprimé des positions non orthodoxes concernant la gestion de la pandémie, et la façon dont ils ont réagi. Par le biais d’entretiens, nous examinons les tactiques de censure utilisées par l’establishment médical et les médias (grand public et sociaux), ainsi que les contre-tactiques employées par leurs cibles. Il s’agit donc d’une étude qualitative (Aspers 2004), qui vise à identifier les perceptions internes du point de vue de ceux qui ont vécu le phénomène en question.

Participants

Les participants à l’étude sont 13 médecins et scientifiques reconnus (12 hommes et 1 femme), originaires de différents pays du monde (Australie, Canada, République tchèque, Allemagne, Israël, Royaume-Uni et États-Unis). Parmi eux, 11 ont une formation médicale dans divers domaines (par exemple, épidémiologie, radiologie, oncologie, cardiologie, pédiatrie, gynécologie, gestion des urgences) et deux sont des chercheurs scientifiques d’autres disciplines (gestion des risques et psychologie). Tous les participants sont titulaires d’un diplôme de médecine ou d’un doctorat, et quatre sont titulaires des deux. La plupart d’entre eux sont bien connus dans leur domaine, avec une expérience de recherche avérée qui comprend de nombreuses publications universitaires.

Nous avons utilisé une méthode d’échantillonnage volontaire, c’est-à-dire un échantillonnage non probabiliste selon lequel une sélection délibérée est effectuée parmi les personnes susceptibles de nous apprendre quelque chose sur le phénomène étudié (Creswell 2012). Afin de préserver l’anonymat des répondants, les détails qui pourraient conduire à leur identification sont omis.

Outil et procédure de recherche

L’étude est basée sur des entretiens approfondis utilisant un guide d’entretien semi-directif. Les questions portaient sur la position des répondants à l’égard du Covid, les événements qu’ils ont vécus en raison de leur position, les implications de ces événements sur leur vie professionnelle et personnelle, et leurs réponses à ces événements.

Le recrutement s’est fait de plusieurs manières. Tout d’abord, grâce à une recherche sur Google, nous avons trouvé les coordonnées de médecins et de chercheurs connus pour leurs positions critiques à l’égard des mesures et des politiques de lutte contre la pandémie. Ensuite, nous avons utilisé la méthode de la « boule de neige » pour atteindre d’autres répondants. Le premier contact avec les répondants s’est fait par e-mail, dans lequel nous avons expliqué l’objectif de l’étude et demandé leur consentement pour être interviewés de manière anonyme. Les entretiens ont été menés par Skype, Zoom ou téléphone, et ont duré environ une heure et demie en moyenne. Chaque personne interrogée a été invitée à signer un formulaire de consentement éclairé. Les entretiens ont été enregistrés et transcrits.

L’analyse et le codage des données ont été basés sur l’identification des questions clés qui ont émergé des entretiens, tout en les classant et en les regroupant dans des catégories significatives. Nous avons assuré la fiabilité et la validité de l’étude en appliquant différentes méthodes. L’analyse des données a été discutée par chacun d’entre nous en tant que groupe de pairs experts, et différentes sources de données ont servi à trianguler les données (par exemple, les documents et la correspondance qui nous ont été fournis par les personnes interrogées). Les citations dans le texte sont fournies à titre d’illustration (Creswell 2012).

Réduire au silence la dissidence : tactiques de censure et d’invisibilisation

Les tactiques de censure et de discréditation décrites par nos répondants comprennent l’exclusion, l’étiquetage désobligeant, les commentaires hostiles et les déclarations menaçantes par les médias, tant grand public que sociaux ; le licenciement par les employeurs des répondants ; les enquêtes officielles ; la révocation des licences médicales ; les poursuites judiciaires ; et la rétractation des articles scientifiques après publication.

Exclusion

Les personnes interrogées ont rapporté comment, à un stade très précoce de l’épidémie, alors qu’elles commençaient tout juste à exprimer des critiques ou leur position différente, elles ont été surprises de découvrir que les grands médias, qui les avaient jusqu’alors considérées comme des personnes souhaitables à interviewer, ont cessé de les interviewer et d’accepter leurs articles d’opinion.

« Ni X ni Y [deux journaux centraux dans le pays de la personne interrogée] n’ont voulu publier mes articles.  Sans véritable explication.  Ils ont simplement cessé de recevoir des articles. C’était assez flagrant, ils ont cessé d’accepter des articles exprimant une opinion différente de celle du ministère de la santé (MOH). Le nombre de journalistes à qui l’on peut vraiment parler, qui sont prêts à écouter une autre opinion, à publier, a été fortement réduit, et la plupart des journalistes de santé d’aujourd’hui sont très partiaux envers le MOH » (#10).

Dénigrement

Les personnes interrogées ont indiqué que l’exclusion n’était que la première étape. Peu de temps après, elles ont commencé à faire l’objet de diffamation de la part des médias, et à être dénigrées en tant qu’« anti-vax », « négateurs du Covid », « diffuseurs de dis/mésinformation » et/ou « théoriciens du complot » :

« Après la publication de ce rapport (…), j’étais à la Une du Sunday Times. On disait que X [le nom du répondant], professeur à A [l’institution dans laquelle travaille ce répondant], est co-auteur du rapport anti-vax (…). On me disait que j’étais anti-vaccin » (#9). « J’ai été vilipendé (…), on m’a traité de charlatan, d’anti-vax et de négationniste du Covid, de théoricien de la conspiration » (#13).

Recruter des « tierces parties » pour aider à la discréditation

Selon nos répondants, l’une des principales tactiques utilisées par les médias pour les discréditer consiste à faire appel à des « sources tierces » apparemment indépendantes, telles que d’autres médecins, pour les affaiblir, par exemple en écrivant des articles diffamatoires :

« J’ai été choqué par ce qui est sorti le lendemain dans le Wall Street Journal (…). Nous avions donc trois des médecins les plus expérimentés avec des centaines et des centaines de publications et une crédibilité scientifique à notre actif et un grand média a permis à un jeune médecin de publier un article diffamatoire alors qu’il n’avait aucun statut académique ou antécédent » (#6).

Une autre source « tierce partie » utilisée par les médias, selon nos répondants, était les organisations de « vérification des faits » (fact-checking), une pratique qui vise ostensiblement à vérifier les informations publiées afin de promouvoir la véracité des reportages. Cependant, certains répondants ont allégué que ces groupes de « vérificateurs des faits » étaient recrutés et gérés par des entreprises ou d’autres parties prenantes afin de les discréditer et d’essayer de discréditer les informations qu’ils présentent :

« les vérificateurs de faits sont une source de désinformation, donc bien qu’ils puissent examiner quelque chose et dire ‘le Dr X a dit quelque chose’, ils font une contre-attaque. Les contre-affirmations ne sont jamais citées dans les données (…) elles remontent toutes aux fabricants de vaccins ou aux parties prenantes des vaccins » (#6). « Les vérificateurs de faits (…) ont essayé de discréditer S, mais aussi, parce que j’étais co-auteur, ils s’en sont pris à moi » (#4).

Certains répondants ont déclaré que les médias les ont persécutés au point de noircir leur nom sur leur lieu de travail, ce qui a entraîné leur licenciement, ou qu’ils ont été contraints de démissionner :

« J’ai perdu mon emploi, je travaillais depuis 20 ans à X [nom de l’institution]. Et donc, les médias ont commencé à venir à X, il y a eu un effort concerté pour ruiner ma réputation, même si, c’est incroyable, ils avaient le taux de mortalité le plus bas du monde en gros, et le médecin qui leur a apporté ça, est vilipendé et calomnié. Donc, je suis parti de mon propre chef… Ma réputation a été calomniée. Je veux témoigner sur le niveau de traitement auquel je ne m’attendais pas et ces abus » (#1).

Censure en ligne

Certains répondants ont déclaré avoir été censurés sur les réseaux de médias sociaux (par exemple, Facebook, Twitter, TikTok, YouTube, Google, LinkedIn), et ont dit que certains de leurs posts, tweets, vidéos ou même comptes ont été retirés par les réseaux.

« Mes vidéos YouTube étaient retirées. Facebook m’a mis en prison, « Facebook Jail ». Et je me suis rendu compte que j’étais dé-plateformé partout » (#1). « J’ai toujours eu des vidéos, juste mon matériel d’enseignement que je mettais sur YouTube, mais j’ai aussi commencé à mettre du matériel autour de ça, juste pour parler de certaines recherches, regarder les données sur l’efficacité des vaccins (…) et YouTube a commencé à les retirer.  Et donc maintenant je ne peux pas poster, je ne peux même pas mentionner les vaccins, parce qu’en quelques secondes, dès que j’essaie de télécharger la vidéo, YouTube dit que cette vidéo va à l’encontre de nos directives » (#3). « J’ai été banni de TikTok. D’un seul coup, j’ai été banni de façon permanente parce que j’ai vraisemblablement commis une violation de la communauté » (#2). « J’en suis à mon sixième compte twitter. Le dernier a été fermé soi-disant pour un tweet sur le laboratoire de X [le nom du laboratoire], mais il était à venir. J’ai hérissé trop de poils (#2).

Comme on peut le voir dans les exemples ci-dessus, les répondants ont indiqué que le retrait de leurs documents des réseaux sociaux s’accompagnait d’un avis affirmant qu’ils avaient violé les « règles de la communauté ». Ils ont insisté sur le fait qu’il s’agissait de documents universitaires, étayés scientifiquement :

« J’ai appris qu’une vidéo universitaire sur YouTube que j’avais réalisée au sujet de l’article publié dans la revue XXX avait été retirée par YouTube, et j’ai reçu un avis indiquant qu’elle avait enfreint les conditions de la communauté YouTube, sans jamais avoir reçu de conditions d’utilisation de YouTube qui expliqueraient quels types de conditions s’appliqueraient à une vidéo scientifique de quatre diapositives PowerPoint » (#6).

L’une des personnes interrogées a fait état d’une censure même dans Google Docs, ce qui signifie que même les communications privées sont censurées :

« Google Docs a commencé à restreindre et à censurer ma capacité à partager des documents. Ce n’est pas Twitter qui me jette comme il l’a fait. C’est une organisation qui me dit que je ne peux pas envoyer une communication privée à un collègue, à un ami ou à un membre de ma famille » (#1).

Censure et répression par l’establishment médical et universitaire

Certaines des personnes interrogées ont déclaré avoir été victimes de diffamation de la part de leur propre institution, avec l’intention apparente de nuire à leur réputation et à leur carrière. Par exemple :

« dans [mon pays], nous avons environ 55 000 médecins. Mon nom est apparu sur le site officiel du ministère de la Santé, prétendant que je suis la seule personne, le seul médecin, qui propage de la désinformation » (#12). « Il y a eu un effort concerté pour ruiner ma réputation même si, c’est incroyable, ils [l’hôpital où je travaille] avaient le taux de mortalité le plus bas du monde » (#1).

Certains participants ont également déclaré avoir reçu un message clair de la part de l’institution où ils travaillaient, selon lequel ils n’étaient pas autorisés à s’identifier à l’institution lorsqu’ils donnaient une interview ou un témoignage ou qu’ils exprimaient leurs opinions – dans certains cas, il s’agissait d’une condition de renouvellement de leur contrat.

« J’ai donné le témoignage de X (un certain traitement), et c’est en quelque sorte devenu viral. Et l’hôpital n’était pas content parce que mon affiliation était apparue. Ils m’ont proposé un nouveau contrat. Ils ont dit ‘nous avons de nouvelles conditions pour vous’, parce que mon ancien contrat n’était pas restreint. Le nouveau contrat comportait sept ou huit restrictions de mes droits au premier amendement, en gros je ne pouvais pas parler à la presse, je ne pouvais pas parler en public, sauf si je disais que ce sont mes opinions et non celles de mon employeur. C’était une conversation relativement courte. J’ai dit que cela n’arriverait jamais, que je ne signerais jamais cette chose, et nous nous sommes dit au revoir » (#9).

Dans certains cas, les répondants ont rapporté qu’à la suite d’une position ou d’une critique qu’ils ont exprimée, ils ont été renvoyés de leur établissement, ou ont été informés que leur contrat ne serait pas renouvelé.

« On m’a dit que mon contrat [à la clinique médicale] n’allait pas être renouvelé. Il y a toute une série de listes de contrôle pour que le contrat ne soit pas renouvelé, il doit y avoir une procédure régulière, et la première alerte est qu’il n’y a pas eu de procédure régulière. J’ai demandé précisément s’il y avait eu un vote du conseil d’administration et la réponse a été non, et j’ai demandé pourquoi cette action a été prise, et leur réponse a été ‘aucune raison’. [Plus tard] j’ai reçu une lettre de l’Université [X] disant que j’avais été privé de mon poste de professeur, sans procédure régulière, sans sénat de la faculté, rien. Ensuite, j’ai reçu une lettre de l’Université [Y], encore une fois sans procédure régulière, sans réunion de la faculté, sans explication » (#6).

De même, les répondants ont dit avoir été sommairement congédiés ou disqualifiés de postes prestigieux, comme la participation à des comités scientifiques ou de santé de premier plan, ou la rédaction de revues médicales, sans procédure régulière ni transparence :

« Le directeur général du ministère de [X] m’a approché et m’a dit que le ministre avait conclu un accord avec le ministère de la Santé, qu’il mettait un représentant au comité du panel [de médicaments sur ordonnance], et elle a dit que tous m’avaient pointé du doigt. Puis, après une semaine, elle m’a téléphoné et m’a dit : « Écoutez, votre nom a déjà été transmis au comité du panel de médicaments à la demande du ministre, et il a été disqualifié sans équivoque parce que vous vous opposez aux vaccinations [COVID] chez les enfants ». J’ai été choqué. Jusqu’alors, les réponses que je recevais venaient d’en bas. Voici une réponse du haut de l’échelle » (n° 11). « Il y a eu toute une série de mesures prises, encore une fois sans procédure régulière et sans explication. J’ai reçu un avis de [l’association médicale] m’informant que j’étais démis d’un poste au sein d’un comité. J’ai reçu une lettre d’une revue dont j’étais le rédacteur en chef, qui m’a retiré la rédaction, encore une fois sans procédure régulière, sans appels téléphoniques, sans explication traçable. J’ai reçu une lettre des National Institutes of Health me privant d’un poste au sein d’un comité de longue date, dont je faisais partie depuis plusieurs décennies et dont on m’a retiré le poste, là encore sans appel téléphonique, sans procédure régulière, sans explication » (n° 6).

Dans un cas, le répondant avait appris que l’équivalent dans son pays des Centers for Disease Control (CDC) était intervenu et avait demandé à l’université d’« examiner son cas » :

« le président de mon université m’a invité à parler de la crise. Lors de cette réunion, j’ai été informé que [l’autorité sanitaire équivalente au CDC dans le pays des personnes interrogées] avait écrit une lettre au président, lui demandant d’examiner mon cas parce que, selon la lettre ministérielle, je rendais publiques des choses méthodologiquement discutables. Selon le président, l’université n’a jamais reçu de demandes similaires auparavant » (#12).

Certaines des personnes interrogées ont déclaré que l’établissement de santé n’avait pas seulement terni leur réputation et pris de graves mesures à leur encontre, mais qu’il avait également coopéré avec les médias et veillé à diffuser l’information sur ces mesures par leur intermédiaire :

« Vous savez, le communiqué de presse est sorti, je suis un médecin éminent aux États-Unis, donc, en fait, je crois que le système de santé a rédigé un communiqué de presse disant qu’ils me poursuivaient en justice, et donc le sujet a été abordé [pendant l’interview avec la presse], « donc vous êtes poursuivi en justice, et quelle est votre réaction ? » » (#6).

Enquêtes officielles

Certains médecins ont fait état d’enquêtes officielles lancées à leur encontre, telles que des enquêtes ou des menaces de retrait de leur licence médicale :

« ma licence a fait l’objet d’une enquête. À ce moment-là, j’avais l’impression que la commission médicale était militarisée. Ma licence a fini par faire l’objet d’une enquête. Trois fois maintenant, et à chaque fois sans aucune sanction ou réprimande ou quoi que ce soit. Mais cela montre simplement qu’il est très facile de se faire censurer ou annuler » (#2). « Suite à un post que j’ai écrit sur les événements indésirables, j’ai reçu une lettre du comité de X [nom du comité]. Ils m’ont prétendument demandé les coordonnées de ces patients (les patients dont l’interviewé a signalé les effets indésirables dans son billet), mais s’il s’agissait d’un véritable souhait de leur part, ce n’est pas ce comité, qui s’occupe en fait de Y [la définition des activités du comité] qui m’aurait demandé les coordonnées, mais un véritable fonctionnaire du ministère de la Santé. Je leur ai répondu par l’intermédiaire de A [mon avocat], une réponse plus juridique et moins médicale. Il s’agit essentiellement d’un comité sans pouvoir. Je ne pense même pas avoir le droit de leur transmettre les noms des patients » (#2).

L’un des répondants rapporte qu’un procès d’un million de dollars a été intenté contre lui :

« Et puis ma femme m’appelle et me dit que le système de santé nous poursuit pour plus d’un million de dollars, alors je viens de réunir des équipes d’avocats et de les envoyer au tribunal. L’accusation est que je viole les termes de mon accord de séparation, spécifiquement que le système de santé est impliqué dans mes présentations médiatiques, et je n’ai jamais fait aucune déclaration [de ce genre] » (#6).

Un autre répondant fait état d’une perquisition policière effectuée dans sa clinique privée, à son domicile :

« Le [conseil médical] s’est présenté à l’improviste un jour sans mandat pour fouiller ma maison, qui était répertoriée dans leurs dossiers comme étant mon bureau, afin de procéder à une inspection du bureau médical, ce qui ne nécessite pas de mandat [dans mon pays] » (#7).

Rétractation d’articles scientifiques

Certains chercheurs et médecins ont raconté comment leurs recherches avaient été rétractées par la revue après leur publication :

« Cinq jours avant la réunion pédiatrique de la FDA sur la vaccination, [la maison d’édition] retire l’article de la National Library of Medicine et dit qu’elle le rétracte. L’explication, qu’ils nous donnent quelques jours plus tard, c’est qu’ils pensent qu’ils n’ont pas invité l’article pour commencer. Et je peux vous dire, en tant qu’éditeur, que l’article a été clairement accueilli, et qu’il est passé par le processus standard d’examen par les pairs. Le seul motif pour retirer légalement un article de la National Library of Medicine est s’il est scientifiquement invalide, et ce n’était pas le cas » (#6). « Alors je l’ai soumis à X [nom de la revue] et bien, c’était un rejet de bureau. En fait, de mon point de vue, il n’y avait pas d’arguments solides. Je ne sais pas pourquoi il a été rejeté, et puis je l’ai soumis à plusieurs autres canaux, et finalement j’ai arrêté d’essayer de le publier dans la littérature scientifique. Il a été publié en tant que pré-print » (#8).

Un autre thème qui est apparu à plusieurs reprises au cours des entretiens est que les recherches critiques ont été traitées d’une manière que les personnes interrogées n’avaient jamais rencontrée auparavant dans leur carrière. Ainsi, des articles ont été rejetés par des revues (souvent à plusieurs reprises) sans examen par les pairs, le processus d’examen et de publication d’une revue a pris plusieurs mois de plus que la normale pour la revue, et même des articles ont été rejetés par des serveurs de préimpression tels que MedRXiv :

« Au début de la pandémie, nous obtenions beaucoup de publications. Cela ne remettait pas du tout en cause le récit orthodoxe. Et puis nous avons fait cette analyse sur [X] et quand cela s’est produit, oh mon Dieu, ils ont pété les plombs, nous avons été attaqués. Ce travail n’a jamais été publié. (…) Et c’est à ce moment-là que nos travaux ont commencé à être rejetés par arXiv et medRxiv… le seul endroit où nous pouvions faire publier ces travaux était sur ResearchGate » (#4).

Dans un cas, une personne interrogée a déclaré qu’elle se sentait tellement menacée par l’establishment médical qu’elle s’abstenait de mettre son nom sur les articles qu’elle avait cosignés avec d’autres chercheurs, et que ceux dont les noms apparaissent sur les articles essayaient de se cacher ou de rester sous le radar jusqu’à ce que l’article soit publié :

« Nous avons un article qui est prêt à être publié dans [une revue importante], et le groupe qui l’a publié se cache depuis un an. Maintenant, je ne peux pas être sur l’article, vous savez » (#5).

Contre-réaction : se défendre

Les personnes interrogées ont indiqué que leur première réaction aux attaques et à la censure a été le choc et la surprise. Pour la première fois de leur vie, elles se sont senties exclues de la communauté scientifique/médicale, attaquées par les médias et parfois par leurs employeurs, et/ou dénigrées comme des « théoriciens du complot » qui mettent en danger la santé publique. Pourtant, malgré la censure, les attaques personnelles et la diffamation, les licenciements, l’atteinte à la réputation et le prix économique, toutes les personnes interrogées ont néanmoins déclaré que rien de tout cela ne les dissuadait et qu’elles avaient décidé de se battre, en utilisant diverses contre-tactiques.

Premières réactions : Choc et surprise

« J’étais sans voix. Cela ne m’arrive pas à moi. Je n’imaginais pas. Toutes ces attaques étaient terriblement menaçantes pour moi. Il m’a fallu un mois pour me remettre de la compréhension que c’est le pays dans lequel nous vivons. J’étais en état de choc. J’étais surprise. Je pense que mon rythme cardiaque était de 200 par minute » (#11). « En tant que personne qui a fait partie intégrante du système [de santé] et qui connaît personnellement les détenteurs de rôles – le fossé que je ressens est très profond » (#1).

Les personnes interrogées ont déclaré qu’elles avaient le sentiment que les menaces, les licenciements et les attaques dont elles faisaient l’objet étaient en fait une tentative de les faire taire, simplement parce que leurs opinions ne correspondaient pas à celles dictées par les autorités :

« tout a été fait au départ pour supprimer ma voix, parce que j’étais le seul à crier » (#1).

Certains répondants ont ajouté qu’ils avaient l’impression que la censure et les attaques sans précédent qu’ils ont subies étaient particulièrement vicieuses parce que ceux qui les faisaient savaient qu’ils étaient appréciés et influents :

« ils essayaient en fait de me faire taire dans les médias. Il semble à première vue que ce procès était essentiellement une tentative de me censurer. Je suis un collaborateur fréquent de Fox News, je viens de témoigner au Sénat américain, mes conseils sont appréciés dans le monde entier, et je pense que c’était une tentative de clocher pour me censurer » (#6).

Déterminés à se battre

Nos répondants ont déclaré que la censure et la suppression qu’ils ont subies leur ont donné envie de se battre et de faire entendre leur voix davantage, au nom de la liberté d’expression et de leur souci de la santé publique.

« C’est une question intéressante de savoir ce que j’ai l’impression de payer. Parce que je pense qu’il y a des [coûts]. Le fait est que j’ai failli partir. Pourquoi suis-je resté ? Parce que je me suis rendu compte qu’il y avait un prix que je n’étais pas prêt à payer – qu’ils allaient me faire taire » (#11). « Pour moi, la question la plus importante est : pourquoi est-ce que je (continue) à faire cela ? Parce que si je ne vis pas en accord avec mes valeurs et la liberté d’expression, alors je ne vivrai pas » (n° 9).

Certains d’entre eux ont même fait remarquer que les attaques contre leur réputation les rendaient encore plus déterminés et désireux d’exposer les informations qui étaient censurées.

« En fait, cela me rend plus déterminé. Je suis un peu comme un pitbull. Alors, nous allons continuer à faire passer le message » (#2).

Certaines des personnes interrogées ont déclaré avoir décidé de prendre des mesures officielles ou juridiques contre les organisations qui les ont censurées :

« Je vais porter plainte pour rupture de contrat, puisque nous avions un contrat de publication et qu’ils l’ont signé et accepté. Ils vont être poursuivis pour interférence délictuelle car ils ont effectivement interféré avec l’activité de publication d’informations scientifiques valides. J’imagine que cela va être très préjudiciable et très médiatisé pour [l’éditeur] » (#6). « J’ai déposé une demande de liberté d’information auprès de toutes les entités qui m’ont dépouillé de divers titres et postes afin de commencer à découvrir ce qui stimule tout cela » (n° 2).

Les contre-réactions des personnes interrogées ont été exprimées de plusieurs manières : le désir de divulguer l’acte de censure et les informations censurées, qui, selon elles, sont fondées sur des preuves ; l’utilisation de canaux alternatifs afin de diffuser publiquement leurs positions et leurs points de vue sur le Covid ; la création de réseaux de soutien avec des collègues ; et le développement de systèmes alternatifs d’information médicale et sanitaire. En d’autres termes, ils ont créé une sorte de monde parallèle à l’establishment traditionnel.

Exposer la censure

Certaines personnes interrogées ont souligné qu’elles voulaient dénoncer la loi de censure elle-même. Par exemple :

« J’ai pris contact avec quelques personnes puissantes, et elles m’ont orienté vers le Media Resource Centre à Washington, qui est une organisation à but non lucratif pour lutter contre la censure. Je leur ai raconté ce qui s’était passé. Et ils ont déjà rédigé un article à ce sujet. Cet article est en train d’être publié sur différents sites. J’ai fait une interview sur One American News Network. Je l’ai en quelque sorte fait connaître au monde entier » (#1).

Utilisation de canaux alternatifs

Les répondants ont indiqué que, lorsqu’ils ont compris qu’ils étaient censurés par les grands médias, ils ont décidé d’utiliser des canaux alternatifs, tels que les plateformes de médias sociaux, pour diffuser leur position et des informations contraires et exprimer leurs opinions en public : « Heureusement, je me suis constitué un petit nombre de followers sur Twitter… 34 000 ou quelque chose comme ça, alors vous pouvez faire passer le message » (#4).

Certaines des personnes interrogées ont déclaré que pour se protéger, elles ont été contraintes d’ouvrir des comptes télégrammes « secrets » ou des comptes Twitter anonymes. Bien qu’ils expriment leur frustration, ils continuent à le faire afin de diffuser des informations. Par exemple, un participant a fait remarquer qu’il est absurde que les scientifiques doivent tenir des comptes télégrammes secrets pour que le gouvernement ne leur retire pas leur licence ou ne porte pas atteinte à leur réputation (#5).

Création de réseaux de soutien social

Certaines personnes interrogées ont révélé qu’elles avaient créé des réseaux de soutien composés de collègues scientifiques, de médecins, d’avocats et de politiciens ayant des vues et des opinions similaires. Ces réseaux ont été utilisés non seulement pour échanger des informations, mais aussi pour recevoir le soutien et l’empathie d’« étrangers » comme eux, pour se faire de nouveaux amis et créer une nouvelle communauté :

« c’est vraiment agréable de se faire un réseau entier et croissant d’amis dans la vie, qui connaissent aussi ces vérités. J’ai l’impression de créer une nouvelle communauté avec de nouveaux amis à qui je peux parler, qui comprennent le monde, qui comprennent la corruption et qui peuvent vraiment s’y retrouver dans tout ça. Donc, en même temps que je me suis réveillé avec une toute nouvelle collection de collègues et d’amis, mais beaucoup d’entre nous sont en dehors de la science » (#9). « Et puis quelques collègues se sont joints à nous. Et tout d’un coup, j’avais des poids lourds, des leaders universitaires qui défendaient mon travail » (#1).

Développer des systèmes alternatifs d’information médicale et sanitaire

Au-delà de leurs activités de diffusion d’informations et de données, certaines des personnes interrogées ont indiqué qu’elles travaillaient à l’établissement de nouvelles plates-formes et organisations alternatives dédiées au développement et à la fourniture d’informations sur la santé et les traitements médicaux – y compris de nouvelles revues et organisations à but non lucratif, au lieu de celles qui existent déjà et qui, selon elles, ont échoué et déçu. Elles l’expliquent comme un moyen de faire face à la censure et à la suppression qu’ils ont subies en raison de leurs positions opposées, ce qui leur donne un sentiment d’espoir et l’impression de construire « un nouveau monde » :

« J’ai une nouvelle chose dans la vie. N et moi, nous avons créé l’organisation X, dont la seule mission est d’essayer de comprendre et d’aider les gens à traiter le Covid. Et je pense que nous avons rendu un vrai service au monde » (#9). « On parle de plus en plus de lancer un journal. Tess Lawrie a créé le Conseil mondial de la santé. On parle de plus en plus de créer un nouveau système de santé. Par exemple, les gens veulent aller dans des hôpitaux où les médecins peuvent être des médecins et pas l’autre rôle de toutes ces réglementations et agences corrompues, alors vous savez, il y a peut-être un nouveau monde qui va se former » (#4).

Discussion

Nos résultats font écho aux arguments avancés dans des études antérieures sur la suppression de la dissidence dans des domaines controversés tels que la vaccination (Elisha et al. 2021, 2022 ; Cernic 2018 ; DeLong 2012 ; Gatto et al. 2013 ; Martin 2015 ; Vernon 2017), le sida, les études environnementales et la fluoration (par exemple, Delborne 2016 ; Kuehn 2004 ; Martin 1981, 1991, 1999). À l’instar de ces études, les résultats de notre recherche indiquent une implication significative des médias et de l’establishment médical dans la censure et la suppression des dissidents. Cependant, il existe trois différences principales.

Premièrement, lorsqu’il s’agit de connaissances liées au Covid, les tactiques de censure utilisées contre les dissidents sont extrêmes et sans précédent dans leur intensité et leur étendue, les journaux scientifiques et les institutions académiques et médicales prenant une part active et impliquée dans la censure des voix critiques. En fait, comme l’indique l’un de nos répondants, même les serveurs de préimpression et les sites de réseaux sociaux universitaires censurent les articles scientifiques qui ne s’alignent pas sur le discours dominant, et cela semble être une tendance croissante. Un exemple récent est un rapport d’étude de Verkerk et al. (2022), qui a analysé une enquête sur plus de 300 000 personnes dans 175 pays qui avaient choisi de ne pas recevoir les vaccins Covid-19, qui a été retiré de ResearchGate.net après 9 jours, citant une violation de leurs termes et conditions (Conseil mondial de la santé 2022).  En outre, ce que nos répondants décrivent va bien au-delà de la censure, et comprend un large éventail de méthodes de suppression visant à détruire leur réputation et leur carrière, uniquement parce qu’ils ont osé adopter une position différente de celle dictée par l’establishment médical.

Deuxièmement, si les études précédentes ont également fait état de cas isolés où des chercheurs et des médecins aux CV irréprochables, voire au statut d’universitaire ou de médecin de haut rang, ont été censurés s’ils osaient exprimer des opinions dissidentes, la présente étude montre que dans le cas du Covid, la censure de médecins et de chercheurs de cette stature est devenue un phénomène régulier. Les participants à notre étude, ainsi que ceux mentionnés dans l’introduction et beaucoup d’autres non inclus dans notre échantillon, ne sont pas des scientifiques marginaux. La plupart d’entre eux sont des figures de proue : des chercheurs et des médecins qui, avant l’ère Covid-19, avaient un statut respectable, avec de nombreuses publications dans la littérature scientifique, certains d’entre eux ayant des livres et des centaines de publications, certains dirigeant des départements universitaires ou médicaux, certains étant rédacteurs en chef de revues médicales, et certains ayant remporté des prix importants. Néanmoins, comme le montrent nos résultats, ils n’ont pas été protégés de la censure, ni de la campagne de suppression et de diffamation lancée contre eux. Le message est que personne n’est à l’abri de la censure et qu’aucun statut universitaire ou médical, aussi élevé soit-il, ne constitue un bouclier garanti contre elle.

La troisième différence importante relevée dans notre étude est le rôle significatif joué par les organisations médiatiques pendant la pandémie de Covid, et en particulier par les sociétés d’information technologique, dans la censure des positions contraires. D’un point de vue pratique, ceux qui détiennent le pouvoir ont une plus grande capacité et de plus grandes possibilités de contrôler la connaissance et la diffusion de l’information, et par là, de fixer et de contrôler l’agenda. Bien que nos résultats ne montrent pas la direction de la relation entre ces détenteurs d’intérêts, ils peuvent indiquer des collaborations entre l’establishment médical et ces sociétés.

Des documents récemment publiés dans le cadre d’affaires judiciaires indiquent qu’au moins une partie de cette censure est orchestrée par des représentants du gouvernement (Lungariello et Chamberlain 2022 ; Ramaswamy et Rubenfeld 2022). Nos résultats pointent aussi indirectement vers d’autres parties prenantes impliquées dans le phénomène de censure évident dans la crise actuelle, notamment les entreprises pharmaceutiques. Bien que notre étude se soit penchée sur les perceptions subjectives des personnes visées par la censure plutôt que sur l’implication des parties prenantes et d’autres parties intéressées, les rapports de nos répondants font écho aux conclusions d’autres études, menées avant l’ère Covid-19 (Ravelli 2015) et plus récemment (Mucchielli 2020), qui indiquent l’implication importante des sociétés pharmaceutiques et informatiques dans la réduction au silence des informations et des études qui peuvent leur être défavorables. Étant donné le rôle central de ces entreprises aux côtés des décideurs des autorités sanitaires et des gouvernements dans le monde, il est très préoccupant de constater que des intérêts substantiels, notamment financiers et politiques, ainsi que des intérêts liés à la réputation et à la carrière, peuvent se cacher derrière les efforts de suppression.  L’intérêt des sociétés pharmaceutiques à contrôler le discours sur le Covid-19 est évident. Par exemple, comme l’ont indiqué certains de nos participants, l’une des principales controverses non résolues concernant Covid-19 est liée au traitement précoce avec des médicaments réadaptés, et il a été affirmé que des mesures très inhabituelles ont été prises pour empêcher les médecins de les utiliser (Physicians’ Declaration 2021). Comme le note Cáceres (2022), cette prétendue fin injustifiée de ce débat initial peut avoir eu d’énormes conséquences économiques (par exemple, le feu vert donné aux vaccins et aux nouveaux médicaments dans le cadre d’une autorisation d’utilisation en urgence), financières (par exemple, des gains énormes pour les plus grandes entreprises) et politiques (par exemple, des restrictions mondiales des libertés individuelles).

Les sociétés d’information technologique ont également tout intérêt à contrôler le discours concernant la pandémie de Covid-19.  Par exemple, en juin 2021, il a été révélé que Google, qui a été accusé de faire taire la théorie de la fuite du virus SRAS-CoV-2 de l’Institut de virologie de Wuhan, a financé des recherches sur le virus menées par un scientifique lié à Wuhan, Peter Daszak, par le biais de sa branche caritative, Google.org, pendant plus de dix ans. Google a également investi un million de dollars dans une entreprise qui fait appel à des épidémiologistes et à des analyses de données massives pour prévoir et suivre les épidémies.

Le British Medical Journal a révélé que le processus de « vérification des faits » de Facebook et YouTube repose sur des partenariats avec des vérificateurs de faits tiers, réunis sous l’égide de l’International Fact-Checking Network (Clarke 2021). Cette organisation est dirigée par le Poynter Institute for Media Studies, une école de journalisme à but non lucratif dont les principaux soutiens financiers sont Google et Facebook.

En ce qui concerne les intérêts personnels des décideurs politiques, un groupe de surveillance du gouvernement américain a exigé des données clés sur l’histoire financière et professionnelle du Dr Anthony Fauci, affirmant que « Pendant la pandémie, le Dr Fauci a largement profité de son emploi fédéral, de ses redevances, de ses avantages de voyage et de ses gains d’investissement », alors que son salaire pendant ces deux années n’a pas été rendu public, ni les actions et obligations qu’il a pu acheter et vendre en 2020 ou 2021, alors qu’il influençait les politiques du Covid, ni ce qu’il a reçu – ou pas – en redevances. Comme indiqué plus haut, une demande de FOIA aux États-Unis a révélé que Francis Collins, alors à la tête du NIH, avait demandé à Fauci de discréditer la Déclaration de Great Barrington et de dénigrer ses auteurs (Wilson 2021).  Roussel et Raoult (2020) ont trouvé des conflits d’intérêts similaires parmi les médecins français qui ont pris publiquement position contre l’utilisation de l’hydroxychloroquine.

La censure sape la confiance du public dans les autorités, surtout si les informations cachées et révélées par la suite auraient pu coûter des vies humaines, comme lors des pandémies qui mettent en jeu des maladies, des traitements et des vaccins (Gesser-Edelsburg et ShirRaz 2018). En outre, la censure et la manipulation de l’information sont incompatibles avec l’essence de la science, puisque la recherche scientifique exige un discours et un débat vigoureux. En effet, les chercheurs ont averti qu’au lieu d’être débattues, les controverses sur le Covid sont utilisées pour alimenter la polarisation, ce qui conduit souvent à la diabolisation et à la censure des perspectives alternatives et à l’imposition des points de vue dominants comme s’ils étaient la vérité absolue (Cáceres 2022 ; Marcon et Caulfield 2021).

Cáceres (2022) a affirmé que le fait que le débat ait été réduit au silence et que les positions alternatives aient été censurées constitue en fait un détournement de la « science normale » (Kuhn 1962), qui suppose que différentes explications et réponses aux faits d’intérêt scientifique émergent normalement et ont la possibilité d’être résolues dans le cadre d’un débat scientifique conventionnel. Selon Cáceres, un tel détournement de la praxis scientifique « normale » suggère que des influences « non scientifiques » sont à l’œuvre. Ce détournement est particulièrement préoccupant lorsque les voix réduites au silence sont celles d’un nombre croissant de scientifiques et de médecins éminents et renommés.  La volonté de censurer et de rejeter les opinions dissidentes en les qualifiant de « désinformation » présente des similitudes étroites avec le « travail sur les limites » de la science, qui consiste à maintenir le pouvoir et l’autorité de la science en délimitant certains domaines de recherche scientifique comme étant hors limites et en les discréditant comme étant essentiellement non scientifiques (Gieryn 1999 ; voir également Harambam 2014). Créer un faux consensus en censurant l’information et en empêchant les débats scientifiques peut conduire les scientifiques, et donc aussi les décideurs politiques, à se couler dans le paradigme dominant, les amenant à ignorer d’autres options plus efficaces pour faire face à la crise ou peut-être même la prévenir.  Un tel « consensus » conduit à une vision étroite du monde, qui nuit à la capacité du public à prendre des décisions éclairées et érode la confiance du public dans la science médicale et la santé publique (Cernic 2018 ; Delborne 2016 ; Martin 2014, 2015 ; Vernon 2017).

Des chercheurs ont déjà averti que la crise de COVID-19 confirme les préoccupations antérieures concernant les implications délétères de la censure (Cáceres 2022 ; Mucchielli 2020). Nous sommes d’accord avec l’affirmation de Cáceres selon laquelle la censure et le dogme sont étrangers à la vraie science et doivent être abandonnés et remplacés par une discussion ouverte et équitable.

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