02/04/2022 (2022-04-02)
[Source : tribunaldelinfaux.com]
Par Julie Lévesque
« Il est rare que des gens du même métier se trouvent réunis […] sans que la conversation finisse par quelque conspiration contre le public, ou par quelque machination pour faire hausser les prix. »
Adam Smith, père des sciences économiques, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations
« Cartel : Entente regroupant des entreprises ayant des activités proches en vue de maîtriser la concurrence. »
Le Petit Robert
« La plus grande malice du diable est de faire croire qu’il n’existe pas. »
Baudelaire
La crise politique covidienne a exalté le côté obscur, totalitaire des ordres professionnels, dont la raison d’être officielle est la protection du public.
Combien de professionnels québécois ont été réprimandés, sanctionnés ou ont perdu leur titre pour avoir osé questionner les mesures gouvernementales et critiqué la couverture médiatique, laquelle viole quotidiennement et sans vergogne les valeurs les plus fondamentales du journalisme depuis 2020 ?
Plus d’un, mais le premier était déjà de trop.
Au cours des deux dernières années, l’auteure de ces lignes a discuté avec de nombreux professionnels de différents domaines.
Un constat s’est imposé au fil des discussions : les ordres professionnels semblent davantage voués à la protection d’entités puissantes et influentes qu’à la protection du public. Leurs actions portent à croire qu’ils veulent plutôt protéger, d’une part, leur raison d’être, et de l’autre, des parts de marché pour les joueurs dominants.
L’anecdote classique ressemble à ce qui suit :
Le syndic débarque à l’improviste chez un professionnel indépendant – qui n’a reçu aucune plainte –, inspecte ses dossiers et accumule des déficiences insignifiantes pour fabriquer ce qui finit par ressembler à une grosse preuve. On l’oblige à passer des examens de compétences impossibles à réussir, on le limite et on exige qu’il retourne sur les bancs d’école six mois, puis un an, puis deux.
Ces petits joueurs, qui osent concurrencer les gros avec leurs biens et services souvent moins coûteux et d’aussi bonne, sinon de meilleure qualité, se retrouvent ainsi dans ce que certains qualifient de « couloir de la mort » et, lentement mais sûrement, ils sont exclus du marché au profit des gros.
« Il y a de la collusion », « les abus de pouvoir des ordres profitent à des genres de cartels », admettent des victimes du bout des lèvres, malgré la confidentialité des échanges.
Y a-t-il des conflits d’intérêts parmi les membres des conseils d’administration des ordres? « Sans doute », dit l’un. « C’est sûr », affirme un autre sans détour, citant l’exemple d’un président qui aurait fait modifier un règlement, légalisant ainsi une transaction commerciale qui lui aurait rapporté des millions.
« L’Inquisition »
Le harcèlement, l’intimidation et l’acharnement des syndics sont comparés à « l’Inquisition ». Ils mènent à l’épuisement professionnel et trop souvent au suicide.
« Ils n’ont pas de code de déontologie, personne ne les surveille. Ils peuvent faire ce qu’ils veulent, même s’ils n’ont pas les compétences pour le faire, » raconte une victime.
Les témoignages récoltés par l’auteure rejoignent ce que l’on pouvait lire dans un article de QMI de janvier 2019, Des professionnels en détresse plus nombreux qu’on peut le penser, où des médecins dénoncent « le harcèlement qu’ils vivent ou qu’ils ont vécu de la part du syndic du Collège des médecins, [qui les] poursuivait à répétition pour des “technicalités”, comme leur écriture illisible ou de la paperasserie administrative remise en retard ».
L’article mentionne le médecin Albert Benhaim, auteur du livre L’exécution : le combat d’un médecin contre le harcèlement moral, qui tient un discours pratiquement identique à celui des autres victimes des syndics qui se sont confiés à l’auteure.
Le résumé de son livre sur le site Les libraires se lit comme suit :
« Albert Benhaim – qui n’a fait l’objet d’aucune plainte disciplinaire en près de 30 ans d’exercice de la médecine – raconte sa longue descente aux enfers, décrivant comment le Collège des médecins n’a reculé devant aucune manoeuvre déloyale ou abus de pouvoir pour l’exécuter professionnellement et moralement, et le briser financièrement. Du même souffle, il dénonce l’absence d’imputabilité des syndics d’ordres professionnels qui n’ont presque aucun compte à rendre de leurs actes à qui que ce soit » (soulignement ajouté).
Dans un article de Droit-inc, « Non à la toute-puissance des syndics », le Dr Benhaim témoigne :
«“J’étais terrifié, intimidé, j’ai vécu des moments très pénibles, avec de la difficulté à dormir. J’étais extrêmement irritable, angoissé, avec une perte de poids”, affirme Dr. Benhaim, qui s’est qui plus est auto-diagnostiqué d’une leucémie […]
Depuis un mois que son livre est en librairies, Dr. Benhaim affirme crouler sous les appels de professionnels membres d’un ordre (il y en a 46 au total au Québec).
“Ils me racontent leurs déboires, des situations abominables dans lesquelles il y a abus de pouvoir des syndics ou des inspecteurs à l’intérieur des syndics.”
Parmi eux, beaucoup de médecins, des opticiens, des psychologues mais aussi… des avocats!
“J’ai reçu des appels de Toronto, Halifax, Vancouver… Personne ne parle, tout le monde a peur! Bien des médecins se font poursuivre en discipline ou intimider, mais c’est l’omerta! […]
Selon lui, les victimes du système de justice professionnelle au Québec, en vertu duquel les syndics d’ordres professionnels n’ont aucun compte à rendre de leurs actes à qui que ce soit, sont de plus en plus nombreuses et n’osent pas prendre la parole.
“Les syndics n’ont pas de boss, tout ce qu’ils font est confidentiel, ils ont l’immunité et cela entraîne des dérives” » (soulignement ajouté).
Pour ne citer qu’une dérive récente, rappelons que Me Gloriane Blais, qui s’est attaquée ouvertement au système judiciaire dans une cause contre une société d’État et aux injections à la mode dans une autre cause, a été radiée du Barreau le 10 mars dernier après avoir refusé de passer un examen psychiatrique.
Vous trouverez une foule de témoignages, d’articles et de mémoires sur les abus des différents ordres sur le site de l’Union des professionnels du Québec.
BIG ORDER
Depuis 2020, les ordres s’attaquent fréquemment à la liberté d’expression de leurs membres. Le Conseil interprofessionnel du Québec, « la voix collective des ordres » a même mandaté un grand cabinet d’avocats pour rappeler aux professionnels que la liberté d’expression n’est pas absolue et que certains propos peuvent porter « atteinte à la dignité de [leur] profession ».
Dans ce document intitulé Les obligations professionnelles et déontologiques à l’ère de la COVID-19 : Quelle liberté d’expression pour les professionnels?, on apprend par exemple, qu’un chiropraticien a été radié 3 mois pour sa conduite « très grave » : il a invoqué « des théories conspirationnistes ».
Mais qui décide qu’un propos donné est une « théorie conspirationniste »?
Les accusations du genre proviennent généralement de personnes ayant des connaissances limitées sur le sujet en question et une vision du monde tout aussi restreinte, ce qui les porte à croire que certaines réalités sont des théories du complot.
Ceux qui connaissent le sujet peuvent cependant l’expliquer par la corruption, les conflits d’intérêts, la capture règlementaire, la collusion, les portes tournantes et, bien entendu, le crime organisé, que toute personne qui tient à la vie n’ose pas dénoncer.
Ces phénomènes sont bien réels, factuels.
Il est tout à fait rationnel de penser, par exemple, que les grands médias et la Food and Drug Administration (FDA) aux États-Unis subissent d’une quelconque manière l’influence indue des pharmaceutiques :
- la FDA est financée à 46 % par l’industrie qu’elle règlemente (capture règlementaire, conflits d’intérêts);
- l’ancien commissaire de la FDA, Dr Scott Gottlieb, est devenu membre du conseil d’administration de Pfizer et contributeur à CNBC deux mois après sa démission en avril 2019 (portes tournantes public-privé et gouvernement-médias);
- James C. Smith, président de Reuters, est lui aussi membre du CA de Pfizer depuis 2014 (conflit d’intérêts majeur);
- la FDA a accordé en mars 2020 le statut de médicament orphelin au remdesivir de Gilead pour traiter le coronavirus, lui conférant par le fait même « une exclusivité commerciale de sept ans […] sur le marché américain »; « l’influence d’intérêts privés a compromis la capacité de la réglementation à promouvoir l’intérêt public » selon l’auteure de l’étude Capture réglementaire en temps de pandémie (capture réglementaire, soulignement ajouté);
- le nouveau chef de la FDA depuis février dernier, Dr Robert M. Califf, a fait 2,7 millions de dollars comme cadre pour la pharmaceutique Verily Life Sciences (propriété d’Alphabet, maison mère de Google), et détient des millions de dollars d’investissements dans cette pharmaceutique et d’autres, incluant Gilead (conflits d’intérêts, capture règlementaire, portes tournantes).
À voir cette infime partie de l’iceberg, il est naïf de croire que les pharmas n’exercent aucune influence sur les instances qui les règlementent et sur les grands médias. Ces jeux d’influence et de domination sont nombreux et omniprésents, peu importe le domaine et la société.
Ce ne sont pas des théories, mais bien des réalités : l’homme est un loup pour l’homme.
En ce qui a trait aux ordres professionnels du Québec, si l’on se fie aux témoignages, il y a lieu de croire qu’ils sont, au mieux, influencés, au pire, contrôlés par de puissants groupes plaçant leurs propres intérêts devant ceux du public.
Réalité économique ou théorie du complot ?
La citation en début de texte du père des sciences économiques, Adam Smith, exprime en peu de mots des phénomènes sociaux immémoriaux que les grands médias, détenus par des conglomérats de moins en moins nombreux, eux-mêmes détenus par d’importants fonds d’investissements et/ou des oligarques, préfèrent sans surprise tourner en dérision.
Cependant ce phénomène de monopoles et de chasses gardées a été dénoncé le plus sérieusement du monde par Widrow Wilson, 28e président des États-Unis, dans son livre The New Freedom – A Call For The Emancipation Of The Generous Energies Of A People (La nouvelle liberté – Un appel à l’émancipation des énergies généreuses d’un peuple) :
« Depuis que je suis entré en politique, c’est surtout en privé que les hommes m’ont confié leurs opinions. Certains des plus grands hommes aux États-Unis, dans le domaine du commerce et de la fabrication, ont peur de quelqu’un, ont peur de quelque chose. Ils savent qu’il y a quelque part un pouvoir si organisé, si subtil, si vigilant, si imbriqué, si complet, si omniprésent, qu’ils feraient mieux de ne pas le dénoncer tout haut.
Ils savent que l’Amérique n’est pas un lieu dont on peut dire, comme c’était le cas autrefois, qu’un homme peut choisir sa vocation et la poursuivre autant que ses capacités le lui permettent, car aujourd’hui, s’il entre dans certains domaines, des organismes utiliseront contre lui des moyens pour l’empêcher de bâtir une entreprise dont ils ne veulent pas. Ces organismes feront en sorte que l’herbe soit coupée sous ses pieds et que les marchés lui soient fermés […]
L’entreprise américaine n’est pas libre. L’homme qui n’a qu’un petit capital a de plus en plus de difficulté à entrer dans un domaine et de plus en plus de difficulté à concurrencer les gros. Pourquoi? Parce que les lois de ce pays n’empêchent pas les forts d’écraser les faibles. Voilà pourquoi. Et parce que les forts ont écrasé les faibles, les forts dominent l’industrie et la vie économique du pays. Personne ne peut nier que les secteurs d’activité sont de plus en plus étroits et rigides. »
Personne ne peut nier non plus que ces deux dernières années, les forts ont écrasé les faibles, souvent avec l’aide des ordres professionnels, dont les abus de pouvoir ne datent pas de 2020.
Pour bien des victimes, les ordres sont comme « la Gestapo », « l’Inquisition », une « mafia » – parfois même « LA mafia » – que l’on craint de dénoncer.
« L’omerta règne », confie une victime qui souhaite préserver son anonymat.
Or, la parole libère.
Afin de briser cette omerta, l’auteure (Julie Lévesque) invite les professionnels à s’exprimer, anonymement ou non, dans le cadre d’une série de reportages sur les ordres professionnels.
Vous avez vécu une forme de harcèlement ou d’intimidation de la part de votre ordre? On vous a limité, sanctionné ou radié pour des raisons douteuses? Un proche s’est suicidé sous la pression de son ordre? Vous avez été témoin de collusion, de traitement de faveur chez les syndics et/ou les ordres professionnels?
J’aimerais connaître votre histoire. Vous pouvez me joindre à cette adresse : lykopis9@protonmail.com.
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