16/05/2023 (2023-05-16)
[Source : reseauinternational.net]
Par Robin Monotti Graziadei
« Qui sont les plus aptes ? Ceux qui se font sans relâche la guerre ou ceux qui sont solidaires les uns les autres ? »
(Citation du Prince Pyotr Kropotkine, 1902)
Que se passerait-il avec l’histoire communément admise de l’évolution de l’Homme si, au lieu d’un Anglais en vadrouille aux îles Galapagos, on accordait plus de crédit aux avis d’un Russe en vadrouille en Sibérie ? Tandis que la théorie de Sélection naturelle de Charles Darwin reposait sur ce que sa propre formation culturelle tendait à le faire observer aux îles Galapagos, Pyotr Kropotkine participa à des expéditions géographiques en Sibérie. Là, il réalisa qu’une vision totalemlent différente de celle de Darwin se présentait à l’observation, et était susceptible d’être reportée sur la théorie de l’évolution de l’Homme.
Dans les mots du Prince Kropotkine :
« Parmi le bétail et les chevaux semi-sauvages en Transbaïkalia, parmi les ruminants sauvages partout, les écureuils, et ainsi de suite, j’observe que lorsque les bêtes doivent faire face à la raréfaction des sources de nourriture (…) la fraction de l’espèce frappée par ladite calamité émerge de ses souffrances si affaiblie, que ces périodes de concurrence intense ne permettent aucune évolution de l’espèce concernée. »
Pour ce qui est des animaux de la même espèce, le Prince observait en 1902 :
« Dans toutes ces scènes de la vie animale j’ai vu à l’œuvre l’Assistance et le Soutien Mutuelles à un tel degré, que j’ai commence à penser que ce facteur est d’une importance capitale pour le maintien de la vie, la préservation de chaque espèce et son évolution future. »
Par rapport à aux théories de Darwin et de Herbert Spencer (…) le Prince écrit :
« Tous ont voulu démontrer que par son intelligence, son savoir, l’Homme parvient à mitiger la brutalité de la lutte pour la vie entre Hommes ; tous cependant acceptent que la lutte pour les moyens d’existence de chaque bête contre ses congénères, de chaque homme contre les autres Hommes, serait une « loi de la Nature ». Voilà une vue de l’esprit que je ne puis approuver, car admettre qu’au sein de chaque espèce fait rage une lutte impitoyable pour la vie, et que cette lutte serait la précondition du progrès, signifierait valider une prémisse pour laquelle manquent les preuves et pour laquelle l’observation directe ne fournit aucune confirmation. »
[Voir aussi :
►Créationnisme, darwinisme… Pourquoi pas ni l’un ni l’autre ?
►La théorie de l’évolution : un camouflet pour la science
►La théorie incohérente de l’évolution et ses effets pernicieux sur notre mode de pensée
►Âme génétique et résonance morphique]
Kropotkine donne de nombreux exemples d’entraide dans le monde animal, parmi les scarabées, les crabes, les termites, les fourmis (…). Les exemples qui sont spécifiques à son étude concernant notamment l’aigle des steppes russes :
« Une observation déterminante est celle de Syevertsoff (zoologiste – ndlr) (…) un jour il vit un aigle d’une espèce grégaire (Haliactos albicilla) monter dans les airs pendant une demi-heure et tracer de grands cercles, puis soudain pousser un cri strident. Un deuxième aigle, puis un troisième etc. répondit au cri,, jusqu’à ce qu’une dizaine se rassemblèrent pour ensuite disparaître. Syevertsoff partit à leur recherche (…) et les trouva en grappe autour de la dépouille d’un cheval. Les aigles âgés, conformément à l’étiquette, s’étaient déjà servis (…) et montaient la garde pendant que les jeunes, entourés de corbeaux, ont mangé (…) Syevertsoff a conclu que lorsque ces aigles s’associent pour chasser (…) dès que l’un découvre une proie, il prévient les autres. »
« Fait heureux, la concurrence n’est point la règle que ce soit dans le règne animal ou chez l’Homme. Dans les espèces animales, se faire concurrence n’a lieu qu’à des moments exceptionnels (…) de meilleurs conditions sont crées (…) grâce à l’aide et le soutien mutuelles on ne se fait plus concurrence. Dans la grande lutte pour la vie – pour que la vie soit vécue dans toute son intensité, toute sa plénitude et avec la moindre déperdition d’énergie – la sélection naturelle cherche sans cesse des moyens d’éviter de se faire concurrence dans toute la mesure du possible. Les fourmis se concertent au moyen de nids et de nations ; ils font des réserves, ils élèvent du ‘bétail’ (…) la sélection naturelle ‘choisit’ les espèces de fourmi qui évitent le plus habilement de se faire concurrence avec tous ses effets délétères. »
« Lorsqu’arrive l’hiver la plupart de nos oiseaux s’en vont lentement vers le Sud, se rassemblent en d’immenses volées pour de grands voyages – et évitent de se faire concurrence. Les rongeurs sont nombreux à hiberner plutôt que de se faire concurrence ; d’autres rongeurs font des stocks de nourriture et forment de véritables villages pour se protéger l’un l’autre pendant leurs travaux. Lorsque les lichens à l’intérieur des terres deviennent secs, les rennes migrent vers la mer. Les buffles traversent un continent immense à la recherche de la nourriture. Lorsque les castors deviennent trop nombreux sur un fleuve, ils forment deux factions, les vieux descendant le fleuve, les jeunes le remontant, de sorte à ne pas se concurrencer. Mais lorsque les bêtes ne peuvent ni hiberner, ni migrer, ni faire des stocks, ni cultiver leur nourriture telles les fourmis, ils font comme le mésange (….) ils s’alimentent avec des formes nouvelles de nourriture, et ce, afin de ne pas se faire concurrence. »
Comment cela se traduit-il dans la société humaine ? Seraient-ce de simples observations sur les animaux dans des situation aussi extrêmes que l’hiver sibérien ? (…) Kropotkine écrit :
« La vie en commun serait impossible sans que n’éclosent des sentiments solidaires et surtout, un sens collectif de justice qui devient à la longue la coutume. Si chacun devait pousser son avantage sans que les autres n’interviennent pour la victime, aucune société, aucune vie ne serait imaginable. »
« Tous les animaux grégaires ont un certain sens inné de justice. Quelle que soit la distance, l’hirondelle, le héron, retrouvera le même nid qu’il avait construit l’année auparavant. Si un moineau paresseux cherche à faire sien le nid que bâtit un congénère ou lui vole des brins de paille, le groupe l’en empêche ; sans cette règle, les associations de oiseaux nicheurs ne pourraient exister. Chaque groupe de pingouins dispose d’un espace de repos et de pêche qui lui est propre, tandis que les groupes ne se battent pas entre eux. »
Le Prince Kropotkine s’est déclaré publiquement en opposition aux thèses avancés par le grand-père d’Aldous Huxley, Thomas Huxley, lors des conférences de ce dernier intitulées « Evolution and Ethics » (1893). Kropotkin écrit :
« L’amour, la compassion, le sacrifice de soi, jouent un rôle certes immense dans l’évolution du sentiment moral. Mais ce n’est ni l’amour ni la compassion sur lesquelles se fonde la Société humaine : c’est la conscience – même embryonnaire, au stade d’instinct – de la solidarité. La reconnaissance inconsciente d’une force qu’emprunte chaque homme à l’exercice de l’assistance mutuelle ; le fait que le bonheur de l’un dépend du bonheur de tous ; ce sens de la justice, de l’équité, qui amène chacun à considérer que les droits du prochain ont autant de valeur que les siens. C’est sur ce fondement aussi vaste qu’indispensable que se développent les sentiments moraux plus évolués encore ».
voir aussi :
http://dwardmac.pitzer.edu/kropotkin/mutaidch1
https://www.scientificamerican.com/the-prince-of-evolution-peter-kropotkin
source : Nullus Locus Sine Genio
traduction de Mendelssohn Moses
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