06/08/2024 (2024-08-06)
Par Nicolas Bonnal
Je continue comme un gourmet son bouquin, bouchée par bouchée. Voyons d’abord les sanctions qui ont si bien réussi à la Russie et si promptement accéléré la déculottée européenne. D’abord Todd rappelle que l’Occident (le monde « anglo-saxon » avec ses dominions européens en capilotade) ce n’est pas grand-chose, ni militairement, ni économiquement (les PNB sont invraisemblablement truqués…), ni démographiquement :
« L’Occident des sanctions ne représente que 12 % de la population mondiale. Les Brics comptent donc l’Inde, désormais le pays le plus peuplé, la Chine, deuxième pays le plus peuplé, tous deux situés sur le continent le plus peuplé, l’Asie. Le Brésil, quant à lui, est le pays le plus peuplé et le plus puissant d’Amérique latine : il a longtemps été un allié des États-Unis avant de devenir son principal opposant sur le continent américain, le Mexique ayant suivi une trajectoire inverse puisque,
depuis l’accord de l’ALENA, d’opposant principal il est devenu un satellite industriel. Enfin, l’Afrique du Sud est, de loin, le pays le plus puissant de l’Afrique subsaharienne. »
Plus grave, Le Monde le reconnaît. Et Todd qui lit tout, même Le Monde (quel courage tout de même : met-il un masque ?), remarque que le quotidien de la pensée inique et unique reconnaît qu’une flotte fantôme transporte le pétrole russe au nez et à la barbe de la séculaire et légendaire piraterie anglo-saxonne (voyez sur Médiapart.com mon texte sur Keynes qui en parle très bien de Sir Francis Drake et du reste) :
Jamais la Russie n’aurait aussi bien résisté aux sanctions si le Reste du monde, sommé par les États-Unis et leur camp de choisir, n’était au fond convenu d’aider la Russie. L’Occident a découvert qu’on ne l’aime pas. Une terrible blessure narcissique. Un éditorial du Monde du 6 août 2023, intitulé “L’efficacité des sanctions mise en question”, nous l’a fait sentir :
« La “flotte fantôme” qui transporte clandestinement le pétrole russe […] représente entre 10 % et 20 % de la capacité totale de transport mondiale. Elle permet donc de passer outre à ces sanctions, y compris par le truchement de pays-clés particulièrement courtisés par les Occidentaux, à commencer par l’Inde. L’étanchéité du dispositif est même compromise dans les deux sens, puisque la Russie parvient toujours à se procurer par ailleurs des composants électroniques indispensables pour une industrie d’armement particulièrement sollicitée par une guerre de haute intensité. Les sanctions se heurtent là à la politique : l’endiguement impliquerait de durcir le ton vis-à-vis de pays tiers, comme le Kazakhstan, au moment où les Occidentaux espèrent les détacher de l’orbite russe. »
Ce type de comportement est séculaire maintenant. Chateaubriand dans son livre sur le traité de Vérone dénonce déjà cette manie anglaise d’arraisonner des navires en pleine mer. Et Todd qui a tout lu nous explique ce qui s’est passé avec un certain Mulder (pas Fox) :
« Nicholas Mulder explique comment les sanctions sont devenues l’instrument privilégié des dirigeants occidentaux, et à quel point leurs effets ne sont en rien modérés. La sanction économique comme substitut à la guerre est associée à la fondation de la Société des Nations (SDN) en 1920 : cette mesure fut inspirée par le blocus mis en œuvre par les Alliés contre les Empires centraux pendant le conflit qui venait de s’achever. Elle reposait sur la conviction que ce blocus, qui avait fait des centaines de milliers de morts, de faim ou de maladies, avait joué un rôle décisif dans la victoire des Alliés sur l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie. »
La vilenie des démocraties est sans limites, disait de Gaulle après l’exécution du maréchal Keitel. Mais là ils sont tombés sur un os, l’os russe (je le préfère à l’ours, trop rebattu…) :
« Soumettre à un blocus un pays de 17 millions de kilomètres carrés, qui chevauche l’Europe et l’Asie, entre la Pologne et la Chine, transforma d’un coup la modeste “opération militaire spéciale”, lancée par les Russes pour obtenir une rectification de frontière et empêcher l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, en Troisième Guerre mondiale. Je doute que Bruno Le Maire, surdiplômé de nos grandes écoles et romancier, en ait eu conscience. Seule une puissance militaire mondiale, les États-Unis, pouvait, du côté occidental, mener une guerre mondiale. Les sanctions signaient donc en elles-mêmes la fin de l’Europe. Mais les dirigeants européens avaient aussi d’excellentes raisons de suicider l’Union. »
Suicide européen ? Il aurait pu développer ce passage, lui qui était si optimiste sur le futur européen dans son Après l’Empire et qui ne cessait de vaticiner un réveil allemand. Mais ne polémiquons pas.
Todd remarque que les élites anglo-saxonnes ont disparu en Amérique (elles sont juives, et on en a déjà parlé ici, toujours avec son livre sulfureux, et Forward.com a parlé du « minyan » de Joe bedaine) comme en Angleterre où elles sont coloniales, vu l’effondrement du niveau intellectuel du local.
Terminons par ce crépuscule anglo-saxon comme on dit, et même britannique, qui fournit le meilleur chapitre de la Défaite de l’Occident. On voit que les sanctions appauvrissent moins l’Amérique (que sa dette ne cesse d’enrichie encore) que l’Europe et que le Brexit a accéléré l’autodestruction britannique (vivement le Frexit ?! Vraiment ?). Et sur cette bonne vieille Angleterre, qui ne cesse de décliner depuis un siècle ou plus (relire André Siegfried ou Ernest Edwin Williams, qui publia son Made in Germany — qui explique la guerre à 100 % — en…1896), Todd écrit :
« Le Guardian s’émerveillait de ce que les quatre membres les plus importants du gouvernement de Liz Truss n’étaient ni des hommes, ni des Blancs. Le Premier ministre était une femme blanche, le chancelier de l’Échiquier, Kwasi Kwarteng, était d’origine ghanéenne, le ministre des Affaires étrangères, James Cleverly, de père britannique mais sa mère venait de Sierra Leone, la ministre de l’Intérieur, Suella Braverman, était d’origine indienne. Le contraste était saisissant avec un gouvernement français dans lequel la majorité des ministres importants, même s’ils ont parfois un grand-parent maghrébin, ont de bonnes bouilles de petits-bourgeois de province, de Macron à Le Maire… »
L’artiste enfonce le clou :
« Le chancelier occupe le 11 Downing Street (il jouxte le 10). Se sont succédé à ce poste ces dernières années des personnes issues des “minorités ethniques” : en juillet 2019, Sajid Javid, d’origine pakistanaise, suivi en février 2020 de Rishi Sunak, l’actuel Premier ministre, d’origine indienne, puis de Nadhim Zahawi, en juillet 2022, d’origine kurde, à qui succéda, en septembre 2022, Kwasi Kwarteng, déjà mentionné. Ce n’est qu’avec Jeremy Hunt, en octobre 2022, que la fonction revint à un “Blanc”, comme on dit là-bas. »
Todd explique cette surreprésentation ethnique :
« Les minorités ethniques, les “BAME”, pour “Black, Asian and Minority Ethnic”, ne forment que 7,5 % de la population britannique mais il est clair que, symboliquement, elles représentent davantage au sein de la classe politique. Pour mesurer plus en profondeur leur place dans la société britannique, intéressons-nous à l’éducation supérieure, qui contribue pour une large part à définir la classe moyenne dans les sociétés avancées. »
L’effondrement intellectuel et culturel est total en Angleterre (trop de proximité avec la matrice US) et explique en partie les émeutes actuelles qui semblent fabriquées de toutes pièces à Davos ou ailleurs. En marge de cette soumission à l’élite indo-pakistanaise, Todd explique la facile programmation russophobe de la populace blanche (la presse britannique a toujours régné dans ce pays — voir McLuhan) qui a succédé à la programmation germanophobe (voir Grenfell encore, traduit par Hervé, qui détaille avec le soin le suicide de la puissance britannique).
Avec des ennemis comme ça (Kamala et compagnie) la Chine et la Russie risquent de mourir…de rire.
Mais ce n’est pas tout. Todd ajoute :
« Poursuivons l’inventaire à la Ionesco de ses dysfonctions. Dans les statistiques du National Health Service (NHS), orgueil, après-guerre, de la nation, symbole de l’État social (État social et nation active, c’est tout un), on découvre qu’en 2021, parmi les nouveaux médecins enregistrés au Royaume-Uni, seulement 37 % étaient britanniques, 13 % originaires de l’UE et 50 % venus du reste du monde, surtout d’Inde et du Pakistan. »
Et de poser la question qui tue :
« Mais qu’est-ce donc que cette nation qui n’est plus capable de former ses propres médecins pour soigner ses citoyens ? Cet appauvrissement commence à peser sur l’état biologique de la population. »
L’anglais n’a que sa finance et sa langue (américaine) à vendre. Il en crève depuis Thatcher (« il n’y a pas de société », il n’y a en effet que le fric). Le peuple blanc prolétaire n’a jamais su réagir (et on se plaint du Français !). Là, il le fait, mais mal et tard et le joug mondialiste va l’achever en l’écrasant.
Enfin Todd parle même de la diminution de la TAILLE des enfants britanniques. Cette fois il cite le Guardian :
« Les enfants britanniques qui ont grandi pendant les années d’austérité accusent un retard de taille par rapport à nombre de leurs pairs européens. En 1985, garçons et filles britanniques se classaient au 69e rang sur 200 pays pour la taille moyenne à l’âge de 5 ans. Mais en 2019, les garçons étaient au 102e rang et les filles au 96e… Selon les experts, un mauvais régime alimentaire et des coupes budgétaires dans le système de santé sont à l’origine de ce phénomène. »
Cet écroulement intérieur anglo-américain explique sans doute la vitupération impérialiste et ses effets absents. Mais je vous laisse à ce livre admirable et presque incroyable.
Sources :
https://ia801302.us.archive.org/31/items/cu31924031247830/cu31924031247830.pdf
https://lesakerfrancophone.fr/le-syndrome-churchill-et-la-catastrophique-guerre-occidentale
https://www.dedefensa.org/article/emmanuel-todd-et-le-conflit-judeo-russe
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