Jésus était plus juif que vous ne le pensez, affirme un expert de la Bible
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[Source : The Times of Israel]
L’origine de la foi du Messie chrétien se
comprend mieux après une plongée dans l’ère du Second Temple, où
judaïsme et christianisme se mêlaient
Par Rich Tenorio
Lorsque Matthias Henze, professeur de religion à Rice
University, se rend dans des églises et des synagogues locales de
Houston pour promouvoir la compréhension interconfessionnelle entre le
christianisme et le judaïsme, il aborde une période particulière : le
fossé de quatre à cinq siècles qui existe entre l’Ancien et le Nouveau
Testament.
« Cela a été négligé pour un certain nombre de raisons », analyse
Henze, érudit de la Bible hébraïque et du judaïsme, en mettant l’accent
sur le Second Temple. « Les juifs et les chrétiens ne prêtent pas
beaucoup attention à cette période. »
Selon Henze, le « fossé de plusieurs siècles » entre le quatrième
siècle avant notre ère et le premier siècle de notre ère est crucial
pour comprendre que l’abîme entre les deux religions pourrait être
beaucoup, beaucoup moins important qu’on ne le pense. Il soutient que
les textes religieux hébraïques de cette période, y compris les
manuscrits de la mer Morte, ont contribué à influencer Jésus, qu’il
décrit comme un juif qui pratiquait le judaïsme de son époque.
Cet argument est évoqué dans le sous-titre de son nouveau livre,
« Attention à la différence : comment les écrits juifs entre l’Ancien et
le Nouveau Testament nous aident à comprendre Jésus. »
Ayant connaissance des textes religieux hébraïques de ces années
d’intervalle, « Jésus a maintenant un contexte », se félicite Henze.
« Nous l’avons mis là où il doit être. Il n’est plus un personnage tout
seul, il n’est plus ponctuel. »
Et, ajoute-t-il, « une fois que nous comprenons Jésus comme faisant
partie d’un monde juif plus large, je pense que nous rendons beaucoup
plus justice au Nouveau Testament. »
Le côté face de la pièce
Henze est un fervent partisan de la sensibilisation
interconfessionnelle. Luthérien originaire de Hanovre, en Allemagne, il
est le directeur du département des études juives de Rice University,
qu’il a fondé en 2009.
« J’ai un profond intérêt pour le judaïsme et l’histoire de Jésus, et aussi pour l’hébreu », déclare Henze.
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Des centres d’intérêt qui l’ont bien préparé pour ses séminaires sur
le judaïsme et le christianisme dans les institutions religieuses
locales.
« Je suis très à l’aise lorsque je fais des conférences dans les églises sur les questions juives et la construction de la communauté », s’est réjoui Henze. « Les gens veulent parler du christianisme, en particulier de Jésus. Ils ont un grand désir d’en apprendre plus sur les origines du christianisme, le mouvement du début de Jésus. »
Cela a été essentiel pour comprendre les années d’intervalle — en
gros, « la dernière partie de la période du Second Temple », écrit Henze
dans un courriel.
Ces années d’intervalle ont commencé après que les derniers livres de
l’Ancien Testament ont été écrits au quatrième siècle avant l’ère
commune (la seule exception étant le Livre de Daniel, qui a été rédigé à
partir du deuxième siècle avant l’ère commune) et prennent fin avec le
Nouveau Testament, écrit dans la seconde moitié du premier siècle de
l’ère commune.
« Ma thèse est que pendant cet intervalle », analyse Henze, « les juifs se sont sentis libres d’écrire de nouveaux textes, de penser de nouvelles choses, de développer de nouvelles formes d’expression littéraire. »
C’était une époque où les royaumes d’Israël et de Judas étaient
gouvernés, successivement, par les Perses, les Grecs, les Hasmonéens et
les Romains. Seuls les Hasmonéens, de la dynastie des Maccabées, étaient
une lignée locale.
À la fin de cette période, déclare Henze, les juifs se sont
courageusement essayés à de nouvelles idées, et « le christianisme
émerge … Jésus arrive, l’héritier de ces idées. »
Mais cette pensée nouvelle a été suivie par des actes punitifs — la
crucifixion de Jésus et la destruction du Second Temple. La date
généralement acceptée de la crucifixion de Jésus se situe entre 30 et 33
de l’ère commune. Le Second Temple est tombé en 70 de notre ère.
Les manuscrits de la mer Morte, compilés par la communauté essénienne
à Qumrân, font partie des textes religieux hébreux les plus connus de
cette période de vide liturgique. Henze en cite d’autres également.
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La Septante, ou la traduction grecque du Tanakh, inclut les
Apocryphes, que Henze a qualifiés de « liste bien définie de certains
anciens livres juifs » non retrouvés dans la Bible hébraïque, tels que
les livres de Tobith et Judith, et le livre 1 et 2 des Maccabées.
D’autres textes juifs plus anciens datant de la même époque, ou d’un
peu avant, ne faisaient pas partie d’une liste fixe et ont été désignés
comme des pseudépigraphes, un terme grec signifiant « écrit sous un
pseudonyme », déclare Henze. Dans ce cas, « ils ont été écrits sous le
nom d’une ancienne figure biblique ».
Il mentionne le livre d’Énoch, qui évoque « un personnage mentionné
dans le 5e chapitre de la Genèse, une figure très importante pour les
juifs aux troisième et deuxième siècles avant notre ère », ainsi que le
Livre des Jubilés, « un livre juif du deuxième siècle avant notre ère
qui racontait [les faits décrits dans] le Livre de la Genèse et de
l’Exode. »
Un produit de son temps
Collectivement, explique Henze, ces œuvres éclairent sur le judaïsme de Jésus.
« Nous ouvrons le Nouveau Testament et nous trouvons un Jésus qui faisait partie du judaïsme de son époque », déclare Henze. « Il était Juif, né en Israël de parents juifs, élevé [là], présenté au Temple, et qui est mort juif. »
Mais le judaïsme de l’époque de Jésus diffère de celui de l’Ancien Testament.
« Dans le Nouveau Testament, Jésus se rend à la synagogue dans le chapitre 4 de l’évangile de saint Luc, ‘suivant sa coutume’, le jour du Shabbat. Il n’y a pas de synagogue dans l’Ancien Testament et la Bible hébraïque », déclare Henze.
« Jésus est appelé ‘rabbi’ par ses disciples. Il n’y a pas de rabbins dans le Tanakh. Jésus passe beaucoup de temps à discuter de la Torah et des Pharisiens, comme tout chrétien le sait. Il n’y a pas de Pharisiens dans le Tanakh. On dit que la résurrection est la fin de la vie. Ce n’est pas le cas dans la Bible hébraïque, sauf le Livre de Daniel, le dernier livre dans la Bible. »
![An Israel Antiquities Authority worker points to a spectral image photograph of fragments of the Dead Sea scrolls, at the Israel Museum in Jerusalem on Wednesday, December 18 (photo credit: Miriam Alster/Flash90)](https://static.timesofisrael.com/fr/uploads/2012/12/F121218MA84.jpg)
Henze ajoute que « lorsque les chrétiens lisent ceci et se tournent
vers l’Ancien Testament, et qu’il n’y a pas de textes qui l’expliquent,
ils supposent que Jésus rompait vraiment avec tout. … L’argument du
livre est que oui, c’est extraordinaire, mais seulement si tout ce que
vous lisez est l’Ancien Testament. Nous négligeons le fait que Jésus
faisait partie d’un judaïsme dérivé qui s’est écarté de la Bible
hébraïque. »
Pour faire valoir son point de vue, Henze se concentre sur ce qu’il
décrit comme les quatre grands thèmes du christianisme primitif : « le
messianisme, les démons et esprits impurs — un monde vivant densément
peuplé d’anges et de démons — la Torah, sa signification et son
interprétation correcte, et la croyance en la résurrection ou la vie sur
la mort, la vie avec les anges. »
« Oui, tout cela vient de l’Ancien Testament », opine-t-il. « Mais ils ne sont pas vraiment évoqués dans l’Ancien Testament. Ils étaient plus tirés de la littérature très riche qui suivait l’Ancien Testament et qui précède le Nouveau Testament, où ces thèmes étaient plus systématiques. »
L’idée que Jésus était le Messie d’Israël est née de « l’attente d’un
messie [qui viendrait] à la fin des temps, l’histoire telle que nous la
connaissons, un agent de Dieu, moshiach [le Messie] », a-t-il expliqué.
« C’est le genre de choses que l’on ne trouve pas dans le Tanakh en
tant que tel. »
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Mais, nuance-t-il, « il existe un certain nombre de textes,
principalement tirés des manuscrits de la mer Morte, sur les premières
attentes messianiques juives comparables à la description de Jésus dans
les Evangiles. Il est évident que l’écrivain évangélique essayait de
prouver que Jésus était le messie qu’Israël attendait, en utilisant des
termes que la population juive connaissait [à l’époque]. »
Et, poursuit-il, bien que « la résurrection, était [un thème] si
central au début du christianisme à l’époque, il n’y avait aucune
croyance en la résurrection des morts dans le Tanakh », sauf dans le
Livre de Daniel, qui date de la fin de la période du Second Temple.
« Entre l’Ancien et le Nouveau Testament, un certain nombre de textes
juifs parlent de la résurrection, de la vie en compagnie des anges.
Nous devons l’étudier dans le contexte d’autres textes juifs », a
déclaré Henze.
Une chronologie fascinante
Les autres collègues de Henze trouvent ses arguments intrigants — mais mettent toutefois en garde.
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« Les sources de notre compréhension de Jésus sont complexes »,
déclare David Lincicum, professeur associé à l’université américaine
Notre-Dame, qui s’intéresse aux études bibliques, au christianisme et au
judaïsme dans l’Antiquité et qui collabore avec Henze sur un autre
projet. « On ne sait pas quel genre d’éducation [Jésus] recevait. »
« Je pense qu’il est juste de dire que beaucoup de textes [hébraïques
pendant cet intervalle] reflètent les discussions dans l’air au premier
siècle. Les Apocryphes semblent avoir été répandus au début du
judaïsme. Il y avait une connaissance en dehors des textes », déclare
Lincicum.
Et « si la Bible hébraïque est relativement silencieuse sur le
messie, [le sujet devient un thème familier plus tard], soudain tout le
monde parle du messie. Il y a des fossés qui se creusent dans le
judaïsme. Dans certaines branches, il y a une figure consacrée pour
sauver Israël. Il se peut que Jésus ne connaisse pas de texte
particulier, mais cela pourrait attester d’un courant dominant auquel il
n’avait peut-être pas accès », estime-t-il.
Cependant, Darrell L. Bock, professeur de recherche des études sur le
Nouveau Testament au Dallas Theological Seminary, met en garde contre
la surestimation de la signification de l’écart entre ces siècles.
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Par exemple, Bock disait que, ce n’est pas parce que les rabbins
« n’émergent pas d’une manière significative jusqu’à ce que la
centralité du Temple soit perdue, que la destruction du Temple signifie
pour autant qu’il n’y avait pas de rabbins. »
« Faites attention lorsque vous [qualifiez les rabbins]
d’anachronisme », met-il en garde. La connaissance de Bock sur Jésus est
peut-être mieux résumée dans son best-seller de 2004 Briser le code Da Vinci: réponses aux questions que tout le monde se pose.
Il a également noté que l’évolution pendant la période d’intervalle
pourrait ne pas avoir été causée exclusivement par des facteurs
religieux, mais aussi par des facteurs politiques et sociaux.
L’Israël biblique « contrôlait la situation politique et sociale sur
le territoire », explique Bock. « Ce n’était pas le cas du temps de
Jésus. L’influence gréco-romaine était omnipotente, omniprésente. Ces
différences sont importantes. Des concepts sont développés — le Messie,
un espoir, un retour à la règle dynastique effective de l’Ancien
Testament. »
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« Dans le texte inter-testamentaire, on met l’accent sur le culte messianique, qui suscitera l’espoir et la justification. Jésus se présente comme le messie pas seulement pour Israël. Il se concentre également sur la façon dont les autres sont traités. C’est similaire d’un côté et distinct de l’autre », a déclaré Bock.
Bock précise pour le Times of Israël que Jésus finit par se
différer de tous les groupes de son époque : les Sadducéens, les
Pharisiens, les Esséniens et les Zélotes.
« Je pense que Jésus espérait qu’il se distinguerait quelque peu de la variété de ces approches », déclare Bock. « Il a développé une tradition qui réagissait dans une certaine mesure contre tous ces groupes. »
Bock convient que « Jésus n’a pas rempli un vide. Il ne l’a pas fait
en tant que juif qui s’est éloigné de tout ce qui était juif.
Clairement, Jésus pensait indépendamment les choses : la tradition
juive, ce genre de chose. »
Qu’en penserait Jésus ?
Que l’on soit d’accord ou non avec Henze, l’auteur espère encourager
la pensée indépendante avec son livre — y compris dans sa section
finale.
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« Je lance quelques défis aux lecteurs chrétiens », explique-t-il. « Comment notre compréhension de Jésus et du Nouveau Testament change-t-elle si nous prenons au sérieux le fait que Jésus était un juif ? ».
« Beaucoup de chrétiens croient que Jésus était exactement comme eux, qu’il avait la même théologie, il vous ressemblait, il était de la même confession et vivait dans l’Israël du premier siècle », a déclaré Henze.
Henze appelle les chrétiens à se familiariser avec le judaïsme —
celui de leur voisin d’aujourd’hui, mais aussi avec la version vieille
de 2 000 ans pratiquée par Jésus et d’autres juifs de son époque.
Henze espère que tous les lecteurs, de toutes religions,
« s’ouvriront à la possibilité d’un contexte historique et religieux »
et « liront le Nouveau Testament d’une manière plus responsable et mieux
informée ».
« Mon espoir pour le livre est qu’il va trouver un large public et
les gens vont commencer à repenser ce qu’ils croyaient connaître »,
a-t-il conclu.
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