Rebatet : la France et son armée

27/03/2024 (2024-03-27)

Par Nicolas Bonnal

Rebatet en guerre (1939 et l’état patibulaire de notre armée) :

Je ne veux pas douter qu’il en soit ainsi dans le dessus du panier de l’armée française. Mais encore une fois, la moitié de cette armée est une masse informe. C’est elle que je connais et dont je parle ici. L’énormité de son poids mort m’effraie. Que ne risque-t-il pas de peser dans les destinées du pays ? Dans cette tourbe, l’inertie est la règle. J’ai vu celle des hommes. Celle de leurs chefs n’est pas moindre. Ils se laissent glisser au gré des loisirs imprévus, de l’oubli des affaires et des querelles conjugales, plus crédules que le troupier sur le chapitre de la victoire sans batailles, parce qu’ils ont le tort de lire et qu’ils connaissent des truismes, des précisions techniques et des chiffres. Le résultat est le vaste abrutissement d’une vie de caserne où l’on ne fait même plus l’exercice.

Mais aussi :

Nos cantonnements sont peuplés de déchets alcooliques, de nabots dégénérés, déjetés, ravinés, parmi lesquels comptent comme par hasard nos deux seuls Marseillais, deux ignobles guenilles humaines. Ces misérables, cuits déjà dans le ventre de leur mère, sont à ce point imbibés et ravagés qu’au troisième quart de vin ils chancellent, hagards. Et pourtant, ils entonnent leurs huit et dix litres par jour. Sur leurs culottes fangeuses, leur vomi d’hier rejoint en traînées violâtres celui de l’avant-veille. Sur leurs faces de gnomes hébétés, la sanie s’agglutine en croûtes à la boue des ruisseaux où on les a ramassés. Ils sont effrayants et pitoyables. Mais les chambrées s’en tordent les côtes. Il n’y a pas de personnages plus populaires, voire plus admirés.

N’importe quel bavardage tourne invariablement à des récits de dégueuleries.

Les seuls exploits mémorables sont des records de brutes, vingt-cinq pernods, trois litres de marc à deux. On ingurgite l’anis par purées compactes, à pleins verres, avec un haut-le-cœur entre chaque goulée. C’est le vice morose et mécanique dans toute son imbécillité.

On abat quinze à dix-huit kilomètres sans trop de béquillards. Je l’ai toujours pensé. Que les hommes soient secoués, qu’ils marchent au coude à coude et les voilà sauvés. À travers boqueteaux et fossés, la manœuvre commence, aussi classiquement indéchiffrable qu’il se peut. C’est notre illustre capitaine qui a conçu le thème. Il s’y est si magistralement pris que l’assaillant, qui devait forcer les positions, détale à toutes jambes après cinquante mètres d’attaque, tandis que vingt assaillis lui font une poursuite acharnée et que le gros de la résistance l’attend de pied ferme, mais en lui tournant résolument le dos. On nous a distribué des paquets de cartouches à blanc. On en profite pour fusiller aussitôt le capitaine. On organise aux quatre coins de l’horizon une pétarade qui consomme la ruine de toute sa stratégie. Peu importe. On court, on saute, on prend l’air.

Je suis rempli de lassitude. Rien ne peut plus la chasser. J’étais arrivé à l’armée en apportant avec moi, bagage assez cocasse, mon goût d’amateur de vie militaire, disons mieux encore, de dilettante. Je vois devant ce mot la mine scandalisée des professionnels de tous grades. Mais chacun donne ce qu’il peut. Je ne saurais offrir, et ce n’est point ma faute, un élan patriotique. Il m’a bien fallu mettre, non sans peine, mon patriotisme au placard, puisqu’il ne conçoit et ne réclame que la paix. Mon dilettantisme est beaucoup plus utilisable que presque tout ce que j’ai vu autour de moi, apathie, fainéantise, sournoise rébellion.

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