Nature, causes et conséquences du totalitarisme (de l’OMS)

24/05/2024 (2024-05-24)

Michel Weber, « Nature, causes et conséquences du totalitarisme (de l’OMS) », Sixième Sommet citoyen, Ittre (Belgique), 23 mars 2024

[Source : https://www.academia.edu/]

Pourquoi parler de totalitarisme ?

Parce que le terme désigne la vérité de notre époque et que mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde (aurait dit Camus après Confucius et Cicéron). C’est le totalitarisme qui explique les guerres culturelles qui se suivent et parfois se chevauchent dans l’absurdité la plus complète : guerre contre la drogue, contre le chômage, contre l’exclusion, contre la terreur, contre le virus, contre le climat (et le carbone), contre la Russie (voire la Chine) — mais aussi les guerres pour la « cancel culture », le « wokisme », la démocratie, la numérisation, les « LGBT », le transhumanisme… (Cf. Negri & Hardt, 2004)

De même, c’est vers lui qu’il faut se tourner s’il s’agit de questionner la raison d’être et le modus operandi, de plus en plus agressif, de l’OMS. Si on comprend bien ses propos lénifiants, nous serons désormais, en effet, et dans le meilleurs des cas, perpétuellement en interpandémie…

Pourquoi est-ce difficile ?

Parce que le totalitarisme vise à détruire notre intimité et à modifier la structure secrète des choses. C’est donc bien à la fois une ontologie politique et une politique ontologique. Foucault (1975) parlerait de biopolitique. De plus, cette destruction opère par le démantèlement du sens commun, c’est-à-dire, en somme, par la négation de ce que le sujet perçoit et la liquidation de sa discursivité. Il est à la fois parfaitement logique et complètement irrationnel. Et ses victimes parviennent d’autant moins facilement à reconnaître leur statut de victime qu’elles sont atteintes dans leur dignité, poussées dans les rets de la folie, et peuvent même promptement se transformer en bourreau (Karpman, 1968 & Sironi, 1999).

Qu’est-ce que le totalitarisme ?

Chacun pourra aisément tirer de son expérience personnelle de l’épisode pandémique récent une double évidence : la négation du sens commun et l’intrusion de l’État dans l’intimité par une politique de harcèlement systématique.

De quels outils disposons-nous pour penser le totalitarisme ?

D’abord Orwell (1949), ensuite Sade (1795), et enfin Huxley (1932 et 1962). En bref, il faut savoir deux choses : d’une part, l’essence du totalitarisme et ses conséquences les plus barbares sont exposées par Orwell ; d’autre part, la cosmétique du totalitarisme est exposée par Huxley dans Brave New World (1932) et, bien qu’il se soit inspiré de Sade, Huxley n’a jamais compris Orwell.

Complémentairement, on peut s’en remettre aux réflexions des rescapés des camps de concentration : Bettelheim (1943), Löwenthal (1945), Frankl (1946), Levi (1947), Klemperer (1947), Gheorghiu (1949) … Et aux analyses philosophiques du covidisme : Agamben (2020), Weber (2020), Maffesoli (2021), Belhaj Kacem (2022), Bilheran et Pavan (2022).

Comment définir le totalitarisme ?

Cela peut se faire simplement de la manière suivante : c’est le système politique qui embrase la totalité de l’existence humaine ; rien ne lui est extérieur. D’une part, la sphère publique, qui balise traditionnellement le politique, est détruite ; d’autre part, la sphère privée, que même les régimes autoritaires, tyranniques et despotiques préservent en quelque sorte, est envahie. Partout règnent terreur, atomisme et conformisme, tant et si bien que le sujet se voit refuser l’accès à ses perceptions (ce que vous percevez n’est pas ce que vous percevez), que sa raison est caduque (2+2=5 si le parti le décide), que sa mémoire doit être oubliée (elle est constamment reformatée par les médias et ses « memory holes »), et que tout futur autre est rendu impensable (Margaret Thatcher avait déjà coutume de marteler « il n’y a pas d’autre alternative »). En bref, non seulement la liberté est devenue un non-sens, mais sa condition de possibilité qu’est la spontanéité est elle-même oblitérée. Ce n’est pas pour rien que la vie sexuelle est au centre de toutes les préoccupations totalitaires.

Comment le totalitarisme opère-t-il ?

À l’aide d’une idéologie qui bénéficie du potentiel intrusif de la technologie.

D’une part, comme l’a bien vu Arendt, qui souligne le lien avec le délire paranoïaque et le délire paranoïde, l’idéo-logique totalitaire est une logique froide, déshumanisante, tirant toutes les conséquences nécessaires d’une prémisse fausse qui, rétroactivement, semble acquérir un semblant de vérité. Logique sclérosante donc, car purement déterministe. Mais cette lame de fond est faite de courants multiples, contradictoires et paradoxaux. Il y a plusieurs récits à l’intérieur du grand récit totalitaire, tantôt ils sont complémentaires, tantôt ils se contredisent : le sujet est, en conséquence, à la fois paralysé et mis en mouvement. Surtout : cette idéo-logique est aussi paradoxale, c’est-à-dire qu’elle n’a alors plus rien du déterminisme de la logique froide qui suit à la lettre le principe de non-contradiction. En bref, le sujet est au prise avec ce qu’Orwell (1949) a nommé la « double pensée » et Bateson (1972), suite à Mead, le « double bind ».

D’autre part, cette idéo-logique ne serait rien, ou pas grand-chose, sans une techno-logique : c’est la technologie qui permet le harcèlement par la médiatisation de l’idéologie dans les foyers ; c’est elle qui assure le formatage des producteurs et des consommateurs angoissés (Huxley) ; c’est encore elle qui permet la surveillance panoptique et la séquestration (Orwell). N’oublions pas à ce propos que l’« Internet des objets » sera d’abord et avant tout un « internet des sujets 2.0 ». En conclusion, le totalitarisme est d’autant plus pernicieux et invasif que la technologie le permet.

Quelle est la cause du totalitarisme ?

Une crise capitaliste qui ne peut se résoudre par l’impérialisme. Une crise se définit par un déséquilibre entre l’offre et la demande. Pour la résoudre, il faut pouvoir jouer au moins sur l’un de ces deux pôles, soit découvrir de nouvelles ressources, soit diminuer la demande. Or, le krach de 1929 qui a occasionné l’irruption de 1933 était, en comparaison de ce que nous subissons actuellement, très limité : une simple crise financière faisant suite à un essoufflement de la consommation. Nous traversons à présent la crise globale systémique annoncée dès les années 1968–1973 par le Club de Rome : toutes les ressources seront d’ici peu épuisées et seul le malthusianisme semble praticable pour que certains conservent leurs richesse au détriment de tous les autres. (Le « tittytainment » de Brzezinski est allégorique.)

Le capitalisme ne respecte la démocratie et l’État de droit que tant qu’ils favorisent ses intérêts oligopolistiques. Typiquement, en période de forte croissance, comme pendant les « Trente Glorieuses » (1946–1975), les oligarques s’accommodent bon gré mal gré des revendications des masses laborieuses. Que survienne un krach et plus aucune revendication démocratique n’est acceptable. (La révolution industrielle commence très tôt à kracher de manière cyclique : 1873, 1882, 1907, 1929, 1987, 1991, 2000, 2007, 2011, 2013, 2020.)

Quels sont les types de totalitarisme ?

Il est crucial de distinguer — ce que ne fait pas Arendt, victime du climat culturel de la guerre froide — les totalitarismes de droite des totalitarismes de gauche. Les premiers constituent la réponse de l’oligarchie à la menace qui pèse sur ses intérêts immédiats ; ils visent la mise en esclavage définitive du genre humain. Les seconds cherchent à promouvoir coûte que coûte l’intérêt commun, et leur radicalisation doit être lue à la lumière de l’hostilité de la soi-disant « communauté internationale » à l’égard de tous les systèmes politiques alternatifs. Staline n’est donc pas Hitler (Losurdo, 2008) ; le goulag n’est pas le camp de concentration (Levi, 1947). (Ce qui ne veut pas dire, bien sûr, que toutes les dérives totalitaires ne soient pas condamnables.) Soulignons à ce propos que les « élites » dont nous parlent les médias sont en réalité des oligarques, c’est-à-dire, selon la typologie de Platon et d’Aristote, une poignée d’individus cherchant à gouverner dans leur propre intérêt — alors que les « élites », encore appelés « aristocrates », constituent un petit groupe prétendant gouverner pour le bien commun (Weber, 2023). Accessoirement, on constatera que la profondeur de l’emprise totalitaire dépend principalement, si pas uniquement, du degré d’intrusivité rendu possible par la technologie du moment. Le Nazisme n’était rien sans la radio (le « Deutscher Kleinempfänger DKE38 », surnommé le « museau de Gœbbels »), pourtant totalement passive sur la cheminée ; le néototalitarisme est strictement corrélé à la généralisation de la connectivité et du puçage, et donc, finalement, de la prospérité des « gafam » interactifs, qui espionnent 24/7 leurs utilisateurs « smart », détruisant l’idée même de protection des données privées et soumettant les publications sur les « réseaux sociaux » à des décisions arbitraires et irrévocables.

Quelles seront les conséquences de la propension totalitaire actuelle ?

S’il fallait simplifier, on pourrait dire le néonazisme, et ce pour les raisons suivantes : le nazisme a incarné la forme la plus aboutie de totalitarisme de droite (Arendt 1951), c’est-à-dire de corporatisme (soit, selon Mussolini, la fusion de l’État et du pouvoir des entreprises) ; le nazisme a été la forme première du néolibéralisme et de l’hygiénisme (Chapoutot, 2020) ; il n’y a pas vraiment eu de dénazification à l’Ouest et on doit maintenant s’interroger sur l’efficacité de celle, pourtant sévère, pratiquée par les Soviétiques (Lacroix-Riz, 1996) ; les nazis ont été recyclés dans la guerre froide par les US-américains (Simpson, 1988).

En pratique, on nous fait miroiter un totalitarisme bienveillant à la Huxley — vous ne posséderez rien et vous serez heureux — alors qu’il s’agira d’un totalitarisme orwellien : vous serez terrorisés et heureux de l’être.

La liberté n’a pas de prix, mais elle a un coût.

La conclusion est donc très simple : il est urgent de combattre bec et ongles toutes les manifestations de la propension totalitaire des oligarques. Cela implique a minima de bien comprendre le pouvoir de nuisance des technologies de l’information et, a maxima, de pouvoir déconstruire l’idéologie du moment dans sa hasardeuse nécessité même. En bref : pas de salut en dehors du sens commun, qui est enracinement et tropisme à la fois.

Bibliographie

  • Agamben, Giorgio, A che punto siamo ? L’epidemia come politica, Macerata, Quodlibet, 2020. Arendt, Hannah, The Origins of Totalitarianism, 3 volumes (Antisemitism, Imperialism, Totalitarianism), New York, Harcourt Brace & Co., 1951.
  • Bateson, Gregory, Steps to an Ecology of Mind. Collected Essays in Anthropology, Psychiatry, Evolution, and Epistemology. Pref. by Mark Engel, San Francisco, Chandler, 1972.
  • Belhaj Kacem, Mehdi, Colaricocovirus : D’un génocide non conventionnel. Préfacé par Louis Fouché, Thervay, Éditions Exuvie, 2022.
  • Bettelheim, Bruno, « Individual and Mass Behavior in Extreme Situations », Journal of Abnormal and Social Psychology, 38, 1943, pp. 417-452.
  • Bilheran, Ariane et Vincent Pavan, Le Débat interdit. Langage, Covid et Totalitarisme, Paris, Guy Trédaniel, 2022.
  • Chapoutot, Johann, Libres d’obéir : Le management, du nazisme à aujourd’hui, Paris, Gallimard, 2020.
  • Foucault, Michel, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Éditions Gallimard, 1975. Frankl, Viktor, Trotzdem Ja Zum Leben Sagen : Ein Psychologe erlebt das Konzentrationslager, Wien, Deuticke, 1946.
  • Gheorghiu, C. Virgil, La Vingt-cinquième heure. Traduit du roumain par Monique Saint-Come [1949], préf. de Gabriel Marcel, Paris, Éditions Plon, 1949.
  • Huxley, Aldous Leonard, Brave New World, London, Chatto and Windus, 1932.
  • Huxley, Aldous Leonard, Island. A Novel, London, Chatto & Windus, 1962.
  • Karpman, Stephen, « Fairy tales and script drama analysis », Transactional Analysis Bulletin, 26 (7), 1968, pp. 39–43.
  • Klemperer, Victor, LTI – Lingua Tertii Imperii : Notizbuch eines Philologen, Leipzig, Reclam Verlag, 1947.
  • Lacroix-Riz, Annie, Le Vatican, l’Europe et le Reich de la Première Guerre Mondiale à la Guerre Froide (1914–1955), Paris, Éditions Armand Colin, 1996.
  • Levi, Primo, Se questo è un uomo, Torino, F. De Silva, 1947.
  • Losurdo, Domenico, Stalin, Storia e critica di una leggenda nera, Milano, Carocci, 2008.
  • Löwenthal, Leo, « Terror’s Atomization of Man » Commentary 1, 1945/1946, pp. 1-8.
  • Negri, Antonio & Michael Hardt, Multitude. War and Democracy in the Age of Empire, New York, Penguin Press, 2004.
  • Orwell, George, Nineteen Eighty-Four, London, Martin Secker & Warburg, 1949.
  • Maffesoli, Michel, L’Ère des soulèvements, Paris, Éditions du Cerf, 2021.
  • Pavan, Vincent, Tout foutre en l’air : Sade, la sexualité, le transhumanisme et l’international élitaire, Thervay, Éditions Exuvie, 2023.
  • Sade, D. A. F. de, La Philosophie dans le boudoir [c. 1795], in Œuvres, Tome III, Paris, NRF Éditions Gallimard, 1998.
  • Simpson, Christopher, Blowback. America’s recruitment of Nazis, and its disastrous effect on our domestic and foreign policy, New York / London, Collier Macmillan, 1988.
  • Weber, Michel, Anarchie, gnose et sagesse. Essai typologique, Louvain-la-Neuve, Éditions Chromatika, 2021.
  • Weber, Michel, Contre le totalitarisme transhumaniste : les enseignements philosophiques du sens commun, Limoges, FYP éditions, 2018.
  • Weber, Michel, Covid-19(84) ou La vérité (politique) du mensonge sanitaire : le fascisme numérique, Louvain-la-Neuve, Éditions Chromatika, 2020.
  • Weber, Michel, De quelle révolution avons-nous besoin ?, Paris, Éditions Sang de la Terre, 2013.
  • Weber, Michel, Ethnopsychiatrie et syntonie. Contexte philosophique et applications cliniques, La-Neuville-aux-Joûtes, Jacques Flament Éditions, 2015.
  • Weber, Michel, Féminisme épidermique et utopie viscérale. Signes, symboles, et archétypes, Louvain-la-Neuve, Éditions Chromatika, 2020.
  • Weber, Michel, La Liberté est la première des sécurités. Plaidoyer psychothérapeutique, Louvain-la-Neuve, Éditions Chromatika, 2021.
  • Weber, Michel, Le Chant du signe. À propos des vénérables malentendus philosophiques et de l’inévitable transition culturelle, Louvain-la-Neuve, Éditions Chromatika, 2023.
  • Weber, Michel, Les Fins de l’histoire. Clinique du totalitarisme, Louvain-la-Neuve, Éditions Chromatika, 2023.
  • Weber, Michel, Pouvoir de la décroissance et décroissance du pouvoir. Penser le totalitarisme sanitaire, Louvain-la-Neuve, Éditions Chromatika, 2021.
  • Weber, Michel, Pouvoir, sexe et climat. Biopolitique et création littéraire chez G. R. R. Martin, Avion, Éditions du Cénacle de France, 2017.
  • Weber, Michel, Propositions contre-insurrectionnelles. Typologie des devenirs politiques, Louvain-la-Neuve, Éditions Chromatika, 2023.
  • Weber, Michel, The Political Vindication of Radical Empiricism. With Application to the Global Systemic Crisis, Anoka, Mn., Process Century Press, 2016.
  • Weber, Michel, Théorie et pratique du collectivisme oligarchique. Le complot de la Grande Réinitialisation n’aura pas lieu, Louvain-la-Neuve, Éditions Chromatika, 2021.

Biographie

Michel Weber est philosophe et thérapeute psycho-corporel. Ses recherches et publications sont présentées ici :
https://www.chromatika.org,
https://www.metabyanga.com,
http://chromatika.academia.edu/MichelWeber.

image_pdfPDF A4image_printImprimer

⚠ Les points de vue exprimés dans l’article ne sont pas nécessairement partagés par les (autres) auteurs et contributeurs du site Nouveau Monde.

Un commentaire

  1. Dommage que l’auteur passe à côté de la principale spécialiste incontestée du totalitarisme aujourd’hui à savoir ARIANE BILHERAN.
    Vous trouverez ses nombreux ouvrages sur le sujet, et bien d’autres, ici :
    https://www.arianebilheran.com/livres

    L’auteur ne cite qu’un ouvrage mais oublie l’essentiel.
    C’est d’autant plus dommage qu’Arianne Bilheran permet une compréhension profonde des totalitarismes d’hier et d’aujourd’hui.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *