Les origines du Plan Marshall

05/03/2024 (2024-03-05)

Par Christian Eyschen

Note de lecture

Les origines du Plan Marshall par Annie-Lacroix Riz

Cet ouvrage, monumental à bien des égards, est sous-titré « Le mythe de l’aide américaine ». C’est ce thème qui est traité avec force arguments et documents par notre amie et camarade Annie Lacroix-Riz. Le sujet étant à la fois politique, économique, technique, il n’était pas simple d’en faire une approche globale et compréhensible. En cela, ce livre est une réussite.

La thèse « impérialiste » était que, mus par un élan généreux, les États-Unis avaient, quasiment philanthropiquement, porté secours à la vieille Europe pour se redresser après le désastre de la Seconde Guerre mondiale. Le vieil adage populaire qui dit que le cœur est à gauche et le portefeuille à droite est plein de vérités et l’auteure le démontre.

La Première guerre mondiale n’a eu que des vaincus et un seul vainqueur : les USA qui vont alors dominer le monde et imposer leur Talon de Fer. Dès lors, ils vont n’avoir de cesse que d’imposer leurs intérêts, leurs politiques, leur économie, leur ordre militaire au monde entier. Et cela sur tous les plans.

L’auteure détaille beaucoup, et à raison, l’interventionnisme nord-américain dans le cinéma pour imposer ses films et son idéologie. L’utilisation après la guerre du Festival de Cannes en fut sans doute une pierre importante et annonciatrice. Les Accords Blum/Byrnes à la sortie de la guerre sont une soumission croissante à Hollywood et à ses intérêts, l’Art y a peu à voir.

Ce livre montre aussi les accords économiques entre Washington et Berlin, de tout temps pourrait-on dire, notamment par des consortiums d’intérêts économiques communs, y compris entre 1939 et 1945. La reconnaissance du ventre sera telle que, par exemple, les Américains assureront après 1945, 2 200 calories aux Allemands vaincus et leurs prisonniers contre 1 200 aux Français. Le coffre-fort a ses raisons que le cœur ignore.

Cet ouvrage très riche et documenté démontre bien des choses de ce genre. Toutes les négociations à partir de 1945 n’avaient pour but que d’assujettir les économies européennes aux besoins américains. Le journal libéral Anvers Nieuwe Gazette eut cette heureuse formule : « Les Américains ne prêtent pas de l’argent aux Français pour que ceux-ci deviennent des concurrents, mais pour qu’ils restent de bons clients ».

Cette formule s’appliquera partout et réduira à néant les économies et les Empires coloniaux de l’Angleterre et de la France, et anéantira littéralement l’économie anglaise qui ne devint plus qu’une dépendance des USA. La Zone Dollar évincera la Zone Sterling. Les Accords de Bretton-Woods en étaient l’instrument dominateur et destructeur.

Les « aides » américaines étaient constitutives d’un véritable pillage des économies européennes en général et en particulier de la France. Et les USA imposaient aux pays « vainqueurs » de racheter à prix d’or leurs surplus militaires dont la qualité militaire était plus que contestable et bien obsolète.

L’ouvrage ne traite pas du Plan Marshall, je pense que cela sera logiquement dans l’ouvrage suivant, mais il montre bien le cadre dans lequel celui-ci va se mettre en place : un alignement complet sur tous les plans. L’auteure montre aussi que la demande de l’URSS d’avoir des réparations allemandes en biens matériels s’est toujours heurtée au veto de la Maison-Blanche, ce qui était une constante depuis le Traité de Versailles. Il ne fallait l’URSS d’aucune manière.

On voit bien que cette politique économique n’était pas du tout éloignée de la politique en générale et que la « future » Guerre froide se mettait en place à travers cela. L’auteure montre aussi que la situation économique dramatique et l’assujettissement croissant aux USA n’a pas été étrangers à la démission de de Gaulle du gouvernement et à son départ du pouvoir le 20 janvier 1946. Ne voulant pas porter le chapeau, il remit son képi.

On voit bien aussi que Roosevelt et Truman avaient une « Politique Vichyste » jusqu’au bout et même après. Les Accords Clark/Darlan de fin 1942 visaient à « faire glisser Vichy à Alger ». Cet « antigaullisme » primaire les conduira à protéger et à faire recycler la plupart des Pétainistes notamment par le MRP, jugé plus sûrement anticommuniste que la SFIO. Le Canard Enchaîné avait bien raison de l’appeler la « Machine à Ramasser les Pétainistes ».

Un dernier point qui m’a aussi beaucoup intéressé : Paul Vignaux, dirigeant de la CFTC et animateur du courant « Reconstruction » qui va la déconfessionnaliser pour la transformer en CFDT, est recruté comme agent de l’OSS (Office of Strategic Services), ancêtre de la CIA, en 1942 par Allen Dulles. Après la guerre, les Américains lui verseront « pour son action anticommuniste » quelques millions pour ses activités « syndicales ». Il est curieux que l’on n’ait jamais entendu « CFTC-CFDT-CIA », sans doute parce qu’elle avait conclu un « Pacte d’union syndicale » en 1966   avec la CGT, qui servait bien la politique du PCF ?

Cet ouvrage donne d’utiles renseignements sur bien des aspects historiques et économiques. Il est à lire, étudier, et relire, tant la foison de documents est grande.

Christian Eyschen

Les origines du Plan Marshall par Annie-Lacroix Riz — éditions Armand Colin — 572 pages — 29,90 €

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