Les Brigades internationales de Franco

30/10/2023 (2023-10-30)

[Source : voxnr.fr]

Entretien avec Sylvain Roussillon

Pourquoi vous êtes-vous attaché à traiter un sujet aussi précis ?

J’ai depuis mon plus jeune âge (aux alentours de ma quinzième année) été passionné par tout ce qui, de près ou de loin, touchait à ce conflit. J’ai réuni au fil des années, de mes déplacements et de mes rencontres, une documentation importante sur la Guerre d’Espagne, ses acteurs politiques et militaires, ses implications idéologiques, géopolitiques, économiques et sociales. Avec une préférence marquée pour les Nationaux, mais sans pour autant refuser d’étudier en détail les évolutions au sein du camp républicain, avec par exemple les tentatives libertaires en Aragon, le développement du marxisme en Espagne, la vitalité du monde anarcho-syndicaliste. Il m’est apparu très vite que, s’il existe une abondante bibliographie sur cette guerre en général et sur bien de ses aspects en particulier, il n’existait rien — en tous les cas rien de solide et de complet — sur les volontaires étrangers engagés du côté national. Les rares mentions qui leur étaient consacrées étaient parcellaires, au mieux mal documentées, au pire truffées de mensonges. C’est un « trou » historique que j’ai d’abord voulu combler, puis une injustice mémorielle que j’ai souhaité réparer. Non pas en rendant forcément un hommage aveugle à ces « autres » volontaires, mais simplement en disant ce qu’ils étaient et qui ils étaient.

Vous-même, avez-vous été parfois surpris par vos propres découvertes ?

Oui, je dois avouer que le travail de certains chapitres m’a parfois amené à réviser mes propres opinions. Je savais par exemple que de très nombreux combattants arabes, et notamment marocains, avaient servi dans les troupes nationales. Mais je n’étais pas loin de penser, comme la plupart des historiens, qu’il s’agissait essentiellement de troupes mercenaires. Or, j’ai découvert avec une infinie surprise que l’engagement de beaucoup de ces hommes, probablement de la majorité d’entre eux, était un engagement politiquement très conscient. J’en veux pour preuve les témoignages de la presse nationaliste arabe dans le protectorat espagnol, le fait que plusieurs milliers de volontaires arabes aient à leurs risques et périls quitté les zones sous contrôle français (Maroc, Algérie, Tunisie) pour rejoindre la zone espagnole, que 1 236 Arabes, enfin, étaient volontaires dans les rangs de la Bandera phalangiste du Maroc sur un total de 3 700 hommes environ.

Le rôle joué par la notion d’Hispanité dans le ralliement des quelques centaines de volontaires venus d’Amérique latine ou des Philippines m’a aussi extrêmement surpris.
Sans parler d’un certain nombre de trajectoires individuelles qui sont pour le moins fascinantes comme celle du Finlandais Carl von Haartman, du Britannique Peter Kemp ou du Sud-Africain Roy Campbell. J’ignorais par exemple — et je ne suis probablement pas le seul — que ce dernier avait très probablement servi de « modèle » au personnage d’Aragorn dans le « Seigneur des Anneaux » de Tolkien.

Et du côté des Français et de la fameuse « Bandera Jeanne d’Arc » ?

Cette « bandera » a alimenté bien des fantasmes chez bon nombre de Français de droite ou d’extrême-droite. On a voulu y voir le parfait contrepoint d’autres Français, plus nombreux, engagé au service de la République au sein des Brigades internationales. Or, l’initiative de cette « Bandera Jeanne d’Arc » fut désastreuse dans sa conception comme dans sa mise en œuvre. Les droites françaises de l’époque tentèrent de l’instrumentaliser sans lui donner les moyens d’exister. Cela ne remet pas en cause le courage et l’abnégation des quelques centaines d’hommes qui la constituèrent, mais jamais cette unité ne fut le contrepoint des volontaires du camp d’en face. Par contre, le nombre de Français engagés au total du côté des Nationaux avoisine le millier, ce qui est loin d’être négligeable compte tenu du caractère souvent individuel et inorganisé de leur démarche, et de l’hostilité des autorités « Front Populaire » qui contrôlaient notamment le passage entre Hendaye et Irun. Ce chiffre relativement élevé provient notamment du nombre assez important de Français — près de 300 — engagés dans les milices carlistes. Et contrairement à une idée répandue notamment par quelques auteurs anglo-saxons souvent incapable de comprendre quoi que ce soit aux théories non libérales — qu’elles soient de droite ou de gauche, d’ailleurs —, l’engagement de ces Français du côté des Nationaux ne présument en rien de leur attitude ultérieure pendant la Seconde Guerre Mondiale ; un de ces parcours concerne notamment Michel de Camaret, Camelot du Roi, volontaire dans le Tercio carliste San Ignacio, plus tard capitaine dans les Forces Françaises Libres, Légion d’Honneur, Croix de Guerre, Médaille de la Résistance, Compagnon de la Libération, et député européen du Front national en 1984… je cite bien d’autres parcours du genre.

Vous évoquez l’engagement de certains de ces hommes au sein des milices carlistes, vous avez une idée de la répartition des volontaires étrangers dans les différentes unités et milices nationales ?

J’ai plus qu’une idée. Je suis parvenu aux chiffres suivants, qui sont évidemment à prendre avec tout le recul nécessaire compte tenu de l’imprécision de certaines archives : j’ai ainsi compté 5 566 volontaires étrangers dans le Tercio (la Légion étrangère espagnole), 1 670 étrangers dans la Phalange, 945 dans les milices carlistes, 331 dans diverses milices (Renovacion Española, Albiñanistas, etc.), et 238 dans l’armée régulière espagnole, dont 101 aviateurs et 28 volontaires — femmes et hommes — dans les services sanitaires. Et je ne compte pas tous ceux engagés dans la Légion Condor, le CTV italien ou les troupes spécifiquement marocaines. J’ai établi un tableau assez précis des volontaires et de leurs affectations, nationalité par nationalité, 61 représentées au total.

Justement quels sont les engagements, par nationalité, qui vous ont le plus frappé ?

L’engagement marocain, déjà évoqué plus haut m’a surpris par sa conscience politique que je n’attendais pas. L’engagement irlandais, qui est souvent cité, m’a donné l’occasion de découvrir enfin qui était en réalité son initiateur, Eoin O’Duffy, et de rendre hommage à cet homme, caricaturé, vilipendé par ses adversaires. Ce livre est pour moi l’occasion de rappeler que O’Duffy fut un authentique héros de la lutte nationaliste irlandaise, engagé dans l’IRA en 1917 à 25 ans, impliqué dans la première attaque frontale contre une caserne britannique en 1920, député du Sinn Fein en 1921, commandant de la 2e Division Nord de l’IRA cette même année, cette division étant chargée d’assurer la défense des quartiers catholiques de Belfast contre les attaques unionistes et britanniques ; la République d’Irlande devrait se souvenir de cet homme… L’engagement des Portugais est particulièrement intéressant aussi, d’une part parce qu’il permet de tordre le cou à ce vieux mensonge d’une « Légion Viriathe » qui n’a jamais existé que sur le papier, mais aussi parce que, restituant la vérité, il permet de découvrir une opposition inattendue au régime de Salazar, celle des nationaux-syndicalistes portugais dont 200, au moins, se sont engagés dans les milices phalangistes. Et puis il y a la modeste épopée, sur le plan numérique, des volontaires de la Garde de Fer roumaine. Engagement modeste sur le plan militaire, mais ô combien pertinent sur le plan politique. Un modèle du genre !

Quels enseignements tirez-vous de ce travail ?

Le premier des enseignements est que tout historien ou amateur d’histoire devrait aller à la source des informations plutôt que de reprendre pour argent comptant les « vérités » assénées par d’autres. Cela éviterait bien des erreurs, des inexactitudes, des interprétations fausses.

Ensuite qu’il est bien difficile, sur un sujet encore aussi sensible que celui de la Guerre d’Espagne, de trouver une écoute attentive et impartiale. On est vite, très vite, catalogué. J’ai eu beau faire valider l’ensemble de mon manuscrit à un spécialiste reconnu comme Bartolomé Bennassar, j’ai essuyé de nombreuses critiques quant au sujet même de cet ouvrage. On ne peut manifestement pas écrire sereinement sur tous les aspects de cette guerre. Il y a encore de nombreux tabous.

Enfin, et malgré la frilosité que j’ai pu rencontrer chez certains, j’ai déjà de nombreux retours de lecteurs, espagnols parfois, et certains descendants de Républicains en exil, qui me félicitent pour ce travail, pour cet éclairage que j’ai tenté de donner sur un sujet inédit de la Guerre d’Espagne. Ce travail n’est pas vain, ni pour mes lecteurs ni, je le souhaite, pour la mémoire de celles et ceux qui en sont les personnages centraux. N’en déplaise à quelques éditeurs frileux ou historiens-policiers de la pensée.

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