L’enseignement de la grammaire en détresse

12/03/2023 (2023-03-12)

[Source : bvoltaire.fr]

Par Philippe Kerlouan

D’où vient que les enfants sont si nuls en grammaire ? Bien sûr, comme toujours, il y a des exceptions qui confirment la règle. Mais la plupart des élèves sont les victimes de ce mal qui, malheureusement, ne concerne pas que cet enseignement. Le collectif Sauvez les lettres, qui porte bien son nom, vient de lancer une pétition dans un « Appel au ministre de l’Éducation nationale : plaidoyer pour une grammaire scolaire »dont L’Obs du 7 mars s’est fait l’écho. « Il est grand temps d’ouvrir les yeux », écrivent les signataires, mais n’est-ce pas déjà trop tard ?

Les promoteurs de cette nouvelle grammaire enseignée aujourd’hui aux élèves s’appuient sur des travaux universitaires de linguistique, qui sont, sans doute, de qualité, mais ne sont pas transposables à l’école primaire. Ainsi peut-on lire dans cette tribune, selon la terminologie officielle que doivent suivre les professeurs : « Dans la phrase “Je vais à Paris”, “à Paris” est un COI (complément d’objet indirect) du verbe aller, et non un complément de lieu, comme le pensent encore naïvement une grande majorité de Français. » N’importe quel enfant comprend spontanément que « à Paris » désigne un lieu, mais qu’est-ce que ce COI qu’on emploie à toutes les sauces ?

Les méthodes pédagogiques contribuent aussi à ce désastre. Depuis quelques décennies, sous l’influence des prétendues sciences de l’éducation, on veut rendre l’enseignement de la grammaire ludique et plus actif, on laisse les élèves manipuler les phrases pour en tirer eux-mêmes des conclusions. Bref, on les fait réfléchir comme des scientifiques alors qu’ils n’ont pas les connaissances de base qui le permettent. Le bon sens préconise un enseignement structuré et progressif où l’on passe du simple au complexe. Il ne semble pas partagé rue de Grenelle, où l’on préconise tout le contraire.

Si l’on ajoute le peu d’heures consacré à l’apprentissage de la langue française, le laxisme qui se substitue à une exigence bienveillante, la quasi-disparition des textes littéraires, les exhortations du ministère et de quelques inspecteurs à sa botte sommant les professeurs de se plier à cette nouvelle grammaire, on comprend pourquoi cet enseignement est aujourd’hui en déshérence et pourquoi la majorité des élèves ont tant de lacunes en orthographe. Sans compter que cet enseignement, qui n’en est pas un, nuit aux plus défavorisés socialement, qui ne peuvent compter que sur l’école publique pour s’instruire et se cultiver.

« Comme vous le savez, c’est sur les ruines de la grammaire que germe l’obscurantisme », conclut l’appel au ministre. On peut douter qu’il y soit sensible. Il fait, en effet, partie de cette caste qui met ses enfants à l’abri des dérives qu’elle laisse se propager dans l’enseignement. Pour elle, le peuple n’a pas besoin d’accéder à la logique de la langue, à la compréhension d’un texte et à la profondeur de la littérature. Ce serait même dangereux qu’il pût faire preuve de jugement critique et se mît à penser par lui-même. Il est fait pour exécuter et consommer sans se poser trop de questions.

Tous ces progressistes de pacotille feraient bien de relire Condillac, qui écrivait en 1775 : « Je regarde la grammaire comme la première partie de l’art de penser. » Un peuple qui pense, c’est le cauchemar de nos prétendues élites. C’en serait fini de leur suprématie, de la morgue qu’elles ont du mal à cacher et dont Macron est le parangon.

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