26/07/2023 (2023-07-26)
[Source : bvoltaire.fr]
Par Charles-Henri d’Elloy
On ne discute pas des goûts et des couleurs, mais c’est pourtant ce qui nous rapproche, bien plus que les opinions. Lorsque je demande aux personnes tatouées pourquoi elles se sont fait tatouer, elles répondent le plus souvent que c’est pour affirmer leur personnalité. Autrement dit, elles se singularisent en suivant une mode qui sévit depuis déjà plusieurs années. Mais quoi de plus commun et d’impersonnel que de faire allégeance à la mode ? Jadis, le tatouage était la marque de quelques galfâtres marginaux et de marins qui affichaient pour toujours les stigmates de leurs exploits. Aujourd’hui, nous sommes bien loin du bagnard Henri Charrière, surnommé « Papillon » parce que des Indiens lui avaient tatoué un spécimen de lépidoptère sur le buste. Tout le monde ou presque, hélas, veut son tatouage, à tel point qu’une émission de télévision lui est consacrée.
Par définition, une mode est éphémère. Celles de porter des pantalons à pattes d’éléphant, des mocassins à glands ou des queues de cheval pour les hommes étaient bien innocentes en comparaison de la vogue du tatouage. Car cette dernière aura des traces éternelles. Le motif étant définitif, il faudra le supporter à vie, même lorsque le temps aura fait son œuvre et que les ailes du bel oiseau fixé sur une peau juvénile ressembleront, quelques décennies plus tard, à celles d’un goéland après le passage de l’Amoco Cadiz. Lorsque les beaux jours arrivent et que les corps se dénudent, je suis toujours navré de voir des jeunes filles à la peau d’une blancheur liliale souillée à jamais par un tatouage indélébile. Sans compter que l’injection intradermique, plus ou moins douloureuse, n’est pas sans risque. Le Syndicat national des dermatologues-vénéréologues met en garde : selon les recherches menées par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, les composants des encres injectées sous la peau peuvent contenir des métaux toxiques. Curieusement, les pouvoirs publics, d’habitude si prompts à nous prévenir de toutes sortes de dangers au sujet des colorants, des pesticides, de l’amiante, du tabagisme, des particules fines (ce ne sont pas des aristocrates spirituels)… j’en passe et des meilleures, demeurent très discrets sur la question. À notre époque hygiéniste et frileuse, c’est étonnant. Nous verrons bien si les maladies de peau exploseront à l’avenir.
Personnellement rétif à la moindre piqûre, prétendument pour mon bien, je ne me vois pas souffrir pour me faire tatouer un dessin que je risque de ne plus voir en peinture après quelques années. D’autant que l’addition est salée et non remboursée par la Sécurité sociale. Tout le monde n’a pas la chance d’avoir un dessin de Modigliani dans son dos, comme Jean Gabin dans le film Le Tatoué, avec Louis de Funès, réalisé par Denys de La Patellière. Les sociologues expliquent que la mode du tatouage exprime le besoin de s’approprier son corps. J’aurais plutôt tendance à vouloir refiler le mien pour un plus beau… Mais je n’ai jamais trouvé qu’un tatouage, aussi artistique soit-il, embellissait le corps de son commanditaire. Comme la plupart du temps, le besoin de se singulariser de manière ostentatoire trahit plutôt un vide intérieur, et c’est ainsi que pour se démarquer, on finit par se faire tatouer pour ressembler à tout le monde, ce qui est la définition de la vulgarité.
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