L’alliance traitresse entre nazis et sionistes

11/07/2024 (2024-07-11)

[Source : Investig’Action via lesakerfrancophone.fr]

[Illustration :
Adolf Hitler, à une fenêtre de la Chancellerie du Reich, reçoit une ovation le soir de son investiture comme chancelier, le 30 janvier 1933.
(Robert Sennecke, Archives fédérales allemandes, Wikimedia Commons, domaine public)]

En collaborant avec les nazis, un petit groupe de sionistes a affaibli la résistance antifasciste et contribué au génocide des Juifs d’Europe, écrit Stéphane Moore.

Par Stéphane Moore

Même si d’aucuns auront du mal à l’admettre, les politiques d’apartheid de l’Israël d’aujourd’hui trouvent leurs racines dans la période qui a précédé l’Holocauste, lorsque l’Allemagne nazie et un petit groupe de sionistes bien placés ont conclu une alliance pour développer leurs états ethnonationalistes.

Le 25 août 1933, les sionistes allemands et le gouvernement nazi ont apposé leur signature sur un accord qui permettait à quelques riches juifs d’émigrer vers Israël en échange de leur engagement à acheter des produits allemands pour les importer et les écouler dans la communauté juive en Palestine.

L’accord ne s’arrêtait pas là. Les sionistes promettaient également d’influencer la communauté juive mondiale pour qu’elle renonce au boycott des produits allemands initié avec l’arrivée d’Hitler au pouvoir.

On lit dans un mémo de 1933, adressé par la Fédération sioniste d’Allemagne au parti nazi que : « si les Allemands acceptent la collaboration des sionistes, eux (sic) essayeront de convaincre les juifs de l’étranger de ne pas soutenir le boycott anti-allemand ».

L’accord, baptisé du nom d’accord « de transfert » ou « de Haavara » (du nom de la société de Tel-Aviv par laquelle transitaient les fonds) a été avalisé par les plus hauts responsables nazis y compris Adolph Eichmann et Hitler, ainsi que par plusieurs futurs premiers ministres israéliens, David Ben Gourion, Moshe Shertok et Golda Meir.

Pour les sionistes, l’accord était bénéfique en ce qu’il permettait à l’élite des juifs allemands de rester en possession d’une partie de leur capital et de s’établir en Palestine. Pour les nazis, l’accord ne permettait pas seulement de se débarrasser d’une petite partie de sa population juive (60 000 émigrants entre 1933 et 1939) mais surtout, il condamnait le mouvement de boycott à l’échec et ouvrait les marchés extérieurs mondiaux aux produits allemands, pour le plus grand bénéfice de son économie.

Étiquette de boîte d’allumettes diffusée par la Non-Sectarian Anti-Nazi League to Champion Human Rights pour promouvoir le boycott antinazi en 1933.
(Ephemeral New York, Wikimedia Commons, domaine public)

Pour la majorité des juifs dans le monde qui se définissaient comme non sionistes, voire antisionistes, il s’agissait d’un coup de poignard dans le dos qui les privait d’une des rares armes à leur disposition pour combattre le nazisme. Cette trahison fut symbolisée par l’étrange image d’un cargo de la Haavara qui portait son nom, Tel-Aviv, écrit en hébreu à la proue et arborait un drapeau frappé du swastika sur le pont.

Au cours des décades précédant la signature de l’accord, la progression des sionistes vers la création d’un état juif en Palestine avait été plutôt lente. Même après la déclaration Balfour, qui promettait une patrie juive en Palestine, les autorités britanniques continuaient à limiter l’immigration juive et les juifs peinaient à acquérir suffisamment de terres pour déplacer la population indigène arabe. En 1920, les juifs ne possédaient que moins de 2 % des terres de Palestine.

L’ascension d’Hitler a procuré aux sionistes une opportunité historique pour décupler l’immigration juive en Palestine. Ben Gourion, le futur leader d’Israël, l’a exprimé ainsi : « le désastre a permis de faire en un jour ce que la propagande sioniste avait échoué à faire pendant des années ». À quoi Hannah Arendt ajoute que « l’antisémitisme a été une force incroyable : il ne restait aux juifs qu’à l’utiliser ou se faire dévorer par lui. Pour des politiciens de talent (comme David Ben Gourion & Co) cette “force motrice” pouvait facilement être utilisée comme l’eau bouillante est utilisée pour produire de la vapeur »

Sauver qui ?

En réalité, ce projet sioniste restait totalement indifférent au sort de la vaste majorité de Juifs européens confrontés à la marginalisation, aux agressions et aux assassinats.

Dans son histoire du Mandat britannique « Une Palestine entière », Tom Segey, journaliste israélien, écrit que « le sauvetage des Juifs européens n’était pas la priorité de la classe dirigeante [sioniste] ». Pour eux, « c’est la fondation de l’État qui était primordiale ».

Lors d’une conférence du Parti Travailliste sioniste en 1938, Ben Gourion expose sa philosophie au sujet de qui devrait être sauvé en réponse à l’offre britannique d’exfiltrer des milliers d’enfants juifs d’Europe :

« S’il était possible de sauver tous les enfants en Allemagne en les ramenant en Angleterre ou de sauver seulement la moitié d’entre eux en les emmenant en Eretz Israël, je choisirais la deuxième solution. Car nous devons prendre en compte non seulement la vie de ces enfants, mais l’intérêt historique du peuple d’Israël ».

Ben Gourion fait un discours lors de la cérémonie de la pose de la première pierre du bâtiment du syndicat Histadrut à Jérusalem, en 1924
(Collection nationale des Photos d’Israël, Wikimedia Commons)

Mais en réalité, ce n’était pas n’importe quels enfants que les sionistes voulaient voir en Palestine, et en particulier pas les enfants des shtelts d’Europe de l’Est ou de Russie. Chaim Weizman, qui deviendra le premier président d’Israël, s’en explique lors de la conférence mondiale du sionisme à Zurich en 1937 : « nous ne voulons voir venir à nous que le meilleur de la jeunesse juive, que n’entrent que ceux qui ont de l’instruction » « les autres Juifs devront rester là où ils sont et confronter les destins qui les attendent. Ces millions de Juifs ne sont que de la poussière sur la roue de l’histoire et il faudra peut-être qu’ils soient balayés par le vent. Nous ne voulons pas les voir se déverser en Palestine. Nous ne voulons pas que Tel-Aviv devienne un autre ghetto mal famé. »

Les sionistes et les nazis étaient en fait très proches idéologiquement : tous les deux cherchaient à créer un état ethnonationaliste basé sur la pureté raciale — un concept qui avait alors le vent en poupe — et tous les deux s’opposaient avec force à l’assimilation des Juifs en Europe.

Le journaliste Klaus Polkhen, dans Contacts Secrets écrit : « l’attitude des sionistes devant la menace grandissante de la domination fasciste en Allemagne était déterminée par des assomptions idéologiques communes : comme les fascistes, les sionistes croyaient en des théories raciales a-scientifiques et ils partageaient une foi dans des généralisations mystiques telles que “le caractère national (Volkstum)” ou “l’exclusivité de la race” »

Communauté de pensée avec les fascistes

Un mémo envoyé au parti nazi par la fédération sioniste d’Allemagne le 21 juin 1933 les assure de leur proximité idéologique : « Notre reconnaissance de la nationalité juive nous permet d’établir des relations claires et sincères avec le peuple allemand et ses réalités nationales et raciales… car nous aussi, nous sommes contre les mariages mixtes et pour la préservation de la pureté du groupe juif ».

Chaim Weizman en 1900
(Bain News Services, Librairie du Congrès, Wikimédia Commons)

Arthur Ruppin, un sociologue à la tête de l’Exécutif sioniste en Palestine1, tirait son inspiration directement des théories nazies de la race des maîtres. Selon lui, le sionisme se fondait sur la « pureté raciale » et seuls les « “pur races” pouvaient rejoindre la Terre [promise, NdT] ». Inspiré par les travaux des scientifiques nazis, il s’appuyait sur des mesures crâniennes pour démontrer que les Juifs ashkénazes étaient supérieurs aux Juifs yéménites et se prononçait contre l’immigration des Juifs éthiopiens à cause de l’absence de « liens du sang ».

Paradoxalement, certains sionistes se réjouissaient de l’antisémitisme nazi. Lors d’un meeting avec Adolf Eichmann en 1937, Feivel Polkes, un membre de l’armée sioniste clandestine (la Haganah, NdTencensait la terreur en Allemagne : « Les cercles juifs nationalistes sont très contents des politiques radicales mises en place en Allemagne en direction des Juifs, politiques qui résulteront dans l’accroissement de la population juive en Palestine et, on peut le penser, dans la réalisation d’une majorité juive sur les Arabes en Palestine ».

L’admiration de Polkes était reflétée dans celle d’Eichmann qui rajoute : « si j’étais Juif, je serais un fanatique sioniste. En réalité, je serais le plus ardent parmi les sionistes ».

Cette similitude de vue sur la race et la formation de la nation explique pourquoi les nazis ont octroyé un traitement de faveur aux sionistes dans presque tous les domaines. Jusqu’en 1939, c’était le seul groupe non nazi à avoir le droit de porter leur propre uniforme, arborer leur propre drapeau et développer leur propre philosophie politique. Alors que le ministre allemand de la propagande avait interdit tous les journaux publiés par les communistes, les sociaux-démocrates, les syndicats et autres organisations progressistes, le journal sioniste Judische Rundschau a continué à publier sa propagande sans restrictions de 1933 à 1939.

À l’opposé des sionistes allemands, la plupart des Juifs européens résistaient contre les fascistes. Ils se battaient contre eux en Espagne, où 30 % de la brigade américaine Lincoln étaient juifs, et en Pologne, c’était la moitié de la brigade Dombrowski qui était juive. Leur contrebande alimentait en armes les ghettos d’Europe de l’Est. Ils s’activaient à pousser les autres pays à leur venir en aide. Pendant ce temps, les sionistes faisaient leur possible pour contrecarrer ces efforts.

En 1938, lors d’une conférence réunissant 32 pays organisée à Évian-les-Bains autour du problème des Juifs allemands et autrichiens fuyant les persécutions nazies, seule la République dominicaine s’est offerte à leur porter secours, proposant à 100 000 réfugiés juifs « des espaces de terres fertiles inoccupées, avec un excellent réseau routier et une force de police capable de maintenir la loi et l’ordre ».2 Mais, selon S.B. Bzit Zvi, chercheur sur l’Holocauste, « l’hostilité des sionistes [à cette offre généreuse] était claire et sans concessions » : « les sionistes s’opposaient à quoique ce fût qui pût compromettre leur base de récolte de fonds. Si les Juifs américains aidaient la colonie en République dominicaine, ils donneraient probablement moins au Fonds National juif ou au Keren Hayesod [Appel unitaire pour Israël].


Source originale : Consortium News
Traduit de l’anglais par J-L Picker pour Investig’Action


1 NdT : en réalité, seulement un millier de Juifs est-européens réussirent à atteindre la République dominicaine. Incidemment, l’offre du dictateur Trujillo visait surtout à augmenter la population non-noire de la république, dans une perspective de domination coloniale.

2 NdT : L’Exécutif sioniste en Palestine (1922-1929) était un organisme créé sous l’égide de l’Organisation sioniste mondiale. Comme son nom l’indique, il avait un rôle d’administration et de représentation de la communauté juive en Palestine. Ses fonctions seront reprises en 1929 par la tristement célèbre Agence Juive

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