La vue, la vision et la vie

14/01/2021 (2021-01-14)

Par Joseph Stroberg

La vie d’un être humain est largement conditionnée d’abord par ce qu’il en perçoit, puis par la manière dont il y réagit (physiquement, émotionnellement et mentalement…) selon sa personnalité et son caractère, et enfin en fonction de la représentation interne qu’il se fait d’elle et de l’univers. Cette dernière tend à guider ensuite ses actes et ses choix dans tous les domaines de l’existence : familial, professionnel, social, ludique, économique, éducatif, culturel, religieux…

Par la vue et ses autres sens, l’individu perçoit son environnement aussi bien externe qu’interne. Il en obtient une vision plus ou moins subjective et fortement dépendante de son point de vue ou d’observation, de l’angle plus ou moins restreint ou au contraire élargi sous lequel il observe, de sa capacité plus ou moins forte à se déplacer d’un point d’observation à l’autre pour combler les angles morts… Il réagit ensuite à ce qu’il perçoit de manière plus ou moins vive et rapide, selon ses références mémorielles, le degré de danger que cela peut représenter, et les affinités ou non que cela peut avoir avec lui sur un plan ou un autre (génétique, sensoriel, psychique, psychologique, émotionnel, mental, etc.). Et finalement, comme il n’a pas seulement la conscience d’un oiseau ou d’un chat, il cherche à donner un sens à ce qu’il a perçu. Il cherche à le comprendre, puis au-delà, à l’assimiler et l’intégrer dans son univers intérieur, dans sa représentation interne du monde. De ce point de vue, son corps même et par extension sa personnalité font partie du monde. Sa conscience s’en fabrique aussi une représentation.

Ainsi et sans doute depuis les premiers jours de leur apparition sur cette planète, les êtres humains tendent à s’attribuer un rôle parmi leurs frères et sœurs en fonction de ce qu’ils comprennent ou s’imaginent d’eux-mêmes. Et ce rôle n’est pas nécessairement alors le moindrement en rapport avec les faits objectifs qu’eux-mêmes et leurs frères et sœurs pourraient pourtant observer. C’est ainsi que de nos jours nous pouvons voir par exemple des individus se prendre ou se faire passer pour Jésus le Christ ou pour sa réincarnation. Seulement l’un d’entre eux pourrait-il tout au plus l’être effectivement. Cependant, l’intéressant ici est de tenter de déterminer les motivations ou les phénomènes qui peuvent pousser l’être humain à adopter un éventuel grand décalage entre le monde réel et la représentation interne qu’il fait de ce dernier.

Des théories de la conspiration ou des hypothèses telles que la présence extraterrestre sur la Terre peuvent a priori aussi bien faire partie de tels décalages. Et ceci reste possible même si l’individu est convaincu d’être le Christ, convaincu de telle théorie conspirationniste (telle par exemple de fausses missions Apollo sur la Lune), ou encore convaincu que des Reptiliens ou des Gris sont présents depuis longtemps sur la planète. Dans les faits, il n’a que peu de moyens de prouver ou d’infirmer l’objet de ses convictions et celui-ci pourrait aussi bien être totalement erroné. Ses sens perceptifs sont limités. La vue humaine, par exemple, ne couvre qu’une petite portion de tout le spectre des ondes électromagnétiques. L’Homme ne perçoit ni les ultra-violets, ni les infrarouges, ni les ondes radio, ni les micro-ondes ni les rayons X, etc. Ces mêmes sens peuvent aussi facilement être abusés. La vue peut l’être par des illusions d’optique, des trucages, des lentilles ou des miroirs déformants…

Comme si la médiocrité sensorielle ne suffisait pas, la mémoire elle-même est faillible et l’être humain peut aussi bien se fabriquer de faux souvenirs que changer au moins légèrement ceux-ci chaque fois qu’il se les remémore, ou encore se faire implanter par d’autres personnes des souvenirs factices (comme des expériences scientifiques l’ont démontré). Ainsi, la vision humaine du monde est-elle d’autant plus fragile et délicate qu’elle repose sur des sens limités et une mémoire peu fiable. C’est probablement en raison d’une telle faiblesse perceptive qu’il est ensuite si facile à l’Homme de se fabriquer une image dénaturée (dévalorisée ou au contraire surfaite) de ce qu’il est vraiment. Il peut aussi bien se prendre pour le Christ que pour son contraire, selon ses motivations et sa conscience. Et à cause d’une telle faiblesse, il peut aussi bien être absolument convaincu de la véracité du récit officiel sur les attentats du 11 septembre 2001 que de sa fausseté, selon ses a priori et ses orientations géopolitiques, idéologiques, etc. Il peut aussi bien être convaincu de la présence de Reptiliens sur la Terre que de l’impossibilité pour quelques extraterrestres que ce soit de visiter notre planète.

Notons cependant par ailleurs qu’il est toujours possible qu’une conviction profonde repose sur autre chose que la mémoire et les sens de perceptions classiques, mais sur des moyens sensoriels que nous pouvons qualifier de paranormaux. Les perceptions extrasensorielles sont encore mal connues et très peu étudiées par la science. Certaines de ces perceptions pourraient être beaucoup plus fiables que la vue, au point de ne jamais rencontrer d’erreurs par elles-mêmes. Pour autant, elles ne diminuent pas nécessairement alors la propension de l’être humain à se faire du cinéma ou des romans sur lui-même, son rôle ou sa vie, voire sur le monde en général. En particulier, les phénomènes de dissonance et de biais cognitifs qui peuvent altérer la vision humaine du monde et des choses sont maintenant assez bien connus. Ils font partie du fonctionnement cérébral neurotypique et sont probablement inscrits dans la génétique de l’Homo sapiens en tant que mécanismes de survie individuelle et collective.

Si la génétique et le fonctionnement cérébral et sensoriel de l’Homme sont en grande partie à l’origine d’une représentation décalée ou faussée des choses, des êtres et de la vie en général, celui-ci peut augmenter ou aggraver la tendance par des motivations émotionnelles, psychologiques ou psychiques diverses. Comme illustration, quelles sont celles derrière la volonté de se faire passer pour le Christ (sans alors nécessairement penser l’être) ou de se prendre pour lui ? Nous pouvons notamment imaginer ou envisager les motifs suivants, pas nécessairement exclusifs l’un de l’autre : une volonté de manipuler autrui en jouant au gourou ; le goût pour la provocation ; le besoin de semer la zizanie en faisant le troll ; une aspiration mystique ; un désir de sauver le monde. Ces motivations dépendent à la fois de la représentation interne que se fait l’individu du monde et de lui-même, et de l’orientation ou de l’éveil de sa conscience.

En définitive, même la plupart des convictions de l’être humain relèvent finalement de croyances, qu’elles soient ou non fondées sur des faits réels, car ces derniers ne sont le plus souvent abordés que très partiellement (via un matériel sensoriel limité et parfois défectueux…) ou indirectement (via des écrits plus ou moins fiables, des tierces personnes, des rumeurs ou des légendes urbaines…). L’individu s’est fabriqué sa représentation interne du monde — ce qu’éventuellement il dénomme sa « vérité » — et croit plus ou moins fermement que le monde réel est ainsi. Cependant, la « Vérité » ne lui est que très, très partiellement accessible, en tant que traduction fiable du Réel. Il n’en voit tout au plus que certaines facettes, et ceci le plus souvent de manière déformée.

Si un être humain ne peut accorder une totale confiance en ses perceptions et donc si sa vision du monde est déformée au point que le tout forme un ensemble de croyances plus ou moins cohérentes, qu’est-ce qui pourrait mériter davantage d’attention de sa part ? Eh bien, il semble que ce soit ce qu’il va faire de ses croyances et de sa représentation interne du monde en général. Comment cela va-t-il l’amener à agir dans le monde ? Cela va-t-il par exemple le conduire prioritairement à créer ? Ou bien à détruire ? Va-t-il se comporter en accord avec sa vision ou va-t-il la trahir ? S’il se prend pour le Christ, va-t-il démontrer son amour inconditionnel pour les autres ? Ou bien va-t-il contribuer à les diviser ?

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