La vie sans passeport (sanitaire ou autre) avant 1914

27/12/2023 (2023-12-27)

[Publication initiale : Le Saker Francophone]

[Illustration : Stephan Zweig et Georges Bernanos]

Par Nicolas Bonnal

Zweig et Bernanos : la vie sans passeport (sanitaire ou autre) avant 1914

Le cataclysme totalitaire qui nous tombe dessus a des précédents dans notre Europe si démocratique et lumineuse qui aura inventé toutes les monstruosités du monde moderne. À l’heure où le pass sanitaire est imposé à tous, où les comptes des non-vaccinés, et leur téléphone, et leur eau, et leur électricité sont en passe d’être coupés, il est bon de le rappeler.

On va reprendre deux de nos écrivains favoris qui sont frères d’âme : le « juif libéral » et pacifiste Stephan Zweig, ami de Romain Rolland, et le catholique monarchiste Georges Bernanos qui il y a un siècle dénonçaient la montée de l’étatisme totalitaire en Occident. Les deux grands esprits à cette époque remarquent l’émergence de deux contraintes : le passeport et le visa… Nos lecteurs pourront retrouver aussi nos écrits sur Chesterton et son détestable voyage en Amérique dans les années vingt. Contrôle et obsession anticommuniste au programme.

On commence par Zweig et son fastueux Monde d’hier (le plus grand livre du monde selon nous sur le vingtième siècle, ce siècle tué en 1914 et partiellement survivant dans les années vingt) :

La chute de l’Autriche a produit un changement dans ma vie privée que j’ai d’abord considéré tout insignifiant et purement formel : j’ai perdu mon passeport autrichien et j’ai dû demander aux autorités britanniques un document de substitution, un passeport apatride. Dans mes rêves cosmopolites, j’avais souvent imaginé dans mon cœur combien splendide et conforme à mes sentiments serait de vivre sans État, de n’être obligé à aucun pays, et, par conséquent, appartiennent à tous sans distinction. Mais encore une fois, j’ai dû reconnaître à quel point le fantasme humain et dans quelle mesure nous ne comprenons pas les sensations les plus importantes jusqu’à ce que les ayons vécues nous-mêmes.

Ce que nous allons vivre avec la dictature sanitaire de Macron-Schwab-Leyen nous allons bientôt le comprendre. Zweig poursuit :

Tout consulat ou officier de police autrichien avait le droit ou l’obligation de me le prolonger en tant que citoyen à part entière. Au lieu de cela, le document pour étranger que les Anglais m’ont donné, j’ai dû le demander. C’était une faveur, mais une faveur qu’ils pouvaient retirer à tout moment. Du jour au lendemain, il avait descendu un échelon de plus. Hier, il était encore un invité étranger et, en quelque sorte, un gentleman qui avait des revenus internationaux et payé ses impôts, et aujourd’hui j’étais devenu un émigré, un « réfugié ».

Préparez-vous, non-vaccinés, à ce statut de réfugié sur votre sol ; on est à 45 % de vaccinés, attendez 51 puis 60 % ; et arrêtez de dire que les chiffres sont truqués, de toute manière ils s’en moquent.

Zweig décrit l’entrée dans un monde pré-totalitaire en 1919 :

En effet : rien ne démontre peut-être de façon plus palpable la terrible chute que le monde de la Première Guerre mondiale a connu comme limitation de la liberté de mouvement de l’homme et la réduction de son droit à la liberté. Avant 1914, la Terre appartenait à tout le monde. Tout le monde allait où il voulait et y restait aussi longtemps qu’il le voulait. Il n’y avait pas de permis ou autorisations ; Je m’amuse de la surprise des jeunes chaque fois que je leur dis qu’avant 1914 j’ai voyagé en Inde et en Amérique sans passeport et je n’en avais jamais vu de ma vie.

L’auteur d’Amok décrit ensuite ce monde d’avant la guerre mondiale éternelle voulue par les banquiers mondialistes :

Là les gens montaient et descendaient des trains et des bateaux sans demander ou être invités, ils n’avaient pas à remplir un seul des cent papiers qui sont requis aujourd’hui. Il n’y avait pas de sauf-conduits ou les visas ou l’un de ces tracas ; les mêmes frontières qu’aujourd’hui les douanes, la police et les gendarmes se sont transformés en fil de fer barbelé, à cause de la méfiance pathologique de tous vis-à-vis de tous, ils ne représentaient que des lignes symboliques qui croisaient la même nonchalance que le méridien de Greenwich.

La laisse électronique et même psychologique (désolé, il y a ou aura 80 ou 90 % de volontaires extatiques) a perfectionné cette horreur. Zweig poursuit en n’oubliant pas les vaccins, conséquence du militarisme, des guerres, et aussi cause partielle du génocide planifié et faussement nommé grippe espagnole :

Toutes les humiliations qui avaient été autrefois inventées uniquement pour les criminels, ils étaient maintenant infligés à tous les voyageurs, avant et pendant le voyage. L’un devait être représenté de droite et de gauche, visage et profil, coupé ses cheveux pour qu’on puisse voir ses oreilles, laisser ses empreintes digitales, d’abord celles du pouce, puis ceux de tous les autres doigts. De plus, il fallait présenter des certificats de toutes sortes : de santé, de vaccination et de bonne conduite, lettres de recommandation, invitations et adresses de parents, garanties morales et économiques, remplir des formulaires et signer trois ou quatre exemplaires, et si un seul de cette pile de papiers manquait, tout était perdu. Cela ressemblait à des bagatelles, mais…

Bernanos va utiliser le même mot : bagatelle. C’est le même en allemand. Zweig évoque ensuite notre avilissement qui en découle surnaturellement :

Nous, les jeunes, avions rêvé d’un siècle de liberté, de l’âge futur du cosmopolitisme. Quelle part de notre production, de notre création et de notre pensée s’est perdue à cause de ces singeries improductives qui avilissent en même temps l’âme ?

C’est dans le chapitre l’Agonie de la paix.

Voyons Bernanos, réfugié au Brésil comme Zweig, de six ans son cadet, et qui défendit la liberté comme personne, ce qui le rend peu lisible par les temps qui courent. Il fait les mêmes observations avec les mêmes mots que Zweig sur cette volonté médicale et donc pathologique de tout contrôler et de tout vérifier :

Ce que vos ancêtres appelaient des libertés, vous l’appelez déjà des désordres, des fantaisies. « Pas de fantaisies ! disent les gens d’affaires et les fonctionnaires également soucieux d’aller vite, le règlement est le règlement, nous n’avons pas de temps à perdre pour des originaux qui prétendent ne pas faire comme tout le monde… », comme ne pas se vacciner, par exemple.

Après Bernanos évoque le passeport :

Cela va vite, en effet, cher lecteur, cela va très vite. J’ai vécu à une époque où la formalité du passeport semblait abolie à jamais. N’importe quel honnête homme, pour se rendre d’Europe en Amérique, n’avait que la peine d’aller payer son passage à la Compagnie Transatlantique. Il pouvait faire le tour du monde avec une simple carte de visite dans son portefeuille.

Oui, cela sonne un peu rustique et bucolique au temps des commissaires politiques et sanitaires, pas vrai ? Puis on parle des empreintes digitales, autre bagatelle :

Les philosophes du XVIIIe siècle protestaient avec indignation contre l’impôt sur le sel — la gabelle — qui leur paraissait immoral, le sel étant un don de la Nature au genre humain. Il y a vingt ans, le petit bourgeois français refusait de laisser prendre ses empreintes digitales, formalité jusqu’alors réservée aux forçats. Oh ! oui, je sais, vous vous dites que ce sont là des bagatelles. Mais en protestant contre ces bagatelles le petit bourgeois engageait sans le savoir un héritage immense, toute une civilisation dont l’évanouissement progressif a passé presque inaperçu, parce que l’État moderne, le Moloch technique, en posant solidement les bases de sa future tyrannie, restait fidèle à l’ancien vocabulaire libéral, couvrait ou justifiait du vocabulaire libéral ses innombrables usurpations.

Après on arrive au siècle des intellectuels qui comme les BHL ou Onfray vont tout justifier :

Au petit bourgeois français refusant de laisser prendre ses empreintes digitales, l’intellectuel de profession, le parasite intellectuel, toujours complice du pouvoir, même quand il paraît le combattre, ripostait avec dédain que ce préjugé contre la Science risquait de mettre obstacle à une admirable réforme des méthodes d’identification, qu’on ne pouvait sacrifier le Progrès à la crainte ridicule de se salir les doigts.

Et là comme Zweig, esprit peu religieux s’il en fut, Bernanos évoque l’avilissement de nos âmes :

Erreur profonde ! Ce n’était pas ses doigts que le petit bourgeois français, l’immortel La Brige de Courteline, craignait de salir, c’était sa dignité, c’était son âme.

Depuis ces temps nous n’avons fait que descendre. On va voir maintenant qui est prêt à payer pour la liberté.

Nicolas Bonnal

Sources
  • Bernanos – la France contre les robots (PDF sur le web)
  • Zweig – Le monde d’hier (LDP)
  • Nicolas Bonnal – Guénon, Bernanos et les gilets jaunes

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