13/07/2022 (2022-07-13)
[Source : libremedia.ca]
[Photo : Des agriculteurs français manifestent contre la décision de la ville de Lyon d’interdire la viande dans les écoles pour respecter la distanciation sociale durant le service des repas, le 22 février 2022. Photo : Olivier Chassignole pour l’AFP.]
Financée par des conglomérats agro-industriels, la viande cellulaire promet un monde meilleur grâce à une consommation plus soucieuse de l’environnement. Mais pour l’instant, cette fausse viande semble poser plus de problèmes qu’elle n’en résout.
« L’idée est de prélever certaines cellules souches animales qui peuvent se reproduire toutes seules dès l’instant où elles baignent dans un liquide nourricier », résume Gilles Luneau, journaliste d’enquête spécialisé dans l’agriculture cellulaire.
«On isole ces cellules et on les cultive dans ce liquide nourricier pour former et récolter des fibres musculaires à la base de la viande qu’on consomme», ajoute-t-il auprès de Libre Média.
D’après les adeptes de cette révolution alimentaire, la magie de la viande cellulaire se trouve dans sa capacité à être produite à partir d’un seul animal.
Par exemple, une seule vache donneuse de cellules souches pourrait nous permettre de produire 175 millions de burgers, l’équivalent de 440 000 animaux élevés et tués.
Une production ultrarapide
Dans le jargon financier, le temps c’est de l’argent. C’est sur ce principe que la viande cellulaire arrive à séduire les conglomérats de l’agrobusiness.
En effet, le temps réduit du cycle de production de viande de synthèse peut rapporter gros.
Jocelyne Porcher, directrice de recherche de l’Institut national de recherche agronomique pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), souligne que la «durée de production de viande cellulaire deviendra très courte».
Selon Gilles Luneau, on parle d’une «quinzaine de jours» de production de viande cellulaire.
Ce raccourcissement du temps permettra au «profit de se multiplier,» observe la zootechnicienne.
Un autre secret qui réduit le cycle de production: la fin du «temps improductif».
«L’agroalimentaire a fait la guerre depuis le 20e siècle au temps improductif, par exemple lorsque le paysan regarde ses vaches pour bâtir une relation saine. Avec la viande cellulaire, en enlevant le paysan et l’animal, il n’y aura plus de temps improductif», explique Jocelyne Porcher, autrefois éleveuse de brebis.
«Il n’y a pas de mort parce qu’il n’y a pas de vie»
La rupture de la viande cellulaire s’exprime à travers la fin de la «singularité de la viande», poursuit Gilles Luneau, auteur de Steak Barbare (L’aube, 2020). «La viande traditionnelle est produite de la vie de l’animal ; elle est attachée à des os et elle a des nerfs, des vaisseaux sanguins et vaisseaux lymphatiques».
Contrairement à la viande traditionnelle qui est le «résultat d’une vie unique», la viande cellulaire est le fruit d’une «production de cellules sans la structure et sans la vie vécue de l’animal», précise le journaliste d’enquête.
Jocelyne Porcher est explicite: «il n’y a pas de mort parce qu’il n’y a pas de vie».
La viande cellulaire marque un tournant, voire une rupture anthropologique considérable, dans l’histoire de la civilisation humaine, notamment au niveau de notre relation avec les animaux.
«C’est une rupture dramatique avec le néolithique, car tout à coup, on veut mettre fin à 10 000 années partagées avec les animaux domestiques», pointe Jocelyne Porcher, auteure du livre Cause Animale, Cause du Capital (Le Bord de l’eau, 2019).
Cette rupture se veut systémique, emportant avec elle l’élevage et ses paysans.
L’agriculture cellulaire veut se «répandre partout, pour substituer les œufs, le lait, le fromage, le cuir avec des produits cultivés en laboratoire», alerte la directrice de recherche de l’INRAE.
Bill Gates et des transhumanistes derrière le projet
En revanche, une rupture politique et économique n’est pas au rendez-vous dans le monde de la viande cellulaire.
«L’industrie derrière la viande cellulaire est la même qui nous nourrit et qui a détruit l’élevage au 20ème siècle», analyse notre interlocutrice.
Selon Gilles Luneau, en rompant notre «lien avec la terre et ses paysans», ce sont «les multinationales de l’agroalimentaire qui vont s’accaparer le marché dans tous les pays» en investissant dans les «70 entreprises dédiées à la viande cellulaire».
Nestlé a confirmé l’année dernière de travailler avec la start-up israélienne Future Meat sur la production de viande in vitro.
Cargill et Tyson Foods ont investi massivement dans le projet de boulette de viande cellulaire de Memphis Meat, levant plus de 200 millions de dollars.
Chez les investisseurs de Memphis Meat, on retrouve aussi des milliardaires comme Bill Gates et Richard Branson.
Peter Thiel, milliardaire, cofondateur de PayPal et figure du transhumanisme, a investi dans la jeune pousse de viande de labo, Modern Meadow.
De plus, des États accélèrent le développement de la viande cellulaire en octroyant des subventions à ses concepteurs et promoteurs.
Le Département de l’agriculture des États-Unis accordera 10 millions de dollars sur cinq ans à l’université Tufts pour créer la National Institute for Cellular Agriculture, un centre de recherche qui veut bâtir la prochaine génération de professionnels dans l’agriculture de synthèse.
Notre souveraineté alimentaire en danger ?
Si la viande cellulaire est amenée à dominer le marché mondial de la viande, la capacité de résilience de l’écosystème de production de viande sera fortement réduite.
«Les usines de bioréacteurs sont totalement dépendantes de l’informatique, et il suffit d’un groupe de hackers pour mettre à mal tout le système technique derrière cette production», ajoute Gilles Luneau.
Le manque de résilience du système de viande cellulaire se trouve aussi dans le risque bactériologique des usines.
La viande cellulaire est plus à risque de contamination qu’une viande ordinaire car les cellules, contrairement aux animaux, n’ont pas un système immunitaire efficace contre les pathogènes et les bactéries.
«Une simple erreur d’inattention chez les employés peut résulter en une contamination massive pour des millions de consommateurs», pointe Gilles Luneau.
«La consommation énergétique sera immense»
Plusieurs études font l’éloge du bilan écologique de la viande cellulaire, affirmant une baisse des émissions de gaz à effet de serre de 95 % et une baisse de la consommation d’énergie de 45 %.
Le problème est que ces études ne prennent pas en considération les coûts énergétiques des infrastructures nécessaires à la culture cellulaire.
«La consommation énergétique sera immense, car on doit garder la température à un certain niveau optimal pour la multiplication cellulaire», souligne Gilles Luneau.
Une étude publiée par l’American Chemical Society révèle que la culture cellulaire nécessitera plus d’énergie que la production animale, avec des procédés industriels complexes et énergivores.
L’utilisation des «terres rares» et l’installation des «centres de données» seront aussi au cœur du projet de la viande cellulaire, accentuant l’impact environnemental de cette viande cellulaire, confirme le journaliste breton.
Vers un retour aux sources?
Gilles Luneau estime qu’il est impossible de continuer avec notre système d’élevage» pour répondre aux exigences exponentielles du marché. Le système productiviste devant sans cesse s’adapter aux nouvelles technologies ne suffit déjà plus à la demande.
L’élevage agroécologique peut être une réponse à apporter. Pour Jocelyne Porcher, dans un élevage à petite échelle, on donne une vie à l’animal qui est «nettement meilleure que dans l’élevage intensif et plus douce que dans la nature avec les prédateurs».
«Il nous faut réformer l’enseignement agricole et inventer de nouveaux modes de relation avec les animaux qui s’appuient sur des savoirs anciens, en fusion avec nos outils agricoles modernes», imagine Jocelyne Porcher.
De plus, les éleveurs étant «dépossédés de la partie abattage du travail», il est urgent de repenser l’abattage pour en faire un «artisanat» selon la sociologue.
Par contre, tout cela va devoir se faire en «réduisant notre consommation de viande et tout autre produit d’origine et de matière animale», avertit Jocelyne Porcher.
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