16/08/2021 (2021-08-16)
[Source : lecourrierdesstrateges.fr]
par Éric Verhaeghe
La suspension sans salaire est-elle inévitable dans la fonction publique, pour les membres des professions soumises à l’obligation vaccinale qui refusent de se vacciner ? Nous proposons ici une lecture alternative des textes en vigueur depuis le 5 août 2021 : de notre point de vue, une réaction juridique vigoureuse est possible pour limiter les dégâts et éviter une catastrophe financière complète pour ceux qui souhaiteraient ne pas être vaccinés. Voici un rapide mode d’emploi.
La suspension sans salaire dans la fonction publique est une sanction très lourde et… telle qu’elle est présentée par la loi du 5 août 2021, elle a toutes les apparences d’une disposition inconstitutionnelle et contraire à la Charte Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme.
Suspension sans salaire et sanction disciplinaire
Rappelons en effet que suspendre un fonctionnaire en lui ôtant son salaire est une sanction disciplinaire et, en soi, il s’agit de l’une des pires sanctions imaginables, puisqu’elle revient à priver la personne de tout revenu du jour au lendemain.
Or… une sanction disciplinaire obéit dans des règles, en particulier au principe du contradictoire : toute personne sanctionnée doit pouvoir présenter ses arguments, sa “défense”, à l’autorité qui la sanctionne. Dans la fonction publique, ce principe du contradictoire passe forcément par une commission paritaire où des représentants élus du personnel doivent pouvoir défendre les impétrants.
Assez curieusement, la loi du 5 août 2021 n’a prévu aucun de ces dispositifs. Elle réserve un pouvoir unilatéral à l’employeur sans “contradictoire”.
Une procédure inconstitutionnelle selon les Sages
Pour mémoire, le Conseil Constitutionnel a rappelé le 10 mai 2019 que le respect du contradictoire, aussi appelé les “garanties disciplinaires”, était une obligation constitutionnelle, tirée de l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC). Cette jurisprudence récente sanctionnait une disposition applicable à l’administration pénitentiaire, qui prévoyait que certaines sanctions pouvaient être prises de façon unilatérale.
On s’amusera de voir le Conseil Constitutionnel changer à ce point d’avis en deux ans à peine…
Une procédure inconventionnelle
Mais le bloc de constitutionnalité français n’est pas le seul corpus qui fait planer de nombreux doutes sur la suspension unilatérale sans traitement. La Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), dans son article 6, prévoit également un droit au procès équitable. Le guide d’application de cet article 6 rappelle que ce droit s’applique aux sanctions prises contre des fonctionnaires.
La loi du 5 août 2021 paraît totalement contraire à cette convention…
Référé-suspension et inconventionnalité
S’il est peu probable qu’un tribunal administratif contrevienne à la validation de la loi par le Conseil Constitutionnel (même si le Conseil Constitutionnel disait, il y a deux ans, le contraire de ce qu’il dit aujourd’hui), il y a de fortes chances pour qu’un tribunal administratif se montre plus réceptif à la violation de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Nous vous recommandons donc, si vous faites l’objet d’une suspension dans le cadre de la loi du 5 août, de lancer un “référé-suspension” auprès du tribunal administratif compétent, pour demander la levée de la mesure d’interruption du salaire.
Vous pouvez arguer, dans ce référé, de la violation de l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, puisque vous êtes sanctionné sans procédure contradictoire. Dans ce cadre, nous vous recommandons d’exiger le maintien de votre salaire en attendant que la situation se résolve. Une suspension conservatoire avec maintien du salaire n’est en effet pas une sanction… et ne suppose pas de principe du contradictoire.
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