Aide médicale à mourir : est-ce encore un soin ?

09/12/2022 (2022-12-09)

Par Docteur Chantal Brichet-Nivoit

Réflexions à la suite de deux journées organisées conjointement par
l’université Paris Cité, l’IIREB, le Centre de Recherche en droit public, la SFFEM,
À l’Université Paris Cité, site Saint-Germain, 45 rue des Saints-Pères,
Les 24 et 25 octobre 2022

Le sujet traité est si délicat, si sensible, que j’ai questionné bon nombre de personnes avant de jeter sur ce papier mes propres pensées. Vous lirez aussi ce que d’autres auteurs ont dit à propos de la souffrance, de la représentation que l’être humain se fait de la mort, et des moyens qu’il a inventés pour en supporter la réalité, notamment au travers des religions. Bien peu d’individus arrivent à voir la mort comme une nécessité écologique et à ne point s’en inquiéter. La sagesse arrivant chez quelques-uns avec l’âge, « la soif de vivre (à ce moment-là) devient moins grande », nous disait Emmanuel Hirsch. La mort est scandale lorsqu’elle arrive trop tôt. Elle est naturelle dans le grand âge. Au-delà de la mort, et même des douleurs de la maladie qui y conduit, ce sont les souffrances morales qui empoignent la plupart de nos contemporains. En effet :

« Les pires souffrances de l’homme sont celles qu’il redoute, car le grand obstacle c’est toujours la représentation et non la réalité »

Etty Hillesom, dans « une vie bouleversée ».

La mort rend anxieux beaucoup d’entre nous ; elle affole, elle tourmente, car elle est inconnue de tous les vivants. La mort angoisse certains, elle est plongeon dans cette éternité redoutée. C’est la plus grande crainte de l’homme. Si cette peur frôle la terreur, cela se nomme thanatophobie. Dans ce monde, à une époque où chacun veut décider du moment où un évènement arrivera, comme une naissance, ne pas pouvoir être maître du jour et de l’heure de sa mort déplaît à une grande partie de la population ; avoir la maîtrise sur tout, durant toute son existence, est le rêve fou de nos concitoyens. Par ailleurs :

« La pire des souffrances, c’est celle qu’on ne peut pas partager »

 Emmanuel Carrère.

La mort arrivant à n’importe quel moment, il peut arriver qu’on se retrouve seul à cet instant où l’on bascule dans l’inconnu. Prévoir sa mort en faisant agir un autre pour « passer de vie à trépas » permet d’avertir ses proches et d’être entouré. C’est une illusion et un leurre que de penser qu’ainsi tout ira mieux, car le mourant qu’on assassine reste seul pour le grand passage. Et sur cet acte qui va devenir médical, de tuer un patient sur sa demande, une amie répond ainsi à ma question est-ce encore un soin ? : « effectivement, tuer n’est pas prendre soin de son patient ». Et ajoute « notre société fait tout pour ignorer la mort ; il en est de même de la vieillesse ».

Maintenant, voyons comment les médecins vivront cette action d’injecter un produit létal à leurs patients. Leur part d’humanité réelle ne sera-t-elle jamais interpellée ? Leur conscience ne viendra-t-elle pas leur dire l’abomination d’un tel geste, lorsque, justement, ce sera leur tour d’être sur un lit de mort ? Dans la thèse de William Dalbin et Mathieu Guymard, Nancy 2020, on peut y lire page 29 :

« Que penser de la responsabilité du médecin à qui incombe d’une part un rôle de prévention du suicide et d’autre part une institutionnalisation éventuelle d’un “suicide assisté” ? »

Ce dont je m’aperçois, c’est que bien peu savent ce que le poète libanais Khalil Gibran connaissait, à savoir que « les souffrances ont donné vie aux plus grandes âmes, les personnages les plus éminents portent en eux des cicatrices » ; de même, Marcel Proust avait observé que « pour apaiser la souffrance, il faut d’abord la vivre jusqu’au bout » et Arthur Koestler nous apprend que « la souffrance a ses limites, pas la peur ». Or la patience est une vertu qui se perd ; elle nous apprend pourtant la sagesse. De même, Confucius avait observé que :

« Nulle pierre ne peut être polie sans friction, nul homme ne peut parfaire son expérience sans épreuve ».

Pour continuer de citer les grands esprits, j’écrirais une phrase de Stefan Zweig :

« Toute souffrance est lâche, elle recule devant la puissance du vouloir-vivre qui est ancré plus fortement dans notre chair que la passion de la mort ne l’est dans notre esprit »

dans « 24 heures de la vie d’une femme » :
(Pauvre Zweig qui a basculé à la fin de sa vie dans « la passion de la mort ».)

Je n’ai pas posé comme préalable la distinction entre douleur qui est d’origine physique et peut généralement être apaisée, et souffrance psychique qui, théoriquement, devrait l’être aussi par le monde « psy » qui en a fait sa vocation. Si vous demandez à un ancien dépressif qui a eu aussi à se faire soigner, par exemple, d’un cancer, vous pouvez être sûr qu’il vous répondra que la souffrance mentale est la pire chose qui puisse arriver à l’homme. Baudelaire disait : « sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi tranquille », comme si par ses pensées il pouvait l’atténuer. Mais la souffrance morale est tourment qui nous prend, nous emporte et nous rend autre : nous ne sommes plus alors qu’un nœud d’idées morbides vues comme infinies. Quant à Voltaire, il jugeait « la douleur… aussi nécessaire que la mort ».

Pour finir sur ce chapitre, c’est à un confrère que je laisserai la parole, que je connais puisqu’il a jugé « très bien » mon premier article qui était sur « la personne de confiance » : Martin Winckler exilé au Canada qui déclare qu’« en chacun de nous sommeille un bourreau. Le tien, es-tu sûr qu’il dort ? » Si la loi nous donne le droit, à nous médecins, de devenir des meurtriers, allons-nous profiter de celle-ci pour assouvir une vilaine soif de pouvoir, dont celui d’éliminer le vieillard qui nous rappelle que nous sommes mortels ? Je pense nécessaire de rappeler qu’en temps de guerre, le militaire sait qu’il peut donner la mort, mais aussi la recevoir. Que risque-t-on face à un mourant ? De recevoir notre reflet futur qui nous affole. En gommant la mort, sera-t-on protégé de celle-ci pour autant ? Bien sûr que non.

J’ai fait appel à diverses personnes pour rédiger cet article ; elles m’ont envoyé des coupures de journaux, dont une de La Vie d’octobre 2022, N° 13, où il est écrit :

« Il est tellement plus facile de permettre à ceux dont on rend les conditions de vie trop difficiles, en EHPAD notamment, de quitter le terrain et pour moins cher »

Au Canada le Dr Saba reproche au gouvernement de favoriser l’euthanasie pour des raisons économiques, plutôt que d’investir dans les soins palliatifs. Le Dr Stéphanie Kafie déclare que :

« De nombreuses demandes d’AMM étaient en fait une demande de soins palliatifs de bonne qualité et lorsqu’on lui prodiguait ces soins, le patient changeait d’avis ».

Certains ont fait le lien avec l’avortement qui élimine l’enfant à naître. C’est aux deux extrémités de la vie qu’on supprime celle-ci. Notre société vit une révolution dans ses mœurs, définie ainsi par René Guénon :

« Ceux qui ont voulu renverser tous les dogmes ont créé à leur usage, nous ne dirons pas un dogme nouveau, mais une caricature de dogme, qu’ils sont parvenus à imposer à la généralité du monde occidental ; ainsi ont été établies, sous prétexte d’“affranchissement de la pensée” les croyances les plus chimériques qu’on ait jamais vues en aucun temps ».

Et plus conclure, je citerai une phrase de l’Ecclésiaste que citait souvent mon père : « Vanité des vanités, tout est vanité ».

Allons-nous prendre « un peu de poison de-ci de-là, pour se procurer des rêves agréables, et beaucoup de poison enfin, pour mourir agréablement », disait Nietzsche, dans « ainsi parlait Zarathoustra » ? Les risques de dérapage d’une loi au départ bien encadrée peuvent arriver. Le livre d’Edward W. Keyserlingk (1979) est, à cet égard, intéressant. Intitulé « le caractère sacré de la vie ou la qualité de la vie du point de vue de l’éthique, de la médecine et du droit : étude écrite pour la commission de réforme du droit au Canada ».

On peut y lire cette observation :

« Sous le régime nazi, l’euthanasie et les expériences réalisées ont commencé avec des intentions » humaines », et n’ont pas, à leur début, revêtues un aspect raciste. Graduellement, cependant, pas après pas, l’euthanasie volontaire pour les malades en phase terminale s’est transformée en une euthanasie involontaire imposée à toute personne jugée inutile à la société ou aux ennemis de l’État, y compris les retardés mentaux et en particulier les Juifs ».

Précédent historique à ne pas oublier.

Vous voudrez bien m’excuser pour mon style, lourd et pesant, car il m’a été pénible et difficile d’écrire sur ce sujet. Cela bouleverse toute ma conception du soin, du dévouement, du respect de la vie. Je souhaite que jamais le droit d’être objecteur de conscience ne cesse. Dans la « revue canadienne de bioéthique Vol2, N° 2 » (diffusion numérique le 13/06/22), Louise Bernier note ceci :

« Il semble que la mise en œuvre des droits reconnus par les législateurs et les tribunaux en contexte d’avortement et d’aide médicale à mourir connaît, en pratique, un problème d’effectuation ».

Ira-t-on jusqu’à réquisitionner des praticiens pour cette besogne de bourreau ? J’espère que, si la loi passe, elle ne conduise pas à l’euthanasie non désirée, et surtout pas à l’eugénisme.

À l’opposé, lorsque le sujet dont je traite est gai, les mots sautillent, se réjouissent, et forment une ronde ; ils coulent de source et me font du bien. Car j’ai besoin de joie pour créer de la beauté et de la légèreté. Hélas l’actualité est triste, en ce 25 novembre, journée consacrée aux violences faites aux femmes, où l’on m’annonce que la député et médecin Martine Wonner est interdite d’exercer injustement pour un an, et la mort du poète Christian Bobin. Lequel a écrit ceci : « lorsque les mots ne franchissent pas les lèvres, ils s’en vont hurler au fond de l’âme » et créent des drames ; des maladies et des tragédies si nul n’est à côté pour les écouter, les recueillir, et les redire. On meurt plus de solitude et de manque de sollicitude, que de toute autre chose.

Pour finir, je laisserai la parole à Lucien Bonnafé qui disait :

« On juge du degré de civilisation d’une société à la manière dont elle traite ses marges, ses fous et ses déviants ».

La vieillesse n’est-elle pas à une extrémité de la vie, à sa marge ? La santé étant désormais promue comme une quasi-obligation, les malades ne sont-ils pas « à la marge » de la société ?

Docteur Chantal Brichet-Nivoit
Médaillée du Prix Robert Debré
Santé publique-Éducation
Membre de Mensa-France
Correspondantede l’Académie Internationale d’Éthique Médecine et Politique Publique


La loi sur l’aide médicale à mourir risque de passer en France.

Hier, un débat auquel j’assistais, avait lieu avec des représentants de chaque religion, y compris un Lama bouddhiste, rue Saint Guillaume à Sciences Po.
Alain Claeys, qui fut à l’origine de la loi Claeys Léonetti, était là ; j’ai un peu discuté avec lui.
Il m’a dit qu’il fallait faire évoluer la loi qu’il avait pourtant voulue. Ceci parce que dans 20 départements il n’existe pas d’unité de soins palliatifs « et ce n’est pas qu’une question d’argent ».

Je n’ai pas été étonnée de la réponse que m’a faite le Dr Véronique Fournier, qui a dit qu’une sorte de devoir de tuer devrait parfois exister parce que nous médecins, devions, selon elle, avant tout soulager. Mais elle nous a surtout parlé de l’arrêt des soins lorsqu’ils ne sont plus qu’un acharnement thérapeutique.

En réalité, nous devons « d’abord ne pas nuire », alors, est-ce que tuer s’accorde avec « ne pas nuire » ?
L’étymologie du mot revient à dire que nuire, c’est causer un dommage, ici, irréversible. 

C’est l’Imam qui a le mieux résumé la situation en évoquant « l’interdit (fondamental) de donner la mort » ajoutant que « si la loi AMM passe (on ouvre) une brèche dans cette digue (protectrice) ». Puis il précisa que :

« La personne qui se dit libre est (en fait) sous l’emprise de la société ».

Mgr de Romanet déclara :

« La mort, c’est une affaire spirituelle et non médicale »,

puis :

« L’homme est tourmenté par la déchéance de son corps ».

Le pasteur a dit :

« On n’aime pas, dans notre société de la vitesse, une fin de vie qui traîne ».

La conclusion a été que la première raison de ce désir d’être exécuté en fin de vie est la solitude et l’isolement, ainsi que le sentiment d’être « un poids » pour la société et/ou les siens. La peur joue un rôle central dans cette société déchristianisée.

Pour ma part, je pense que les prières sont apaisantes, par le rythme régulier qui en émane. « C’est comme la cohérence cardiaque », m’a dit une infirmière. Pour une mort douce, je pense qu’il faut être en accord avec l’univers, apaisé, sans crainte.

Car la douleur physique peut être éliminée, ne reste alors que la souffrance mentale ou plutôt existentielle, induite par la peur de l’inconnu, ce « passage » sur une autre rive, ou « vers le Ciel » dans les religions qui ont été, pour la plupart, établies afin d’apaiser les humains craintifs (et vivre ensemble en paix) grâce aux prières, tel le chapelet commun aux catholiques, musulmans, et bouddhistes.

Ce petit mouvement des doigts rappelle les frissons de joie, le cœur qui bat, le bruissement des feuilles dans les bois, la mer ondulante, le clapotis des lacs, le vent qui fait claquer les voiles, la ronde des enfants, la danse qui émeut, l’archer sur le violon, le cliquetis du tricot, et tant d’autres choses vivantes et vibrantes.

Le grand Rabbin Haïm Korsia insista sur l’importance de tenir la main du mourant. 

Ma mère qui n’a plus réussi à tricoter un jour, car elle devenait trop malvoyante, a souhaité alors la mort, car le tricot est un puissant anxiolytique. Comme le chapelet.

Elle a eu la chance de mourir dans son sommeil, selon son souhait, comme ma grand-mère.

La vie s’arrête lorsque tout mouvement cesse. C’est le mouvement de l’air sur les cordes vocales qui fait crier le nouveau-né. Et on sait alors qu’il est vivant. Alors, si je peux vous donner un conseil, c’est de bouger jusqu’à la fin de vos jours, ne serait-ce que vos doigts, comme moi, qui les agite sur mon clavier, avec bonheur. Je m’émerveille de les voir trouver tout seuls la place des lettres sans besoin de regarder autre chose que l’écran ; mes mains connaissent ce que mon esprit ignore. Ce sont ces gestes du quotidien, semi-automatiques, qui semblent préserver de l’Alzheimer, et la passivité devant les écrans, de TV notamment, qui y conduit sans doute.

Léonard de Vinci ne disait-il pas que « le mouvement est le principe de toute vie » ? 
Le proverbe 31 au verset 13 dit en parlant d’une femme admirable :
« elle travaille de ses mains avec ardeur ». et verset 19 « ses mains s’activent ».
Autrefois les femmes avaient toujours « un ouvrage » à portée de main.

Et il y a un proverbe pour dire que « la paresse est mère de tous les vices ».

Quel que soit notre âge, nous pouvons nous rendre utile à la société. 

Docteur Chantal Brichet-Nivoit

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