04/05/2024 (2024-05-04)
Par Nicolas Bonnal
[Illustration : tableau sévillan de Breughel le Jeune.]
Pythagore et la spiritualité végétarienne ; découvrons les extraits extraordinaires du Livre XV des Métamorphoses d’Ovide. Ce poète apprécié de Guénon dévoile la métempsychose et il écrit :
« Dans cet âge antique, que nous avons appelé l’âge d’or, l’homme vivait content du fruit des arbres, des plantes champêtres ; et jamais il ne souilla sa bouche de sang. Alors l’oiseau balançait, sans danger, ses ailes dans les airs ; le lièvre errait sans frayeur, dans les campagnes ; la crédulité du poisson ne l’attachait point à l’hameçon funeste. Aucun être n’employait, aucun ne craignait ni les pièges, ni la fraude : tout était en paix… Les âmes ne meurent point : sorties de leurs premières demeures, elles passent et vivent dans de nouvelles habitations… Je le déclare au nom des dieux, prenez garde, par le meurtre détestable des animaux, de chasser de leur nouvel asile les âmes de vos parents. Que votre sang ne se nourrisse point de votre sang. »
Dès le début de ce livre XV, Ovide défend le roi mystérieux Numa (voyez Plutarque sur ce roi) et il le relie à Pythagore lequel va expliquer les Métamorphoses et défendre la vision du monde du génial poète cité par Kubrick dans Eyes Wide Shut :
« Cessez, mortels, de souiller vos corps de ces aliments coupables. Vous avez les moissons des champs ; vous avez des fruits qui font courber sous leur poids les arbres des vergers. »
Le carnivore est en état de péché mortel, il est coupé de l’âge d’or (voir le Livre I de ces Métamorphoses qui décrit un âge sans violence et éloigné de cette culture occidentale du carnage dont a brillamment parlé Victor Davis Hanson) :
« Pour vous le raisin se gonfle et mûrit dans la vigne. Il est des légumes d’un goût exquis ; il en est d’autres que le feu rend plus tendres et plus savoureux. Ni le lait, ni le miel que parfume le thym, ne vous sont défendus. La terre prodigue vous offre ses plus doux trésors, et vous fournit des aliments exempts de sang et de carnage. »
Le péché de chair au sens strict (pensons à ces chasses préparatrices de tueries et au sublime Julien de Flaubert) :
« Il n’appartient qu’aux animaux de se nourrir de chair : encore tous n’en font-ils point usage. Le cheval, la brebis, et le bœuf vivent de l’herbe des prairies. Mais ceux qui sont d’un naturel farouche et sanguinaire, les tigres d’Arménie, les lions prompts à la colère, les ours et les loups, aiment les aliments sanglants. Ah ! c’est un grand crime de confondre des entrailles dans des entrailles, d’engraisser un corps d’un autre corps, et de ne conserver la vie d’un être que par la mort d’un autre ! »
Et comme on parlait d’âge d’or :
« Dans cet âge antique, que nous avons appelé l’âge d’or, l’homme vivait content du fruit des arbres, des plantes champêtres ; et jamais il ne souilla sa bouche de sang. Alors l’oiseau balançait, sans danger, ses ailes dans les airs ; le lièvre errait sans frayeur, dans les campagnes ; la crédulité du poisson ne l’attachait point à l’hameçon funeste. Aucun être n’employait, aucun ne craignait ni les pièges, ni la fraude : tout était en paix. »
On est proche des monde de Yourcenar ou de Tolkien. Ovide décrit ensuite ce premier crime cosmique (on est proche si l’on veut d’Abel et de Caïn) :
« Mais celui, quel qu’il soit, qui, le premier abandonnant l’innocente frugalité de cet âge, plongea des chairs dans son avide sein, ouvrit le chemin du crime. C’est, je veux le croire, par le carnage des bêtes féroces que le fer commença à être ensanglanté. »
Mais le meurtre d’animaux peut être justifié :
« Mais c’était assez de leur donner la mort. Il est permis, je l’avoue, d’ôter la vie aux animaux qui menacent la nôtre : on pouvait les tuer, mais il ne fallait pas s’en nourrir. On alla plus loin encore. On croit que le pourceau mérita d’être la première victime immolée, parce qu’il détruisait les semences et ruinait l’espoir de l’année. Le bouc fut sacrifié sur l’autel de Bacchus, parce qu’il avait offensé la vigne : ces deux animaux trouvèrent ainsi la peine de leur faute. »
Puis le grand poète pleure les innocentes victimes :
« Mais quelle peine méritiez-vous, innocentes brebis, troupeaux paisibles dont les mamelles pendantes se gonflent, pour l’homme, d’un nectar délicieux ; dont la molle toison lui fournit ses vêtements ; et dont la vie est, plus que la mort, utile à ses besoins ? Quel mal a fait le bœuf, animal sans fraude et sans artifice, simple, incapable de nuire, et né pour les plus durs travaux ? Ah ! ce fut un ingrat, indigne des dons de Cérès, celui qui, le premier, détela du joug fumant l’animal agricole pour l’égorger ; qui frappa de la hache son col usé par de rudes travaux, en retournant si souvent la terre, et faisant produire aux champs tant de riches moissons ! Mais ce n’était pas assez de commettre un si grand crime : l’homme a voulu y associer les dieux ; et il ose croire que le sang des génisses est agréable aux immortels ! »
L’homme ignore hélas le lien avec le bœuf, son « cultivateur » :
« D’où vient à l’homme cette faim si grande des aliments défendus ? Ô mortels ! je vous en conjure, renoncez à ces festins barbares. Écoutez et retenez mes avertissements : lorsque vous mangez la chair de vos bœufs égorgés, sachez et souvenez-vous que vous mangez vos cultivateurs. »
Puis on passe au stade suivant de la démonstration ; refus de la peur de la mort et pérennité des âmes :
« Faibles mortels, que glace l’effroi du trépas, pourquoi craindre le Styx et l’empire des ombres, fables inventées par les poètes, vaines expiations d’un monde imaginaire ? Soit que le corps périsse consumé dans les feux du bûcher, soit que le temps le détruise, ne croyez pas qu’il souffre quand il n’est plus. »
Ovide ajoute :
« Les âmes ne meurent point : sorties de leurs premières demeures, elles passent et vivent dans de nouvelles habitations. Moi-même, je m’en souviens, pendant la guerre de Troie, j’étais Euphorbe, fils de Panthous ; le plus jeune des Atrides me perça le cœur de sa forte lance : j’ai reconnu naguère, au temple de Junon, dans la ville d’Argos, le bouclier dont alors mon bras était armé. »
Description enfin de la métempsychose :
« Tout change, rien ne meurt. L’âme erre d’un corps à un autre, quel qu’il soit : elle passe de l’animal à l’homme, de l’homme à l’animal, et ne périt jamais. Comme la cire fragile reçoit des formes variées, et change de figure sans changer de substance : ainsi j’enseigne que l’âme est toujours la même, mais qu’elle émigre en des corps différents. Dans vos appétits déréglés, craignez donc de devenir impies. Je le déclare au nom des dieux, prenez garde, par le meurtre détestable des animaux, de chasser de leur nouvel asile les âmes de vos parents. Que votre sang ne se nourrisse point de votre sang… »
http://bcs.fltr.ucl.ac.be/METAM/Met15/Met15,%201-236.htm
https://www.ebooksgratuits.com/pdf/ovide_metamorphoses.pdf
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