01/10/2022 (2022-10-01)
[Source : bloomassociation.org]
C’est une trahison aux intérêts de la nation. Une trahison aux promesses faites à la jeunesse sur le climat. Un « accord sale » – un « dirty deal » – dont la France a l’habitude à Bruxelles. Aujourd’hui, lors de la réunion de trilogue qui s’est conclue au Conseil de l’UE à Bruxelles à 20h ce soir, la France s’est entêtée à défendre une technique de pêche dévastatrice, la senne démersale, contre la demande unanime des pêcheurs français, des citoyens et de 143 députés. L’interdiction de la senne démersale était une mesure urgente très attendue par les pêcheurs côtiers face à l’urgence de sauvegarder les ressources marines et leur fragile équilibre économique.
[NDLR La senne démersale est une technique qui s’est développée dans la Manche depuis un peu moins de 20 ans. Elle s’apparente à celle du chalut et consiste à déposer sur les fonds marins un filet dont la forme rappelle celle d’un entonnoir. Ce filet est relié par ses deux extrémités à un câble qui est déployé sur le fond, encerclant une surface de 3 km². Le câble se trouve ensuite mis en vibration pour créer un mur de sédiments, puis est rabattu de manière à concentrer les poissons sur une zone de plus en plus réduite. La dernière étape piège les poissons dans le filet.
Voir aussi : Senne Démersale : La technopêche ultime qui transforme les océans en « Mordor »
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Le Parlement européen avait voté en faveur de l’interdiction de la senne démersale le 12 juillet dernier en adoptant l’amendement de Caroline Roose (EELV) mais cette interdiction a été rejetée en trilogue.
Malgré une mobilisation massive et transpartisane de 143 députés autour de la résolution de Sébastien Jumel (élu GDR de Seine-Maritime), malgré la demande de plus de 120 élus de tous bords y compris des députés européens dans une tribune publiée dans Le Monde, malgré la volonté de 98% des pêcheurs côtiers, malgré une position du CESER des Hauts-de-France contre la senne démersale datant d’aujourd’hui même, malgré les courriers nombreux adressés au gouvernement (Xavier Bertrand pour la région Hauts-de-France, Olivier Leprêtre pour le Comité Régional des Pêches des Hauts-de-France, Dimitri Rogoff pour le Comité régional des pêches de Normandie, l’organisation des pêcheurs normands), malgré les dizaines de milliers d’interpellations citoyennes et de signatures à la pétition de BLOOM contre la senne démersale, le gouvernement Macron a choisi de passer en force et de vendre notre littoral ainsi que les entreprises familiales des patrons pêcheurs côtiers à l’appétit vorace des flottes industrielles néerlandaises, impliquées de façon récurrente dans des affaires de fraudes, de corruption et de pêche illégale.
Hier, une enquête a révélé aux Pays-Bas la nature systématiquement frauduleuse de leurs navires industriels : le gain financier engendré par la fraude peut atteindre 500 000 euros par an et par navire et « certains pêcheurs sont même sensibles au crime organisé et sont impliqués dans le trafic de drogue. ». La France a donc choisi de soutenir une pêche industrielle aux pratiques mafieuses au détriment de pêcheurs côtiers traditionnels, ancrés sur les territoires de génération en génération.
“Ce scandale aura des conséquences économiques désastreuses pour les pêcheurs, qui avaient déjà payé un lourd tribut avec la pêche électrique qui a dévasté le port de Dunkerque”, analyse Laetitia Bisiaux, chargée de projet à BLOOM. Emmanuel Macron sera donc comptable de la faillite des pêcheurs côtiers du Nord de la France et de Normandie dont les petits navires de pêche se retrouvent soumis à une compétition directe brutale avec des navires industriels ultra technologiques de 30 mètres. “La France agira ensuite comme un pompier pyromane en proposant des plans de sortie de flotte pour casser des petites entreprises familiales. C’est révoltant !“, poursuit Laetitia Bisiaux.
Selon un témoignage de Philippe Calone dans Le Monde, le CROSS (centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage) leur demande de « dégager » quand les senneurs arrivent dans leurs zones, cette technique de pêche ne permettant pas la présence d’autres navires. Depuis des années, l’amertume monte parmi les pêcheurs que les autorités abandonnent définitivement aujourd’hui.
DES FIDÉLITÉS HONTEUSES RÉVÉLÉES AU GRAND JOUR
Le combat contre la senne démersale a permis d’exposer au grand jour et de façon inédite les lignes de fidélité du gouvernement en matière de pêche et de conservation marine : le gouvernement s’est aligné sur la position du CNPMEM (Comité national des pêches maritimes et des élevages marins), l’organe supposé représenter les pêcheurs français mais en réalité trusté par les intérêts industriels et notamment néerlandais, vraisemblablement déterminés à éliminer la pêche artisanale et les pêcheurs côtiers. Le gouvernement Macron ne s’est pas contenté de trahir les citoyens et les pêcheurs côtiers, il a activement pris la défense des prédateurs industriels en utilisant des arguments mensongers comme le fait que l’interdiction de la senne démersale mettrait en péril toute la politique commune de la pêche. Ce qui est faux. (voir la note sur le véhicule législatif dans « Aller plus loin »).
Le Secrétaire d’état à la Mer Hervé Berville s’est même impliqué personnellement pour amoindrir et dissuader la mobilisation des parlementaires contre cette méthode de pêche désastreuse.
A l’initiative du député Sébastien Jumel (GDR), une résolution européenne cosignée par 143 députés a été déposée et présentée à l’Assemblée nationale le 28 septembre, lors d’une conférence de presse réunissant les députés François Ruffin (LFI), Gérard Leseul (PS), Richard Ramos (MoDem) et Charles Fournier (EELV), le directeur adjoint de l’Organisation de producteurs « les pêcheurs normands » Mathieu Vimard, les pêcheurs Philippe Calone et Jean-Baptiste Houchard ainsi que la fondatrice de BLOOM Claire Nouvian. Les députés ont insisté sur le modèle de pêche délétère que soutenait la France pour son propre littoral, à rebours de la convergence des intérêts écologiques et sociaux exprimée par la mobilisation conjointe des pêcheurs côtiers, des élus et de BLOOM.
Deux aspects, l’écologie et le social, qui laissent visiblement de marbre le Président français Emmanuel Macron. « Chaque déni démocratique, chaque abandon des petits métiers, chaque coup porté au climat, chaque mépris pour la volonté citoyenne creusent le sillon d’une amertume profonde et d’un sentiment d’impuissance qui nous font craindre le pire pour l’avenir de la République », s’inquiétait Claire Nouvian fondatrice de BLOOM.
BLOOM va analyser dans les jours qui viennent la position détaillée émanant du Trilogue pour voir quelles suites donner à ce scandale.
POUR ALLER PLUS LOIN
L’interdiction de la senne démersale ne détruira pas la Politique Commune de la pêche (PCP).
L’article 5, 2°, de la PCP et son annexe 1 définissent les droits d’accès aux eaux territoriales de chaque État membre par les navires de pêche des autres États membres. Ces droits d’accès ont en pratique pérennisé les droits historiques et les relations de voisinage existant avant la mise en place de la PCP en 1983.
Ces droits s’appliquent ainsi aux catégories de navires qui bénéficiaient de ces droits historiques et relations de voisinage, d’où l’emploi de l’expression « navires opérant traditionnellement » à l’article 5, 2°.
Cet article, qui est normalement renouvelé tous les 10 ans, expire à la fin de l’année 2022. Il est donc nécessaire de proroger la date (c’est un des enjeux du trilogue du 29 septembre). Sinon, l’accès aux eaux territoriales ne serait plus limité aux navires ayant des droits historiques mais n’importe quel navire pourrait y accéder.
Cela ne signifie pas que l’obtention de l’exclusion de la senne démersale détruirait l’article 5 et son annexe 1. Bien au contraire. C’est le fait que les pêcheurs néerlandais, qui ont des droits historiques dans les eaux françaises, utilisent une technique qui s’est énormément développée ces dernières années et qui n’existait pas au moment de l’établissement de la PCP, qui met en danger la PCP. Ces navires mettent en effet à profit ces droits pour utiliser une nouvelle technique de pêche qui n’a aucune caractéristique d’activité traditionnelle.
C’est cela qui est en train de faire exploser la PCP. Avec cette « invasion » par des navires n’étant pas des navires « opérant traditionnellement », la réservation de la zone côtière par la petite pêche artisanale devient impossible. Cela est tout à fait contraire à l’esprit et à la lettre de l’article 5.
L’article 5 de la Politique commune de la pêche est le bon véhicule législatif pour interdire l’accès aux navires pratiquant la senne démersale dans les eaux territoriales.
Une étude juridique a été commandée sur cet amendement par le rapporteur M. Karleskind. Il s’est révélé qu’il n’y avait aucun problème.
L’article 5 de la PCP permet de maintenir des droits d’accès dits historiques dans les eaux territoriales pour navires étrangers opérant traditionnellement dans ces eaux. Et c’est important de souligner TRADITIONNELLEMENT. Pour capturer certaines espèces, les navires belges et néerlandais peuvent venir pêcher dans les eaux normandes et des Hauts-de-France. Il n’est certes pas précisé pour la Manche le type d’engin qui peut être utilisé. En revanche, pour la pêche à la sardine dans les eaux espagnoles et du Golfe de Gascogne, il est précisé ce que signifie traditionnellement : « les activités portant sur les espèces énumérées ci-dessus doivent s’exercer conformément aux activités pratiquées au cours de l’année 1984 et dans les limites de ces activités. ». 1984 est l’année de référence choisie car l‘Espagne est officiellement entrée dans l’UE en 1985. Donc si l’engin utilisé à l’époque était un filet, un chalut ou une ligne, les navires doivent utiliser la même technique de pêche qu’au moment de la mise en œuvre de la PCP.
Au moment de la création de la Politique commune de la pêche, la senne démersale n’existait pas en Manche. C’était du chalut classique. Les droits historiques sur la senne démersale n’existent pas. L’amendement voté au Parlement le 12 juillet dernier permet donc de corriger la dérive observée dans l’interprétation de l’article 5 de la PCP.
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