22/05/2024 (2024-05-22)
Bruckberger et l’abdication de l’Eglise : « Désormais tous les crimes sont possibles : on les trouvera aussi naturels que de voir l’eau couler sous les ponts. La civilisation chrétienne est morte. Les évêques français l’ont portée en terre collégialement. Ils ne savent plus ce qu’ils font. Car on ne voit pas ce qui peut remplacer la civilisation chrétienne. Quand elle est morte, c’est aussi l’humanité qui meurt en l’homme. »
Par Nicolas Bonnal
J’ai déjà écrit sur son livre-brûlot, sa lettre à Jean-Paul II donc, et je vais encore insister. Bruckberger tape lourd et il le fait en dépassant Guénon : il voit le mal se glisser dans l’Église depuis le treizième siècle. Remarquez, Guénon a parlé de l’affaire des Templiers (mais sans trop viser l’Église) dans son Autorité spirituelle et Huysmans (comme toujours les écrivains sont plus fins et prophétiques que les professionnels de la chose) a bien dit que tout dégénérait depuis ce treizième siècle dit des cathédrales.
Bruckberger attaque d’abord le Concile (facile, me dira-t-on, mais je me suis rendu compte que les traditionalistes l’avaient bien gobé ce concile) :
« Commettez allégrement tous les crimes ou laissez allégrement commettre tous les crimes contre la foi, contre les sacrements, contre les commandements de Dieu, ne vous laissez surtout pas intimider ! Invoquez publiquement le concile, l’esprit conciliaire, les réformes soi-disant issues du concile, et vous voilà aussitôt, non seulement justifié, mais hors de toute atteinte, hors de cause, au-dessus de tout Soupçon ; vous échappez automatiquement à toute juridiction, rien ne peut vous être reproché. »
Notre auteur (scénariste du merveilleux film Dialogue des carmélites qui résonne comme une Fin initiatique de la France — depuis, ça survit, c’est tout) s’est rendu compte que tout allait déjà mal depuis un certain temps tout de même :
« Je pense souvent à l’Angleterre au XVIème siècle, au moment où, sous la pression de la monarchie, l’Église d’Angleterre s’est séparée de Rome, sans que l’ensemble du peuple catholique anglais s’en aperçoive. Il y a eu le chancelier Thomas More qui a versé son sang. Mais il n’y a eu qu’un évêque, un seul, l’évêque Fischer de Rochester, qui a osé dénoncer l’imposture du changement de religion. Lui aussi est mort martyr. Combien y avait-il d’évêques en Angleterre en ce temps-là ? »
On se rend compte que déjà il n’y avait pas trop de héros. Le christianisme était affaire d’organisation, de surveillance et de répression, pas de grands élans. Un martyr de-ci de-là ? Pas plus ? Qui nous jettera la pierre ?
« De quoi s’agissait-il, sinon de changer la substance de la religion catholique, de rejeter l’autorité du pape, mais encore plus de transformer le sacrifice de la messe en un service de communion ? Je pense que beaucoup de ces évêques étaient de braves gens. Malheureusement en certaines circonstances, et quand on a des responsabilités de commandement, être un brave homme ne suffit pas. Quant au bon peuple, il a tendance à suivre ses chefs immédiats… »
Le vernis craquait déjà (Bayle, Fontenelle…). C’est La Bruyère qui parlant du dévot écrit dans les Caractères que c’est un homme qui sous un roi athée serait athée. Et Feuerbach qui parle du masque de la religion qui a remplacé la religion. Macluhan lui explique toujours très bien cela avec son homme typographique. On reprogramme l’Occidental grâce au bouquin, c’est tout.
Bruckberger compare l’Église à une entreprise qui a mal tourné et masque son bilan ou décide de faire autre chose. Entreprise qui écrit pince-sans-rire :
« MESURES À LONG TERME
REMPLACER DISCRÈTEMENT LE PRODUIT ACTUEL PAR UN PRODUIT NOUVEAU, QUI ASSURERA LA RECONVERSION ET L’AVENIR DE L’ENTREPRISE. »
Ensuite Bruckberger parle de complot des technocrates à l’intérieur de l’Église (technocrate me semblerait presque un compliment, mais bon…) :
« La leçon de la parabole est claire. Quelle qu’ait été l’intention de Jean XXIII et de Paul VI — et cette intention n’a aucune espèce d’importance en regard de ce qui s’est passé dans la réalité il y a eu complot de technocrates à l’intérieur de l’Église pour, à l’occasion et sous le couvert du dernier concile, purement et simplement changer la religion catholique, en changer discrètement mais sûrement la substance. C’est ce complot que nous dénonçons sans relâche… »
Il cite même un journaliste célèbre plus conscient du problème que le bourgeois catho de base (le seul à « pratiquer » — mot atroce —, le reste ayant disparu, je veux dire le peuple, notamment paysan, de Farrebique) :
« Alain Woodrow est un autre chroniqueur religieux du Monde. Il a publié un livre intitulé : l’Église déchirée. Dès la première page, il écrit : “Le christianisme est en miettes, morcelé à la suite de schismes religieux et politiques qui ont jalonné son histoire ; il est en train de se dissoudre sous l’action corrosive des sciences humaines, de se transformer en un folklore de la société actuelle.” Humainement, c’est très bien vu et c’est incontestable. »
Sauf que le folklore suppose des costumes, du savoir-faire, des danses, des efforts et des sacrifices physiques, tout ce qui a disparu en somme.
Bien entendu, tout va bien. Tout va toujours très bien :
« Bien entendu, les évêques français, qui l’ont menée au point d’exténuation où elle se trouve, ne l’admettront jamais. Ils vous affirmeront dur comme fer que l’Église de France ne s’est jamais mieux portée. Ils vous joueront l’envers du Malade imaginaire. L’Église de France en est au dernier état d’un cancer généralisé, ils vous jureront la main sur le cœur qu’elle va très, très bien. »
C’est le raisonnement des idoles de notre jeunesse : il n’y a pas de solution car il n’y a pas de problème.
Bruckberger va citer « le grand savant laïc » (entièrement d’accord, voyez mes textes) Lévi-Strauss qui remarque presque timidement une interview :
« C. LÉVI-STRAUSS. C’est l’appauvrissement du rituel qui me frappe. Un ethnologue a toujours le plus grand respect pour le rituel. Et un respect d’autant plus grand que ce rituel plonge ses racines dans un lointain passé. Il y verra le moyen de rendre immédiatement perceptibles un certain nombre de valeurs qui toucheraient moins directement l’“âme” si l’on s’efforçait de les faire pénétrer par des moyens uniquement rationnels. Louis XIV a dit, dans son testament, en s’efforçant de justifier le cérémonial de la Cour, des choses assez profondes : qu’on ne peut pas demander à tout le monde d’aller au fond des choses. Il faut qu’il y ait des expressions sensibles. »
Lévi-Strauss ajoute plus loin (le journaliste est bouché, CQFD) :
« J’entends bien que tout rituel doit évoluer. Une société religieusement vivante serait une société capable d’enrichir son rituel. Mais les tentatives de renouvellement — du moins ce que vois quand j’en j’assiste à des messes d’enterrement ou de mariage ne paraissent pas très convaincantes. »
Ce pas très convaincant, le bourgeois en fait son ordinaire quand il célèbre des mariages à cent ou 200 000 euros. Bruckberger ajoute :
« On ne peut dire plus clairement, ni avec plus de prudence et de gentillesse, qu’en France, la réforme liturgique issue du dernier concile est un fiasco. Un grand savant agnostique s’en dit troublé. Nos évêques, eux, n’en sont nullement troublés : même si elle devait entraîner la mort du patient, ils nous forceraient à tenir la bouche ouverte jusqu’à ce que toute la potion soit avalée. Un grand savant explique ce qu’Aristote nous avait depuis longtemps appris : qu’il n’est rien dans l’intelligence qui ne soit d’abord tombé sous le sens, et que tout ce qui touche la sensibilité, surtout si ça vient de loin, doit être modifié avec la plus grande prudence. Les évêques n’en ont cure… »
Les évêques n’ont cure de rien. Remarquez, c’est ce que dit Léon Bloy dans tout son journal, et nous sommes toujours là, alors pourquoi flipper ?
Puis il y a plus grave. Bruckberger remonte dans le Temps pour constater comme je le fais souvent que les choses étaient pourries depuis longtemps ; les jésuites, les temps baroques ? Non, non, le siècle de Saint-Louis avec son Inquisition et ses croisades antichrétiennes dévastatrices :
« Bernanos avait coutume de remarquer qu’une civilisation tombe en décadence quand la fin y justifie les moyens. En ce sens il y a longtemps que la civilisation chrétienne est en décadence. La décadence a commencé au XIII siècle avec l’Inquisition, elle a atteint son zénith avec la casuistique jésuite aux XVIe et XVII’ siècles. Mais nous avons dépassé ce stade, nous l’avons dépassé de très loin. »
Et de parler de Himmler et de Lénine avec l’inquisition :
« Aujourd’hui, on sait de manière certaine que Himmler, chef et organisateur de la Gestapo, Lénine lui-même, ont lu et étudié le Manuel des inquisiteurs. Le système était là tout entier : ils n’ont eu qu’à l’utiliser sur une immense échelle et à l’industrialiser. Mais le système était là, ce n’est pas eux qui l’ont inventé, il était là, complet, exprimé dans une langue juridique admirable : avec l’usage de la torture physique pour arracher des aveux, le conseil de dire le faux pour savoir le vrai ; l’instigation à la délation et la récompense du délateur. Ce n’est pas parce que les ennemis de l’Église ont maintenant utilisé ce système sur une très grande échelle, à l’échelle de la “mass production” et de la “mass distribution”, ce n’est pas parce que, en notre siècle, ils ont industrialisé la torture et la délation, industrialisé dans les camps de concentration et dans l’archipel du Goulag le mensonge et la violence, que l’origine de ce système en est moins souillée. Et l’origine de ce système, c’est l’Inquisition officiellement patronnée par les papes… »
Michelet avait tout dit. Je me cite :
« Tout finit au douzième siècle ; le livre se ferme… », termine Michelet qui remarque qu’un système périclitant comme celui de l’Église — ou de la démocratie bourgeoise à notre époque — a tendance à devenir totalitaire et dangereux :
« Les anciens conciles sont généralement d’institutions, de législation. Ceux qui suivent, à partir du grand concile de Latran, sont de menaces et de terreurs, de farouches pénalités. Ils organisent une police. Le terrorisme entre dans l’Église, et la fécondité en sort. »
La dure ou molle réalité c’est qu’on se fout de tout (à une époque où le vaccin Bourla devient un acte d’amour…) :
« Désormais tous les crimes sont possibles : on les trouvera aussi naturels que de voir l’eau couler sous les ponts. La civilisation chrétienne est morte. Les évêques français l’ont portée en terre collégialement. Ils ne savent plus ce qu’ils font. Car on ne voit pas ce qui peut remplacer la civilisation chrétienne. Quand elle est morte, c’est aussi l’humanité qui meurt en l’homme. »
Le terme (sic) qui résonne le mieux alors, c’est celui d’abdication :
« Vous apprendrez à connaître nos évêques de France, nos chefs spirituels. Vous ne serez pas long à voir qu’ils ont pratiquement abdiqué cette mission essentielle de l’Église, de donner aux hommes des raisons de vivre, et éventuellement de mourir. Bernanos disait d’un clergé devenu socialiste qu’il fait ainsi la preuve qu’il ne sait plus parler qu’aux ventres. Voilà pourquoi la voix de ce clergé est si confuse, elle n’a aucune raison d’être distinguée, dans le concert cacophonique de toutes ces voix qui ne s’adressent jamais en l’homme qu’à Son ventre : ses puissances digestives et sexuelles. Comme si l’homme n’était rien d’autre. »
Abdication c’est peut-être trop noble, cela fait penser à Charles X. Parlons de retraite alors.
Un autre bon chrétien, mort comme tant d’autres en quatorze, écrivait avant la Grande Guerre :
« C’est toujours le système de la retraite. C’est toujours le même système de repos, de
tranquillité, de consolidation finale et mortuaire. Ils ne pensent qu’à leur retraite, c’est-à-dire à
cette pension qu’ils toucheront de l’État non plus pour faire, mais pour avoir fait. Leur idéal,
s’il est permis de parler ainsi, est un idéal d’État, un idéal d’hôpital d’État, une immense
maison finale et mortuaire, sans soucis, sans pensée, sans race. Un immense asile de
vieillards. Une maison de retraite. Toute leur vie n’est pour eux qu’un acheminement à cette
retraite, une préparation de cette retraite, une justification devant cette retraite. Comme le
chrétien se prépare à la mort, le moderne se prépare à cette retraite. Mais c’est pour en jouir,
comme ils disent. »
Sources principales :
Charles Péguy, « Note conjointe sur M. Descartes et la philosophie cartésienne » (1914, posthume), dans Œuvres complètes de Charles Péguy, éd. La Nouvelle Revue française, 1916-1955, t. 9, p. 250.
Le Révérend Père Bruckberger et « l’obsession suicidaire de la race blanche » ou https://nouveau-monde.ca/lobsession-suicidaire-de-la-race-blanche/)
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