Bernanos et la destinée totalitaire de la république

13/12/2023 (2023-12-13)

[Illustration : Jacques Guiaud et Jules Didier, L’Annonce de l’abolition du régime impérial à Paris, le 4 septembre 1870, 1870, huile sur toile, (musée Carnavalet, Paris).]

Par Nicolas Bonnal

C’est dans son livre sur Drumont, le plus important du point de vue de l’analyse mondaine de la modernité républicaine et donc de la Fin de l’Histoire — et des chrétiens qui allaient avec. On y voit le gogo (c’est le chapitre sur Panama, effarant avec ce cortège de sacrifices humains pour creuser leur canal — des milliers d’ouvriers et d’ingénieurs morts tués, par les conditions… climatiques), le requin, le chéquard, la crapule (Oh, Clemenceau…) et avec cet État qui se mêle mal de tout (on n’a pas attendu Macron, je ne cesse de le répéter, ce gars n’est qu’une cerise — sic — sur le catho) l’avènement d’un certain communisme de la fin, qui prendra tout, liberté et propriétés, les économies de mille ans, comme dit Bernanos.

La parole est au Mélenchon :

« Trois millions de petits bourgeois rouges, sans Dieu ni maître, de cœur avec les plus abjects révoltés de l’histoire, baptisant volontiers Spartacus ou Marat la rare géniture échappée par miracle à leur fureur malthusienne, et pourtant citoyens dociles, contribuables ingénus, souscripteurs à tous les emprunts, tels enfin que je les voudrais voir sculptés dans le marbre, leur bonne face rondouillarde levée vers le ciel, y bravant du regard la foudre, mais attentifs à ne pas heurter de la jambe le seau de l’employé du fisc occupé à les traire — oh ! l’incomparable, la magnifique gageure ! Protégée par cette épaisse matelassure, la République peut gouverner, c’est-à-dire poursuivre le cycle de ses expériences démagogiques, au moins jusqu’à ce que la dure loi de l’argent ait rejeté au creuset — au cœur même du prolétariat — une classe moyenne appauvrie. »

Classe moyenne appauvrie, on y est déjà (remarquez, c’est ce que voulait Guénon qui la conchie, cette classe moyenne).

Règne de la quantité et abolition de la dernière classe bourgeoise (revoyez un Guitry pour la comprendre et l’apprécier) :

« Car c’est par ce biais que finira par l’emporter sans doute l’inflexible nature des choses : à la longue les promesses elles-mêmes coûtent cher. Et c’est à la bourgeoisie devenue républicaine que la démocratie prétend faire supporter la plus grosse part de ses frais de publicité. Ainsi risque-t-elle de détruire, ainsi détruit-elle sûrement l’unique gage qui lui reste, pour se trouver bientôt les mains vides, entre le capital et le travail également voraces, entre la double anarchie de l’or et du nombre. »

Plus grave ce qui suit : la liquidation du capital intellectuel et moral du pays, qui nous mène à une tyrannie inconnue dans l’Histoire :

« Nul doute qu’un Gambetta vieillissant, par exemple, n’ait prévu le jour, où démunie de tout objet de troc ou d’échange, ne disposant plus que de thèmes épuisés, désormais sans vertu, elle devrait enfin laisser échapper son secret, avouer qu’elle n’a servi qu’à masquer, sous des noms divers adroitement choisis, la liquidation du capital intellectuel et moral du pays entreprise par la classe moyenne menacée, dans le fol espoir, sinon d’empêcher, du moins de retarder indéfiniment une autre liquidation, celle des fortunes privées, le triomphe du socialisme d’État, l’avènement d’un maître mille fois plus impitoyable qu’aucun des tyrans débonnaires quelle avait sacrifiés jadis d’un cœur léger, à ses intérêts, à ses rancunes, ou seulement à sa vanité. »

Avènement du communisme donc, pas par les idéalistes roquets du socialisme, mais par les inconséquences de nos opportunistes étatistes radicaux.

« Mais aux environs de 1880, qui donc eût imaginé avec Drumont, que le radicalisme serait si tôt vidé de sa substance, qu’il suffirait de quelques années de gaspillage pour compromettre jusqu’au principe même de la vie nationale, l’idée de patrie, et que l’ombre d’un Babeuf, du précurseur jadis écrasé par la bourgeoisie victorieuse, allait réapparaître, un siècle plus tard, gigantesque, sur l’immense écran de milliers de lieues carrées, de la Volga aux frontières de l’Inde ? »

Sur les incompétents du midi (oh, si le midi n’avait pas voulu…) qui ont vendu la France aux banquiers ?

« On comprend l’illusion de ces politiciens du Midi, de ces gros garçons optimistes auxquels le hasard met tout à coup dans la main l’épargne de dix siècles. Comme la France est riche ! Et sans doute ils souhaitent la servir de leur mieux, mais il faut s’installer d’abord, il faut durer. Que réaliser de l’énorme héritage, comment couvrir les premiers frais ? Ainsi le nouveau régime à peine né tourne déjà timidement la tête vers les banques, éprouve la puissance et la férocité de l’argent. »

Les banquiers ? Lesquels ?

Un bon mot met radicaux et cathos en place, qui restent les piliers de ce pouvoir bancaire et de la modernité :

« Un Gambetta, un Constans, un Rouvier, qui se proclament devant l’électeur les fils légitimes de la Révolution, le sont en effet, mais au même titre que les marchands d’ex-voto de Lourdes, les héritiers de la Sainte Vierge. »

Et que le pouvoir des banquiers allât de pair avec le cantique du communisme mondialiste, c’est ce que certains crétins ne veulent toujours pas comprendre. Ah, comprendre…

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