Avez-vous compris les philosophes ?

13/11/2023 (2023-11-13)

Questions à Pierre Le Vigan sur son livre Avez-vous compris les philosophes 1 à 5 ? Editions La barque d’or.

labarquedor@gmail.com

— Quel a été votre projet en écrivant ce livre ?

C’est un manuel d’introduction à la pensée de 42 philosophes. Certains de ceux-ci ont été traités dans Comprendre les philosophes et dans La planète des philosophes, publiés aux éditions Dualpha, mais de nombreuses analyses concernent des philosophes dont la pensée n’avait pas été abordée dans les deux livres précités. Il s’agit notamment de plusieurs penseurs anté-socratiques, et de penseurs des Lumières radicales, La Mettrie et d’Holbach.

— Traitez-vous d’abord des auteurs que vous aimez, et d’autant plus longuement des auteurs que vous aimez ?

La réponse est non. Je me suis astreint à parler des penseurs importants. Tous ceux cités dans mon livre sont intéressants. Tous ont joué un rôle non négligeable dans la pensée. Mais certains ne me parlent pas intimement. Ils me sont à dire vrai étrangers. Mais il faut savoir côtoyer l’étrangeté. C’est une ascèse.

Je peux aussi apprécier certains auteurs dans leur dimension la moins philosophique. C’est le cas avec Voltaire. Enfin, je n’ai pas parlé d’auteurs à la lisière de la philosophie. Je pourrais citer Mircea Eliade et Cioran. Ce ne sont pas pour moi les moins importants. Ce serait presque le contraire. Je les trouve si importants que je n’ose guère en parler. Que dire de Cioran, sinon qu’il est immense. Il faut, avant tout, le lire. Je pense la même chose de l’œuvre, qui touche à la philosophie à divers égards, de Montherlant. Je pourrais ajouter Charles Péguy, Ernst Jünger (voire les deux frères Jünger), et quelques autres.

Pour résumer, mon livre ne fait pas le tour des auteurs que j’aime, mais de ceux qui sont importants, et qu’il faudrait compléter par les auteurs qui ne sont pas dans ce livre, reprenant seulement les 5 volumes de Avez-vous compris les philosophes ? (plus Voltaire), mais qui sont dans les deux tomes publiés chez Dualpha (60 auteurs au total).

— Comment définir votre livre ? Une histoire de la philosophie ?

C’est plutôt un manuel d’approche des philosophes. Un guide de lecture. Un livre qui donne des pistes de compréhension et de préhension pour aller plus loin. Des pistes et des prises pour monter. C’est une présentation et une initiation à la pensée des philosophes. La philosophie en soi, sans la pensée des philosophes, cela n’existe pas. En quoi je suis peut-être nominaliste plus que je ne le pense.

— Avez–vous un projet idéologique ?

Je ne prétends pas échapper à l’idéologie, mais mon projet consiste avant tout à comprendre et faire comprendre, d’où le titre « Avez-vous compris… ». C’est un projet pédagogique, heuristique (découvrir une œuvre, la dévoiler), et maïeutique (mettre de la clarté dans ce qui peut de prime abord paraître parfois confus, ou bien obscur). Vaste projet qui est avant tout un horizon de travail. Travail de l’auteur, et travail du lecteur.

Il s’agit de comprendre la logique interne de chaque « système » de pensée, même quand il est peu systématique, comme dans le cas de Nietzsche. La critique externe — celle qui relève de la cohérence externe des systèmes, par rapport aux autres philosophes, et par rapport à l’époque — relève du lecteur avant tout, de sa raison, mais aussi de ses goûts. On ne peut échapper à une dimension subjective dans le domaine de la pensée.

— Alors, philosophie de droite ou de gauche ?

Comme disait Ortega y Gasset, que j’apprécie plus que beaucoup, être de droite ou être de gauche sont deux façons d’être hémiplégiques. Je suis à la fois de droite et de gauche. De droite au plan anthropologique si être de droite veut dire penser qu’il y a des constantes anthropologiques et qu’il est absurde de vouloir les nier ou les dépasser. De droite si cela veut dire être influencé par Konrad Lorenz et Robert Ardrey. De droite si cela veut dire que je ne pense pas qu’il suffise d’ouvrir des écoles pour fermer des prisons (Victor Hugo). Ou d’être entre « purs Germains » pour supprimer la délinquance (en quoi les nazis étaient peut-être de gauche).

Je suis de gauche si être de gauche est penser que personne n’est au bout de son histoire, que la nation doit tirer tout le monde vers le haut, même si je pense que tout le monde, même tiré vers le haut, ne sera pas au même niveau à l’arrivée. N’étant ni égalitaire ni anti-égalitaire, je ne le déplore pas, ni ne m’en réjouis. C’est comme cela. Je suis réaliste, non doctrinaire ni moraliste.

— Êtes-vous moderne ou anti-moderne ?

J’ai écrit « contre la modernité » (c’est le titre d’un de mes livres). Il y a une modernité bourgeoise, calculatrice, conformiste, formaliste que je n’aime pas. Mais il y a une modernité cosmique, celle de Bruno et de Vico, qui me convient bien. En art, j’aime beaucoup Nicolas de Staël de Holstein : c’est une autre modernité que la modernité bourgeoise. Cela fait sans doute de moi un inclassable. Ce n’est pas ce qu’il y a de plus confortable. Trop à droite pour les gens de gauche, trop à gauche pour les gens de droite. Si être inclassable est le prix à payer pour être soi-même, je choisis d’être moi-même.

— Pour comprendre une pensée, il faut comprendre un auteur. D’où une question plus personnelle : qu’est-ce que vous détestez et qu’est-ce que vous aimez dans la vie ?

Commençons par ce que je déteste. Ce que j’aime se situera tout simplement à l’opposé. Je déteste : les cons. La méchanceté est désagréable, mais la connerie donne le vertige. Elle est sans fond. Et comment se battre contre les cons ? On peut négocier avec les méchants, tandis que, avec les cons… On peut pardonner une méchanceté virile, pas une méchanceté conne.

« Et on tuera tous les affreux », disait Boris Vian. On peut toujours rêver ! La connerie protège le con comme la coquille protège l’escargot, ou les piquants protègent le hérisson. Mais ces deux derniers sont beaux, ce que le con n’est pas. À l’inverse, l’intelligence et la beauté vont ensemble. Sachant que la vraie intelligence, comme la vraie beauté, est toujours généreuse.

— Du coup, comment reconnaître les cons ?

Le con se reconnaît notamment par sa fausse bienveillance. Le con vous écrira par exemple : « En espérant que ce mail vous trouve tous en bonne santé ». Le con est hypocrite et toujours de mauvais goût. Le con se repère aussi par des tournures de langage. Il ne vous écrira pas simplement : « Bonne journée », mais « Très belle journée » ou « Très belle soirée » (De quoi je me mêle !). Dépourvu d’imagination et d’humour, le con parle comme les annonces SNCF, ou comme les hommes politiques. La boussole du con indique la bassesse sans se tromper.

On reconnaît de plus en plus facilement le con, car il se rapproche d’un modèle unique, homogénéisé. Un monotype. La biodiversité des cons a beaucoup baissé, ce qui appauvrit beaucoup l’univers de la littérature. Le con asymptomatique se fait rare. On repère facilement le con (cf. les indices ci-dessus), mais en même temps le con évolue volontiers au milieu d’autres cons. Il y a des milieux presque entièrement connifiés. Le non-con (homme ou femme bien sûr) est alors l’exception, voire une bête curieuse. Il est tenu à l’écart. Il inquiète, il dérange. Il fait tache (d’intelligence). Le pourcentage de cons peut être de 100 % dans un groupe de 5 personnes, surtout dans certains milieux à fort coefficient de connitude. Il dépasse rarement les 80 % dans un groupe de 20 personnes.

— Comment éviter les cons ?

Les cons détiennent des postes-clés partout. Ils sont très bien implantés : éducation nationale, culture, réunions de copropriété, etc. Difficile de les tenir à distance et de ne pas passer par eux comme interlocuteurs. D’où les stratégies de certains. Ainsi, les voyageurs fuient d’abord les cons plus qu’autre chose (la peur de s’engager comme on le dit parfois bêtement), tel Sylvain Tesson, certains philosophes aussi font de la philosophie pour fuir les cons, tel Cioran. Pour la connerie, il n’y a pas de traitement, et elle est très confortable pour les cons. Il fut un temps où la connerie était une affaire privée, elle est devenue une religion d’État.

— Cela fait peur…

Je ne dirais pas le contraire.

— Y a-t-il des milieux moins colonisés par les cons que d’autres ?

Le sport en fait partie, à condition de ne pas se rapprocher des milieux du développement personnel. La danse aussi est encore peu affectée (et infectée). Dans les piscines, le pourcentage de cons diminue, parce que c’est plus ou moins un sport. La connerie est aquaphobe. C’est appréciable. La connerie se transmet par les femmes, non pas parce que les femmes sont plus connes que les hommes, mais parce qu’elles sont prescriptrices de mœurs et d’habitus sociaux. Les femmes sont plus intelligentes socialement que les hommes, pour le meilleur et pour le pire. Plus manipulatrices aussi le cas échéant. Quand elles sont intelligentes, tout est sauvé. Pour le dire autrement, quand les femmes sont bonnes, les hommes deviennent bons. Houellebecq dit cela. Drieu n’est pas loin de comprendre cela dans Le feu follet. Mais quand les femmes sont mauvaises et moches à l’intérieur (de méchantes connes, pour résumer le profil), les hommes suivent presque irrésistiblement cette pente. Ils deviennent cons et bas — ce qui est à peu près la même chose. Le mental de notre société est devenu largement féminin, pour le meilleur et pour le pire. C’est pourquoi un homme intelligent ne vit jamais avec une conne. (En tout cas, je n’en connais pas). « Sur la base d’un malentendu, cela peut marcher », dit Michel Blanc. Oui, peut-être, mais pas longtemps. L’enjeu essentiel est donc interne à la catégorie féminine elle-même : femmes de qualité contre femmes médiocres, pauvresses d’esprit et imbéciles patentées. Il y a du boulot.

Pierre Le Vigan, Avez-Vous Compris les Philosophes ? I à V. Un manuel d’introduction à la pensée de 42 philosophes, La barque d’or
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