11/01/2024 (2024-01-11)
[Source : ouest-france.fr]
Par Côme BASTIN
Auroville se veut une ville alternative fondée sur la spiritualité. L’harmonie de cette cité utopique indienne, proche de Pondichéry, se fissure cependant depuis 2021. Elle est désormais sous la coupe d’une nouvelle dirigeante, nommée par les nationalistes hindous au pouvoir, qui ne fait aucun cadeau à ceux qui s’opposent à son projet d’urbanisation.
Des arbres s’effondrent sous les coups des tronçonneuses et des bulldozers. « Vous n’avez pas le droit, vous allez contre la volonté des résidents d’Auroville ! », s’écrie une femme, pendant que d’autres filment. Certains ont déposé des fleurs sur les troncs éventrés. Dans les vidéos qui circulent sur cette ville indienne, la tension est palpable.
Une ville alternative fondée sur la spiritualité
Des scènes qui se multiplient depuis que le gouvernement indien a posté une nouvelle secrétaire à la tête de la fondation d’Auroville (une sorte de municipalité). Ses grands projets d’infrastructure suscitent l’opposition d’une bonne partie des Aurovilliens, qui l’accusent d’autoritarisme et de saccage écologique.
Lancée en 1968 par la mystique française Mirra Alfassa, proche du philosophe indien Sri Aurobindo, Auroville se veut une ville alternative fondée sur la spiritualité plutôt que l’argent ou la nationalité. À proximité de Pondichéry, elle s’étend sur 20 km2, sous une canopée de millions d’arbres plantés sur un terrain autrefois aride.
Près de 500 Français
Au fil du temps, elle a attiré quelque 3 500 résidents indiens et du monde entier, dont près de 500 Français. Ils s’investissent dans les multiples projets sur place : architecture écologique, école à pédagogie alternative, centre de méditation, mais aussi entreprises dans le recyclage, le textile ou la reforestation, qui emploient de nombreux locaux dans l’État du Tamil Nadu.
L’harmonie de ce petit bout de paradis se fissure cependant depuis 2021. Jayanti Ravi, la nouvelle secrétaire, entend construire une route périphérique de 20 mètres de large qui passe au milieu de nombreuses plantations et constructions. Ceci doit servir le plan de croissance urbaine d’Auroville, qui doit, à terme, accueillir 50 000 habitants.
« Ce beau projet se transforme en régime autoritaire »
Confrontée à une fronde, la secrétaire a peu à peu mis la main sur les organes de gouvernance d’Auroville, autrefois représentatifs de la voix des habitants. Taxés « d’éléments antinationaux », certains étrangers « dissidents », qui vivaient là depuis toujours, ont été expulsés, comme le Français Satprem Maïni, figure historique d’Auroville, dont il dirigeait l’Institut de la Terre.
Saisi par les habitants, le tribunal environnemental indien avait ordonné l’arrêt des travaux, mais la Cour suprême du pays a récemment fait sauter ce verrou. L’abattage d’arbres a donc redoublé. « Certains avaient été plantés il y a plus de vingt ans, dans le cadre d’un projet financé par la Commission européenne », se désole une anonyme. Un trafic de terrains au profit de promoteurs est aussi dénoncé.
Selon les locaux, le chantage au visa, les pressions judiciaires musellent peu à peu les voix dissonantes. « Récemment, la fondation d’Auroville a fait passer sous sa coupe le comité chargé des admissions et des départs », témoigne un Français né sur place. « Ce beau projet basé sur la liberté se transforme en régime autoritaire, dans un climat de peur incompatible avec ses idéaux fondateurs. »
Voir aussi :
En Inde, une cité utopique menacée par l’État
https://reporterre.net/En-Inde-une-cite-utopique-menacee-par-l-Etat
Fondée en 1968, Auroville, cité expérimentale engagée dans l’écologie, compte 3 600 habitants d’une cinquantaine de pays. Mais le plan de croissance imposé par l’État indien menace un équilibre fragile.
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