Nomination des dirigeants clés de l’UE : « Une procédure pas très transparente, ni démocratique »

27/06/2024 (2024-06-27)

[Source : rtbf.be]

Par Sandro Calderon

Qui sera à la tête de l’Union européenne ces cinq prochaines années ? La réponse tombera à l’issue du sommet européen de ces jeudi et vendredi 27 et 28 juin. Des noms circulent avec insistance. L’Allemande Ursula von der Leyen rempilerait pour un deuxième mandat à la tête de la Commission européenne. L’ancien chef de gouvernement portugais, Antonio Costa deviendrait le nouveau président du Conseil européen. La cheffe du gouvernement estonien, Kaja Kallas serait la future cheffe de la diplomatie européenne. Mais comment s’organisent les nominations pour ces « top jobs » européens ? Qui décide ? Sur base de quels critères ? Le processus est opaque et fort critiquée.

Un grand déficit démocratique

« Moi, je dis toujours que l’élection du pape est encore plus transparente que l’élection du président de la Commission européenne. Pourquoi demande-t-on aux citoyens d’aller aux urnes si les dirigeants de l’Union ont déjà été désignés par les chefs de gouvernement ? Ce n’est pas du tout démocratique. »

Cette charge est signée Sophie in’t Veld, eurodéputée libérale néerlandaise pendant 20 ans. Loin d’être une eurosceptique, cette fervente défenseuse des libertés fondamentales dénonce le « grand déficit démocratique » de l’Union européenne dans le podcast Dis l’Europe, qu’est-ce que tu mijotes ?

Une préoccupation partagée par Marianne Dony, professeure honoraire en droit européen à l’ULB.

L’Estonienne Kaja Kallas (Renew), l’Allemande Ursula von der Leyen (PPE) et le Portugais Antonio Costa (S&D).
© CHRISTOPHE ENA, DIMITAR DILKOFF, LUDOVIC MARIN

Des règles imprécises

Qu’est-ce qui cloche dans les nominations pour les « top jobs » européens ? « Le problème, c’est que les règles des traités ne sont pas très claires », explique d’emblée Marianne Dony.

« Le Conseil européen joue un rôle essentiel puisque c’est lui qui désigne et élit son propre président. C’est lui qui désigne le haut représentant (de l’Union européenne pour les Affaires étrangères, ndlr). Mais il n’y a strictement aucune règle dans les traités. Pour ces deux fonctions, il est juste dit que le Conseil européen les choisit, en statuant à la majorité qualifiée. Rien de plus. »

Pour la présidence de la Commission européenne, un seul critère est précisé.

« Il est indiqué dans les traités qu’il faut tenir compte des résultats des élections. Mais “tenir compte” est une expression bien ambiguë ».

Des critères informels

Après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne en 2009, une tradition s’est mise en place progressivement.

« Il est devenu usuel que le président ou la présidente de la Commission européenne soit issu du premier groupe politique au sein du Parlement européen. C’est ce qui explique que, depuis lors, on a un président ou une présidente de la Commission qui est PPE (la famille chrétienne-démocrate européenne, ndlr). »

Les autres hautes fonctions européennes suivent la même logique avec la recherche d’un subtil équilibre entre les principales forces politiques européennes en présence. C’est ainsi qu’après les élections de 2019, la présidence de la Commission avait été attribuée à la démocrate-chrétienne allemande Ursula von der Leyen, la présidence du Conseil européen au libéral belge Charles Michel et le poste de chef de la diplomatie européenne au socialiste espagnol Josep Borrell.

Le président français, Emmanuel Macron et le chancelier allemand, Olaf Scholz,
deux des six « dirigeants négociateurs ».
© Odd ANDERSEN/AFP

Un accord à trois contesté

Et qu’en est-il aujourd’hui après les élections de juin dernier ? Cette même majorité entre démocrates-chrétiens (PPE), socialistes (S&D) et libéraux (Renew) a décidé de garder la main. Un projet d’accord prévoit de laisser la présidence de la Commission à Ursula von der Leyen (PPE), de donner la présidence du Conseil européen à Antonio Costa (S&D) et le poste de haut représentant à Kaja Kallas (Renew).

Ensemble, ces trois familles politiques devraient atteindre les majorités nécessaires au Conseil européen et au Parlement européen pour faire passer leur accord.

Mais certains grincent des dents. En particulier dans le groupe ECR (les Conservateurs et réformistes européens qui rassemblent des partis souverainistes et d’extrême droite) qui a progressé lors des dernières élections européennes, devenant le 3e groupe politique au Parlement européen, devant les centristes et libéraux de Renew.

ECR méritait-il un top job ?

« Cela n’aurait rien d’anormal. Ce serait peut-être la preuve d’une certaine maturité du Parlement européen d’accepter le fait qu’il y a en son sein des groupes eurosceptiques. Sans quoi, ça donne l’impression du maintien d’une certaine pensée unique. Maintenant, ce qui pourrit en peu le débat, c’est d’abord que dans ECR il y a des eurosceptiques, mais aussi qu’ils sont d’extrême droite. On peut donc se demander s’ils ont été exclus des nominations parce qu’ils sont eurosceptiques ou parce qu’ils sont d’extrême droite. »

Des dirigeants négociateurs, une nouveauté

On le voit, les règles imprécises inscrites dans les traités européens laissent une grande marge de manœuvre aux chefs d’Etat et de gouvernement. Et ils n’hésitent pas à en profiter.

Après les élections européennes du 9 juin dernier, sont apparus des « dirigeants négociateurs », au nombre de six : le Grec Kyriakos Mitsotakis et le Polonais Donald Tusk (tous deux issus du PPE), l’Allemand Olaf Scholz et l’Espagnol Pedro Sanchez (S&D), le Français Emmanuel Macron et le Néerlandais Mark Rutte (Renew). A six, ils ont proposé un accord pour attribuer les « top jobs ».

Une méthode que Marianne Dony qualifie de « curieuse ».

« J’avoue que c’est la toute première fois que je vois ça. C’est une toute grande nouveauté. On voit que Charles Michel est totalement court-circuité. Une des explications, c’est que le Belge a très maladroitement essayé de torpiller Ursula von der Leyen. Mais bon, en tant que président du Conseil européen, il serait assez logique qu’il mène ces négociations. Or, là, il est totalement mis sur le côté, il est mis devant le fait accompli. On ne peut pas dire que c’est antidémocratique, mais c’est quand même un petit peu curieux et particulièrement peu transparent. »

Charles Michel, le président du Conseil européen, aurait été court-circuité
lors de la procédure de nomination pour les top jobs européens.
© Ludovic MARIN/AFP

Le choix du Parlement européen

Mais il y a quelque chose de plus frappant encore aux yeux de Marianne Dony. Dans le paquet de nominations proposé par les « dirigeants négociateurs », le poste de président du Parlement européen a été ajouté. La Maltaise Roberta Metsola (PPE) occuperait le perchoir pendant deux ans et demi, avant de laisser sa place à un ou une socialiste.

« C’est sans doute la désignation la plus contestable puisque, s’agissant du président du Parlement européen, le Conseil européen n’a officiellement strictement rien à dire. C’est une décision interne au Parlement européen. »

Cet arrangement interpelle également l’ex-députée libérale Sophie in’t Veld.

« Je suis choquée que les chefs de gouvernement des États membres aient choisi le président du Parlement européen. C’est aux députés de choisir leur propre président, surtout parce que le Parlement européen doit être le contrepoids du Conseil européen et de la Commission. Un Parlement qui accepte que son propre président soit choisi par les institutions qu’il doit contrôler, c’est un Parlement faible », a-t-elle martelé dans Dis l’Europe, qu’est-ce que tu mijotes ?

Des réformes nécessaires

Mais alors, comment rendre les nominations pour les « top jobs » européens plus transparentes et plus démocratiques ? « Définir une meilleure procédure est compliqué », reconnaît Marianne Dony. Mais elle avance quelques pistes.

« On pourrait déjà définir des critères pour la désignation du haut représentant et du président du Conseil européen, puisque, à l’heure actuelle, il n’y en a aucun. On pourrait acter définitivement que le président de la Commission doit être issu du principal groupe politique au sein du Parlement européen. On pourrait officiellement établir un lien entre les postes de président de la Commission, de président du Conseil et de haut représentant lors des nominations. »

Des réformes qui permettraient de donner plus de légitimité à des dirigeants qui jouent un rôle clé dans l’Union européenne.

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