L’extinction du potterisme

10/08/2024 (2024-03-07)

[Publication initiale : libertepolitique.com]

Par Nicolas Bonnal

Harry Potter parvient au bout de sa course incroyable, avec ses centaines de millions de volumes vendus, ses milliards de recettes, son étrange karma fait de magies diverses, de sorcellerie bon marché et de rêveries éducatives : celles des enfants qui se sont reconnus dans le vrai monde de J.K. Rowling.

Rimbaud ne rêvait-il pas d’une vraie vie qui, en des sociétés postchrétiennes, serait située ailleurs ? Le grand bazar de la mondialisation devait nécessairement s’adresser à l’inconscient des enfants, à leur imaginaire. Mais ce dernier est plus libre que les corps et les produits Disney.
J’ai donc vu la première partie du dernier opus filmé, qui traite de reliques. Après m’être morfondu pendant deux bobines, j’ai finalement été pris par ce film qui justement n’abuse pas trop des reliques ni d’ailleurs des effets numériques. Il y a en effet comme une dimension testamentaire dans cette œuvre, qui comme il arrive souvent, attend de se terminer pour dévoiler tous ses messages ou se remettre en cause. L’heure de la confession sonne.

De grandes références

Joan Rowling était professeur de lettres, et cela se sent ; on peut même dire qu’il y a eu comme une revanche formidable, de la part d’une enseignante de littérature d’arriver à capter l’attention et la passion de presque tous les enfants européens et américains (le public est très ciblé tout de même, et cela se ressent dans cet épisode de maturité plus que dans les précédents), qui ont pris l’habitude non plus de haïr ou de mépriser la littérature, mais de l’ignorer. Mais la littérature revient toujours, fût-ce par la fenêtre.
On notera en effet de grandes références traditionnelles et littéraires dans cet épisode, qui semble de prime abord tourné dans les étranges déserts d’Écosse ou du Yorkshire, un véritable huis clos réunissant les trois acteurs principaux de la saga, devenus leurs propres personnages.
Il y a tout d’abord un malaise, une évocation de la misère à laquelle l’œuvre est toujours restée sensibilisée. Ce serait le côté dickensien de l’opus, souligné par l’admirable photographie de l’opérateur. Cette misère colle à la vie des personnages qui n’ont pas vendu leur âme. Harry Potter restera pauvre, il n’utilisera pas sa baguette magique (elle se brise, d’ailleurs), il ne passera pas Noël à Dubaï.
Ensuite Rowling reste fidèle aux grands textes de la littérature du Graal. On le voit par la référence explicite à l’épée Excalibur juchée au fond du lac, et qui attend l’élu pour la retirer. On le voit aussi, plus subtilement, dans l’échec de la quête, la dimension décevante de cet épisode, et qui frappe même les personnages, surtout le distrait Ron. Je me rappelle le chevalier de la charrette, qui voit Lancelot désespérer constamment de sa geste. Ou bien sûr du conte du Graal, de Robert de Boron.
Puis, il y a Tolkien. J’ai écrit sur Tolkien comme j’ai écrit sur le Graal, il y a longtemps déjà. Rowling doit au Seigneur des anneaux son bestiaire fantastique, son manichéisme, sa misanthropie aussi. On retrouve aussi la mythologie de l’anneau lourd à porter pour le héros, ainsi qu’une ressemblance, même physique, entre Daniel Radcliffe et Elijah Wood, l’acteur qui joue Frodon. Voldemort est aussi une évocation très proche de Sauron ou de Morgoth. Le pessimisme ambiant est aussi très caractéristique.

Glaciale et satanée magie

Enfin, il y a Orwell. C’est la grande surprise de l’épisode : voir cet auteur scolaire, si oublié aujourd’hui, recyclé pour dénoncer le ministère de la magie, dans un ouvrage pourtant dédié à la célébration de la magie sous toutes ses formes… Le monde de la magie, c’est-à-dire de la finance globalisée, du contre-terrorisme détourné, est un monde satanique, froid (Rowling, comme Thomas Mann dans son grandiose Docteur Faustus, imagine un Enfer froid), un monde de gens pressés et déprimés, de prime et châtiment. Où tous espionnent tout le monde, comme autour des tables de jeu de Dostoïevski.
En fait, Rowling semble ici se détourner du côté obscur de la force, de la farce plutôt, qui a fait sa fortune, et se consacrer à la célébration de l’âme et de l’amitié (très belle scène où Hermione, l’éternelle Égérie, si proche de la Luthien de Tolkien — la femme fait tout le travail, mais c’est l’homme l’élu… — coiffe son vieil ami). Et elle rappelle incidemment aux sots et aux naïfs l’omniprésence du mal sur cette terre, en ce début de troisième millénaire qui voit les prix flamber du fait des eaux glaciales du calcul égoïste…
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