Le Tétralogue — Roman — Chapitre 23

[Voir :
Le Tétralogue — Roman — Prologue & Chapitre 1
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 2
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 3
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 4
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 5
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 6
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 7
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 8
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 9
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 10
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 11
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 12
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Le Tétralogue — Roman — Chapitre 18
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 19
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 20
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 21
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 22]

Par Joseph Stroberg

​23 — Beltarn’il

Après la malencontreuse disparition de Jiliern, les trois rescapés mirent moins d’un quartier à atteindre la lisière de la jungle, malgré la nécessité de porter le voleur en plus de leur chargement de sacs. Le dernier drame s’était en fait déroulé à seulement quelques milliers de pas de cette dernière, dans une zone d’où les pires prédateurs étaient absents. C’était probablement d’ailleurs la seule raison pour laquelle ils étaient encore en vie.

Dès la sortie de la forêt, Beltarn’il était visible à l’horizon. Cette agglomération était la seconde plus importante de Veguil après la Cité de cristal. Cependant, alors qu’on disait cette dernière peuplée de millions d’esclaves, elle n’abritait, elle, qu’une centaine de milliers de Véliens. Il s’agissait en majorité d’érudits. Il s’y ajoutait leurs proches, divers artisans et représentants des métiers, et quelques milliers de visiteurs occasionnels. Constituée de maisons simples à un seul étage et de quelques rares bâtiments plus imposants, dont la bibliothèque centrale, elle s’étalait sur une vaste superficie, le long du littoral. Cette cité avait ainsi la forme d’un long serpent côtier d’une largeur comprise entre une et trois centaines de pas, mais une longueur qui en comptait plusieurs dizaines de milliers ! Par rapport au trio, l’Océan se trouvait derrière, masqué par ce corps serpentiforme. Ce dernier leur apparaissait pour l’instant comme une série continue de minuscules cailloux posés sur le sol en guise d’édifices de pierres. Il occupait la moitié centrale de l’horizon. Il leur faudrait encore une ou deux heures de marche pour en atteindre les premières constructions. Cependant, ils la voyaient déjà de mieux en mieux, car la végétation devenait plus basse et clairsemée, et la ville elle-même semblait en être dénuée.

— Je me demande dans quel état nous allons trouver la ville, s’inquiéta Gnomil, alors que ses deux porteurs venaient de faire une halte. Est-ce que les sauvages guerriers que nous avons croisés l’auront attaquée ?

— Nous verrons bien, répondit Tulvarn. Nous serons vite fixés. S’ils sont passés par là, nous devrions nous en rendre compte à distance, peut-être même dès maintenant.

— Je n’aperçois aucune trace ici laissant présager le passage d’une telle horde sauvage, intervint Reevirn. La ville devrait être intacte.

— Mais ils auraient pu sortir de la forêt ailleurs, rétorqua le voleur.

— Étant donné leur nombre, ils ont plutôt dû sortir de partout. Aussi, l’absence totale de traces ici est un bon présage.

— Je l’espère.

— Moi aussi, ajouta le moine. Je reste cependant confiant. L’argument de Reevirn est valable. Avançons donc !

Le trio se remit en route à allure modérée, compte tenu du poids du voleur et des sacs. Il lui fallut deux bonnes heures avant de pouvoir rejoindre les premières maisons de Beltarn’il. Les herbacées et autres plantes basses avaient progressivement fait place à une couche de sable d’où ne dépassait que leur moitié supérieure. En chemin, ils n’avaient croisé que quelques chasseurs et un cristallier. D’après ces derniers, la ville était calme et abritait peu de visiteurs en cette période. Les trois compagnons purent facilement le vérifier en y pénétrant depuis l’est. Comme toutes les villes de Veguil à l’exception de la Cité de cristal, cette grande bourgade ne comportait pas de rues en tant que telles, mais seulement des grands espaces entre les diverses constructions. En conséquence, on pouvait y entrer facilement depuis n’importe où et la parcourir librement dans tous les sens. Les clôtures, murets et barrières diverses y étaient également inconnus.

Si l’odeur de la mer relativement proche avait commencé à leur parvenir portée par la brise bien avant leur entrée dans la vaste bourgade, elle était maintenant bien plus puissante, inhabituelle pour les trois Véliens. Cependant, en raison de sa condition douloureuse, Gnomil y prêtait peu attention contrairement à ses deux compagnons.

Continuant sa progression dans la ville, le trio croisa un groupe d’enfants qui jouait sur une étendue sablonneuse située dans un large espace entre les trois plus proches maisons. Tulvarn leur demanda s’ils connaissaient un guérisseur et l’un d’entre eux, une très jeune Vélienne, leur répondit en désignant le sud. Il ne put rien en tirer de plus, car elle reprit aussitôt son activité ludique, comme si pour elle ce petit groupe de visiteurs étrangers n’avait jamais existé ou était devenu invisible. Le moine en fut quelque peu déconcerté, peu habitué à croiser des enfants et peu encombré de souvenirs concernant sa propre jeunesse. Cependant, il se remit en chemin, portant toujours avec Reevirn leur blessé sur la civière improvisée. Maintenant, après un quart de tour vers le sud, trop concentrés sur leur recherche d’un guérisseur, les trois compagnons d’infortune ne prêtaient plus trop attention aux odeurs marines, ni même à l’aspect des maisons, d’ailleurs très peu différent de celui de leur région d’origine.

À peine deux centaines de pas plus loin, ils entendirent une clameur sourde qui semblait provenir du sud-est, quelque part derrière les maisons visibles dans cette direction. Intrigués et avec l’espoir de trouver alors suffisamment de monde pour disposer de meilleurs renseignements, ils obliquèrent dans cette nouvelle direction et accélérèrent sensiblement la cadence de leur marche.

Plus loin qu’ils l’auraient cru, après avoir slalomé entre plusieurs dizaines de maisons sur leur trajet, à cause de l’incertitude de la localisation exacte de la foule dont ils entendaient de mieux en mieux les manifestations diverses, ils arrivèrent de nouveau en vue de la limite orientale de la ville, cette fois nettement plus au sud qu’à leur arrivée. Là, un groupe d’un millier de Véliens et Véliennes d’âge divers se tenait en arcs de cercle sur plusieurs rangs face à un mage en tenue d’une couleur bleue très voisine de celle de Dévonia. Celle-ci était en principe réservée aux plus grands mages et prophètes. Tulvarn n’avait pas entendu dire que l’un d’eux était vivant, auquel cas, ce dernier méritait certainement d’être l’individu évoqué par la prophétie, celui qui sauverait Veguil. Mériter ? Est-ce que cela était une question de mérite ? Ou plutôt d’aptitudes ? Ou encore de service au Grand Satchan ? Il n’eut pas le temps de poursuivre son questionnement.

Arrivé à proximité du dernier rang, Tulvarn se mit à chercher du regard un monticule éventuel qui leur aurait permis de voir plus distinctement le mage, car si une partie des spectateurs était assise, un tiers d’entre eux étaient restés debout et empêchaient que l’on distingue autre chose que sa tête et le haut du tronc. Balayant rapidement la scène, il aperçut sur la droite un banc de pierre qui jouxtait une petite maison aux pierres blanchâtres. Se retournant, il fit signe à Reevirn, puis ils se dirigèrent tous deux rapidement dans la direction du banc avant d’y grimper en tenant toujours la civière de leur blessé. La foule lâchait des cris d’étonnement, de vénération ou de remerciement, selon les moments.

Ayant plus le loisir maintenant d’observer ce que faisait le mage, ils constatèrent que celui-ci guérissait diverses personnes dans le public, quelle que soit la gravité de leur état ! Pour le coup, il s’agissait vraiment d’une aubaine, d’une chance incroyable pour une fois, après toutes leurs mésaventures et leurs déconvenues ! Néanmoins, une pensée vint modérer l’enthousiasme du moine : le nombre de malades à attendre leur tour pouvait être long, trop long. Juste après avoir émis cette pensée pessimiste dans son esprit, il entendit une voix lui dire :

— Il n’existe aucun tour ici.

— Qui parle ? interrogea Tulvarn qui ne parvenait pas à en localiser l’origine.

— Celui-là même que vous êtes en train d’observer.

— Quelle est cette sorcellerie ?

— Je suis un mage, pas un sorcier.

— Mais comment faites-vous cela ? Vous n’ouvrez pas la bouche ?

— Je m’adresse directement à votre conscience. Je ne peux vous en dire davantage. Ce serait du même ordre que de tenter d’expliquer les couleurs à un aveugle de naissance. Peut-être un jour le découvrirez-vous par vous-même. Je vous le souhaite. Mais si vous tenez à votre ami, ne perdons pas de temps : approchez-le. À ces mots, le mage fit un signe des mains à la foule pour qu’elle s’écarte afin de laisser un passage central en vue du transport du blessé vers lui.

Sans plus attendre, Tulvarn demanda à Reevirn de le suivre, puis les deux compères valides transportèrent le blessé dans sa civière jusqu’à l’étrange guérisseur. Ce dernier se contenta de s’adresser au voleur en ces termes :

— Pourquoi acceptez-vous de demeurer en cet état ? Ne voulez-vous pas guérir de ces douloureuses blessures ?

— Si. Je ne demande que ça !

— Alors, faites ce qu’il faut pour cela ! Ce n’est pas moi qui ai guéri ces anciens malades, poursuivit le mage en désignant les derniers miraculés.

— Mais comment le pourrais-je ? Je ne suis que voleur, ou plutôt je l’étais. Mais je ne sais pas soigner. Je ne suis même pas cristallier, ni herboriste… Comment le pourrais-je ? implora-t-il presque.

— De la même manière qu’eux, répondit le mage en montrant de nouveau quelques-uns des Véliens guéris.

— Mais qu’ont-ils fait ? Je n’en sais rien ! Gnomil se trouvait tellement démuni, qu’il finit par éclater en sanglots.

— Allons, cher ancien voleur ! Je comprends votre désarroi. Néanmoins vous avez pourtant le moyen de régénérer votre corps comme l’ont fait ces personnes qui auparavant étaient pourtant en aussi piteux état que vous : de graves handicapés, certains aveugles, d’autres sourds, d’autres encore sans l’usage de leurs jambes…

— Mais comment ont-ils fait ! Je vous en prie, je vous en supplie, dites-moi comment !

— Ce n’est pas moi qu’il faut prier, répondit-il avec une mimique qui pouvait signifier qu’il était un peu déçu. Adressez-vous plutôt au Grand Satchan si vous envisagez des prières et si vous savez prier au moins aussi bien que ce moine. Mais même lui n’a rien pu faire pour vous et ses prières non plus.

— Mais il n’a pas prié pour moi ?

— Le croyez-vous ? Pensez-vous vraiment que votre ami le moine n’a pas déjà prié en votre faveur ? Je peux vous assurer pourtant qu’il l’a fait. Vous pourrez lui en demander confirmation plus tard. Mais ne perdons pas davantage de temps. Ouvrez-vous au Grand Satchan, laissez-vous pénétrer par sa puissance infinie comme il l’a offerte à ces anciens malades.

— Mais comment donc ? Je ne sais pas faire ça ! Comment m’ouvrir au Grand Satchan ?

Alors que le voleur continuait sa supplique et ses questions au mage, petit à petit la foule s’était dispersée et il ne restait plus maintenant que le trio d’aventuriers. Trop attentif à la conversation menée par le mage, aucun de ces derniers ne s’en était rendu compte. Tulvarn et Reevirn ne perdaient pas une miette de ce que pouvait dire aussi bien l’étrange guérisseur que leur infortuné camarade. Et celui-ci buvait tellement les paroles du premier, aspirait si intensément à en voir sortir le remède miracle, qu’il en oubliait encore plus le monde extérieur à leur petit groupe.

— S’il vous plaît, maître mage ! Je ne sais pas comment m’ouvrir au Grand Satchan. Comment ont-ils fait tous ceux-là ? interrogea Gnomil en s’apprêtant à désigner quelques-uns des récents guéris, avant de se rendre compte de leur absence avec un sentiment qui mêlait stupeur et embarras.

— La même chose que celle que vous avez vous-même entamée.

— Hein ? Mais je n’ai rien fait ! Je n’ai même rien commencé !

— Vous croyez ?

— Bien sûr !

— Et pourtant. Pourquoi êtes-vous venu me parler ?

— Dans l’espoir que vous puissiez me soulager de… Mais… Je n’ai plus mal ! Comment est-ce possible ? interrogea le voleur alors qu’il prenait conscience de la disparition de ses douleurs tout en baissant les yeux pour constater que pourtant ses blessures étaient toujours aussi visibles.

— Vous avez simplement commencé à vous ouvrir au Grand Satchan.

— Mais quand ?

— Lorsque vous avez pleuré en toute humilité votre impuissance.

— Mais comment ?

— Eh bien ! vous en posez des questions ! Heureusement que tous les malades qui viennent me voir n’en font pas autant ! Comment ? Vous devriez pourtant le savoir mieux que je peux vous en informer. À ce moment-là, vous avez vraiment réalisé qu’il n’était ni en mon pouvoir ni en le vôtre d’obtenir ce type de soulagement, même si ce n’était pas complètement conscient. Nous avons alors besoin de nous accorder avec le Grand Satchan, de nous relier à lui, de nous ouvrir à son énergie infinie. Acquérir l’humilité est le premier pas.

— Oh !… Merci Maître Mage ! Je vais devenir ménestrel et chanter votre nom sur tous les continents de Veguil.

— Surtout pas, jeune innocent ! N’avez-vous pas compris ? Seul le Grand Satchan doit être chanté !

— Pardon, Maître Mage !

— Par pitié, pouvez-vous lui dire d’arrêter avec ses « maîtres mage » ? demanda alors le guérisseur en se tournant vers Tulvarn et Reevirn.

— Malheureusement, pour ça, je crains qu’il faille aussi faire appel au Grand Satchan ! répondit Tulvarn quelque peu désabusé.

— En attendant, si je comprends bien, je vais devoir vivre avec. Et nous n’avons pas fini. Bon, jeune homme, si vous voulez terminer votre guérison, vous savez ce qu’il vous reste à faire. Maintenant, si votre ami le chasseur partageait ce qu’il a sur le cœur, ce serait utile à ses camarades, dont les deux présents ici.

Fortement intrigués par ces propos, Gnomil et Tulvarn tournèrent vivement la tête en direction de Reevirn, attendant une réponse de sa part.

— …

— Allons ! Ne vous faites pas prier, surtout que les prières devraient être principalement dirigées vers le Grand Satchan, ainsi que pourrait vous le dire votre ami le moine. Dites-leur qui vous êtes en réalité, puisque vous le savez maintenant. Les cachotteries ne sont pas recommandées pour l’établissement de bonnes relations.

— … Euh ! C’est difficile.

— Dites simplement les choses. Décrivez seulement ce qu’il s’est passé. Vous me remercierez plus tard.

— … Eh bien, j’ai retrouvé une partie de mes souvenirs…

— Vraiment ?! Mais, c’est formidable ! répondit Tulvarn avec une expression de vif contentement.

— Pas tant que ça, non… J’ai tué mes deux compagnons chasseurs. Et mon vrai nom est Valdaroc. Ne cherchez plus l’assassin. C’est moi !

— Mais non, ce n’est pas possible ! répondit Gnomil à la fois déconcerté, attristé et incrédule. Vous ne pouvez pas être l’assassin, car vous êtes le chasseur et nous n’avons jamais entendu parler d’un chasseur appartenant aussi à la confrérie des assassins.

— Le devin avait en effet mentionné « N’oublie pas le chasseur et l’assassin », renchérit le moine.

— Ah oui ? Vous êtes sûr que ce n’était pas plutôt : « N’oublie pas : le chasseur EST l’assassin ! »

— Oh !… se contentèrent de répondre Tulvarn et Gnomil, trop abasourdis pour autre chose.

— Oui : Oh ! Je n’en reviens pas moi-même ! poursuivit celui que ses deux sauveurs avaient connu en tant que pur chasseur. En fait, pour tout dire, je n’appartiens pas à la guilde des assassins. Mais ça ne m’empêche pas d’avoir assassiné mes deux compagnons.

— Mais pourquoi ? s’enquirent simultanément le moine et le voleur alors que le mage s’était entre temps retiré à plusieurs pas de distance pour s’assoupir au pied d’un petit arbre.

— Je ne pouvais pas les laisser s’enrôler dans cette armée.

— Quelle armée ?

— Celle qui a déboulé dans la forêt des Plaines de l’Ouest. J’ai reconnu leur tenue et leur chef et cela a fait ressurgir rapidement le reste de mes souvenirs oubliés. Comme j’aurais préféré les oublier pour toujours ! Je ne mérite pas votre amitié. Je ne savais pas comment vous le dire. J’ai tellement honte de ce que j’ai fait !

Celui qu’ils avaient nommé Reevirn poursuivit ses explications pendant encore un bon moment, évoquant comment il s’était résigné à tuer ses deux anciens compagnons chasseurs puis à camoufler la scène du crime avant de tenter de se donner la mort. Il avait préféré cette solution à la vision d’un avenir probable où à la tête de cette armée ils auraient à eux trois tué un bien trop grand nombre d’innocents. Maintenant que sa mémoire était de nouveau fonctionnelle, il lui faudrait désormais vivre avec ce poids sur la conscience. Le moine avait eu beau tenter de le déculpabiliser en lui présentant cela sous l’angle des centaines ou même des milliers de Véliens et Véliennes que par son geste il avait presque sûrement sauvés, il ne pouvait pas voir autre chose que son crime. Les images de l’horrible scène le hantaient dans son sommeil, même si dans la journée il parvenait encore à se vider l’esprit. Il préférait continuer à se faire appeler Reevirn. Cela l’aiderait peut-être à surmonter cette épreuve.

Avant de repartir en direction du centre de la ville, les trois compagnons se trouvaient dans un état similaire. Le voleur et le moine étaient secoués par la révélation, abasourdis, presque sonnés, alors que le chasseur lui-même se sentait crouler sous le poids de la culpabilité, chancelant, à peine capable de marcher. Pourtant, il leur fallait reprendre la route, en quête d’un objectif dont ils n’étaient même pas sûrs de l’existence, alors que dans le même temps, ils n’avaient toujours pas réalisé le deuil de la cristallière et que celle-ci se manifestait encore comme un fantôme dans leur mémoire et leurs pensées. Abandonner maintenant représenterait pour eux un monumental échec, un non-sens aux proportions cosmiques, une décision encore plus stupide que celle de s’être lancés dans cette quête. Alors qu’ils s’étaient éloignés de quelques dizaines de foulées, ils entendirent chacun le mage leur parler en ces termes :

— Dans l’obscurité la plus profonde, il suffit de la lumière de votre cristal pour vous éclairer. Conservez la foi dans le Grand Satchan. Votre amie est vivante.

Aussi intrigant que ceci pût leur paraître, ce fut capable de leur redonner un peu d’entrain et de motivation. Même s’ils se demandaient par quel miracle Jiliern pouvait être encore vivante et comment le mage le savait, ils le croyaient d’autant plus facilement que celui-ci avait déjà démontré à leurs yeux certaines capacités hors du commun. Néanmoins, après quelques pas supplémentaires Tulvarn s’interrogea sur la fragilité du lien possible entre le fait de disposer d’aptitudes hors normes et celui de connaître véritablement un fait ou encore de le rapporter plus ou moins fidèlement. Rien ne pouvait garantir a priori que le mage ne fabule pas ou encore qu’il ne leur mente pas. Est-ce que la propension du mage à aider les gens à se guérir devait s’accompagner automatiquement d’acuité des perceptions (en supposant qu’il ait pu percevoir la situation de Jiliern d’une manière ou d’une autre) ? Disait-il pour autant la vérité en affirmant qu’elle était vivante ? Le vieux moine Nignel, qu’il avait appelé « maître » et presque vénéré comme un saint homme, avait déjà évoqué la différence entre des aptitudes que l’on pouvait avoir et la manière dont on les utilisait ou encore celle dont on se comportait, que ce soit en lien ou non avec elles. Il existait des Véliens, rares semblait-il, qui profitaient de leurs dons dans tel secteur pour obtenir des avantages auprès des autres, et dans certains cas en les manipulant par des mensonges, par des flatteries, par les sentiments ou encore par l’usage de raisonnements tordus ou vicieux. Toutefois, Tulvarn n’avait pas décelé de signes qui auraient pu indiquer de telles tendances chez le mage. Mais ne pas les apercevoir n’empêchait pas pour autant leur possible existence. Il ne percevait pas Jiliern, mais celle-ci vivait sans doute encore s’il en croyait le guérisseur. Donc, la grande question était : devait-il se fier à ce personnage et risquer une grave déception s’il s’avérait que la cristallière était bien morte ? Ou bien devait-il faire comme s’il avait menti ou s’était trompé ? Le doute tendait à le torturer. Il n’eut cependant pas l’opportunité de poursuivre son débat intérieur, car il se retrouva une fois de plus la face contre le sol. Ses deux compagnons se précipitèrent pour l’aider à se relever. Il venait de se prendre le pied d’appui contre une touffe d’herbe un peu plus grosse que les autres.

— Merci mes amis. Ça commence à devenir énervant cette manie que j’ai de ma planter la figure dans le sol ! Il va vraiment falloir que j’arrête de me perdre dans mes pensées. En attendant que j’y parvienne, rendons-nous à la bibliothèque centrale. Nous aurons plus de chances d’y trouver des renseignements utiles qu’ailleurs dans cette trop grande ville.

— Sûrement, approuva Gnomil en reprenant son sac, aussitôt imité par Reevirn.

Le trio se remit prestement en route, soudainement plus alerte, comme si la maladresse du moine avait permis de soulager leur lourdeur intérieure. Même le chasseur tendait maintenant à oublier de culpabiliser. Les sacs rescapés leur paraissent aussi plus légers. La guérison du voleur y était peut-être aussi pour quelque chose. Ils n’étaient plus centrés sur leurs déboires, mais désormais focalisés sur leurs deux objectifs : retrouver la cristallière et découvrir une piste qui conduirait à la relique. Ce faisant, ils se trouvèrent rapidement en vue de la bibliothèque centrale, un des bâtiments les plus imposants de la planète. Il couvrait à lui seul la surface d’une cinquantaine de maisons du coin pourtant assez largement espacées sur le sol mi-sablonneux mi-poussiéreux et parsemé ici et là de quelques touffes végétales et de rares buissons qui ne dépassaient pas leur hauteur. Bien que ne disposant d’aucun étage, il n’en contenait pas moins plus d’un million d’ouvrages divers rangés le long de sept allées principales au milieu desquelles se trouvaient les tables de lecture et d’études entourées de tripodes. En pénétrant par l’entrée principale, les trois compères aperçurent également dans l’allée centrale qui leur faisait face quelques escabeaux permettant d’atteindre les étagères les plus hautes, à la libre disposition des érudits et des visiteurs. Il se trouvait également quelques petits meubles contenant divers accessoires, tels que des loupes, et du parchemin pour prendre des notes. Ils cherchèrent du regard s’il n’y avait pas quelque érudit disponible pour les renseigner. Dans cette allée au moins, les Véliens aperçus étaient tous assis en train de lire un livre ou un morceau de parchemin. Parvenus au bout, les trois compagnons tournèrent sur la gauche pour emprunter le large passage conduisant à l’allée correspondante, la troisième depuis l’aile gauche de bâtiment. Il leur fallait plus de cinq cents pas pour parcourir une seule d’entre elles. Se trouvant rapidement face à cette troisième, ils eurent la surprise de leur vie. Qui se trouvait assis là, sur la table la plus proche, apparemment occupé à scruter un très vieux rouleau de parchemin ? Jiliern ! Leur amie cristallière, bien vivante ! Comment était-ce possible ? Ils se précipitèrent en criant son nom, s’attirant du même coup un regard noir de la part des autres occupants des lieux ainsi dérangés. La cristallière sursauta, mais son visage se couvrit aussitôt d’un large sourire.

— Jiliern ! reprit plus doucement Tulvarn. Par quel miracle te trouves-tu ici ?

— Eh bien, pour tout dire, je n’en sais trop rien. Après avoir étouffé sous ces étranges disques, je me souviens seulement m’être réveillée allongée par terre sur le sable de la plage pas loin d’ici. Je ne comprends pas du tout comment cela a pu se produire. Je n’ai jamais entendu dire que de telles espèces d’animaux ou de je ne sais quoi puissent nous faire en quelque sorte disparaître d’un lieu pour nous transporter ailleurs. Mais si tel est le cas, vous auriez dû alors vous laisser recouvrir pareillement, pour atterrir ainsi plus vite ici.

— Ce ne sont pourtant peut-être pas les responsables de la chose. Avant d’arriver ici, nous avons rencontré un mage qui a notamment guéri notre ami Gnomil. En fait, d’après ses dires et plus exactement, il a permis que Gnomil se trouve guéri par le Grand Satchan, par une foi suffisante en lui.

— La foi d’un ancien voleur, envers le Grand Satchan lui-même ? Eh bien, il va peut-être pouvoir se faire moine, répondit la cristallière sur un ton mi-amusé et mi-espiègle. Mais pour en revenir à ta question initiale, je n’ai jamais entendu parler non plus de mages capables d’une telle prouesse, poursuivit-elle plus sérieusement.

— Moi non plus, il est vrai.

— Moi non plus ! ajoutèrent simultanément Gnomil et Reevirn.

— Alors, qui ou quoi a-t-il bien pu te déplacer ainsi, interrogea le moine ?

— Je n’ai pas trouvé la réponse. J’ai lu quelques ouvrages traitant de ces étranges animaux, dont un tome du « Livre », mais ils ne contenaient aucune allusion à une telle éventualité. J’ai donc cessé de chercher. Peut-être connaîtrons-nous un jour la réponse. Au point où nous en sommes, avec ces étrangetés que nous avons déjà vécues en si peu de temps, ça ne me surprendrait même plus.

— Et ce mage n’est pas la moindre d’entre elles.

— Quoi qu’il en soit, puisque j’avais visiblement un peu d’avance sur vous, j’en ai profité pour rechercher des informations sur le Tétralogue.

— Et ?

— Un des érudits présents ici m’a conseillé de regarder dans ce manuscrit, répondit-elle en inclinant la tête vers le rouleau qu’elle continuait de tenir entre ses mains. J’y ai découvert peu longtemps avant votre arrivée et pour l’instant une seule évocation de cette relique. Elle se trouverait dans la Cité de cristal !

— Oh non ! Pas là ! Pourquoi faut-il que ce soit dans cet endroit ?

— Parce que ce serait là-bas que le Saint-Homme aurait prophétisé. Et on l’y aurait crucifié, un rare supplice très barbare emprunté à une planète oubliée de la périphérie galactique.

— Comment est-ce possible ?

— Eh bien, il se trouve que l’empire zénovien avait des vues sur cette planète particulière en ces temps fort reculés. Une de leurs ambassadrices y aurait d’ailleurs été tuée à l’époque. Il s’était servi du satellite naturel de la planète pour tenter l’invasion d’une planète encore plus insignifiante et tout aussi oubliée, nommée Vijnia par ses autochtones, mais Vulcain par les barbares de la première. J’ai découvert entre temps ces autres détails dans le « Livre ».

— Pourquoi envahir une planète insignifiante lorsque l’on a déjà un puissant empire ? demanda Gnomil incrédule.

— Cette planète possédait un genre de technologie miraculeuse convoité par l’empire. Avec elle, il visait la conquête de la totalité de la galaxie.

— Mais ? Je sens qu’il y a un « mais », interrogea Tulvarn.

— Mais les habitants de cette planète se sont tirés d’affaire d’une manière extraordinaire. Plutôt que de tenter un affrontement qui aurait sans doute emporté la moitié de l’empire zénovien, mais risqué du même coup de voir la disparition de leur propre planète, ils ont proposé de fournir gratuitement leur technologie spéciale, à la condition de pouvoir sélectionner les Zénoviens aptes à la recevoir. Contre toute attente, le haut conseil zénovien de l’époque a accepté ! Il faut dire qu’il avait été pas mal secoué par la mésaventure de sa flotte d’invasion dans ce système planétaire. Enfin, je simplifie et déforme un peu, car cette histoire est plus complexe, d’après ce que j’en ai lu.

— Pour en revenir au Tétralogue. Pourquoi avoir repris un supplice de cette planète ?

— Ça, c’est arrivé plusieurs milliers de cycles plus tard dans l’Histoire zénovienne. L’un des observateurs maintenus depuis lors sur le satellite planétaire avait trouvé amusant ce type d’acte sadique et s’était empressé d’en informer l’Empire qui existait encore à l’époque. L’un des hauts responsables administratifs a dû lui aussi trouver ça amusant, car il a amené un décret impérial punissant d’un tel sort tout colonisé contribuant à la sédition d’une manière ou d’une autre. À l’époque du Saint-Homme, Veguil était déjà une colonie et la Cité de cristal faisait figure de joyau de l’Empire. Elle servait de modèle et de vitrine à ce qu’il envisageait pour la totalité de ses systèmes planétaires. En raison de ses particularités technologiques et matérielles, elle a réussi à se maintenir sur le même chemin, même longtemps après la disparition de l’Empire. De nos jours, on ne sait pas précisément ce qu’il en est, car ceux qui s’enfoncent dans la ville n’en ressortent jamais.

— Oui, ça nous le savions déjà, malheureusement, confirma le moine.

— Néanmoins, ce que nous ne savions pas est qu’en tant que symbole, cette ville a bénéficié du nec plus ultra de la technologie zénovienne.

— Comme si c’était pour nous rassurer ! intervint le voleur. Je ne sais pas vous, mais pour ma part, ça ne me donne pas du tout envie d’y pénétrer.

— Pourtant, il semble bien que si nous voulons trouver cette relique, nous n’ayons pas le choix, répliqua à son tour le chasseur. Il va alors nous falloir utiliser tous nos talents et nous montrer plus forts que la technologie. Je ne connais rien qui ne présente des failles ou des lacunes. C’est donc là-dessus qu’il faut se concentrer.

— En effet, approuva Tulvarn. C’est là que les talents de Gnomil pourraient se révéler particulièrement utiles.

— Vous croyez ? s’enquit le voleur sur un ton légèrement plaintif. Je ne tiens pas vraiment à devoir vérifier sur place.

— Aucun de nous ne souhaite s’y rendre, intervint Jiliern. Cependant, ceux qui souhaitent continuer la quête du Tétralogue devront bien y aller. Je ne sais pas pour vous, mais ma curiosité est plus forte que mes craintes.

— Après ce que nous avons traversé, nous commençons à être habitués aux déconvenues aussi bien qu’aux surprises bonnes ou mauvaises, ajouta Reevirn.

— Et nous sommes toujours vivants, renchérit Tulvarn, même si les moines apprennent à dépasser la peur de la mort.

— Ouais, bien je ne suis pas encore moine, rétorqua Gnomil. Mais vous avez de la chance que je sois sans doute le plus curieux de nous tous et surtout toujours avide de trésors. En fait, c’est leur découverte qui m’intéresse. Après, souvent je les revends.

— Ça explique probablement pourquoi tu t’es débarrassé si facilement de ce petit cylindre de métal dont on ne sait toujours pas à quoi il sert, mentionna Jiliern. Heureusement que je l’ai emporté. J’ai la nette impression qu’il nous sera utile à un moment donné. Et nous pouvons aussi remercier ton attrait quasi irrésistible pour les nouvelles découvertes grâce auquel tu nous accompagnes encore. Je partage l’opinion de Tulvarn selon lequel tes talents nous seront probablement utiles, que ce soit pour s’infiltrer en certains lieux sans se faire repérer, pour ouvrir des portes closes, pour grimper ou se faufiler à des endroits peu accessibles au commun des Véliens ou pour trouver diverses astuces pour faire face à l’imprévu, puisque celui-ci était souvent ton lot. Et ce n’est pas tous les jours qu’un moine guerrier te tombera dessus, acheva la cristallière en riant.

— Ce n’était pas vraiment utile de me rappeler la honte de ma vie, protesta quelque peu Gnomil.

— Allons ! Tu vas t’en remettre, tu es fait fort. Tu as bien survécu aux mâchoires d’un animal monstrueux.

— Ouais, c’est vrai ça, après tout, répondit le voleur suffisamment rasséréné par ce dernier propos de la cristallière.

Les quatre compagnons poursuivirent encore quelque temps leur discussion dans la légèreté, sur la lancée de la joie procurée par leurs retrouvailles. Puis, réalisant que la clarté diminuait, du fait du prochain passage de Dévonia sous l’horizon, ils décidèrent de se diriger vers le port. Matronix restait bien visible à bonne hauteur et ne risquait pas de se coucher avant un bon quartier, mais ils préféraient trouver tout de suite un navire pour le continent du Sud, là où se trouvait la cité de Cristal.

(Suite : Le Tétralogue — Roman — Chapitre 24)




Le Tétralogue — Roman — Chapitre 22

[Voir :
Le Tétralogue — Roman — Prologue & Chapitre 1
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 2
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 3
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 4
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 5
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 6
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 7
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 8
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 9
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 10
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 11
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 12
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 13
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 14
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 15
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 16
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 17
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 18
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 19
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 20
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 21]

Par Joseph Stroberg

​22 — Disparition ?

L’éclipse était maintenant terminée et le groupe s’était remis lentement en marche. La progression était plus laborieuse, car Gnomil ne pouvait pas marcher tant que ses os n’étaient pas ressoudés. À l’aide de son sabre, Tulvarn lui avait construit une civière improvisée en taillant diverses branches liées ensuite à l’aide du cordage restant. En plus de leur ami voleur sur cette dernière, le chasseur portait l’un des sacs rescapés et le moine, les deux autres. Ils laissaient l’arme mortelle à la cristallière qui aurait désormais en charge la première défense du groupe. Le moine n’avait pas pu lui enseigner plus que les rudiments de son maniement, suffisamment toutefois pour lui éviter de se blesser elle-même avec. En cas de nouvelle attaque d’un des animaux monstrueux de cette jungle, les deux Véliens valides déposeraient le plus rapidement possible leur fardeau. Tulvarn se saisirait de la dague de Gnomil, placée maintenant à sa propre ceinture, et Reevirn utiliserait son arc. Ils espéraient toutefois ne plus devoir en rencontrer. Les quatre compagnons étaient d’humeur taciturne et morose. L’ambiance n’était pas aux réjouissances, bien au contraire.

Peu vigilant face à l’environnement et à ses dangers potentiels, le moine s’interrogeait une fois de plus sur la validité de sa démarche. En comparaison des nombreux problèmes déjà rencontrés, il se demandait si cette quête n’était pas finalement pure folie. Il se sentait responsable autant de l’état de Gnomil que de la disparition de Marnia. Et d’après lui, aucun des deux ne méritait un tel sort, pas même le voleur qui n’avait d’ailleurs probablement jamais blessé personne. Même si ce dernier se voyait par son état actuel justement rétribué de ses actions passées — les nombreux vols qu’il avait commis —, une telle rétribution lui paraissait hors de proportion. N’eût été l’intervention rapide de Jiliern, il en serait même mort. En conséquence, Tulvarn devait-il continuer à entraîner ses trois compagnons vers toujours plus de dangers, ceci sous l’effet d’un simple songe, au risque de plus en plus élevé de les voir périr ? Partir ainsi à la recherche d’une très hypothétique relique sans même connaître sa nature n’était-il pas pure folie ? Il n’eut pas le temps de poursuivre plus avant sa réflexion.

Jiliern venait de pousser un cri de pure terreur. Dirigeant son regard vers elle, Trevor la vit se débattre au milieu d’étranges disques rougeâtres tombant du ciel. Il ne put deviner s’il s’agissait de feuilles ou d’une sorte d’animal inconnu. Quelques précieux instants de trop, il restait interdit devant le dramatique spectacle. Les disques flasques tendaient rapidement à submerger la Vélienne, malgré les coups portés à l’aide du sabre. Reevirn ne réagissait pas davantage. Il paraissait impuissant et désemparé en observant la matière gélatineuse et flasque se déformer simplement sous l’impact de la lame. Les disques de faible épaisseur se comportaient ainsi un peu comme de larges flaques d’huile. La lame passait au travers sans les déchirer le moins du monde. Aussi, la cristallière commençait à suffoquer alors que son corps se trouvait maintenant presque entièrement recouvert. Le moine et le chasseur réagirent enfin en déposant le voleur et les sacs. Ils se précipitèrent ensemble vers elle pour tenter de la libérer, mais ils durent rebrousser chemin pour éviter à leur tour d’être pris au piège. D’autres disques continuaient à tomber en planant selon des trajectoires imprévisibles. Pour une raison inconnue, ils se restreignaient néanmoins à une zone particulière du lieu. C’est seulement ce qui leur permit d’échapper au sort de Jiliern. Celle-ci finit en effet par succomber, étouffée sous la masse des disques assaillants. Atterrés, les trois Véliens ne purent qu’assister ensuite à sa disparition difficilement explicable : l’espace occupé par son corps sous la masse gélatineuse se réduisit presque instantanément à zéro. Avait-elle été digérée aussi rapidement ?

— Non ! s’écria soudainement Tulvarn. Qu’ai-je fait ? Ce n’est pas possible ! Pourquoi, Grand Satchan ?! Pourquoi donc tout ceci ?

— Mais vous n’y êtes pour rien, sieur Tulvarn ! Ce sont ces saletés !

— Merci, Gnomil, mais si ! J’en suis pleinement responsable. C’est bien moi qui vous ai entraîné dans cette folle aventure qui s’est avérée n’être qu’une succession de drames !

— Nous l’avons librement consenti, intervint Reevirn. Rien ne nous y forçait, ni toi ni le Grand Satchan. Nous nous doutions de possibles embûches, même si nous de connaissons pas tous les dangers que recèle Veguil, comme ces étranges créatures dont aucun de nous, visiblement, n’avait entendu parler.

— Peut-être, mais sans moi, elle serait encore en vie !

— Peut-être, mais peut-être pas. Tu l’as déjà sauvée de la mort, mais son destin était peut-être de mourir à cette heure précise, ici ou ailleurs, avec ou sans toi. Et puis d’ailleurs, est-elle vraiment morte ?

— Bien sûr qu’elle l’est ! rétorqua le moine, amer. Tu l’as vue comme moi !

— Ce que j’ai vu, est sa disparition inexpliquée sous les disques, au moment où elle semblait rendre son dernier souffle. A-t-elle été si rapidement avalée ou dissoute ? Ou bien quelque chose ou quelqu’un l’a-t-il transportée en un lieu plus sûr ?

— Il faudrait être un grand mage pour une telle prouesse ! Et tout ce que nous avons rencontré était tout au plus un sorcier. Maître Nignel nous a maintes fois démontré l’intérêt d’éviter de se nourrir de faux espoirs. Et les espoirs sont tels lorsqu’ils sont basés sur des données irréalistes.

— N’a-t-elle pas été déjà enlevée ? Est-ce que cela était irréaliste ? Irréel ?

— Hum ! C’est vrai, je te le concède, mon ami. Pour autant, j’ai deux objections, répliqua le moine qui malgré tout retrouvait un état intérieur moins torturé, grâce aux paroles de ses deux amis. La première tient au fait que son enlèvement avait été réalisé par quelque sorcier qui ne semblait pas bien intentionné. La seconde est qu’il est peu probable qu’une seule et même personne bénéficie deux fois de tels phénomènes très inhabituels, pour ne pas dire presque impossibles en temps ordinaire.

— Eh bien, j’ai quelques objections à tes objections, rétorqua Reevirn avec un léger amusement dans la voix. La première est que nous ne sommes peut-être pas dans un temps si ordinaire que cela. La seconde est que Jiliern pourrait avoir attiré l’attention de certains êtres particuliers dont il resterait à déterminer la nature. La troisième est qu’elle n’est manifestement plus là et qu’une digestion aussi rapide est assez peu probable.

— Oui, bon. Je ne chercherai pas de nouvelles objections. Cela m’est déjà difficile à vivre. Je me suis attaché à elle. Qu’elle soit morte ou disparue revient presque au même. Et vivre dans le doute à ce sujet m’est presque intolérable. Toujours est-il que je me sens responsable, au moins partiellement. Ça ne fait qu’ajouter à ma douleur.

— Qu’aurait pu proposer ton maître en de telles circonstances ?

— Je ne sais pas. Je ne me sens pas en état de me remémorer, et encore moins de réfléchir, même si ce n’est certainement pas digne d’un moine. C’est d’ailleurs peut-être pourquoi je suis resté novice après toutes ces années. Maître Nignel devait l’avoir lu en moi.

— Allons donc, sieur Tulvarn, je suis sûr que vous vous dévalorisez !

— Non, ami Gnomil, je sais ce que je ressens. Et ici, maintenant, je ne suis pas capable de me rappeler ou de deviner ce qu’aurait pu dire mon maître, car ma douleur est trop vive. Or, un moine devrait pouvoir la transcender, ou même être dans un état permettant d’éviter de telles souffrances. J’en suis manifestement très loin, trop loin. Jiliern me manque. Son énergie particulière me manque. Au fil des jours, elle a pris de plus en plus de place en moi, sans que je m’en aperçoive. C’est maintenant que je le réalise.

— Je peux comprendre. Pour autant, n’existe-t-il pas un moyen pour toi de t’affranchir de ce manque ou de le rendre plus supportable ? Les moines n’ont-ils pas connaissance de certaines astuces ou techniques, par exemple ? Des genres de méditation ? Autre chose ?

— Tout de suite, je ne suis pas vraiment en état d’y penser. Pourtant, il le vaudrait mieux. La présence de Jiliern me manque déjà. Et les moines ne travaillent habituellement pas ce genre de situation. Ils sont le plus souvent enfermés à vie dans leur monastère et leurs environs immédiats et ne nouent guère de relations avec les rares visiteurs.

— Je comprends. En sommes, vous êtes préparés à beaucoup de choses, sauf à vivre dans le monde.

— En effet. Et c’est plutôt ironique quand on pense que notre rôle principal est d’aider les autres Véliens, ceux qui habitent jour après jour dans ce monde. Bien sûr, il s’agit avant tout d’une aide spirituelle, mais il apparaît finalement que nous négligeons trop le fait que l’esprit s’incarne dans la matière. Et donc je me rends maintenant compte que nous ne sommes pas vraiment préparés à faire face à de nombreuses situations qui pour les autres Véliens relèvent pourtant de l’assez probable ou du fréquent. Était-ce pour cela que j’ai ressenti ce besoin de partir à l’aventure ? Mais dans ce cas, pourquoi les autres moines ne le font-ils pas aussi ? J’apparais plutôt comme un cas exceptionnel. Je n’ai connaissance d’aucun autre du temple ayant entrepris ce type de démarche… Peut-être ne suis-je après tout pas un vrai moine.

— En raison de ma mémoire déficiente, je ne saurais me prononcer sur ce point.

— Et pour ma part, je n’ai guère fréquenté les moines jusqu’à présent, intervint Gnomil qui reposait toujours à terre. Je ne pourrais vous être d’un grand secours, sieur Tulvarn, sur de telles questions. Par contre, pour ce qui est de la fréquentation des Véliennes, j’ai malgré tout une certaine expérience. Plusieurs d’entre elles se montraient sensibles aux petits cadeaux que je leur ramenais de temps à autre. Cependant, je ne me suis pas attaché spécialement à l’une d’elles, puisque je pouvais en fréquenter plusieurs, au moins une par village. Aussi, je ne suis pas familiarisé avec cette sensation de séparation que vous éprouvez. Quoi que… je pourrais peut-être la comparer avec celle que j’ai ressentie en quelques occasions lorsque j’ai dû me séparer de certains de mes trésors pour sauver ma vie.

— Et comment surmontais-tu cela ? lui demanda Reevirn.

— Ça ne durait pas trop longtemps, car j’imaginais que j’allais en trouver de plus beaux ou de meilleurs. Cela effaçait rapidement la déception de la perte.

— Hum ! Ceci me semble difficilement transposable à ma situation. Je ne souhaite pas vraiment rencontrer une Vélienne qui serait plus belle ou meilleure que Jiliern. C’est elle qui me plaît telle qu’elle est, ou telle qu’elle était, car elle est probablement morte.

— En attendant, il y a un léger détail qui me fait dire qu’elle doit être quand même vivante, ou au moins qu’elle n’a pas pu être mangée par ces choses, intervint Gnomil.

— Quoi donc ? Lui demanda Tulvarn.

— Son sac. Il n’est plus là non plus.

— En effet. Et alors ?

— Eh bien, ces espèces de monstres plats se nourrissent-ils aussi de cristaux ?

— Oh ! Je vois ce que tu veux dire. Il est peu probable effectivement qu’ils digèrent à la fois les chairs vivantes et des cristaux. Sans compter que le tissu du sac et celui des vêtements ont également disparu.

— Et donc, cela tend plutôt à favoriser l’hypothèse d’un genre d’enlèvement, ajouta le chasseur. Est-ce pour autant la même cause que la dernière fois ?

— Au moins, ça nous donne plus d’espoir de la revoir vivante un jour, si le Grand Satchan le veut bien, appuya le moine.

— Je suis cependant loin de penser que le Grand Satchan s’occupe de ce genre d’affaires, modéra le voleur.

— Pourquoi donc ?

— Parce que j’ai du mal à imaginer que quelque chose d’assez phénoménal pour avoir créé notre vaste univers s’amuse ensuite à intervenir aux infimes niveaux de nos minuscules vies individuelles. C’est comme si nous nous occupions de nos cellules individuellement. Nous sommes déjà bien petits sur notre grosse planète, mais en plus, celle-ci n’est qu’une parmi des milliards dans notre galaxie, elle-même perdue quelque part dans ce coin du cosmos. Du moins c’est ce que laisse entendre le Livre, n’est-ce pas, même si je ne suis pas du tout en mesure de vérifier tout ça ?

— Hum ! c’est vrai. Humaniser le Grand Satchan est une mauvaise habitude des moines. Maître Nignel nous avait pourtant mis plusieurs fois en garde contre cette tendance.

— Donc, je pense que si dame Jiliern s’en sort, c’est plus une question de chance que d’intervention du Grand Satchan. Ou encore, je peux admettre que c’est parce qu’elle serait alignée avec le mouvement cosmique ou le dessein global de ce même Grand Satchan, mais sûrement pas parce que ce dernier s’occuperait d’elle en particulier.

— Je dois admettre que tes arguments présentent une certaine logique. Et d’ailleurs ils ressemblent fortement à ce que nous avait mentionné une fois Maître Nignel. Malheureusement, je ne me souviens plus trop du détail et il ne l’avait plus jamais évoqué par la suite. Peut-être que ces notions ne sont pas fournies aux novices, mais habituellement réservées aux grades suivants.

— Pourquoi le seraient-elles ? demanda Reevirn.

— Eh bien, les moines vivent traditionnellement dans une structure plutôt paternaliste. Ils ont alors assez naturellement tendance à penser qu’ils sont l’objet d’une attention particulière de la part de leur maître, même si celui-ci porte la même attention à tous ses apprentis. Et donc, ils tendent à transposer cela à ce qu’ils voient quelque part comme leur maître suprême, le Grand Satchan. Aussi, je réalise maintenant qu’un des signes de plus grande maturité, probablement nécessaire pour atteindre les grades suivants, est le dépassement de cette vision un peu enfantine des choses.

— Je comprends. C’est bien possible.

— Quoi qu’il en soit, merci pour cet échange. Je me rends compte qu’il a eu pour effet d’estomper ma douleur, conclut le moine reconnaissant. Maintenant, il nous reste à décider quoi faire. Poursuivre vers Beltarn’il, la cité des érudits ? Chercher Jiliern si elle est toujours vivante ?…

— Elle est toujours vivante ! l’interrompit Reevirn. Je sens encore sa présence quelque part. Mais je ne parviens pas à trouver la direction. J’aurais pu le dire plus tôt, mais j’espérais obtenir davantage de précisions. Cependant, rien d’autre ne vient, contrairement à sa première disparition.

— C’est toujours ça de la savoir en vie, répondit le moine soulagé. Continuons alors vers Beltarn’il, puisque nous ne savons pas du tout où la chercher, si vous n’y voyez pas d’inconvénients.

— D’accord, répondirent les deux autres avant de préparer la poursuite de leur chemin vers l’inconnu.

Le voleur se réinstalla tant bien que mal sur la civière, le chasseur reprit le sac dont il avait la charge et le moine les deux autres, puis le trio se remit en route, avec un faible espoir de revoir un jour la cristallière. Celle-ci avait disparu avec ses cristaux et le sabre lumière, le tout complètement digéré ou bien rendu ils ne savaient où.

(Suite : Le Tétralogue — Roman — Chapitre 23)




Le Tétralogue — Roman — Chapitre 21

[Voir :
Le Tétralogue — Roman — Prologue & Chapitre 1
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 2
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 3
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 4
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 5
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 6
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 7
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 8
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 9
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 10
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 11
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 12
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 13
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 14
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 15
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 16
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 17
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 18
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 19
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 20]

Par Joseph Stroberg

21 — L’éclipse

La nuit était profonde, mais Gnomil ne parvenait pas à dormir vraiment, à cause de la douleur lancinante dans ses jambes. Il ne faisait que somnoler, oscillant entre de vagues plongées dans le néant et le réveil partiel. Ses atèles lui évitaient le pire, mais elles ajoutaient malgré tout à son inconfort. De plus, il n’avait plus d’abri et le vent s’était levé. L’air nocturne devenait trop frais à son goût, en ce printemps qui n’en finissait pas. La seule chose positive qu’il notait était l’absence de pluie, par ailleurs pourtant habituellement souvent présente en cette saison et en ces lieux. Quelque chose lui paraissait étrange, mais il ne parvenait pas à déterminer quoi. Son esprit embrumé fonctionnait au ralenti lorsqu’il émergeait du semi-sommeil. Et ses impressions subtiles se trouvaient partiellement écrasées par la souffrance physique qui tendait à prendre toute la place dans sa conscience. Pourtant, il aurait mieux valu qu’il l’oublie !

L’air propageait une odeur délicate et à peine perceptible qu’il faillit ne pas remarquer. Elle lui rappelait vaguement quelque chose. Il l’avait déjà sentie, en de rares occasions, au cours des années passées. Dans son état, il ne pouvait se rendre compte de quoi il retournait exactement. De plus, il n’en avait jamais bénéficié, se trouvant chaque fois isolé en ces moments-là, loin de ses semblables, probablement trop occupé à voler l’un d’eux ou à fuir des poursuivants après l’un de ses larcins. En absence de Véliennes, elle n’avait alors rien déclenché de spécial en lui. Cependant, il allait en être autrement pour ses deux compagnons mâles.

Cette nuit, anormalement profonde, alors que des nuées cachaient les étoiles, était en fait une éclipse solaire totale. Dévonia serait masquée pendant plusieurs heures, presque un quartier complet. Tulvarn ne dormait pas et sentait monter en lui une forte et puissante énergie sexuelle. L’odeur provenait du mélange des phéromones féminines des diverses espèces animales et des Véliennes. L’éclipse en était à l’origine, d’une manière encore inconnue. Elle stimulait la sexualité féminine qui à son tour allait réveiller celle des mâles, du moins ceux qui se trouvaient près de compagnes potentielles. La douleur y faisait obstacle, laissait ainsi le voleur à l’écart de cette nuit magique. Blessés ou indemnes, les animaux ne seraient pas en mesure de chasser. Rien ne serait à craindre, même du pire des prédateurs.

Le moine entendit un bruissement croissant au niveau du sol devant lui. Quelques instants après, il ressentit des bras l’enserrer avidement, pendant qu’une paire de lèvres se collait sur les siennes. Il reconnut l’odeur particulière de Jiliern et s’abandonna à leur désir mutuel. Elle l’avait manifestement choisi comme progéniteur et il en ressentit un mélange de gratitude et de compassion. C’était leur première fois à tous les deux. De telles circonstances étaient rares sur la planète. Toutes les espèces animales et humanoïdes s’y consacraient alors au mieux, dès que des couples se trouvaient en présence. La nuit effaçait les traits visibles, aussi bien la beauté que la laideur, aussi bien la jeunesse que la vieillesse… Si les couples étaient sexuellement matures et aptes, seuls l’amour et le devoir pour la perpétuation de l’espèce comptaient. Même si la veille ou quelques heures avant, le partenaire était haï, en ces heures magiques, il ne pouvait plus l’être. La nature planétaire leur insufflait alors son propre amour de manière tellement intense et irrésistible que les couples ne pouvaient guère répondre qu’en s’y accordant. Les exceptions étaient rares, très rares. Certains Véliens et certaines Véliennes avaient par le passé préféré se mutiler pour souffrir et ainsi ne pas partager, ne pas accomplir l’acte sacré.

La douce puissance de leur échange allait rester inscrite dans leur mémoire de manière indélébile. Cependant, dans quelques cycles, quatre œufs allaient chacun donner naissance, en principe, à un nouveau membre de l’espèce vélienne. Et cela risquait de compliquer l’aventure, si le Tétralogue n’était pas découvert avant. En attendant, Tulvarn et Jiliern se blottirent l’un contre l’autre pour le reste de l’éclipse, lançant leur imagination dans la direction des conséquences possibles de leur union.

Jiliern se voyait déjà enseigner son art à deux de ses futurs enfants, laissant les autres aux bons soins de Tulvarn pour leur apprendre les connaissances des moines guerriers. Avec un peu de chances, ils auraient deux filles et deux garçons. Une telle proportion était assez fréquente, au moins les trois quarts du temps. Cependant, alors qu’elle visualisait cette possibilité, une pensée alternative s’immisça dans son esprit : et si leurs enfants ne souhaitaient pas du tout devenir cristallières et moines guerriers ? Peut-être qu’au moins l’un d’eux voudrait par exemple devenir un érudit ? Ou un chasseur comme Reevirn ? En encore un forgeron ? Un bâtisseur ?… Et s’il voulait être assassin ? Tulvarn et elle-même devraient-ils s’y opposer ? Il faudrait qu’elle lui demande. Il semblait plutôt être assez sage et de bon conseil. D’ailleurs, on n’en attendait pas moins d’un moine. Elle-même ne disposait pas de grandes références, ses parents étant morts trop tôt. Elle n’avait pas pu en discuter avec eux et elle ne se souvenait pas particulièrement de ce qui avait déterminé son choix de métier. Elle avait l’impression que cela s’était imposé naturellement, ou que cela avait été toujours présent en elle. Mais peut-être que ses parents auraient eu davantage de souvenirs. Elle ne le saurait jamais. Ainsi, elle n’était pas du tout sûre de pouvoir se baser sur sa propre expérience. Ou alors, il lui fallait considérer l’hypothèse que ses parents n’étaient pour rien dans son choix et n’avaient jamais cherché à l’influencer. Auquel cas, puisqu’elle n’en ressentait pas le moindre ressentiment, bien au contraire, il lui semblait que c’était une bonne chose et que dans ces conditions, elle devait probablement aussi laisser ses enfants libres de tels choix. Mais quand même, avoir l’avis de Tulvarn, ne serait-ce que parce qu’il serait le père, lui paraissait nécessaire.

De son côté, le moine réfléchissait à un tout autre aspect de la situation. Si leur aventure devait se prolonger au-delà de la naissance de leurs enfants, comment pourraient-ils la poursuivre sans mettre en danger la vie de ces derniers ? Il imaginait mal pouvoir leur procurer à tous un bouclier protecteur, sans compter qu’il faudrait alors disposer du moyen, pour l’instant inconnu de sa part, pour les recharger en énergie. Celui dont il disposait présentement avait déjà épuisé la sienne au cours de la journée précédente. Et il ne servait donc plus à rien. Pour autant, il ne pouvait pas s’en débarrasser comme ça en pleine nature. S’il ne pouvait pas offrir une protection suffisante à ses enfants, il n’aurait guère d’autre choix que de renoncer à la relique. De plus, seule Jiliern pourrait les nourrir convenablement au début, par allaitement au sein. Elle aussi devrait donc être particulièrement protégée. Elle ne pourrait plus participer à des activités potentiellement dangereuses et devrait presque obligatoirement renoncer à l’aventure. Il lui restait la possibilité de la poursuivre sans elle, mais cela l’empêcherait de veiller sur elle et sur les enfants. Il ne pourrait pas vraiment s’y résoudre. Il était pris dans un dilemme. D’un côté, il éprouvait le besoin presque impérieux de trouver ce Tétralogue. Et de l’autre, il ne pensait pas pouvoir le faire sans risquer de perdre Jiliern et les enfants. Quoi qu’il en fût néanmoins, pour l’instant ces derniers n’étaient pas encore nés, loin de là, et peut-être qu’il atteindrait avant cela son objectif. Maître Nignel lui aurait probablement dit qu’il ne servait à rien de chercher ainsi à anticiper les événements, et pas seulement parce que trop souvent ils se déroulent d’une manière inattendue. Un Vélien gagnait plutôt à développer ses facultés d’adaptation et d’improvisation. Ainsi, il était mieux armé à faire face à de multiples éventualités, même les plus improbables. Mais surtout, il évitait d’engendrer en lui-même des émotions négatives de peur, d’appréhension, de stress… Il valait donc mieux dans l’immédiat que Tulvarn prenne une grande respiration et pense à autre chose, par exemple au contact fort agréable de Jiliern. Alors qu’ils se tenaient silencieusement allongés sur le sol herbeux, elle était collée sur sa droite, y produisant une douce chaleur qui contrastait avec l’autre côté, exposé lui au vent nocturne.

Tant que l’éclipse durait, les animaux de la jungle ne représentaient pas un danger, d’autant plus que la plupart étaient occupés par leur propre rituel d’accouplement ou de recherche de partenaires, guidés par les sons et les odeurs. Tulvarn n’aurait pas besoin de réveiller Reevirn pour son tour de garde avant qu’elle ne termine. De toute manière, à moins de se doter d’un des cristaux luminescents de Jiliern, le chasseur ne verrait rien. Et en cette obscurité profonde, même eux ne révéleraient pas grand-chose d’autre que l’environnement immédiat, à quelques pas de distance tout au plus. Le ciel était couvert, comme presque tout le temps lors des éclipses, ce qui pouvait paraître étrange. Pourquoi les étoiles n’étaient-elles alors presque jamais visibles ? Mais les Véliens ne se posaient pas de questions à ce sujet. Ils vivaient cela comme allant de soi. Pourtant, Tulvarn trouvait cela curieux. Était-il vraiment Vélien ? Il était bien né ici, sur Veguil. Du moins, ses parents n’avaient jamais mentionné provenir d’ailleurs. De plus, il n’avait jamais entendu parler d’étrangers à la planète ayant l’apparence des Véliens. Il devait donc bien être natif de ces lieux. Pourtant, quelque chose l’intriguait. En y réfléchissant, il y avait trop d’éléments bizarres dans son histoire. Qui avait vraiment tué ses parents ? Et dans quel but ? Pourquoi pouvait-il combattre les yeux fermés quand personne d’autre de sa connaissance n’y parvenait ? Pourquoi était-il si maladroit et étourdi en temps ordinaire, alors que ce genre de désagréments n’arrivait pratiquement jamais aux autres moines, ni d’ailleurs aux chasseurs et aux voleurs, pour ce qu’il en savait ? Pourquoi devait-il chercher cette relique qui n’existait peut-être pas ? Et que venait faire cette étrange légende ? Qui était-il ? Comment pourrait-il faire la différence entre une réelle intuition et ce qui l’avait poussé à s’enfoncer inutilement dans ce gouffre aux Larmes de la sorcière ? À quoi pouvait-il se fier ? Il se sentait dans une obscurité intérieure aussi profonde que celle produite par l’éclipse. Il n’y décelait pas la moindre lueur capable de l’éclairer, de lui fournir un indice. Il en ignorait autant sur lui-même que sur sa destinée. Finalement, il ne se trouvait guère mieux loti que son ami Reevirn. Et ce dernier au moins avait la justification de l’amnésie !

(Suite : Le Tétralogue — Roman — Chapitre 22)




Le Tétralogue — Roman — Chapitre 20

[Voir :
Le Tétralogue — Roman — Prologue & Chapitre 1
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 2
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 3
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 4
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 5
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 6
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 7
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 8
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 9
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 10
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 11
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 12
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 13
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 14
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 15
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 16
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 17
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 18
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 19]

Par Joseph Stroberg

​20 — Blessures

Alors qu’il leur restait encore deux jours de marche pour sortir de la forêt massive des plaines de l’Ouest, les quatre compagnons commencèrent à croiser divers animaux qui retournaient manifestement vers leur territoire d’origine. Ces derniers semblaient énervés, marchant ou courant de manière le plus souvent erratique. Lorsqu’ils se rapprochaient trop près les uns des autres, ils se lançaient brusquement des coups de patte, de queue, de corne ou de gueule, selon leur morphologie et leur humeur. Mieux valait aux Véliens d’éviter au moins les plus gros et les plus dangereux.

Cependant, la densité animale tendait à devenir dangereusement importante, au point qu’il était de plus en plus difficile aux humanoïdes de s’en cacher. Au détour d’un arbre géant, ceux-ci se retrouvèrent ainsi presque nez à nez avec un monstrueux prédateur qui les dépassait de plusieurs pas de hauteur. Tulvarn plongea au sol sur le côté pour éviter de se faire écraser sous une énorme patte griffue. Reevirn tira une flèche qui ne fit que rebondir sur une peau écaillée manifestement bien trop dure. Gnomil sortit prestement sa dague, mais n’eut pas le temps de s’en servir. Il fut happé par la gueule du monstre. Celle-ci se referma en un claquement sinistre sur les jambes de l’infortuné, broyant au passage des os un peu trop fragiles. Le reste du corps resta prisonnier de la mâchoire. Jiliern, qui se tenait légèrement en retrait, assista horrifiée au drame. Après quelques instants de stupeur, elle tenta de sortir un cristal hypnotique, alors que le moine tirait son sabre et s’approchait du carnivore. Mais elle ne dut qu’à un réflexe désespéré de ne pas être embrochée par deux griffes acérées. Pendant ce temps, Tulvarn parvint néanmoins à porter un coup déterminant qui entailla presque entièrement l’une des pattes du monstre. Celui-ci poussa un puissant rugissement avant de s’enfuir en boitant, relâchant le voleur inconscient qui pissait le sang.

Jiliern était livide, au bord de l’évanouissement. La vision du voleur ainsi mutilée lui paraissait insupportable. Voyant cela, Tulvarn s’en approcha et vint la soutenir tout en faisant signe à Reevirn de s’approcher du blessé. Le chasseur s’empressa de déchirer un large pan de son vêtement pour tenter de colmater au mieux les plaies béantes par lesquelles le sang continuait à se déverser à flots. La cristallière se ressaisit comme elle put, faisant appel à toute sa volonté. Ce n’était pas le moment de flancher. Leur ami était au bord de la mort. Elle se précipita sur ses cristaux pour en ressortir un capable en quelque sorte de geler le sang. Rapidement, elle exécuta quelques passes très près des horribles blessures couvertes de linge pour stopper la grave hémorragie. Le sang sembla progressivement se gélifier, empêchant le voleur de s’en vider complètement. Les blessures de ce dernier étaient graves et sales. Il avait malheureusement perdu la moitié de son sang. Mais au moins, le plus urgent était accompli. Il restait maintenant le plus délicat et le plus long : remettre Gnomil en état. Pour cela, elle allait avoir besoin de l’aide de ses deux autres compagnons : l’un pour l’assister et l’autre pour les protéger.

Pendant que le chasseur s’occupait d’aller chercher toute l’eau qu’ils avaient en réserve, le moine commença à monter la garde, attentif au moindre nouveau danger potentiel. Il devait écarter par des cris et des gestes agressifs tous les animaux qui s’approchaient de trop près. Il lui faudrait cette fois éviter de penser à autre chose. Il ne pouvait pas se permettre une nouvelle étourderie. Dans leur situation, celle-ci pouvait être fatale. Il suffisait d’un seul animal trop dangereux et agressif pour ne leur laisser aucune chance.

Reevirn revint chargé d’eau auprès de Jiliern et l’aida à nettoyer les vilaines plaies de Gnomil. La cristallière sortit ensuite un autre cristal, celui de teclonite qui l’aidait à cicatriser les blessures. Elle passa la fin du quartier à cette délicate opération. Le voleur était toujours inconscient et ceci lui facilitait quelque peu la tâche. Cependant, quand elle aurait ensuite trouvé un moyen de fabriquer des atèles pour les jambes du voleur, il lui faudrait rapidement le réveiller pour qu’il mange des baies sitjiennes. Son teint avait viré au bleu sombre, signifiant qu’il se trouvait probablement à un poil de la mort. Pour gagner du temps, elle envoya Reevirn chercher de solides branches avec la dague de Gnomil, pendant que le moine maintenait les animaux à distance. Afin d’éviter un autre drame, Tulvarn lui donna son bouclier intégral portatif et l’activa, gardant le boîtier de commande avec lui. Le chasseur aurait trop à faire pour trouver des branches suffisamment fines, dures et accessibles sans s’occuper des prédateurs et autres monstres. Avec le bouclier sur lui, il serait protégé des mâchoires, griffes et autres instruments de mort.

Jiliern utilisa la presque totalité du quartier suivant de la journée à régénérer au mieux le corps de leur compagnon blessé, en attendant qu’il revienne à lui. Après le retour de Reevirn, avec l’aide du moine, elle confectionna des atèles puis les plaça sur les jambes du voleur du mieux qu’elle put. Enfin, les trois rescapés mangèrent à tour de rôle pendant que l’un d’entre eux gardait un œil sur Gnomil et le troisième, revêtu à son tour du bouclier maintenait les animaux à distance. Ce faisant, l’énergie de ce dernier s’épuisait progressivement au point qu’il ne restait maintenant que la moitié de la réserve et que celle-ci serait vide avant le soir. Eux-mêmes commençaient à ressentir la fatigue et devraient bientôt s’allonger pour dormir, cette fois sans abri. L’atmosphère n’était pas aux réjouissances. Les trois compagnons se montraient taciturnes et moroses. Difficilement concentrés sur ce qu’ils faisaient, ils ne sentaient même plus les odeurs de la forêt ni la caresse du vent léger qui circulait entre les arbres. Leur aventure s’engageait bien mal. Ils n’avaient toujours pas le moindre indice sur l’emplacement du Tétralogue ou du tombeau du Saint-homme, mais déjà plusieurs déconvenues et un blessé grave. Et ceci, sans compter que Reevirn aurait même pu ne pas être du groupe, s’ils n’étaient pas parvenus à le sauver.

Juste avant la nuit, Gnomil reprit conscience et lâcha aussitôt un grand cri. Le souvenir de son passage par la gueule du géant carnivore était tout frais dans son esprit et il ressentait une terrible douleur autour de ses os broyés. Il valait d’ailleurs mieux qu’il ignore avoir plus d’une vingtaine de vilaines fractures. Le traitement de la cristallière ne pouvait reconstituer aussi vite les tissus osseux lésés. Néanmoins, elle utilisa son cristal hypnotique sur le voleur pour diminuer sa douleur au point de la rendre supportable et atténuer son traumatisme psychique. Au sortir de l’hypnose, il se sentit nettement mieux qu’avant :

— Ouf ! C’est nettement plus supportable maintenant. Merci noble dame !

— Allons donc ! Ne pourrais-tu pas m’appeler simplement Jiliern ?

— Non, noble dame. Cela m’était déjà difficile avant, car notamment vous ne m’avez pas livré à la horde sauvage ni aux assassins, mais maintenant je vous dois la vie et ça m’est désormais impossible.

— Eh bien, j’imagine alors que je n’ai pas le choix et qu’il va me falloir supporter cette appellation. Mais nos deux présents compagnons ont aussi leur part dans ta survie et je ne mérite pas plus qu’eux.

— Oh ! mais je ne les appellerai pas autrement que sieurs Tulvarn et Reevirn. Vous me faites trop d’honneur de m’avoir accepté. Un voleur tel que moi ne le méritait certainement pas. Toute ma vie, j’ai volé, menti et triché, croyant que cela était une bonne manière que de mener ma vie. À force de vous côtoyer, j’en viens à en éprouver une honte de plus en plus profonde. Et cette blessure n’est probablement qu’une partie de ce que je mérite. Vous pouvez remarquer que ce n’est pas tombé sur l’un d’entre vous.

— Pour ce qui est des blessures, notre ami Reevirn a pourtant connu son tour, ayant été au bord de la mort lorsque nous l’avons découvert, et moi-même j’ai été grièvement blessée il n’y a pas si longtemps, devant mon salut à notre ami Tulvarn. Méritions-nous aussi nos blessures ? Je ne sais pas pour Reevirn, mais je ne sais pas trop en quoi ma vie de cristallière mériterait tant que ça ce genre de punition. Et de la part de qui ? Du Grand Satchan ? Crois-tu vraiment que c’est si simple ?

— Je ne sais pas pour vous. Je ne sais pas ce que vous avez vécu auparavant. Pourtant, je sens que dans mon cas, il s’agit d’un rétablissement ou d’une réparation. Quelque chose comme ça. J’ai dû faire beaucoup de mal autour de moi, et je viens donc logiquement d’en payer le prix.

— Mais tu n’étais même pas conscient de mal faire, lorsque tu as croisé notre chemin. Comment alors pourrait-il être justifié de te faire payer pour des choix guidés d’une certaine manière par l’inconscience ? D’ailleurs, le moine et moi-même ne t’avons pas puni. Au contraire, nous t’avons offert de te joindre à nous !

— Oui, c’est vrai. Mais je ne comprends pas votre geste. Ça ne me paraît toujours pas logique. Et qui peut dire que je n’étais pas conscient ? Seulement moi-même, sans aucun doute ! Et si je m’examine, si je me remémore ce que j’ai fait quand je volais, trichais, mentais…, eh bien, je me rends compte que justement je n’écoutais pas la voix de ma conscience, cette petite voix timide en moi qui me signalait que ce que je faisais n’était pas correct, n’était pas juste… Elle était timide, presque inaudible, parce que je l’étouffais, parce que je ne voulais pas l’entendre. Mon cœur ne pouvait saigner, parce que je l’endurcissais, je le transformais en pierre, comme ces cailloux que j’utilisais parfois pour briser ce qui faisait obstacle aux trésors convoités. J’ai honte, profondément honte ! Mais je remercie le Grand Satchan pour sa justice et pour l’instrument qu’il a choisi à cette fin !

— Eh bien, encore un peu et tu vas virer moine, ne put que répliquer la cristallière, légèrement déconcertée.

— Hum ! Je crois que je peux comprendre ce qu’il raconte, intervint Tulvarn. Maître Nignel évoquait parfois ce qu’il appelait la loi immanente de l’équilibre. Il disait que l’univers est ordonné, mais que les choix désordonnés des êtres conscients, à cause de leur liberté d’agir dans un sens plutôt que dans un autre, pourraient conduire au chaos. S’ils agissaient tous sans tenir compte de cet ordre cosmique et de ses lois, chacun dans sa direction particulière sans tenir compte des conséquences, ils produiraient un désordre tel qu’il pourrait détruire les fondements mêmes du cosmos et amener sa ruine. De moins, ceci s’il n’existait pas cette loi d’équilibre.

— Qu’est-ce que cette loi ? demanda le chasseur, avide de combler les lacunes de sa mémoire renaissante.

— Maître Nignel expliquait qu’elle permettait de rééquilibrer l’univers, malgré les milliards de milliards d’actions antagonistes et irresponsables des êtres insuffisamment conscients. Elle le faisait en leur offrant de vivre plus tard les conséquences de leurs choix. Ainsi, quand ils vivent dans leur chair ces conséquences, ils finissent un jour par réaliser pleinement la portée de leurs actions. Prenons l’exemple d’un tyran qui emprisonne ou empoisonne ses opposants et adversaires réels ou potentiels. Il le fait sans la moindre idée de justice et de justesse, mais seulement par désir de supprimer ce qui fait obstacle au maintien de sa position privilégiée. Eh bien, un jour, plus tard, la plupart du temps dans une vie suivante, sa conscience se retrouve dans une nouvelle circonstance, souvent bien différente, souvent dans un nouveau corps, avec une personnalité qui peut être radicalement différente. Là, il va être amené à subir un empoisonnement qui pourra le laisser handicapé ou très affaibli, ou bien un emprisonnement qu’il trouvera particulièrement injuste, de la part d’un tyran ou de toute personne qu’il trouvera tyrannique dans sa manière d’agir.

— Mais quel intérêt, intervint le voleur, si nous ne nous souvenons pas de ce que nous avons fait auparavant ?

— La conscience, cette petite voix intérieure que tu évoquais, elle, elle le sait. Il s’agit de ce que l’on nomme communément « l’âme ». C’est elle qui survit à la mort et garde en mémoire l’essentiel de nos choix et actions qui en découlent. Et tant que nous ne sommes pas pleinement capables de choisir en conscience dans le sens de l’ordre et des lois cosmiques, tant qu’au contraire nos actions sont encore trop souvent guidées par l’irresponsabilité et l’égoïsme, eh bien cette conscience se réincarne en vertu de la loi d’équilibre. Elle cesse de s’incarner lorsqu’elle intègre en elle-même le principe d’équilibre, la mesure des conséquences des choix et la sagesse d’agir en fonction de cette mesure. Du moins, c’est ce que mentionnait mon Maître. Mais je ne suis pas sûr d’en comprendre ni percevoir correctement la portée et les implications. Et puis, il reste la possibilité que cette perception des choses soit plus ou moins complètement erronée. Le Livre rapporte d’autres systèmes de croyances tels qu’ils existent sur différentes planètes. Il y en a des millions et ce dont parlait le vénérable Nignel n’est que l’un d’eux, même s’il fait partie des plus communs.

— Et surtout, ça ne m’éclaire pas vraiment sur la cause de ma propre blessure, intervint Jiliern.

— Celle-ci pourrait-elle être d’un autre ordre qu’un genre de rééquilibrage ? interrogea Reevirn.

— Lequel ?

— Permettre votre rencontre avec le moine ?

— Hum !… Ça mérite réflexion… Est-ce que certains accidents qui peuvent nous paraître négatifs auraient en réalité pour objectif de produire des effets positifs ? Je n’en sais rien, mais ça me trouble ce que tu soulèves. Dans un tel cas, est-ce que c’est l’âme qui provoque l’accident ? Le Grand Satchan lui-même ? Autre chose ? J’avoue que je n’ai cependant pas vraiment envie d’y réfléchir maintenant et que je préférerais que nous dormions. Je me sens trop fatiguée.

— D’accord pour dormir, approuva le voleur.

— Puisse le Grand Satchan vous retrouver demain en grande forme ! Je prends le premier tour de garde, si vous n’y voyez pas d’inconvénient.

Sur cette conclusion, Tulvarn se plaça adossé à un arbre tout près de ses trois compagnons. Ceux-ci s’étaient allongés pêle-mêle sur l’herbage juste devant lui. La débandade animale avait cessé depuis quelque temps et les menaces seraient certainement moins fréquentes maintenant. Cependant, la vigilance restait de mise, car le ciel devenait de plus en plus sombre.

(Suite : Le Tétralogue — Roman — Chapitre 21)




Le Tétralogue — Roman — Chapitre 19

[Voir :
Le Tétralogue — Roman — Prologue & Chapitre 1
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 2
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 3
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 4
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 5
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 6
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 7
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 8
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 9
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 10
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 11
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 12
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 13
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 14
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 15
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 16
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 17
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 18]

Par Joseph Stroberg

​19 — Secousses forestières

Tulvarn fut réveillé par des secousses en provenance du sol. Les tremblements semblaient s’accentuer dramatiquement. Réalisant un possible danger, il s’extirpa prestement de son abri. Tout en examinant rapidement les alentours, il cria à l’adresse de ses compagnons. Ceux-ci dormaient encore, selon toute vraisemblance. Ses cris restant sans effets, il se précipita pour secouer les endormis un à un sans les ménager le moindrement. Il ne prit même pas le temps d’ouvrir leur mini tente, mais les envoya rouler sur le côté d’une bonne poussée manuelle. Emportés par l’élan, ils effectuèrent plusieurs tonneaux, empêtrés dans leur prison de tissus, avant de s’arrêter, tout en émettant des cris de surprise. Pendant que Tulvarn cherchait toujours vainement l’origine de cet étrange tremblement de terre, ses trois compagnons finirent par sortir à l’air libre et se mirent debout en état d’alerte.

— Que se passe-t-il ? demanda Gnomil, légèrement effrayé.

— Aucune idée, répondit Tulvarn. Mais ça semble se rapprocher. Le problème est que je ne sais pas de quelle direction ça provient. Nous ferions bien de trouver un abri ou un arbre assez solide, au cas où.

— Ici ! alerta Reevirn en désignant sur sa gauche un arbre particulièrement imposant.

Sans attendre, les quatre Véliens coururent vers le colosse de bois dont la plus basse branche, elle aussi énorme, était pourtant inatteignable. Dans leur précipitation, ils avaient laissé tous les sacs à terre, et leurs couchages s’y trouvaient encore pêle-mêle. Arrivés au pied de l’arbre visé, aucun d’eux ne pouvait individuellement atteindre la branche hors d’atteinte, même en sautant particulièrement haut. Par contre, Tulvarn était assez costaud pour les y propulser, ce qu’il effectua en commençant par Jiliern. Le seul ennui est qu’il ne pouvait lui-même grimper. Il fit demi-tour dare-dare pour aller chercher une corde et deux des sacs, alors que les secousses étaient de plus en plus violentes et menaçaient de le jeter à terre. Il revenait vers l’arbre en sprintant quand il ressentit le danger immédiat derrière lui. Dans un pur réflexe, il se jeta à terre au moment même où la patte droite d’une énorme bête allait lui fracasser le crâne alors qu’elle continuait sa course folle dans la forêt, brisant au passage les plantes trop frêles qui se trouvaient sur son chemin. Malheureusement, elle n’était pas seule, mais accompagnée par des milliers d’autres, d’espèces diverses. Tulvarn se releva avant de se faire piétiner par la suivante, puis reprit promptement son chargement. Il parcourut les derniers pas, déposa les sacs dans un creux entre deux racines, puis lança la corde à ses amis avant de devoir à nouveau s’aplatir. Deux énormes herbivores le frôlèrent d’un rien en s’écartant au dernier moment pour ne pas percuter l’arbre. Il se mit de nouveau debout et sauta pour attraper l’extrémité de la corde que venait de lui lancer Gnomil avec adresse. Celui-ci avait attaché rapidement et solidement l’autre bout autour de la grosse branche pendant que le moine était au sol. Tulvarn grimpa à la force de ses bras et se hissa, exténué, sur la plate-forme étroite offerte par la branche sur laquelle se trouvaient déjà ses trois compagnons. Ceux-ci s’y trouvaient à plat ventre et s’y agrippaient à l’écorce. Ils espéraient ainsi éviter de tomber au sol en contrebas, sous l’effet des secousses continuelles qui se voyaient ici amplifiées.

Pendant ce temps, des animaux effrayés, de toutes tailles et espèces, continuaient à agiter la forêt. Ils fuyaient tous vers le nord-ouest, devant un danger inconnu. Les herbivores et frugivores s’y mêlaient indistinctement aux prédateurs, car l’heure n’était visiblement pas à la chasse. Si les quatre Véliens n’avaient pas été aussi accaparés par leur effort pour rester accrochés à leur branche, ils auraient pu s’émerveiller de la grande variété (et parfois étrangeté) des animaux qui traversaient brièvement l’endroit. Les plus gros parmi ces derniers étaient les principaux responsables des tremblements incessants du sol. La plupart étaient inconnus de la grande majorité des habitants de la planète, car ils vivaient uniquement dans cette partie des pleines de l’Ouest, une zone cependant assez vaste pour inclure des centaines de milliers d’espèces animales différentes. La vie grouillait littéralement dans cette jungle. Et pour l’heure, elle était affolée par une menace que le quatuor ne distinguait pas encore. S’agissait-il d’un incendie ? Comment l’un d’eux aurait-il pu prendre dans cette forêt humide, à moins d’un acte incendiaire délibéré ? Tulvarn s’interrogeait à ce sujet et tentait d’imaginer des moyens et des motivations pour l’entreprise d’un tel crime.

Relâchant son attention et son effort, il fut désarçonné de la branche salvatrice et tomba lourdement de l’arbre. Ouille ! Un puissant pachyderme manqua l’écraser en passant. Il ne dut son salut in extremis qu’à une roulade de côté par pur réflexe de survie. Il n’avait plus le temps de remonter et choisit alors la seule solution viable qui s’offrait à lui : contourner vivement le tronc pour s’y abriter derrière. En principe, les animaux évitaient l’imposant végétal et jusqu’à présent aucun d’eux n’avait été assez gros pour risquer de le déraciner en le heurtant de front.

Ses trois compagnons étaient tellement occupés par leur propre maintien qu’ils n’avaient aucunement remarqué sa chute. Ils ne risquaient pas de lui lancer une corde. Tulvarn se plaqua donc sur le tronc pendant que les animaux effrayés le dépassaient par la droite ou par la gauche. Encore une fois, son manque de maîtrise mentale l’avait gravement mis en danger. Et il ne devait sa vie qu’à la chance ou au bon vouloir du Grand Satchan.

Le flux des animaux terrorisés semblait ne pas pouvoir se tarir. Pourtant, il fut soudainement remplacé par une cohorte de Véliens sur le dos de quadrupèdes énormes. Solidement harnachés, ils hurlaient à qui mieux mieux et tiraient en l’air avec des armes étranges. Des explosions assourdissantes couvraient le bruit de la débandade. Le moine s’empressa de se boucher les oreilles et pria pour ne pas être remarqué de ces fous furieux. Il essaya, bien sûr sans succès, de se faire plus petit. S’il existait une cachette dans le coin, il n’aurait de toute manière même pas le temps de l’atteindre. Des centaines et des centaines de ces guerriers ne cessaient d’arriver pour remplacer ceux qui disparaissaient au loin en s’enfonçant dans la jungle. Ils semblaient être aussi nombreux que les animaux pourchassés, du moins ceux de taille au moins équivalente à celle des montures de ces espèces de guerriers. Des guerriers ? Est-ce qu’il s’agissait de cela ? Et donc d’un genre d’armée ? Mais pourquoi ? Que venait-elle faire dans ce cas en plein milieu des plaines de l’Ouest ? Y cherchait-elle de la nourriture ? S’agissait-il d’un genre d’exercice ? Ou d’amusement ? Tulvarn imaginait mal pouvoir s’amuser lui-même par ce genre d’activité. Néanmoins, il n’était pas dans les vêtements ni dans le cuir de ces individus. Il en avait bien conscience. Pour autant, avec sa manière particulière de vivre et de voir les choses et les êtres, il s’en félicitait. Il n’aurait pas voulu être à leur place. Ils se comportaient comme de mauvais barbares, des brutes ayant perdu la raison.

Alors que Tulvarn poursuivait son introspection à la recherche de réponses, le flux des guerriers finit par se tarir et les secousses s’estompèrent progressivement. Ses compagnons se rendirent compte de son absence sur la branche et l’appelèrent en criant :

— Ohé ! Tulvarn ?…

— … Oui ! Quoi ? répondit le moine en revenant au monde extérieur.

— Où es-tu ? demanda Jiliern qui regardait beaucoup trop loin devant elle pour l’apercevoir.

— Ici, juste en bas !

— Oh ! Comment es-tu descendu sans que nous nous en apercevions ?

— Devine ! En tombant, encore une fois !

— Hum ! Ça semble être une habitude chez sieur Tulvarn, intervint Gnomil. Il va falloir qu’on lui trouve quelque chose pour l’en préserver.

— Dépêchez-vous alors, car ça commence à sérieusement m’embêter ! J’ai eu de la chance de ne pas me faire piétiner à mort. En fait, le problème provient de ma fâcheuse tendance à trop me plonger dans mes pensées alors que je devrais prêter attention à ce qui se déroule autour de moi. Mon maître nous a souvent dit qu’il y avait un temps pour agir et un autre pour méditer et qu’il pouvait être dangereux de mélanger les deux.

— Ça me semble correct, mentionna Reevirn. J’imagine notamment que penser à autre chose pendant que l’on tire une flèche sur du gibier est le meilleur moyen de le rater.

— Et penser à un piège pendant que l’on crochète un coffre à trésors, ou l’inverse, est le meilleur moyen de se faire prendre, ajouta le voleur en guise d’approbation.

— C’est vrai que si je n’avais pas été habituellement concentrée sur mon objectif lorsque je recherchais des cristaux, je n’en aurais certainement pas trouvé autant, reconnut aussi Jiliern. Au moins là-dessus, ton maître a vu juste.

— Pour ce que j’ai pu constater et expérimenter depuis que je le connais, il n’a pas dû se tromper souvent, termina le moine. Et s’il était ici, il nous conseillerait peut-être de nous remettre en route. Allons-y, si vous n’y voyez pas d’inconvénients ! Cette étrange armée doit être maintenant assez loin devant nous. Souhaitons qu’elle ne se dirige pas vers Beltarn’il !

Les quatre aventuriers firent le bilan des dégâts : les tentes étaient hors d’usage et des sacs laissés à terre, ils ne purent récupérer que l’équivalent de la moitié d’un seul d’entre eux. Heureusement que Tulvarn avait eu la bonne idée d’en cacher deux autres ! De plus, ceux-ci contenaient les réserves de nourriture les plus essentielles et les bricoles les plus utiles. Au moins, ils n’avaient pas tout perdu et seraient désormais plus allégés. Ils reprirent donc leur marche, à allure modérée, en restant vigilants face aux éventuels prédateurs et autres animaux dangereux. Ceux-ci avaient probablement maintenant cessé leur fuite éperdue pour retourner sur leurs pas afin de retrouver leur zone habituelle de chasse ou de vie. Dévonia était levée, mais restait cachée par les arbres. Et ils n’avaient pour l’instant aucun moyen de savoir si Matronix s’affichait ou non dans le ciel. Il leur aurait fallu pour cela au minimum grimper au sommet des plus grands arbres. Ils n’y songeaient même pas.

(Suite : Le Tétralogue — Roman — Chapitre 20)




Les autres et l’ingérence

[Publié initialement dans Dogma 21]

Par Joseph Stroberg

L’être humain tend à considérer comme étant « les autres » tous ceux qui ne sont pas lui-même, ou qui n’appartiennent pas à sa famille, son clan, sa tribu, son école, son association, son milieu culturel ou professionnel, sa religion, sa nation… quels que soient les groupes auxquels il s’identifie. Regardant la vie (sans nécessairement l’observer) au travers du filtre de sa personnalité, de sa culture, de ses centres d’intérêt et de ses croyances, il se figure souvent que lui-même et son milieu devraient servir de modèle pour « les autres » et que ces derniers devraient se comporter pareillement à lui ou à son groupe et adopter les mêmes règles, valeurs, coutumes, idéaux, objectifs, opinions… du fait que ceux-ci seraient plus valables, plus justes, meilleurs, plus « évolués », plus « civilisés », plus sages, etc. À cette fin, il est prêt à aller jusqu’à l’ingérence dans la vie des autres, individuellement et collectivement, justifiant ses interventions au nom du « bien ». Pour autant, est-ce qu’une telle ingérence est légitime et judicieuse ?

Depuis l’aube connue de l’Histoire, l’Humanité n’a eu de cesse d’être en guerre contre elle-même, ses divers organes se battant les uns contre les autres, parce que le cœur se pensait meilleur que la tête, ou inversement, parce que les poumons pensaient que le foie devait aussi savoir respirer ou que celui-ci insistait pour que les poumons puissent comme lui servir de laboratoire de chimie, de centrale énergétique et de station d’épuration, parce que les jambes voulaient imposer aux bras leur manière de courir ou ces derniers aux premières d’attraper des objets… Pourtant, chaque parcelle de l’Humanité, depuis les plus larges et collectives jusqu’aux individuelles, à ses caractéristiques spécifiques, ses aptitudes particulières, et même un rôle unique qui bien qu’il reste le plus souvent inconnu des Hommes n’en existe pas moins. La difficulté pour les uns est l’acceptation de la différence formelle représentée par « les autres ». Une bonne partie des conflits en proviennent et notamment ceux qui mènent à des génocides.

Plus un individu ou un groupe éprouve de la difficulté à se mettre à la place des « autres », à faire preuve d’empathie et de compassion, à se détacher de son centre pour explorer l’extérieur, le monde, au-delà de sa propre périphérie, au-delà de ses frontières ou limites physiques, émotionnelles, mentales, psychiques et même spirituelles, frontières le plus souvent issues de ses croyances, et moins il est ouvert et disposé envers la différence et l’inconnu. Au contraire, il tendra à projeter sur « les autres » ses propres limitations et manières d’être, de vivre, de se comporter, de voir, d’entendre, de sentir de goûter, de toucher… Et si en dépit de ses projections, il ne comprend toujours pas le fonctionnement d’un « autre » groupe ou individu, il cherchera le plus souvent à lui imposer ses propres manières, « valeurs » et croyances. Et ce qu’il ne comprend pas ou ce qui lui renvoie (souvent inconsciemment) ses propres lacunes sera plus ou moins radicalement critiqué, attaqué, violenté…, voire violé.

Un individu egocentré ou un groupe centré sur lui-même pourra tendre à percevoir et à considérer toute alternative comme dangereuse pour sa cohésion et sa survie, ceci jusqu’à l’amener par réflexe ou par planification à des réactions plus ou moins extrêmes telles que celles poussant à l’extermination de la « menace » existentielle, au viol des sanctuaires adverses (corps de chair et de sang y compris), éventuellement jusqu’à la jouissance de voir la souffrance, d’entendre les cris et les supplications de ses victimes dont le seul tort était la différence. Plus il est éloigné de sa source spirituelle, et plus ses actes tendent vers la barbarie, la sauvagerie, la cruauté gratuite et la violence sous toutes ses formes possibles et imaginables, le transformant ainsi progressivement en véritable psychopathe.

Ce qui rend un individu ou un groupe humanoïde « humain » est paradoxalement sa dimension intérieure spirituelle ou « divine », alors qu’au contraire, son abandon à ses instincts purement animaux, tels ceux de survie et de procréation le transforment en quelque chose de nature plus basse et plus dangereuse que l’animale, car il y ajoute l’intelligence ou plutôt l’intellect. Alors qu’un animal tue simplement pour se nourrir, un homme peut, avec toute sa ruse, le faire lui par vengeance, par caprice, par haine, par ambition, par avidité, par démesure ou pour d’autres motivations qui ne sauraient traverser l’embryon mental d’un animal. C’est ainsi que l’on a pu voir naître et sévir des fanatiques du sabre, des coupeurs de têtes, des poseurs de bombes, et surtout des empoisonneurs ou des assassins divers tuer sans vergogne tous les « autres » qui se mettaient en travers de leur chemin, qui nuisaient à leurs projets de domination, de contrôle, d’asservissement ou d’homogénéisation de la « race », soit directement, soit par le biais de serviteurs zélés ou apeurés.

Plus un être ou un groupe humain s’éloigne de son âme et de son essence divine, et plus sa nature animale l’influence, avec en sus l’inconvénient d’un intellect qui vient largement alors pervertir cette dernière de la même manière qu’il finira par corrompre tout ce que cet être ou ce groupe touche. De nos jours, la corruption a ainsi gagné pratiquement tous les secteurs de la vie humaine : politique, finance, culture, éducation, science… et même religion ! Est-ce que tant d’êtres humains que ça ont abandonné leur essence et leur profondeur pour la matière et la surface des choses pour que l’on en arrive ainsi à un tel niveau de corruption planétaire ? Il semble bien que oui. Mais alors comment ?

Nous pourrions penser que la lente, mais inexorable corruption de l’Humanité était le seul fruit de la loi universelle d’entropie, mais celle-ci ne fonctionne que pour la matière et a priori pas pour la Conscience (voir La loi de dégradation ou d’augmentation du désordre et du chaos). Un autre élément a dû intervenir, un élément chargé de corrompre la conscience elle-même, un élément qui a pu progressivement éloigner l’Homme en particulier et l’Humanité en général loin de leur source commune au point de devenir aujourd’hui profondément divisés, en guerre contre eux-mêmes, et de considérer chacun de leurs organes, chacun de leurs tissus, chacune de leurs fibres… comme mutuellement étrangers, antagonistes, incompatibles… Individuellement, cela a produit d’innombrables maladies, de plus en plus auto-immunes. Collectivement, cela a produit d’innombrables conflits.

« Ne mange pas du fruit de l’arbre de la Connaissance ! », avait reçu l’Homme comme conseil amical. Celui-ci, naïf, imprudent et immature, n’en tint pourtant aucun compte. Usant de son libre arbitre, il préféra en faire l’expérience, ceci avant d’avoir mangé suffisamment du fruit de l’arbre de Vie pour préalablement grandir, mûrir, se renforcer, développer sa Volonté… Alors, ce qui devait arriver arriva. L’homme immergé dans la Matière sans préparation adéquate en fut submergé et se trouve maintenant au bord de s’y noyer, incapable d’y nager librement, incapable de léviter sur les eaux, incapable encore davantage de voler seul et sans artifices pour se révéler libre comme l’air.

La Matière représente un monde étranger pour les âmes issues de l’Éden, des plans subtils divins. Sans préparation, elles en subissent le pouvoir magnétique qui les submerge et finit par les noyer. Les êtres humains ainsi plongés dans les mondes matériels perdent progressivement de vue d’où ils viennent. Ils s’adonnent alors de plus en plus à des pratiques qui les attirent dans les abysses au lieu de leur permettre de sortir des flots pour enfin respirer, pour réellement Vivre et Être. Le Christ marchait sur ces eaux par lui-même, mais eux ont cru pouvoir faire de même en construisant des machines. Au contraire, chaque nouvelle machine construite, par sa pesanteur l’attirait de plus en plus au fond et diminuait sa capacité à nager seul, à dompter la matière par la seule force de sa volonté, mais sans le moindre artifice.

La corruption de l’Humanité est simplement le produit de son ignorance et de son impréparation qu’elle a cru pouvoir pallier en construisant des machines de plus en plus complexes, sophistiquées et néanmoins fragiles (il suffit d’un bon flash solaire pour griller presque totalement toute l’informatique et l’électronique existant sur Terre). Et plus elle construit de machines, plus elle est magnétisée, hypnotisée, zombifiée par la matière. Plus ensuite elle aggrave finalement sa condition au lieu de la soulager. Elle devient de plus en plus malade, polluée, empoisonnée, intoxiquée, aussi bien physiquement qu’émotionnellement, mentalement et psychiquement, finissant par perdre toute dimension réellement spirituelle, car il ne suffit pas de croire en l’existence d’un type de pouvoir ou d’entité supérieur à l’Homme pour être relié en Conscience à la source de l’Humanité, surtout quand dans le même temps on démontre par sa vie un attachement indéniable à la matière.

Le Christ est venu montrer comment sortir de la matière, comme l’avaient avant lui d’autres sages, tel le Bouddha Gautama. Les quatre piliers de son enseignement sont l’Amour, le Pardon, la Charité et l’Humilité :

— devenir humble devant la Création et « les autres » ;

— leur offrir l’essentiel dont ils ont réellement besoin pour vivre, physiquement et spirituellement, sans pouvoir ou savoir se le procurer (mais pas le superflu qui les plongerait davantage dans la matière. Chasser les marchands du temple) ;

— leur pardonner leurs offenses envers soi et envers la nature, car ils ne savent pas ce qu’ils font ;

— les aimer pour ce qu’ils sont au fond d’eux-mêmes, des êtres perdus dans la matière.

Amour, Pardon, Charité et Humilité véritables n’attendent rien en retour : ni remerciements, ni vénération, ni louanges, ni biens matériels… Ils ne s’imposent pas. Ils se donnent simplement à ceux qui veulent bien les recevoir, les accueillir. Ils ne regardent pas les différences entre les uns et « les autres ». On aime, on pardonne, on offre et on est humble pareillement pour tous, peu importe les différences de formes, de cultures, de croyances…

L’humilité nous amène naturellement à réaliser que notre mode de vie, nos manières, nos croyances… ne doivent pas être imposés à d’autres et que nous n’avons pas de légitimité à nous ingérer dans la vie et les choix des autres individus et des autres groupes, tant et aussi longtemps que ceux-ci ne viennent pas empiéter sur notre propre espace vital. S’ils le font, il se pose alors la question de la réponse à apporter. La loi du talion amène toujours davantage de problèmes et de conflits. Le Pardon et l’Amour peuvent au contraire briser le cycle infernal. Le Christ prêchait de tendre l’autre joue lorsque l’on était frappé sur l’une. Et il est même allé jusqu’à se sacrifier pour nous. Il n’existe pas trente-six voies pour se libérer de la matière. L’Humanité ne connaîtra pas la paix avant de suivre globalement une telle voie.

Suivre la voie proposée par le Christ, par le Bouddha ou par d’autres sages du passé est pratiquement le seul moyen de s’éloigner de la barbarie, de l’animalité et de la souffrance, ceci en réalisant que « les autres » sont aussi des parcelles de la conscience divine universelle, des fils et des filles du ciel et de la Terre. On comprend alors l’intérêt de ne pas faire aux autres ce que l’on ne voudrait pas subir soi-même (notamment leur imposer nos opinions, nos croyances et nos valeurs) et au contraire celui de partager ou offrir le meilleur de soi-même et de ce que l’on a pu créer lorsque « les autres » en ont visiblement et vitalement besoin pour poursuivre leur propre chemin et qu’ils ne sont pas en mesure de l’obtenir seuls. Alors, il n’existe plus d’ingérence, de frontières et de conflits, mais seulement des êtres humains qui ont appris à vivre en harmonie, à l’image des divers organes et tissus d’un corps en santé, grâce en particulier au respect des différences socioculturelles et du rôle de chacun, individu comme groupe. Mesurons le chemin qu’il reste à accomplir par l’Humanité pour en arriver à un tel résultat et mettons-nous au travail si tel est le genre de but que nous souhaitons atteindre.




DOGMA Édition 21. Automne 2022

[Source : dogma.lu]

Par Tursunbaeva Kanykei, Dr. Isabelle Saillot et Dr. Lucien Samir Oulahbib

CONTENU :

CITOYENNETÉ VERSUS HUMANITÉ ? LE DÉMEMBREMENT DES « MŒURS »
Par Dr. Lucien Samir Oulahbib, Dr. Isabelle Saillot

LE PÉRIPLE D’HANNON
Par Élodie Pérolini

LA PERFECTION DE LA TECHNIQUE, UN ITINÉRAIRE PHILOSOPHIQUE
Par Isabelle Grazioli

PHILOSOPHIE DES RELATIONS INTERNATIONALES.
LA PHILOSOPHIE DE « L’UNITÉ DU MONDE » II
Par David Cumin

RESEARCH APPROACH TO SUBCULTURE STUDIES
By Dr. Oleg Maltsev

ONG AMÉRICAINE, PROCHE DU PARTI DÉMOCRATE, IMPLIQUÉE DANS UN DOSSIER DE CRIME DE LÈSE HUMANITÉ EN AFRIQUE
Par Teresita Dussart

LA CHRONIQUE SCANDALEUSE OR SOMETHING’S ROTTEN IN THE GERMAN CULTURAL SECTOR
By Dr. Elvira Groezinger

LES AUTRES ET L’INGÉRENCE
Par Joseph Stroberg

LE NATURISME UNE VOIE VERS LA LIBERTÉ ?
Par Raphaëlle Mira

NATIONAL SUICIDE BY EDUCATION
By Philip Carl Salzman

LES PRONUCLÉAIRES SONT-ILS MASOCHISTES ?
Par Michel Gay

LE PARADOXE DE L’ÉNERGIE : AVANTAGES CERTAINS ET DANGERS ÉCOLOGIQUES DONT LE DÉGAGEMENT EST INCERTAIN
Par Abdelkader Bachta

FEMME, VIE, LIBERTÉ !
Par Jean-Pierre Lledo

LE CONDITIONNEMENT DES JEUNES COMME MARQUEUR FORT DE RÉGIME TOTALITAIRE
Par le docteur Nicole Delépine

SORTIR DE « L’EUROPE » OU DE « L’UE » ? ….
S.U.E ! AUX GLOBALISTES SECTAIRES ?
Par Lucien Samir Oulahbib

BARBARISM, OR THE TWO CORRUPTIONS OF PLEASURE
By Marco Andreacchio

FREEDOM IN A DETERMINISTIC UNIVERSE
by James H. Cumming

POISSONS DE PENSÉE LIBRE PÊCHÉS DANS L’OCÉAN MÉDIATIQUE
(Automne 2022)
Par Lucien Oulahbib




Le Tétralogue — Roman — Chapitre 18

[Voir :
Le Tétralogue — Roman — Prologue & Chapitre 1
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 2
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 3
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 4
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 5
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 6
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 7
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 8
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 9
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 10
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 11
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 12
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 13
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 14
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 15
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 16
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 17]

Par Joseph Stroberg

18 — Fin d’illusions

Jiliern et Reevirn passèrent le quartier suivant à se reposer en alternance, pendant que l’un des deux veillait sur Tulvarn. Ils hésitaient à partir à la recherche de Gnomil en laissant seul le moine, car ils ignoraient si à son réveil il serait ou non guéri de son étrange envoûtement. Le chasseur qui sentait la trace du voleur aurait pu partir seul, mais la cristallière craignait qu’il lui arrive à son tour quelque chose, et elle-même pouvait replonger dans son espèce d’hallucination. Des questions tournaient en boucle dans sa tête sans qu’elle parvienne à leur trouver une réponse. À un moment, rompant le long silence, elle se décida finalement à interroger son compagnon :

— Il y a quelque chose que je ne parviens pas à comprendre.

— Oui ? répondit simplement Reevirn.

— Comment cela a-t-il été possible ? Je veux dire : comment trois d’entre nous avons pu subir cette sorte de sorcellerie ou de mal, sans que tu sois affecté du tout ? Et puis, il me revient en mémoire cette étrange brume colorée que je ne vois plus nulle part. J’y avais à peine prêté attention. A-t-elle un rapport avec ce que nous avons subi ? L’as-tu aperçue, toi ?

— Oui, mais je l’ai aussi à peine remarquée, car j’étais trop occupé à observer votre comportement à tous les trois. Vous vous êtes d’abord éloignés sans rien dire, chacun dans une direction différente. Ne sachant qui suivre, je suis finalement resté sur place, du moins dans un premier temps. Car notre ami le moine m’a rapidement semblé être le plus affecté. J’ai donc décidé de le suivre. Je ne saurais dire à quel moment cette brume s’est dissipée.

— Au cas où elle serait au moins partiellement responsable de ce qui nous est arrivé, il faudra dorénavant y faire bien plus attention, si jamais nous la remarquons de nouveau. Mais je ne comprends toujours pas pourquoi tu n’as pas été affecté. Est-ce parce que tu as perdu la mémoire ?

— Je ne vois pas trop le rapport.

— Moi non plus, mais au point où nous en sommes… C’est une différence notable entre toi et le reste d’entre nous, alors…

— Ça, d’accord. Mais pourquoi l’amnésie m’aurait-elle prémuni contre les brumes ?

— Pour l’instant, je n’en ai pas la moindre idée, si tel est le cas. Espérons que nous pourrons savoir un jour comment Tulvarn et Gnomil ont vécu cela de l’intérieur. En combinant nos trois expériences, cela nous donnera peut-être de meilleurs indices.

— Espérons-le, oui, conclut le chasseur.

Les deux amis retrouvèrent leur mutisme des heures précédentes. Ils n’avaient pas encore réalisé qu’aucun prédateur ne se trouvait dans la zone, ce qui valait d’ailleurs mieux pour eux, car ils ne se montraient pas du tout vigilants. Jiliern était beaucoup trop préoccupée par l’étrangeté de ce qu’elle venait de vivre, cherchant à lui trouver une explication et craignant de la voir se reproduire. Et elle s’inquiétait simultanément de l’état de Tulvarn et de la disparition de Gnomil. Ses pensées oscillaient d’un sujet à l’autre, d’une inquiétude à la suivante, sans pouvoir se stabiliser ni se clarifier. En la circonstance, selon ce qu’elle en savait, aucun de ses cristaux ne pouvait lui être de la moindre utilité. Elle n’en connaissait aucun qui puisse expliquer les brumes ni les hallucinations vécues, aucun qui puisse sortir le moine de son état, et même aucun qui puisse calmer le flot d’émotions et d’images mentales qui l’assaillaient.

Dans le même temps, Reevirn s’était plongé dans une sorte d’état contemplatif, bien que son regard ne soit nullement tourné vers le monde. C’était plutôt comme s’il contemplait le vide ou comme si les images rétiniennes provenant de la forêt n’imprimaient rien dans sa conscience. Ses yeux étaient ouverts, oui, mais pas sur l’univers extérieur. Ou plus exactement, ils n’accomplissaient pas, pour le moment, leur tâche normale. Le processus de la vision s’interrompait quelque part dans le cerveau, ou après. Le chasseur se trouvait absorbé par le vide de son esprit. Nulle pensée formulée ne parcourait son mental, nulle émotion ne traversait son corps. Il ressentait simplement l’instant, et la légère pression sur sa tête, comme s’il portait une calotte de tissu délicat. Dans un tel état, qui lui semblait coutumier depuis son amnésie, il ne se posait pas de questions, n’attendait pas de réponses, ne craignait ni n’espérait quoi que ce soit. Il se trouvait là, seulement là, en harmonie avec le temps, en paix avec l’espace. Hors de tels états, il pouvait se demander quelle était leur utilité. Il n’y produisait apparemment rien et ne servait alors à personne. Néanmoins, s’il avait pu simultanément prendre conscience de la nature autour de lui, il aurait découvert, peut-être avec étonnement, qu’elle épousait sa vibration et se calmait. Les prédateurs s’endormaient ou fuyaient l’endroit. Telle était la raison de leur absence ici, en ce moment. Et la cause n’en était pas l’existence des brumes colorées, ou du moins pas directement — leur rôle n’avait était que secondaire, dans la mesure où elles avaient favorisé ou stimulé l’état contemplatif du chasseur, comme d’autres fois il pouvait l’être par d’autres facteurs extérieurs. Étrangement, ces mêmes brumes semblaient avoir produit des hallucinations puissantes chez ses trois compagnons.

Alors que le chasseur et la cristallière se trouvaient davantage en introspection que tournés vers le monde extérieur, le moine émergea lentement de sa léthargie. Il prit progressivement conscience à la fois du tapis végétal sur lequel il reposait et d’une douleur sourde dans son crâne ou à sa périphérie, sans qu’il sache la situer exactement. Il se sentait comme groggy, désorienté, à côté de son corps… Lorsqu’il ouvrit les yeux, il ne vit tout d’abord que des images très floues et eut beaucoup de mal à accommoder. Il aperçut enfin ses deux compagnons assis à quelques pas de lui. Il voulut leur parler, mais aucun son ne put sortir de sa bouche ! Que lui était-il arrivé ? Il tenta de se remémorer les derniers événements, mais ne se souvint que de vagues images concernant un rongeur dansant, et celles-ci lui parurent totalement absurdes, comme celles issues des rêves les plus bizarres. Il fallait qu’il en sache davantage ! Il se leva pour faire signe à Reevirn et à Jiliern, mais manqua se casser la figure. Il se rattrapa de justesse en saisissant une liane proche qui pendait d’un arbre sur sa gauche. Il se sentait faible, comme s’il n’avait rien mangé depuis des jours. Se pouvait-il que ce soit le cas ? Et où était Gnomil ? Alors qu’il n’était plus qu’à deux pas de ses deux compagnons, ces derniers finirent par le remarquer et se tournèrent vers lui. Voyant qu’il semblait articuler dans le vide, la cristallière lui demanda :

— Comment te sens-tu, Tulvarn ?

Mais le moine ne répondit pas, ou plutôt, il articulait, mais aucun mot ne sortait de sa bouche. Et comme résigné, avec une allure de mort-vivant, il se mit à marcher péniblement vers l’un des sacs pour en retirer une portion de nourriture ainsi qu’une poignée de baies sitjiennes. Il s’assit par terre et mangea silencieusement, alors que Reevirn et Jiliern attendaient à quelques pas de lui. Le chasseur s’était adossé sur un monticule et y reposait tranquillement. La cristallière s’était levée et déambulait nerveusement sur une courte distance en suivant un tracé vaguement circulaire, mais en changeant parfois le sens du parcours. Elle avait hâte de pouvoir interroger ou examiner plus précisément le moine, car elle craignait qu’il ait attrapé quelque étrange maladie ou ait été victime d’un sortilège. On disait parfois d’ailleurs que ceux qui avaient le malheur de vivre dans la cité de cristal ou de pénétrer en ses murs se comportaient rapidement comme le moine l’avait fait, se transformant en une sorte de pantin inconscient. La légende disait que cette grande ville était aussi merveilleusement belle qu’elle était maudite. Depuis des années, peut-être des siècles, personne n’en était revenu pour le confirmer. Ce que l’on en savait était basé sur de lointains souvenirs, ceux des ancêtres des ancêtres de Véliens depuis longtemps disparus. Le Livre lui-même n’en révélait pas davantage. Personne de censé ne désirait vérifier par lui-même. L’endroit était évité autant et même davantage que les Forges de Bel’tran, un immense lac de lave au milieu du continent du Sud.

Revenant aux préoccupations plus immédiates, Jiliern remarqua que Tulvarn terminait ses dernières bouchées. Elle s’en rapprocha pour mieux l’interroger et l’observer. S’était-il vraiment remis ? Dans le même temps, il leva les yeux vers elle et discerna l’inquiétude qui se reflétait dans l’expression de son visage. Il voulut alors la rassurer :

— Gn’im pash ty rian, Jiliern.

— Quoi ? Qu’est-ce que tu racontes ? Je n’ai rien compris ! Reevirn ! As-tu compris quelque chose, toi ?

— Hum ! Pas davantage, je le crains, répondit le chasseur en sortant de son mutisme passablement léthargique.

— Gn’im pash ty rian ! Ganam taren dal tornag ?

— Par le Grand Satchan ! Est-ce possible ? s’inquiéta vivement la Vélienne. Que lui arrive-t-il ? Il semble nous comprendre, mais il parle en je ne sais pas quelle langue !

— En effet, appuya Reevirn. C’est un mal étrange. Est-ce quelque chose de courant ?

— Non, pas du tout ! Je n’ai jamais entendu parler d’une telle chose auparavant.

— Gn’e petal nish gun tidic tab nael?

— Il ne manquait plus que ça ! Que pouvons-nous faire ? Comment poursuivre notre voyage si nous ne pouvons plus communiquer ?

— Il faut trouver un langage commun, suggéra le chasseur.

— D’accord, mais lequel ? Je ne connais pour ma part que le Vélien.

— Quelque chose de non verbal, peut-être. Nous pouvons essayer avec des dessins ou des signes ?

— Bonne idée ! approuva Jiliern. Il nous reste à trouver un support adéquat. Je ne vois pas grand-chose ici qui nous permettrait de dessiner. Dans l’immédiat, nous ne pouvons tenter que de nous faire comprendre par des signes et des mimiques. Et le plus urgent est de retrouver Gnomil.

— Gnomil ! Tabad te ric nomir delad ?

— Ça va être dur ! Essayons quand même.

À renfort de grands gestes qu’elle espérait suffisamment explicites, Jiliern parvint à inviter le moine à les suivre, elle et le chasseur, pour partir à la recherche du voleur. Reevirn percevait encore la trace de ce dernier, assez proche, et les guida vers lui. Ils le retrouvèrent rapidement, beaucoup plus près qu’elle le craignait. En fait, il n’avait parcouru qu’une faible distance après que le chasseur l’ait perdu de vue. Et il semblait particulièrement occupé à se battre avec un objet ou un être invisible.

— Hé ! Gnomil ! Qu’est-ce que tu fabriques ainsi ? demanda la Vélienne particulièrement intriguée par son comportement.

— Hein ? Bien quoi, tu ne vois pas que j’essaie d’ouvrir de satané coffre ?

— Quel coffre ? Il n’y a rien là !

— Bon Grand Satchan ! Si ! Et je n’en avais jamais vu un aussi récalcitrant.

— Peux-tu faire une pause et venir me voir, au moins ?

— D’accord. Il ne risque pas de s’envoler de toute manière. Il est trop lourd. J’ai eu un mal fou à le dégager.

— Bien, viens donc par ici. Je vais utiliser quelques cristaux.

— Eh ! Qu’est-ce que vous allez me faire avec ?

— Rien de grave, rassure-toi. Au pire, ça ne donnera rien. Mais avec un peu de chance, peut-être que…

— Ça ne risque pas de le faire se battre contre un deuxième coffre ? plaisanta le chasseur, amusé d’avoir vu leur ami voleur ainsi acharné sur quelque qui n’existait probablement que dans son imagination.

— Bon, d’accord, mais dépêchez-vous ! J’ai un coffre à ouvrir.

Ayant obtenu l’assentiment de Gnomil, la cristallière s’empressa de l’ausculter à l’aide d’un cristal rougeâtre. Celui-ci tendait à émettre une faible lueur orange s’il se trouvait en présence d’une anomalie vitale, mais il ne détecta rien de tel à la surface de la peau du voleur. Jiliern l’échangea ensuite contre un autre cristal prélevé dans son sac. Il s’agissait du cristal hypnotique. Elle l’utilisa pour sonder la mémoire et l’esprit de Gnomil, puis pour l’aider à dépasser la puissante illusion dont il était victime, ceci en ayant recours à des suggestions appropriées. Ainsi libéré, le voleur éprouva néanmoins un certain dépit. Le merveilleux trésor était comparable à un drugnarn qui aurait soudainement éclaté en plein vol. C’était même pire, car le drugnarn aurait laissé des traces au sol, même si sa chair et son sang s’étaient dispersés sur une large surface. Mais du coffre, il ne restait maintenant qu’une faible image mémorielle. Rien de tangible !

Sous le coup d’une inspiration subite, Jiliern se dit qu’après tout, elle pouvait tenter la même approche avec Tulvarn. Sans demander l’avis de ce dernier, elle l’hypnotisa pour l’aider à retrouver le langage commun et oublier cette langue étrangère qui ne lui servait à rien. Cependant, l’opération fut longue et délicate, car il ne comprenait pas au départ ce qu’elle disait. Elle dura presque un quartier entier, alors que Matronix disparaissait maintenant sous l’horizon et que Veguil n’allait pas tarder à faire de même. La cristallière avait dû en particulier recourir à de nombreux mimes rien que pour ramener la conscience du moine à se focaliser dans le temps avant l’incident dramatique qui l’avait plongé dans un état presque végétatif. À partir de ce moment-là, elle avait pu lui parler dans la langue commune et les choses furent plus faciles. Soulagée, mais fatiguée, elle suggéra à ses trois compagnons de se préparer pour la nuit qui s’annonçait profonde. Ils approuvèrent tous et installèrent rapidement leurs abris de fortune avant de s’y glisser et de sombrer dans le sommeil.

(Suite : Le Tétralogue — Roman — Chapitre 19)




Le Tétralogue — Roman — Chapitre 17

[Voir :
Le Tétralogue — Roman — Prologue & Chapitre 1
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 2
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 3
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 4
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 5
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 6
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 7
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 8
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 9
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 10
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 11
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 12
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 13
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 14
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 15
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 16]

Par Joseph Stroberg

​17 — Sorcellerie ?

Les quatre aventuriers progressaient maintenant à l’ouest des Larmes de la sorcière. En trois jours de marche lente dans une jungle de plus en plus dense et dangereuse, ils avaient fini par contourner la faille par le sud. Par chance, ils étaient parvenus à se maintenir à distance des plus gros prédateurs et avaient pu assez facilement se débarrasser des autres, par le sabre, la dague, les flèches ou même parfois grâce à l’un ou l’autre des cristaux. Le plus fréquemment utilisé par Jiliern était l’hypnotiseur, ceci lorsqu’ils parvenaient à surprendre l’animal. Pour éviter d’être repérés trop vite par leur odeur, ils avaient masqué celle-ci en écrasant sur leurs vêtements et sur les sacs diverses feuilles et fleurs locales particulièrement odorantes. La méthode, proposée par Reevirn, semblait assez efficace, car ils en étaient maintenant à leur douzième hypnose réussie. Et ils évitaient plus facilement les monstres les plus visibles grâce à Reevirn.

Le terreau tapissé de feuilles mortes sur lequel poussaient diverses herbacées était progressivement devenu plus élastique et plus spongieux. Des sortes de mousses et de lianes basses fortement enchevêtrées et gorgées d’eau remplaçaient maintenant la plupart des herbes. La zone était presque marécageuse et l’humidité ambiante devenait étouffante. Des nappes de brume commençaient à apparaître ici et là, au fur et à mesure de leur progression. Elles se montraient de plus en plus étendues et épaisses. Le plus étrange, mais auquel ils ne prêtaient pas d’attention, tant ils s’efforçaient de concentrer leur vision sur la menace potentielle animale, était la couleur changeante des brumes. Si au départ celle-ci avait été normalement blanche, elle variait maintenant, alternant presque insensiblement entre les tons verts, jaunes, rougeâtres et bleutés, selon les endroits et les moments.

Alors qu’ils traversaient maintenant une nappe épaisse aux tons ocrés qui comportait ici et là quelques nuances verdâtres, insensiblement, ils se trouvèrent plongés dans un état de torpeur grandissante. Leur vigilance finit par disparaître totalement, les rendant vulnérables à tout prédateur qui serait amené à croiser leur chemin. Tulvarn observait d’un air détaché et hagard les traces noires fraîchement laissées par un rongeur sur une large planche de bois posée sur le tapis végétal. Le frêle animal venait de se jucher sur une souche couverte de mousse et se mettait à danser au rythme d’un lointain instrument à percussion. Debout sur ses pattes arrière, il se tortillait agilement dans tous les sens directement en face du moine, à quelques pas de distance. Pris de frénésie, il agrémentait de plus en plus souvent sa danse de saltos et de pirouettes endiablées. Et lorsque son regard croisait celui du Vélien, il lui lançait des grimaces, lui tirait la langue ou éclatait de rire à force de voir sa face stupide. Mais ce dernier se trouvait dans un tel état d’absence d’esprit qu’il ne pouvait en aucune manière réaliser l’incongruité de ce à quoi il assistait. Que faisait une telle planche dans cette jungle ? Pourquoi l’animal dansait-il ou ricanait-il ? De telles questions ne pouvaient pénétrer le peu de conscience qu’il lui restait. Celle-ci était tout juste bonne à le maintenir debout comme un zombi.

Dans le même temps, Gnomil venait d’apercevoir un coffre partiellement caché par la végétation. S’en approchant, il constata que celui-ci se trouvait coincé sous des roches moussues dans un creux du terrain. Ses efforts pour l’en dégager se trouvaient contrariés par la présence d’un proche buisson épineux dont les racines maintenaient solidement les pierres en place. Son gabarit se révélait insuffisant pour arracher ce qui représentait un puissant obstacle à la satisfaction de sa curiosité. Il leva alors les yeux pour chercher Tulvarn du regard. Lui aurait sans doute la force nécessaire. Ou, au pire, son sabre serait capable de trancher dans le vif pour extraire les roches et permettre l’accès au trésor. Malheureusement, il ne vit nulle part le moine-guerrier. Il ne repéra pas non plus la moindre trace de ses deux autres compagnons. Où avaient-ils bien pu tous disparaître ? Sans même l’avertir ? L’avaient-ils discrètement abandonné dans cette jungle. Pourquoi l’auraient-ils fait, puisqu’il pouvait leur être utile, par exemple dans une situation telle que la présente, avec un coffre à ouvrir. Habituellement, aucune serrure ne lui résistait. Cependant ici, celle-ci était masquée par une roche. Et il lui fallait d’abord la dégager. Mais au fait, il disposait d’une dague enchantée dans son sac ! Par le grand Satchan ! Celui-ci aussi avait disparu ! Il ne l’avait plus sur le dos et n’avait même pas réalisé l’avoir perdu ! Quelque chose n’allait pas.

Pendant que le voleur s’interrogeait sur l’incongruité de la situation, Jiliern venait de découvrir l’entrée d’une grotte prometteuse. Elle pensait bien y découvrir de nouveaux cristaux et priait que celle-ci soit suffisamment profonde pour que la lumière du jour n’y pénètre pas trop. Elle s’en approcha donc, puis y pénétra par un long couloir sinueux aux parois calcaires humides. Des stalagmites de tailles diverses tendaient à entraver sa progression. À certains moments, elle parvenait tout juste à se faufiler, en se contorsionnant parfois à la limite de sa souplesse. Le boyau tendait à se rétrécir, ce qui l’arrangeait bien sur le plan de la luminosité. Bientôt, l’obscurité serait telle qu’elle pourrait recourir à son don sensitif particulier pour sentir les roches. Prise d’une excitation grandissante, elle oubliait l’humidité pesante de l’endroit, ne remarquait pas les cadavres de plus en plus nombreux d’animaux et états variés de décomposition, et ne sentait même pas les émanations de soufre pourtant de plus en plus présentes.

Reevirn, quant à lui, ne tarda pas à se demander pourquoi ses trois compagnons s’étaient mis presque soudainement à errer bizarrement, partant sans avertissement préalable chacun dans une direction différente. Ils déambulaient plus ou moins maladroitement, comme s’ils percevaient des réalités qui lui échappaient pour l’instant complètement. Il décida de suivre à distance le moine, car il semblait le plus perturbé des trois, avec une démarche de plus en plus chaotique et lente, jusqu’à se figer en position rigide devant un large rocher. Il s’en approcha alors tout près et le contourna en un mouvement semi-circulaire pour se retrouver face à lui et observer son visage. Celui-ci semblait éteint. Ses yeux étaient pourtant ouverts, mais il n’en émanait aucune conscience discernable, comme si l’âme de Tulvarn s’était retirée de ce corps. Les lèvres du chasseur se tordirent en signe de désarroi et d’incompréhension, puis il s’affaissa quelque peu, par l’emprise croissante d’un sentiment d’impuissance. Que pouvait-il faire pour aider son ami ? Dans le peu de mémoire qu’il lui restait, il ne trouvait rien qui puisse être d’un grand secours. Aussi, après quelques minutes de réflexion sans résultat, il décida d’aller chercher la cristallière. Elle trouverait peut-être un cristal adapté à la guérison de cette étrange maladie.

Reevirn revint donc sur ses pas pour retrouver l’endroit d’où les trois amis avaient divergé. Il lui semblait d’ailleurs que la divergence n’avait pas seulement été tangible, mais qu’elle concernait aussi leur esprit. Celui-ci s’était comme écarté du chemin initial volontaire pour se mettre à errer et à divaguer de manière incompréhensible pour un observateur extérieur. Et Reevirn représentait d’autant plus un tel observateur que son absence de références mémorielles le rendait d’autant plus impartial. Qu’arrivait-il à ses amis ? Pourquoi s’étaient-ils ainsi éloignés les uns des autres pour se comporter ensuite si bizarrement ? Et qu’avait bien pu faire Tulvarn pour se retrouver en un tel état d’extinction apparente ? Le supposé chasseur n’avait pourtant rien remarqué de particulier, en dehors de cette démarche de plus en plus irrégulière, alors qu’il suivait le moine à distance. Il lui restait maintenant à retrouver Jiliern, tant qu’il discernait toujours sa trace.

La Vélienne ne s’était pas considérablement éloignée, et Reevirn ne tarda pas à la retrouver près d’un ruisseau, en train de faire des gestes qui ne semblaient avoir aucun rapport avec la situation concrète. Les bras tendus, elle semblait tâter des objets ou des êtres invisibles, ou encore leur prodiguer quelques soins. C’était tout ce que le chasseur pouvait interpréter, sur la base du peu qu’il avait déjà vu pratiquer depuis sa perte de mémoire. Il ne pouvait guère mieux se représenter ce qui amenait ainsi leur amie à un tel comportement. Il n’était pas dans son esprit, et n’avait aucun don pour le lire. Il espérait juste pouvoir l’aider à sortir de cet état, s’il était effectivement préjudiciable, ou au moins dans l’espoir de pouvoir ensuite porter secours au moine. Il s’en approcha donc tout près pour mieux observer son visage. Le regard de leur compagne n’était pas complètement éteint, mais semblait lointain, perdu vers des horizons qu’il ne pouvait lui-même distinguer. Pris d’un élan de compassion, il se rapprocha subitement d’elle et l’enserra dans ses bras, attirant doucement sa tête de la main droite pour se retrouver avec elle joue contre joue. Ils demeurèrent ainsi pendant une durée indéterminée. Situé comme hors du temps, il se contentait d’émaner vers elle un amour pur et dénué de toutes références. Si l’étreinte avait interrompu les mystérieux mouvements de la Vélienne, elle n’avait pour l’instant aucun autre effet notable. Cependant après un moment situé quelque part entre le bref instant et l’éternité, le chasseur sentit un léger mouvement de la tête posée sur son épaule, puis un sursaut du corps qu’il enserrait. Il relâcha alors ce dernier, veillant toutefois à ce qu’il demeure bien debout, puis recula légèrement alors que Jiliern semblait reprendre ses esprits. Il la vit alors ouvrir la bouche comme pour parler, mais aucun son n’en sortit pendant un bon moment. Cherchait-elle ses mots ? Était-elle aussi devenue amnésique ? Reevirn eut le temps de se poser maintes questions sur son état et sur la cause de ce dernier, avant de l’entendre enfin.

— Que s’est-il passé ?

— Vous ne vous souvenez de rien ?

— Si, mais je ne comprends pas. J’étais dans une grotte en train de cueillir des cristaux. Tout se passait bien. J’en avais collectionné une bonne trentaine, puis tout d’un coup, me voici ici ! Et où est passé mon sac ?

— Où vous l’aviez laissé, un peu plus loin derrière vous. Et je regrette de devoir dire que la grotte n’existait pas vraiment, pas plus que ces cristaux, malheureusement.

— Comment ça, ils n’existaient pas ? Pourtant je les ai bien sentis puis pris dans mes mains !

— Il s’agissait visiblement d’une forme puissante d’illusion. Un sorcier en est-il la cause ? Je ne sais pas.

— Une illusion ? Mais c’est grave ! Sur quoi pourrais-je désormais me fier ?

— … Peut-être Tulvarn saurait-il répondre. Je suis venu vous trouver avec l’espoir que vous puissiez le sortir de son présent état.

— Son état ? Que lui est-il arrivé ?

— Il semble que ce soit un peu la même chose que pour vous.

— Oh ! Alors, ne tardons pas ! acheva Jiliern en se mettant immédiatement en marche.

— Attendez ! Vous ne savez pas où il est. Laissez-moi vous y conduire, après que vous ayez d’abord repris votre réelle collection, si vous voulez bien !

— Oui, bien sûr ! Je ne dois pas être complètement remise, ajouta-t-elle en riant amèrement.

Après la récupération du sac, Reevirn conduisit donc Jiliern vers l’endroit où se trouvait Tulvarn et ils ne tardèrent pas à l’y rejoindre. Celui-ci n’en avait pas bougé et demeurait dans la même posture, comme s’il s’était transformé en statue.

— Le voici ! J’espère que vous pourrez faire quelque chose pour lui, mentionna le chasseur.

— Hum ! Je ne sais pas. À quoi dois-je moi-même d’en être sortie indemne ? interrogea la cristallière soudainement intriguée par le fait.

— Euh ! Eh bien…

— Oui ? Vous en avez une idée ?

— Peut-être, mais rien n’est moins sûr.

— Dites toujours, nous verrons bien !

— J’ignore si c’est convenable. Je n’ai aucun souvenir des usages.

— Qu’avez-vous fait ? demanda-t-elle. Vous piquez ma curiosité.

Reevirn lui raconta alors son élan spontané, quelque peu mal à l’aise à l’idée d’un possible geste déplacé de sa part. Son débit se fit lent, car il guettait, légèrement mal à l’aise, les réactions de la Vélienne. Elle semblait cependant plus surprise que fâchée. Quelques instants après la fin du bref récit, elle finit par parler, devinant que son compagnon de route attendait une réponse ou un commentaire.

— Pour ce que j’en sais, il n’y avait rien de contraire aux bonnes mœurs véliennes, mais je suis moi-même plutôt sauvage et manque d’expérience en la matière. Je ne saurais même pas dire si c’est plutôt réservé aux journées d’éclipses ou si des Véliens peuvent avoir ces gestes en périodes normales. Quoi qu’il en soit, je devrais sans doute vous en remercier, si effectivement cela a pu être un facteur déterminant dans… ma « guérison ».

— Je n’en sais rien. Ce n’est peut-être qu’une coïncidence. Et vous n’avez pas besoin de me remercier. Ce n’était pas grand-chose.

— Eh bien ce « pas grand-chose » est suffisamment beau à mes yeux. Et pour ce qui est de savoir si c’était déterminant ou non ici, nous devrions essayer quelque chose de similaire avec notre ami le moine.

— Oh ! Mais je ne saurais pour ma part provoquer intentionnellement cela. Et envers un Vélien, je ne suis pas du tout sûr que je pourrais manifester ce genre d’élan, du moins d’une telle manière.

— Je comprends. La différence est que je suis une Vélienne et je peux peut-être arriver à manifester volontairement de la compassion envers notre ami, même d’une manière similaire à la vôtre. Il est possible que la forme ne compte pas ici, mais autant mettre toutes les chances de notre côté. Les gestes physiques ont sans doute autant d’importance que les affectifs. Je veux dire… Si nous aimons quelqu’un sans jamais rendre cet amour tangible d’une manière ou d’une autre, est-ce que cela a autant de poids ou d’impact que lorsque cet amour s’incarne dans un acte concret ? Vous ne vous êtes pas contenté d’avoir de la compassion pour moi et mon état. Vous l’avez manifestée en m’enlaçant tendrement. Il fallait peut-être aussi le contact de nos joues pour que je puisse revenir à la réalité.

— Peut-être, comme vous dites. Faites comme vous le sentez.

— Sûr ! Je vais le tenter.

Sur ces mots, Jiliern s’approcha davantage du moine et s’empressa de se plonger dans un état méditatif qu’elle supposait propre à engendrer en elle de la compassion. Elle visualisa diverses scènes agréables et paisibles dans l’espoir qu’elle pourrait ainsi plus facilement exprimer sa compassion. Elle se concentra tant qu’elle put pour tenter de s’imprégner d’un sentiment d’amour afin de pouvoir ensuite le projeter sur le moine. Cependant, après presque une heure d’efforts infructueux, elle dû se rendre à l’évidence : s’il y avait un moyen d’exprimer ou de développer la compassion par un effort de volonté, elle n’en connaissait pas la recette et ignorait même quels ingrédients pouvaient être nécessaires. Elle finit au contraire par se retrouver tellement dépitée et impuissante, que des larmes perlèrent sur ses joues. Et en la circonstance, ses cristaux ne lui étaient d’aucun secours. Elle n’en connaissait aucun capable de sortir Tulvarn de sa torpeur et aucun qui puisse stimuler la compassion. Emplie de tristesse, elle s’approcha machinalement de ce dernier, puis se planta toute proche, en face de son visage. Elle l’observa vaguement, comme au travers d’un voile. C’est alors qu’elle remarqua l’étrange bonté qui semblait émaner de ces yeux pourtant exempts de conscience. Du moins, ainsi les percevait-elle.

Se pouvait-il que l’âme de Tulvarn se soit ainsi imprimée dans ce corps qui semblait maintenant vide ? Ou bien s’agissait-il d’une sorte de projection de ce qu’elle éprouvait finalement elle-même pour le moine guerrier ? Prise d’une soudaine impulsion, elle prit la tête de celui-ci entre les mains et l’embrassa tendrement sur les lèvres, comme si ainsi elle allait pouvoir lui communiquer son propre souffle de conscience. Si magie il devait y avoir, elle n’opéra pas, ou du moins, pas de la manière escomptée. Le Vélien ne se réveilla pas, mais s’effondra lourdement sur le sol, échappant à la douce étreinte. Sous la surprise, Jiliern recula prestement. Puis elle réagit en se précipitant sur le corps allongé, afin d’examiner les conséquences éventuelles de la chute.

Tulvarn était tombé sur le dos, et ses yeux étaient maintenant clos. Dormait-il ou bien se trouvait-il dans un état plus grave ? La Vélienne sortit l’un de ses cristaux et lui fit décrire une trajectoire complexe au-dessus du corps inanimé. Elle ne décela aucun traumatisme grave. Le moine s’en sortirait probablement avec seulement quelques hématomes et ceci uniquement s’il avait heurté quelques cailloux cachés sous les herbes. Elle ne le saurait que lorsqu’il serait réveillé et debout. Mais voilà, elle ignorait s’il se réveillerait un jour ! Elle ne savait même pas ce qui avait précédemment provoqué sa propre altération de conscience. Le moine était-il victime de quelque chose de similaire ? Et si oui, de quoi s’agissait-il ? Quel poison ou quelle sorcellerie pouvait en être à l’origine ? Leur ami le chasseur ne le savait pas davantage, et le voleur avait disparu.

Depuis qu’elle avait rencontré Tulvarn, sa vie avait pris une tournure totalement imprévisible et non moins étonnante. Tout avait commencé cette fameuse nuit où elle avait failli mourir. Et maintenant elle faisait face à une situation étrange et potentiellement tout aussi dangereuse. Elle ne pouvait compter que sur leur ami amnésique qui avait lui-même échappé de peu à la mort. Celui-ci avait de nombreuses qualités, mais ne lui paraissait pour l’instant pas aussi rassurant que pouvait l’être le moine guerrier en dépit de ses maladresses, ou même grâce à elles. Car s’il avait pu survivre envers et contre tout, même avec ces étourderies et ces impairs dont il se disait coutumier, il était peut-être protégé par le Grand Satchan lui-même. Cela lui paraissait d’autant plus probable qu’il semblait de surcroît l’objet d’une bien étrange prophétie. En attendant, il leur faudrait trouver un moyen de le ramener à lui, puis retrouver le voleur, en espérant qu’il ne leur ait pas volontairement faussé compagnie.

(Suite : Le Tétralogue — Roman — Chapitre 18)




Le Tétralogue — Roman — Chapitre 16

[Voir :
Le Tétralogue — Roman — Prologue & Chapitre 1
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 2
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 3
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 4
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 5
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 6
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 7
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 8
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 9
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 10
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 11
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 12
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 13
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 14
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 15]

Par Joseph Stroberg

​16 — La survivante

À leur réveil, les trois compagnons sortirent de leur abri, le rangèrent rapidement dans les sacs, puis se ravitaillèrent sans perdre de temps. Ils étaient pressés de se mettre en route vers la survivante. Ils brûlaient notamment de savoir ce qui avait bien pu lui arriver pour se retrouver à plusieurs jours de marche du lieu où elle était censée avoir été. Du moins, les perceptions de Reevirn indiquaient une telle distance. Le chasseur sentait la présence de sa « cible » non seulement selon sa direction, mais aussi approximativement selon la distance entre elle et lui. Au moins, la perte de sa mémoire ne lui avait pas enlevé ce don. Et le trio aurait l’occasion dans les prochains jours de vérifier son acuité ou son caractère illusoire. Ce qu’ignorait Reevirn était l’identité exacte de sa cible actuelle : s’agissait-il de Jiliern ou bien de la femme qui était venue la chercher ? Il ne connaissait ni l’une ni l’autre auparavant, ou s’il en connaissait au moins une, de toute manière, il en avait perdu le souvenir et ça revenait au même.

Les trois compagnons décidèrent de passer par la gauche, en direction du sud, pour contourner la faille. Si celle-ci était très longue, au moins ils iraient vers plus de chaleur qu’en prenant le sens opposé. Et par conséquent, ils auraient aussi plus de facilité à trouver de quoi se nourrir. Le climat froid des régions plus nordiques se montrait nettement moins généreux sur ce plan. De plus, le chasseur sentait que la survivante se dirigeait aussi vers le sud, comme si elle avait connaissance des Larmes de la sorcière.

Ils avançaient prudemment sur un sol irrégulier couvert de végétaux aux tailles et formes les plus diverses, depuis de courts herbages jusqu’à des arbres qui pouvaient atteindre ici trente fois la hauteur d’un Vélien — leur tronc était tellement imposant qu’ils parvenaient à peine à en faire le tour en se tenant par les mains, et même en sautant, ils n’auraient pu en atteindre les premières branches. Rapidement, leur choix du sud ne leur apparut pas si judicieux que cela, car s’ils croisaient davantage d’animaux, ils en trouvaient aussi une plus grande quantité de féroces ou de particulièrement dangereux. Certains pouvaient presque les avaler d’un coup, alors que d’autres pouvaient les tailler en deux d’un seul coup de griffe, et d’autres encore leur enfoncer un dard empoisonné dans le corps, déchirant leur cuir comme s’il s’agissait d’une mince feuille d’arbre ! Peu de Véliens étaient revenus vivants de cette partie des plaines de l’Ouest. Ils n’en connaissaient personnellement aucun. Et l’existence de survivants relevait probablement plus de la légende que des faits. Bon nombre des créatures qui peuplaient cette région sauvage du continent n’existaient pas ailleurs sur Veguil et ne portaient pas de nom.

Dès qu’ils perçurent de loin le premier animal potentiellement dangereux, ils se mirent en quête d’une bonne branche pour faire un arc et ainsi armer Reevirn. Après presque une heure à explorer l’endroit, ils finirent par trouver un bois suffisamment souple, fin et solide et créèrent l’arc en y attachant de la cordelette de hiélix dont il leur restait quelques pas de longueur. Ils trouvèrent une autre qualité de bois et des plumes d’oiseaux morts pour confectionner une vingtaine de flèches. Tulvarn les acheva en taillant pour elles de fines pointes dans des cailloux très durs. Chacun d’eux disposait maintenant d’une arme, ce qui augmentait ici leurs chances de survie. De surcroît, le moine dota Reevirn de son champ protecteur portatif, à charge pour le chasseur d’en presser le bouton en cas de danger. Il se trouvait ainsi bien mieux équipé. Le trio ne pouvait espérer amadouer les plus dangereux animaux juste en tentant de leur caresser les écailles. Même des animaliers auraient fort à faire pour dompter le moins brutal d’entre eux, et de bonnes chances d’y laisser leur vie.

Ils poursuivirent leur marche en ralentissant l’allure afin de mieux prêter attention à la faune hostile qui les entourait.

— Attendez ! alerta Reevirn. Il y a quelque chose d’étrange. La trace de la dame se déplace beaucoup trop vite tout d’un coup. Du moins, ceci si ma perception est juste.

— Comment ça, elle se déplace beaucoup trop vite ? l’interrogea Tulvarn.

— Eh bien, elle bouge au moins dix fois plus rapidement que ne pourrait le faire normalement un Vélien en courant.

— Tu en es sûr ?

— Non, mais c’est ce qu’il m’apparaît. Alors, soit ma perception ne vaut pas grand-chose, auquel cas nous poursuivons probablement une chimère. Ou bien elle est juste et il y a un mystère à éclaircir.

— Alors, espérons que la seconde hypothèse soit la bonne, même si elle est très intrigante. Est-ce que son mouvement est toujours vers le sud ?

— Non, elle a bifurqué directement vers nous.

— Oh ! Alors, peut-être vaut-il mieux attendre ici au lieu de nous déplacer vers le sud, intervint Gnomil en caressant l’idée de poser son sac et de se reposer.

— Hum, bonne remarque, répondit le moine. En poursuivant nous-mêmes vers le sud, nous retarderions probablement le moment de la rencontre, obligeant la Vélienne, si c’est bien elle, à corriger sans cesse sa propre trajectoire. Je me demande d’ailleurs comment elle a bien pu nous repérer.

— Je me le demande aussi, ajouta le voleur.

— À moins qu’elle ait le même genre de capacité que moi ? suggéra le chasseur.

— Peut-être. Cependant, elle l’aurait sans doute déjà mentionné ou manifesté. Nous verrons bien. À quelle distance se trouve-t-elle actuellement ? demanda Tulvarn pour terminer.

— Entre vingt mille et trente mille enjambées.

— Donc, si elle se déplace dix fois plus vite qu’un coureur qui doit pouvoir parcourir cette distance en deux heures, on devrait la voir d’ici dix fois moins de temps, même pas celui de faire une petite sieste, en déduisit Gnomil. Au moins, posons les sacs et asseyons-nous ! Ce sera toujours ça de gagné.

— En effet, approuvèrent simultanément ses deux compagnons, tandis que Tulvarn et lui-même déposaient leur chargement.

Les trois compères s’assirent sur le sol herbeux face à la faille de Gnémar’obal, tout en se demandant comment ils se rejoindraient une fois qu’elle serait bloquée sur l’autre bord. Elle ne pourrait pas plus facilement qu’eux descendre dans les Larmes de la sorcière. Ils restèrent là sans rien dire, satisfaits de pouvoir se reposer et curieux de découvrir qui allait se présenter sur la corniche d’en face.

Ils n’eurent pas à attendre très longtemps, mais ce qu’ils virent les déconcerta : il ne s’agissait pas d’une Vélienne, mais d’un oiseau qui plongeait rapidement vers eux. D’un point minuscule dans le ciel, il se mua progressivement en un vaste volatile dont les ailes auraient pu couvrir facilement une dizaine d’entre eux se tenant par la main. Lorsqu’il fut suffisamment près, ils remarquèrent avec étonnement la présence d’une Vélienne à califourchon sur la tête de l’animal. Elle s’agrippait par deux énormes plumes solidement implantées dans la peau de l’oiseau géant. Quand il se posa auprès du trio après un court vol plané au-dessus du précipice, elle sauta rapidement sur le sol pour les rejoindre.

— Eh bien, vous en faites une tête ! s’exclama l’arrivante qui n’était autre que Jiliern.

— Il y a de quoi ! répliqua Gnomil. Vous nous avez fait une de ces frousses !

— Comment ça ?

— Vous avez vu sur quoi vous arrivez ! Vous en connaissez beaucoup des petits oiseaux charmants comme celui-ci, vous ?

— Oh ! Mais il n’y a rien à craindre de sa part, je l’ai hypnotisé avec un de mes cristaux.

— Ah, et comment aurions-nous pu le savoir ? rétorqua encore le voleur légèrement en colère.

— Bon, ressaisissons-nous, cela vaudrait mieux ! intervint Tulvarn. Avant de nous expliquer comment vous en êtes arrivée là après votre disparition inexplicable, je vous présente notre nouvel ami Reevirn. C’est un chasseur amnésique. Nous vous en dirons plus ensuite. Mais d’abord à vous, si vous voulez bien. Que vous est-il donc arrivé à Tilnern ?

— Ravie de faire votre connaissance, commença la Vélienne en se tournant vers le chasseur. C’est une longue histoire, poursuivit-elle en faisant face maintenant au trio dont le moine occupait le centre. Pendant notre course vers le village, Marnia a subitement disparu sous mes yeux. Volatilisée ! Je me suis demandé par quel tour de magie cela avait bien pu avoir lieu, mais comme une vie était peut-être en jeu, j’ai poursuivi malgré tout mon chemin vers Tilnern.

— Ça sent la sorcellerie, l’interrompit Gnomil. J’en mettrais mes mains sous la hache !

— Si tu tiens à les garder, il ne vaudrait mieux pas, intervint Tulvarn. Avec toutes les étrangetés de ces derniers temps, ce pourrait aussi bien être autre chose. Laissons Jiliern poursuivre, si tu veux bien !

— OK, j’ai hâte de connaître la suite !

— Donc, j’ai poursuivi ma route jusqu’au village, mais lorsque j’allais entrer dans la maison du doyen pour l’examiner, j’ai perdu connaissance. Je me suis réveillée dans un lieu étrange. Les murs métalliques étaient incurvés jusqu’à se confondre avec le plafond. Le sol lui-même semblait fait de métal. Et aucune source de lumière n’était visible bien que l’on s’y serait cru pleinement éclairé par Dévonia.

— Étrange en effet, intervinrent le moine et le voleur.

— La pièce était vide, à l’exception d’une table basse sur laquelle se trouvait Marnia, endormie ou morte. Je l’ai rapidement examinée pour constater qu’elle était toujours vivante, mais elle respirait au ralenti. J’ai tenté de la réveiller, mais n’y suis pas parvenue. Comme je ne tenais pas à me retrouver dans son état, j’ai rapidement fait le tour de mes cristaux pour déterminer si l’un d’eux pouvait me tirer d’affaire au cas où quelqu’un chercherait ainsi à me nuire. Comme je n’avais pas de cristal dévorn, trop dangereux, les seuls qui pouvaient peut-être m’aider étaient un cristal hypnotiseur et un astern. Je les sortais immédiatement, tenant le premier dans la main droite et le second dans la gauche. Après probablement environ une heure galactique, une porte que je n’avais pas vue auparavant s’est ouverte, laissant passer un Vélien que je ne connaissais pas. Avant qu’il ait eu le temps de faire quoi que ce soit, j’activais le cristal astern dans l’espoir de le perturber suffisamment afin qu’ensuite je puisse utiliser tranquillement le cristal hypnotiseur. Le plan a marché et j’ai pu l’amener à me faire sortir de l’endroit. Malheureusement, Marnia doit toujours s’y trouver prisonnière. La pauvre !

— Et ensuite ? interrogea Tulvarn.

— Ensuite, je me suis retrouvée dehors, oui, comme je l’espérais, mais en pleine jungle ! J’ignorais totalement de laquelle il s’agissait. J’aurais aussi bien pu me trouver sur l’un des autres continents.

— Comment avez-vous fait pour nous retrouver ? demanda alors Reevirn, curieux de savoir si elle avait ou non le même genre de faculté que lui.

— Grâce à un autre cristal.

— Encore un ! s’exclama le voleur. Vous en avez beaucoup de surprenants comme ceux-là ?

— Eh bien, ça dépend de ce que l’on entend par « surprenant ». J’ai ici une quarantaine de cristaux, tous différents. Ils peuvent répondre à différents besoins. Celui dont je viens de parler permet de repérer une personne que l’on connaît déjà. Par son biais, je me suis donc en quelque sorte branché sur Tulvarn. Lorsque ce fut fait, je n’avais plus qu’à pointer le cristal horizontalement et à tourner sur moi-même. Lorsque j’ai fait face au moine, le cristal a émis une vibration différente de celle qui le caractérise habituellement.

— Comment ça, une vibration ? questionna abruptement Gnomil. Je n’ai jamais rien senti de tel en présence de cristaux. Et pourtant, j’en ai déjà dérobé quelques-uns.

— Tu n’as alors sans doute pas d’affinité spéciale avec les cristaux. Autrement tu les sentirais vivre. Cette vibration fait partie de leur nature vivante.

— Nature vivante ? Ces pierres sont vivantes ?

— Toutes les roches le sont !

— Mais, ce ne sont que des choses inertes !

— Si tu les ressentais comme je le fais, tu ne pourrais que dire le contraire. Je comprends néanmoins que tu en rejettes même l’idée, car en apparence ces êtres particuliers peuvent sembler bien morts ou sans la moindre trace de vie. Pourtant…

— Ce n’est pas que je mets votre parole en doute, dame Jiliern. Vous semblez sûre de votre affaire. Mais ça me paraît pour l’instant trop bizarre.

— Je te souhaite de les percevoir un jour. En attendant, je comprends ta réaction. Tu peux considérer qu’il s’agit de magie, si tu préfères. Le résultat est là : je suis ici grâce à des cristaux. Et maintenant, je vais devoir libérer l’oiseau de l’hypnose. Vous devriez peut-être vous écarter un peu, au cas où.

Jiliern reporta son attention sur le cristal hypnotiseur. Elle réalisa un mouvement complexe de la main gauche autour du cristal qu’elle tenait entre son pouce et son index droits. Après quelques instants, ils virent l’énorme oiseau sortir de sa transe et battre des ailes comme pour en éjecter des bestioles qui se seraient coincées entre les plumes. Soudainement, il poussa un cri strident qui obligea les quatre Véliens à se plaquer les mains sur les oreilles. Il en profita pour avancer et donner un violent coup de bec en direction du moine. Celui-ci évita l’attaque in extremis en s’accroupissant, puis sortit son sabre. L’oiseau n’attendit pas la riposte, mais s’envola rapidement en passant au-dessus des Véliens. Il ne tarda pas à disparaître au loin, entre Matronix et l’horizon vallonné.

— Eh bien, il n’était pas du tout content l’animal, mentionna subitement Gnomil satisfait de le savoir loin.

— Il n’est probablement pas dans la nature des oiseaux de voler sous la contrainte. Je comprends sa colère, ajouta Reevirn.

— Oui, je m’en doutais un peu, reconnut Jiliern, d’où mon avertissement.

— Tu as bien fait de nous avertir, en effet, confirma Tulvarn. J’aurais pu autrement y laisser ma peau. Bien, maintenant il va nous falloir nous remettre en route. La question est de déterminer vers quelle direction. Avez-vous des suggestions ?

— Revenir sur nos pas serait probablement stérile, répondit Reevirn. Même si nous n’en cherchions pas, nous n’avons pas trouvé de traces relatives au Tétralogue à l’aller. Nous n’en trouverions sans doute guère plus au retour.

— C’est logique, approuva Gnomil, même s’il n’était pas très enchanté à l’idée de s’enfoncer davantage dans cette jungle.

— Alors, comme nous n’avons plus l’oiseau pour survoler la faille, nous devrions la longer vers le sud avant d’obliquer ensuite vers l’ouest. Plus loin près de la côte continentale se trouve Beltarn’il, la cité des érudits. Peut-être que l’un d’eux a entendu parler de cette relique.

— Bonne idée ! répondirent en chœur les trois Véliens.

— Alors, en route ! termina le moine en proposant un de ses sacs au chasseur. Celui-ci l’accepta, car il se sentait maintenant tout à fait revigoré et suffisamment fort.

Le quatuor se remit en route à allure modérée, tout en surveillant attentivement le voisinage afin de ne pas se laisser surprendre par l’un des prédateurs locaux. La journée était fort avancée, mais Matronix était éclairée aux trois quarts et leur fournirait suffisamment de lumière après le proche coucher de Dévonia. Ils dormiraient dans quelques heures, lorsque la planète géante se trouverait à son tour sous l’horizon.

(Suite : Le Tétralogue — Roman — Chapitre 17)




Le Tétralogue — Roman — Chapitre 15

[Voir :
Le Tétralogue — Roman — Prologue & Chapitre 1
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 2
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 3
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 4
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 5
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 6
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 7
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 8
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 9
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 10
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 11
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 12
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 13
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 14]

Par Joseph Stroberg

​15 — Le gouffre

Après deux nouvelles heures de recherche, les trois comparses finirent par retrouver enfin l’entrée du boyau souterrain. Elle se trouvait nettement plus à l’écart du bord de la cicatrice que le voleur l’avait cru. Et il ne se souvenait plus de ce qui avait pu alors l’amener à s’en écarter de plus d’une cinquantaine de pas, suffisamment pour que la végétation en masque presque totalement la vue. Cherchant ensuite l’entrée bien trop près du bord en comparaison, il ne risquait pas de l’apercevoir de nouveau. Heureusement, le chasseur avait à un moment suggéré de s’écarter davantage de la bordure de la faille avant de refaire le parcours parallèlement et en sens inverse !

L’entrée était presque entièrement cachée par trois buissons qui l’encadraient de près. Gnomil avait eu beaucoup de chances de tomber dessus la première fois. Il avait d’ailleurs manqué tomber dans le trou fortement oblique par lequel on accédait au gouffre. Il s’y engagea en tête, suivi par Reevirn, alors que Tulvarn fermait la marche. Celui-ci avait pour l’occasion fourni un de ses cristaux au voleur. Il s’agissait de celui capable d’émettre une faible lueur dans l’obscurité. Cette dernière serait tout juste suffisante pour percevoir le sol à quelques pas. Utiliser une torche ici aurait été suicidaire étant donné l’étroitesse du couloir, au moins dans cette première partie.

Gnomil avançait doucement en tâtant suffisamment le sol et les parois pour assurer ses prises, imité ensuite par ses deux camarades qui s’efforçaient de calquer à leur tour leurs mouvements sur les siens. L’atmosphère était lourde et moite, rendant difficiles la respiration et le déplacement. Leur progression était lente, trop lente à leur goût. Ils craignaient de perdre la trace de la Vélienne en s’enfonçant toujours davantage dans ce couloir souterrain qui tantôt ressemblait à un gouffre et tantôt à une succession de grottes plus ou moins horizontales et étroites. L’air pouvait aussi bien s’y trouver remplacé en certaines poches par des gaz irrespirables ou même toxiques. Tulvarn priait qu’il n’en soit rien. C’était le genre de chose qu’ils n’avaient aucun moyen de détecter avant qu’il ne soit trop tard.

Alors qu’ils arrivaient dans une portion plus large du boyau, Gnomil stoppa net sa marche tâtonnante. Ses pieds venaient de s’enfoncer légèrement dans un liquide froid. La faible lueur du cristal ne suffisait pas à déterminer s’il s’agissait ou non d’eau. Il y avait de grandes chances que ce soit le cas, mais de toute manière le problème maintenant n’était pas son caractère éventuellement nocif ou empoisonné, mais plutôt la probabilité qu’il pouvait représenter un obstacle imprévu. Est-ce que la masse liquide était large et profonde ? Bouchait-elle complètement le passage ? Le voleur informa ses deux compagnons du problème potentiel.

— Que faisons-nous alors ? finit par demander Gnomil.

— Bonne question, répondit Tulvarn. Je ne suis plus du tout sûr que ce soit une bonne idée de poursuivre plus avant dans ces profondeurs, si maintenant elles sont chargées d’eau. Nous ignorons tout de la quantité à franchir. Nous ne pourrons pas nécessairement retenir notre respiration suffisamment longtemps.

— Surtout moi, avec mon petit gabarit.

— Cela dépend, intervint le chasseur. Ton petit gabarit te fait moins consommer d’air, car tu as moins de poids à soulever. Et donc, tu pourrais peut-être la retenir aussi longtemps que nous.

— Peut-être bien, répliqua le voleur, mais je ne tiens pas à vérifier ici.

— Bon, alors dans ce cas, nous faisons demi-tour, conclut le moine. Et autant pour ma prétendue intuition. Ça n’en était pas une ou bien il fallait que nous descendions ici pour perdre du temps.

— D’accord, répondirent simultanément ses deux acolytes !

— Mais pour ma part, continua seul Gnomil, je ne vois pas l’intérêt qu’il y aurait à perdre du temps, sachant qu’ainsi nous perdrions plus facilement la trace de la dame.

— Eh bien, proposa Reevirn, perdre apparemment du temps peut laisser à certains événements le temps de se réaliser.

— Comme quoi ? interrogea aussitôt le voleur, particulièrement dubitatif.

— Je ne sais pas, pour l’instant. Seul le temps le dira, répondit le chasseur avec une pointe d’amusement dans la voix.

— En attendant, sortons toujours d’ici, conclut le moine. Nous verrons bien.

Les trois compagnons se mirent donc en route en sens inverse, toujours dans le même ordre de marche. Monter leur parut plus facile, même si l’effort physique demandé était supérieur. Ils reconnaissaient en effet en général les lieux par lesquels ils venaient de passer quelque temps auparavant. Ils avaient donc moins besoin de tâtonner et de prendre garde où ils mettaient les pieds.

La journée était fort avancée lorsqu’ils se retrouvèrent à l’air libre. Ils décidèrent donc de bivouaquer sur place et de remettre au lendemain le franchissement de la faille. Il leur fallait pour l’heure trouver comment.

— Eh bien, dans cette folle tentative, nous n’avons effectivement fait que perdre du temps, déclara Tulvarn lorsqu’ils furent tous assis par terre en position de repos.

— Pour sûr ! approuva Gnomil. Et nous allons finir par perdre définitivement la trace.

— Non. Je la sens encore, les rassura le chasseur. J’ai même l’impression qu’elle est plus nette maintenant, ce qui est bizarre.

— Plus nette ? interrogea le moine intrigué.

— Oui ! Donc, soit elle a davantage de vitalité qu’auparavant, soit elle se rapproche de nous. Dans les deux cas, je n’ai pas d’explications à fournir.

— Étrange ! mentionna le voleur. Mais tout est étrange depuis que j’ai rencontré notre moine.

— Ouais, je pourrais en dire autant depuis que je t’ai mis le grappin dessus, répliqua ce dernier sur un ton amusé.

— Je manque de références mémorielles pour déterminer si cela me serait inhabituel ou non, intervint Reevirn. Mais d’une certaine façon je vis tout comme une étrangeté depuis que je suis revenu à moi. Je découvre presque tout comme une nouveauté. Heureusement que je sais encore marcher et manger !

— Oui, je me vois mal te porter sur mon dos en plus des sacs, le taquina le moine.

— Ha ! Ha ! Ha ! s’esclaffa Gnomil, je voudrais bien voir ça !

— Ce serait encore plus drôle si tu devais le porter, répliqua Tulvarn.

— Ah non ! D’abord, je serais tout de suite écrasé par son poids.

Les trois compagnons discutèrent encore un moment avant de s’allonger chacun dans un abri en toile cirée pour dormir. Ils décideraient plus tard de la route à prendre pour contourner la faille et rejoindre ainsi la Vélienne survivante.

(Suite : Le Tétralogue — Roman — Chapitre 16)




Le Tétralogue — Roman — Chapitre 14

[Voir :
Le Tétralogue — Roman — Prologue & Chapitre 1
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 2
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 3
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 4
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 5
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 6
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 7
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 8
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 9
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 10
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 11
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 12
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 13]

Par Joseph Stroberg

​14 — Les larmes de la sorcière

Une fois ravitaillés, les trois Véliens abandonnèrent le reste du gibier grillé aux divers carnassiers des environs. Le chasseur eut des difficultés à retrouver la trace de la survivante, et partagea sa crainte de la perdre s’ils ne se hâtaient pas. Ils pressèrent donc le pas, augmentant du même coup la probabilité d’incidents. Tulvarn ne manquerait sans doute pas de se prendre de nouveau les pieds dans une racine ou dans un trou, puis de s’étaler brusquement sur le sol. Il en était assez coutumier ces derniers temps. Il suffisait qu’il se laisse aller sur les ailes de l’imagination ou de la réflexion pour oublier le monde extérieur, fonctionnant alors en automate. Il ne devait alors sa survie qu’à la chance ou au Grand Satchan qui devait avoir prévu une autre fin pour lui. Il se demandait comment les autres moines et ses présents compagnons faisaient. Peut-être que leurs pensées ne se formaient pas en images mentales aussi denses et prenantes. Ou ils étaient capables de davantage de concentration sur leur tâche du moment. Lui ne parvenait à se concentrer profondément que lorsqu’il combattait (ce qui valait mieux d’ailleurs), mais pas toujours. S’il était trop préoccupé par certains problèmes ou quelques questions, il n’y parvenait guère et manquait alors rarement de se faire blesser par son adversaire pourtant armé de bois et non de métal. Il avait ainsi acquis une certaine réputation, celle du moine ayant le plus de blessures à son actif ! Pour autant, ses collègues ne riaient pas de lui, car il était aussi le seul qui parvenait à combattre les yeux fermés ! Il ignorait pourquoi et même comment. Tous en faisaient simplement le constat : ses mouvements le dirigeaient exactement où il convenait pour parer ou éviter les coups, comme pour en porter de mortels.

Dans de telles circonstances, son esprit se montrait alors parfaitement fusionné avec son corps. Tout se passait comme si sa propre étincelle du grand feu cosmique l’éclairait, depuis l’intérieur de son corps ou de son être, sur les gestes et les postures à adopter. C’était plus efficace que la lumière de Dévonia pouvait le faire en pénétrant par ses yeux. Plusieurs moines seraient morts s’il avait alors disposé de son sabre actuel au lieu d’une bête réplique en bois. En y repensant, Tulvarn se disait qu’il aurait probablement dû fermer les yeux lors de son récent combat contre cet étrange recruteur de guerriers. Il ne serait ainsi pas laissé abuser par ce qui semblait être une capacité d’illusion. Nul sorcier ne pouvait agir sur la plus profonde nature des êtres vivants, leur « étincelle » centrale. Les mages noirs agissaient sur les corps, sur la matière, éventuellement sur les émotions et les pensées, mais ne pouvaient pas toucher ce qui par nature était bien plus subtil. Une étincelle du Grand Satchan n’était bien sûr pas matérielle, ni même de nature émotionnelle. Elle n’avait pas non plus besoin de penser pour être, mais seulement pour prendre conscience. Les mages noirs pouvaient maintenir un certain temps les Véliens dans l’ignorance, les envelopper d’un voile d’illusion, les empêcher de prendre conscience de certains faits, mais ils ne pouvaient pas plus.

La lumière de Dévonia pouvait se refléter sur la forme réelle ou fantomatique d’un sorcier et parvenir ainsi dans les yeux de Tulvarn pour le renseigner sur la présence de ce dernier ou sur la menace éventuelle qu’il représentait. Son mental l’amenait alors à réfléchir sur la situation et à en comprendre certains aspects. Mais seule la lumière de son étincelle centrale, de son « Esprit » éternel lui permettrait la perception et la compréhension exacte de la nature du sorcier, notamment de ce recruteur particulier auquel il eut à faire face. Elle le ferait sans critiques, sans jugement et sans aucune condamnation, car sa principale fonction était alors d’éclairer, d’apporter la lumière, la compréhension, mais nullement de détruire ou d’éliminer. Aussi sûrement que la lumière de Dévonia éclairait Veguil pour lui fournir chaleur et vie, indépendamment des actions entreprises par les Véliens à sa surface, celle de l’étincelle centrale de Tulvarn éclairait ce dernier pour lui donner vie et compréhension, indépendamment des actions qu’il menait et indépendamment de ce que les autres Véliens lui faisaient.

Tulvarn se disait donc que plus il saurait laisser son étincelle l’éclairer, sans lui opposer divers obstacles tels que l’orgueil, la superstition, l’étroitesse d’esprit, le manque de confiance ou de foi… et plus il serait capable d’interagir de manière sage avec les autres êtres, comme tel un moine devrait savoir le faire. Et, surtout, moins il se prendrait les pieds dans les racines ! À cette pensée, il se mit à sourire et redevint plus attentif au monde extérieur.

La forêt se présentait ici bien moins dense, ayant laissé place à une étendue de buissons et de plantes de moindre dimension, parsemée de quelques arbres. Gnomil marchait en tête, observant rapidement à droite, devant et à gauche pour déceler d’éventuels pièges et de rusés prédateurs. Pour l’instant, ils n’en rencontraient aucun. La chance les accompagnait. Reevirn se tenait en léger retrait, attentif au faible signal qu’il recevait de la Vélienne survivante et soucieux de ne pas le perdre.

Le terrain descendait maintenant légèrement, devenant de plus en plus humide au fur et à mesure de leur progression. Le sol devenait nettement irrégulier et spongieux. Les trois compères réalisèrent rapidement qu’ils marchaient en fait sur une colonie de gnarls, êtres circulaires mi-végétaux, mi-animaux gorgés d’eau, hauts de quelques pouces et larges d’un pied. Ceux-ci se déplaçaient si lentement qu’il fallait les observer une journée entière pour s’en rendre compte. Ils glissaient à l’aide de micro reptations ventrales. Ils ne possédaient ni membre ni tête, mais une couronne dorsale de mini tentacules capteurs. Ils se nourrissaient grâce à leur peau gluante et acide, collant puis digérant lentement les insectes qui s’y posaient. Les nutriments y pénétraient ensuite par de minuscules pores. Leur corps souple et résistant se déformait légèrement sous le poids d’un Vélien. Si le cuir de ce dernier représentait une protection à peine suffisante contre l’acide, ses sandales ou autres couvertures de pieds lui évitaient en général de connaître le moindre désagrément. Cependant, ce n’était pas le cas ici du simple tissu dont était enveloppé Tulvarn et celui-ci commençait à ressentir légèrement la brûlure des sucs digestifs gnarls. Il hâta le pas pour sortir de la zone colonisée, plus loin en contrebas, dépassant rapidement le voleur qui se demanda ce qu’il lui prenait :

— Hey ! Que t’arrive-t-il tout d’un coup ?

— Les gnarls. Je n’ai pas de sandales contrairement à vous deux. Ils me digèrent les pieds !

— Oh ! C’est vrai, reconnut le voleur en observant le tissu rongé par l’acide, avant de forcer l’allure pour suivre le moine.

Dès qu’ils se trouvèrent sur un sol plus stable et moins agressif, Tulvarn s’empressa de sortir ses cristaux afin d’utiliser celui qui permettrait une régénération plus rapide de son cuir plantaire. Il déchira à cette fin le tissu dégradé qui entourait encore ses pieds puis procéda aux lentes passes sur les zones lésées afin de déclencher le processus de guérison. Enfin, il sortit de son sac un morceau de rechange pour remplacer tant bien que mal les pièces déchirées à l’aide de ficelles végétales. L’opération complète dura un peu plus d’une heure galactique standard, moment de répit mis à profit par ses deux compères pour faire une sieste.

Après ce repos forcé, le trio se remit en route pour continuer sa descente dans ce qui apparaissait de plus en plus comme une vaste tranchée naturelle, un genre de profonde et large faille rocheuse aux pentes de plus en plus escarpées. Vu du ciel, l’endroit représentait une sorte de cicatrice terrestre gigantesque en plein milieu des plaines de l’Ouest. Les trois Véliens l’ignoraient, mais le lieu jouissait d’une sinistre réputation. Il s’agissait de Gnémar’obal, surnommé « les Larmes de la sorcière ». Il abritait des centaines de grottes et de gouffres de tailles et profondeurs diverses, et des milliers de pièges disposés par de lointains ancêtres lors de leur lutte contre d’anciens envahisseurs. La plupart étaient encore fonctionnels. Les autres pouvaient malgré tout se révéler dangereux par leur nature même. Les talents de Gnomil risquaient fort d’être mis à contribution. En attendant, Tulvarn, relativement insouciant, plongeait une fois de plus dans ses pensées, abandonnant l’attention de la route à ses deux compagnons.

Récapitulant les événements depuis son fameux rêve, le moine constata qu’il ne se trouvait guère plus avancé aujourd’hui, bien au contraire. Il ne savait toujours pas si le Tétralogue existait. Si c’était le cas, il ne connaissait même pas l’emplacement du tombeau du Saint-Homme. Il ne connaissait pas non plus l’éventuel assassin susceptible de se joindre à eux. Il s’interrogeait aussi sur cette légende évoquée par Jiliern. De plus, il ignorait si celle-ci était vivante et où alors elle se trouvait en ce moment. Et pour finir, il existait dorénavant la menace représentée par cet étranger que faute de mieux il qualifiait de sorcier. Celui-ci était-il d’ailleurs responsable de l’assassinat des deux collègues de Reevirn ? Tulvarn en venait à le suspecter. L’individu était parvenu à le blesser alors que lui-même avait bien davantage l’habitude des combats que les chasseurs. Quelle chance avaient pu avoir ces derniers, surtout s’ils avaient été pris par surprise ? Pratiquement aucune. Il était alors miraculeux que Reevirn ne soit pas mort.

Le trio se trouvait maintenant très proche de la partie la plus pentue des Larmes de la sorcière. La vaste faille leur barrait le chemin de manière plus évidente, les obligeant à s’arrêter. La déclivité devenait trop accentuée pour continuer simplement en marchant. Il leur fallait trouver un passage qui leur permette de rejoindre le fond de la cicatrice naturelle avant de remonter de l’autre bord. Tulvarn déposa alors son chargement pour établir un campement pendant que ses deux acolytes exploreraient la bordure de la fosse, l’un vers le sud et l’autre vers le nord. Ces derniers espéraient découvrir un sentier praticable qui puisse les mener sans danger jusqu’en bas. Comme ils ne disposaient d’aucun matériel d’escalade, la seule alternative envisagée par les trois aventuriers consistait à se servir du sabre du moine pour tailler des appuis sommaires dans la roche. Ils pourraient ainsi créer un très long et étroit escalier rudimentaire. Le fond paraissait situé à plus de cinq cents pas en contrebas. Il leur faudrait alors plusieurs jours pour mener à bien un tel projet. Et pendant ce temps, Reevirn risquait de perdre la trace de la Vélienne. Une telle perspective ne les réjouissait pas. Aussi, le chasseur et le voleur s’acharnèrent à découvrir au pire un genre d’escalier naturel en explorant minutieusement les environs immédiats de Gnémar’obal.

Après une heure d’exploration de la bordure, Gnomil découvrit une ouverture inattendue dans le sol, à une dizaine de pas du bord de la tranchée. Elle était assez grande pour laisser passer même le moine. Il s’y engagea prudemment pour tenter d’en déterminer la profondeur et la nature. L’endroit semblait être une espèce de boyau souterrain étroit creusé par l’eau dans un sol calcaire. Celui-ci était très irrégulier, contrastant avec la couverture végétale et le sol terreux environnant. Plus ou moins pentu, il permettait néanmoins une descente assez peu risquée, grâce à de nombreux appuis et une inclinaison globalement douce. Cependant, le voleur ne s’y enfonça pas très loin, car il n’y vit bientôt plus rien. Il décida alors de rebrousser chemin pour faire part de sa trouvaille potentiellement prometteuse.

Pendant ce temps, Reevirn ne découvrit rien de bon dans un paysage de plus en plus dégagé au fur et à mesure de sa progression. Assez bizarrement, la végétation devenait plus chétive, sèche et clairsemée. Peut-être le devait-elle à son rapprochement du sud ? La conséquence en était la plus grande facilité à repérer un éventuel chemin vers le fond des Larmes de la sorcière. Mais rien de tel n’apparut devant les yeux vigilants du chasseur. Aucun passage ne se découpait dans la falaise. Pas le moindre indice de commencement de l’un d’eux ne se manifestait. La pente restait désespérément abrupte partout où portait son regard. Contourner l’obstacle qui semblait s’étendre bien trop loin au sud demanderait de trop nombreux jours. Il ne lui restait qu’à faire demi-tour et à annoncer la mauvaise nouvelle à ses deux compagnons.

Lorsque les deux éclaireurs furent de retour près de Tulvarn, celui-ci écouta attentivement leur compte-rendu puis leur suggéra de tenter la descente dans le gouffre découvert par Gnomil. Quelque chose lui disait que celui-ci les rapprocherait de leur but, même s’il n’avait pour l’instant pas la moindre idée du comment. Le voleur et le chasseur n’avaient pas d’arguments notables à opposer, en dehors du fait que le boyau pouvait aussi bien aboutir à un cul-de-sac. La grande inconnue était sa longueur. Si celle-ci devait excéder celle de la faille, son exploration risquait de leur faire perdre définitivement la trace de la Vélienne. Le trio se remit donc en route, vers le nord de la tranchée. Marchant plus lentement à cause des sacs portés par le moine, il leur faudrait deux bonnes heures pour parvenir à l’entrée du gouffre.

En chemin, Tulvarn ne put manquer de s’interroger sur le bien-fondé de leur décision. Objectivement, les chances que le boyau aboutisse à une ouverture qui les rapprocherait du fond de la faille étaient a priori bien faibles. Il pouvait au contraire dévier loin de la falaise ou ne pas avoir d’autre issue à l’air libre. Cependant, l’aventure elle-même pouvait être un fiasco complet. Ce serait spécialement le cas si ses intuitions se révélaient en définitive totalement illusoires. Devait-il leur faire confiance, au risque de les mettre tous en péril ? Son maître lui avait conseillé maintes fois de le faire, mais le moine guerrier manquait encore de confiance en elles et en lui-même. Pourtant aguerri par un entraînement intensif, de difficiles stages de survie et des séances de jeûne prolongé, il se sentait vulnérable. Ce sentiment s’était récemment exacerbé après sa rencontre avec le sorcier recruteur. Sa maladresse presque légendaire ne l’aidait pas non plus. Pour surmonter cet état qu’il ressentait comme une faiblesse, il ne voyait pas d’autre voie que celle d’affronter directement ses doutes et ses peurs en faisant usage de sa volonté. Ses intuitions ne pourraient être confirmées qu’en les suivant avec force et foi. Ou bien elles se révéleraient vides, sans le moindre fondement, mais il ne pouvait lever le doute sans tenter l’aventure. Si le Tétralogue existait, il devait le trouver et retrouver avant cela la cristallière. S’il n’existait pas, il devrait apprendre encore et encore à mieux discerner entre intuitions et illusions. La réponse ne pourrait venir que par l’action. Et il devait s’y lancer avec toute son énergie, en utilisant au mieux ses capacités et en acceptant l’aide de ses compagnons. Dans l’immédiat, si son intuition lui disait de suivre la piste entrevue par Gnomil, et par conséquent de s’enfoncer dans un gouffre inconnu, alors il devait le faire avec confiance, ouverture et persévérance. Si ce chemin ne conduisait nulle part, au moins il le saurait et disposerait du même coup d’un indice puissant de ce qui ne relevait pas d’intuition, mais de leurres ou de mirages. Il existait même la possibilité qu’un cul-de-sac représente finalement un atout, pour une raison qu’il restait alors à découvrir. Quoi qu’il en fût, il gagnait à considérer qu’il n’y aurait pas d’échec. L’action conduirait à la démonstration d’un résultat, d’une réalité. Il n’aimerait peut-être pas cette conséquence, mais il devait tout tenter pour lever le doute. Tulvarn en était là de ses réflexions lorsqu’il se prit une fois de plus les pieds dans un trou masqué au regard vague et automatique qu’il portait sur les alentours. Il s’étala une fois de plus de tout son long, sa tête atterrissant sur un tapis de mousses et de formations herbeuses. S’il avait été plus concentré sur sa marche, il aurait presque certainement évité l’écueil. Mais voilà, il n’était pas encore guéri de ses incursions dans l’univers de ses pensées, de son imagination et de ses images mentales lorsque la situation ne s’y prêtait pas !

— Hey, Sieur Tulvarn ! Que vous arrive-t-il encore, demanda vivement Gnomil ?

— Mmm… Désolé ! Rien. Je ne regardais pas où je marchais, tout simplement et malheureusement. Une fois de plus !

— Je vois ça, en effet ! Cette habitude pourrait pourtant vous causer de gros ennuis, du genre de tomber au bas d’une falaise.

— Je sais… souffla Tulvarn sur un ton désabusé. C’est une maladie dont je ne parviens pour l’instant pas à guérir. Ce n’est pas faute d’avoir reçu maints conseils de la part de mon maître. Pour l’instant ceux-ci sont pratiquement restés infructueux. Parfois, ça me désespère.

— Comment cela se fait-il, interrogea Reevirn ?

— Je l’ignore. Du moins, je le sais, je connais le mécanisme intérieur qui conduit à cela. Mais j’ignore pourquoi j’utilise un tel mécanisme, pourquoi j’ai cette tendance depuis mon plus jeune âge. Qu’ai-je donc fait dans une vie antérieure pour cela ? Ou bien encore, pourquoi avoir choisi cette tendance en m’incarnant cette fois-ci ?

— Pour ma part, je n’ai jamais trop compris ces affaires de réincarnation, intervint Gnomil. Pourquoi par exemple se choisirait-on volontairement des conditions de vie difficiles ?

— Ou de dures leçons à apprendre, ajouta Reevirn ?

— Pour tenter de mieux appréhender tout cela, répondit Tulvarn, j’en reviens souvent à mon « étincelle ». Celle-ci est une partie du feu cosmique et suit donc par nature les grandes lois ou les desseins qui ont engendré les mondes de matière sous l’impulsion de ce feu primordial. Celui-ci avait un but, même si on ignore précisément lequel. On peut supposer que l’acquisition de la Conscience et l’expression concrète de l’Amour en font partie. Et l’infini potentiel du feu cosmique ne peut probablement s’exprimer qu’au travers d’une infinité de situations.

— Ouf, ça devient déjà compliqué, reprocha quelque peu le voleur !

— Entendu. Essayons de le rendre plus simple ! Pour aboutir à un nouvel arbre, un fruit doit d’abord tomber sur le sol et s’y retrouver enfoncé d’une manière ou d’une autre, n’est-ce pas ?

— Oui, bien sûr, répondirent ensemble le Gnomil et Reevirn !

— Eh bien, pour aboutir à une nouvelle incarnation, l’étincelle doit d’abord s’enfoncer dans la matière.

— Ça paraît complètement évident, Sieur Tulvarn !

— Ça semble en effet couler de source, ajouta le chasseur.

— Très bien ! Continuons ! La graine ne pourra pousser que sous certaines conditions. Selon la nature de l’arbre, il lui faudra telle quantité de lumière plutôt qu’une autre, tel sol plutôt qu’un autre, tel taux d’humidité plutôt que tel autre, telles plantes voisines plutôt que telles autres, et ainsi de suite…

— D’accord, et puis ? interrogea le voleur légèrement intrigué, ne sachant pas où le moine voulait en venir.

— Maintenant, envisageons que l’étincelle souhaite savoir ce que c’est que d’être un menuisier. Elle devra alors choisir une graine de menuisier, être plantée peut-être dans une famille de menuisiers ou dans un village ayant besoin d’un menuisier. La graine en développement devra se trouver à un moment en situation pour apprendre son métier particulier. Elle devra aussi permettre que l’arbre, ou le corps, soit celui d’un menuisier plutôt que d’un chasseur ou d’un assassin. La forme et les aptitudes du corps devront être adaptées au rôle souhaité. Si la graine se trouve semée dans un milieu aisé, elle se développera plus vite et mieux que si elle se trouve dans un milieu aride ou pauvre…

— Oh ! je comprends mieux, reconnut Gnomil, étonné et légèrement ébahi par la démonstration. Alors, si je ne me trompe pas, mes conditions de vie le doivent essentiellement à ce qu’a voulu faire, expérimenter ou découvrir mon étincelle en s’incarnant de nouveau.

— Tout à fait !

— Mais pourquoi se choisir des conditions de vie difficiles ? Ça, je ne comprends toujours pas !

— Lorsque l’étincelle sème une graine, elle est un peu comme ces Véliens qui font pousser des arbres ici et là. Ils ne savent pas au départ si cela va marcher ou non sur le sol et à l’endroit particulier choisis. Parfois l’expérience rate et la graine ne donnera aucun arbre. Parfois l’arbre est chétif et malade. D’autres fois, il est en pleine santé et il fournit de beaux fruits. Est-ce que l’étincelle sait automatiquement le résultat de l’incarnation avant de l’avoir tentée ? Elle peut se douter que certaines tentatives seront plus difficiles que d’autres, que tel sol est plus dur que tel autre, mais elle apprend davantage par chaque nouvelle expérience, par chaque nouvelle vie incarnée. Et l’on peut supposer que plus dur pour elle est le défi, plus grande est la joie de l’avoir surmonté. Plus dure est l’épreuve ou la leçon, et plus forte la pousse engendrée. Un arbre qui résiste au gel, aux tempêtes, à la grêle, aux champignons… sera d’autant plus fort. L’étincelle bénéficiera de cette expérience fructueuse pour ses prochaines incarnations.

— Mais alors, qu’est-ce qui fait qu’un arbre chétif peut parfois malgré tout survivre, même sur un sol aride, au point de donner un jour des fruits, et que d’autres fois un arbre qui poussait sur un sol facile peut soudain devenir malade et mourir ?

— La différence vient probablement de la volonté de l’arbre lui-même, cette volonté dont une partie a pu être communiquée ou favorisée par le semeur d’arbres, par l’étincelle du feu cosmique. Il existe une grande différence entre la volonté de vivre et celle de mourir, entre celle d’assumer le rôle voulu par le semeur et celle de le refuser, de se rebeller, ou d’y renoncer. Si ta volonté de vivre est puissante, même si au départ le sol qui t’a vu naître était aride, tu produiras de beaux fruits, de belles actions, au point que tu pourras devenir un exemple, puis une légende pour les autres arbres.

— Oh ! Je vois, répondit simplement le voleur rempli d’un sentiment de gratitude. Son ami le chasseur y ajouta lui un étonnement candide.

— Si vous n’avez pas d’autres questions, il vaudrait mieux que je me concentre de nouveau sur le trajet, car autrement je risque encore de tomber.

— J’en ai encore une, si vous permettez, Sieur Tulvarn.

— Oui, vas-y !

— Pourquoi est-ce qu’on ne se rappelle pas des vies antérieures ?

— Est-ce que le nouvel arbre semé quelques années auparavant par le semeur peut se rappeler de la vie de l’arbre semé avant lui ?

— Euh… ! Ce n’est pas le même… Si un arbre a une mémoire, ce n’est pas la même que celle de l’autre avant, je pense.

— Je crois aussi, approuva le Reevirn.

— Est-ce que ma mémoire est celle du Vélien ou de la Vélienne que j’ai pu être dans une vie antérieure, poursuivit Tulvarn ?

— Je ne pense pas non plus, admirent simultanément le chasseur et le voleur.

— Alors, vous avez trouvé vous-mêmes votre réponse.

— Mais, je ne veux pas notre réponse, mais « la » réponse, maugréa le voleur.

— Oh, mais celle-là, seul le Grand Satchan la connaît, j’en ai bien peur, répondit le moine.

— Mais si nous en sommes une étincelle, n’est-il pas possible pour nous aussi de la connaître, interrogea le chasseur ?

— Nous sommes surtout en ce moment l’arbre poussé depuis la graine semée par l’étincelle. Après avoir semé sa graine, cette dernière y plonge pour lui communiquer sa vie et sa volonté. Elle se trouve donc en nous, du moins selon ce qu’en disaient plusieurs anciens maîtres. Mais rien ne prouve par ailleurs qu’ils aient vu juste. Et pour en revenir à ta question, dans l’optique de ces anciens sages, nous pourrions connaître nos vies antérieures en réalisant un contact conscient avec notre étincelle, ce pourvoyeur de vie et de volonté enfoui en nous, ceci bien sûr en admettant que l’étincelle soit dotée d’une mémoire.

— Pourquoi n’en serait-elle pas dotée, demanda le voleur ?

— Pourquoi en serait-elle dotée, répliqua le moine ?

— Eh bien, pour se rappeler les précédentes expériences de semailles de graine, non, hasarda le chasseur ?

— Bon argument, le félicita Tulvarn ! Cependant, je vous rappelle qu’un argument ne représente pas pour autant la réalité du fait qu’il évoque et qu’en définitive dès que nous abordons de tels sujets, nous plongeons dans des domaines hautement spéculatifs. Mon maître avait coutume de dire que seul le doute était certain.

— Mais, ça ne veut rien dire, ça, « seul le doute est certain », rétorqua Gnomil !

— Cela a le sens que tu veux bien lui donner ou lui découvrir, pourtant. Pour mon maître, cela signifiait en quelque sorte qu’il n’était certain de rien et qu’il devait apprendre à vivre avec le doute. Je dois avouer que pour l’instant ça me dépasse encore. Je n’aime pas vraiment vivre dans l’incertitude et j’ai l’impression que pour l’instant, je dois plutôt apprendre à éliminer le doute qui m’assaille en permanence.

— En fait, si je peux me permettre, intervint timidement Reevirn, je ne suis pas sûr que dans votre cas il s’agisse du même genre de doute.

— Peux-tu préciser ta pensée, demanda le moine ?

— Oui. J’ai l’impression que le doute qui t’assaille est lié à un manque de confiance, alors que le doute mentionné par ton maître serait plutôt la capacité à accepter de ne pas savoir avec certitude, alors que seul le Grand Satchan pourrait tout savoir.

— Eh bien, je vais finir par croire que soit tu avais raté ta vocation, soit nous nous sommes trompés en pensant que tu étais un chasseur et tu es en fait un moine ou éventuellement un érudit. En tout cas, je te remercie.

— Ce n’était pas grand-chose.

— Au contraire, pour moi tes paroles revêtent une grande importance et vont m’être très utiles.

Le trio poursuivait sa marche vers l’entrée du gouffre et s’en trouvaient maintenant tout proche, à charge pour Gnomil d’en retrouver l’emplacement exact. Celui-ci se mit donc en quête des repères visuels gravés dans sa mémoire. Explorant méticuleusement le rebord de la faille à une distance d’environ vingt pas, il devait normalement redécouvrir facilement le trou dans le sol partiellement couvert de broussailles. Il se trouvait proche d’un grand arbre aux feuilles épineuses et dentelées. Pourtant, après deux nouvelles heures à tourner en rond près de l’endroit supposé, les trois compères ne détectèrent pas la moindre ouverture dans le sol, les amenant à s’interroger :

— Es-tu vraiment sûr de n’avoir pas rêvé, commença par demander le moine au voleur ?

— Je finissais moi aussi par me questionner sur ce que tu avais vu.

— Eh bien pour tout dire, j’en viens à douter de mes souvenirs. Pourtant habituellement, j’ai plutôt une très bonne mémoire, ce qui me permet notamment de me repérer lorsque je prépare mes coups pour pouvoir ensuite m’enfuir plus facilement en cas de problèmes.

— Il vaudrait pourtant mieux que tu n’aies pas rêvé, assura Tulvarn. Faisons donc une pause pour nous changer les idées. De plus, avec un peu de chances, ça te permettra ensuite de mieux te rappeler l’aspect du terrain près du gouffre.

— D’accord, répondirent ses deux compères simultanément, avant de s’allonger sur le dos sous deux arbres de taille moyenne présents à quelques pas de distance. Tulvarn les rejoignit quelques instants plus tard après avoir déposé son chargement à droite et à gauche.

Après seulement quelques instants, Reevirn se redressa soudain avant de s’adresser timidement à ses deux compères qui commençaient à somnoler :

— Quelque chose me turlupine de plus en plus depuis que nous avons décidé de traverser cette énorme dépression. C’est bien beau de trouver un moyen d’y descendre, mais comment allons-nous remonter de l’autre bord ?

— Je n’en sais rien, avoua le moine. Je m’étais dit que si nous avions la chance de trouver le moyen de descendre, pourquoi n’aurions-nous pas ensuite celle de trouver comment grimper sur l’autre versant ?

— C’est bien beau, intervint Gnomil, mais ça commence à faire une certaine accumulation de chances. Et si le fait que je ne retrouve pas l’entrée du gouffre signifiait que nous devons trouver autre chose ?

— Comme quoi, demanda le moine ?

— Eh bien, au lieu de perdre un temps fou à trouver comment traverser, ce qui implique la descente puis la remontée, pourquoi ne pas contourner l’obstacle ?

— J’y ai songé aussi, mais sait-on sur combien de milliers ou de centaines de milliers de pas cette faille se poursuit ? S’il nous fallait plusieurs dizaines de jours pour la contourner, serions-nous gagnants ?

— Et s’il nous fallait autant de temps pour la traverser ?

— Je reconnais que dans un cas comme dans l’autre, nous sommes ignorants de la durée possible. Aussi, je pensais suivre mon intuition qui m’invitait à descendre. Mais maintenant, j’en suis encore moins sûr. Que préférez-vous ?

— Je n’en sais rien, répondit le chasseur.

— Moi non plus, reconnut à contrecœur le voleur. J’espère que ton intuition est fiable.

— Si l’on en croit mon maître, elle l’est.

— Si tu me permets, rétorqua Gnomil quelque peu énervé, ton maître, je ne le connais pas. Et tu ferais bien de ne pas toujours t’en remettre à lui comme s’il s’agissait de ton père et que tu étais encore un enfant !

— Désolé, je ne voulais pas t’indisposer en le mentionnant. Pour moi, il a effectivement été un père au début, lorsque je suis arrivé jeune au temple. Cependant, ensuite, il a été bien plus que cela. Il représente pour moi un véritable modèle. En me laissant aller, j’ajoute qu’il est comme une lumière dans la nuit. Je n’ai jamais vu ses paroles mises en défaut. Il avait toujours le mot juste, la question qui t’amenait à de bonnes réflexions, le réconfort dans les périodes de doute… Et le Grand Satchan sait combien souvent j’ai pu douter et combien je doute encore !

— En tout cas, il semble que tu le vénères presque autant que le Grand Satchan lui-même.

— Oh non ! Je n’oserais pas ! Non, je l’admire, simplement. Et j’aimerais lui ressembler. J’en suis malheureusement encore loin. Encore une fois, excuse-moi de le mentionner si souvent. Il m’a tellement appris ! Si je suis ce que je suis aujourd’hui, c’est en grande partie grâce à lui, même si je trimballe encore une ribambelle de défauts.

— Puis-je suggérer quelque chose, intervint le chasseur ?

— Bien sûr, mon ami, répondit le moine !

— En grande partie grâce à lui ? Ou au moins autant grâce à toi qui auras su habilement tirer profit de ce que ton maître t’apportait ?

— Tu me surprends encore, mon ami. Tu vas finir par m’amener à te suspecter d’être un maître caché. Tu ne parles pas souvent, mais ce que tu dis alors sonne toujours très juste. Et si tu étais bien un chasseur, tu avais peut-être raté ta vocation. Tu représentes pour moi une énigme.

— Oh, pour ça, j’en suis aussi une à mes yeux, car j’ignore toujours même mon propre nom ! Si nous en revenions plutôt à notre préoccupation immédiate et urgente ?

— Oui, il nous faut décider si nous traversons ou si nous contournons, ajouta Gnomil. Et je ne sais toujours pas ce qu’il vaut mieux !

— Je propose de nous en remettre à l’intuition de Tulvarn, car je n’ai rien de mieux à offrir.

— Alors, remettons-nous en recherche du gouffre ! conclut le moine en se relevant avant de prendre de nouveau ses quatre sacs.

(Suite : Le Tétralogue — Roman — Chapitre 15)




Le Tétralogue — Roman — Chapitre 13

[Voir :
Le Tétralogue — Roman — Prologue & Chapitre 1
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 2
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 3
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 4
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 5
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 6
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 7
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 8
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 9
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 10
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 11
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 12]

Par Joseph Stroberg

​13 — Du feu à l’au-delà

Tulvarn n’eut pas le temps de s’interroger sur l’imprudence pour lui et ses deux compagnons d’avoir dormi tous en même temps en pleine forêt vierge. Il aperçut du coin de l’œil une masse énorme foncer dans la direction de Reevirn. Tournant vivement la tête, il reconnut un xirn, prédateur à la fois souple et trapu, et deux fois plus gros que lui. Ses crocs avaient la longueur d’une main vélienne. L’animal écrasait les buissons lors de sa charge. En deux derniers bonds, il se retrouva juste au-dessus du dormeur, alors que Gnomil venait de se réveiller. Ce dernier se releva vivement tout en tirant une dague enchantée de sous sa toge. Dans le même temps, Tulvarn sortit son sabre et s’élança vers le xirn. L’animal retombait gueule ouverte sur sa proie lorsqu’il reçut la dague en plein cœur et le poids du moine étalé sur son corps. Ce dernier venait de trébucher sur une touffe herbeuse et manqua blesser le voleur en lâchant son sabre. Le chasseur se réveilla sous le double impact.

— Heï ! Que se passe-t-il ? demanda-t-il en repoussant difficilement l’animal, alors que Tulvarn, légèrement honteux, se relevait.

— Sieur Tulvarn a manqué me tuer ! Il faudrait peut-être lui confisquer son jouet.

— Euh ! navré mes amis. Un obstacle imprévu m’a fait tomber et ajouter au poids de la bête. Mais tu as probablement raison, Gnomil. Je finis par me demander si je ne suis pas un vrai danger, après tout. Ma maladresse semble incurable, même si mon maître pensait le contraire. Heureusement que tu es nettement plus adroit !

— Oui. La bête a son compte et nous allons pouvoir en manger un bon morceau. La chair fraîche commençait à me manquer.

— J’ai l’impression qu’à moi aussi, approuva le chasseur qui était maintenant pleinement réveillé. Faisons donc un bon feu !

— Je ne voudrais pas rabaisser votre enthousiasme, mais nous risquons de mettre aussi le feu à la forêt, tempéra le moine.

— Oups ! Léger détail, admit à contrecœur le voleur.

— Hum ! Nous pouvons ménager un endroit pour cela, intervint le chasseur. Je sais comment faire, même si je n’ai pas le souvenir de l’avoir appris un jour. C’est d’ailleurs étrange quand je ne me souviens même pas de mon nom. Celui-ci me reviendra-t-il ? En attendant, « Reevirn » me plaît bien, alors je crois que je le conserverai malgré tout.

— Peux-tu nous montrer comment faire ici du feu sans danger, lui demanda Gnomil ?

— Bien sûr ! Allons-y ! Il nous faut d’abord trouver des cailloux ou un endroit rocheux, ou bien nous pouvons arracher les plantes sur une surface suffisante. De plus, il faut éviter de se trouver trop proche d’un arbre.

— Des cailloux ? Des rochers ? Tu en as vu beaucoup ces derniers temps, grommela le voleur ?

— Pas vraiment, mais les plantes devraient pouvoir s’arracher assez facilement ou au moins être coupées rases.

— Si je me base sur les cours de survie pratiqués au temple, l’approche de Reevirn est correcte et nous n’avons guère d’autres solutions ici que de dégager une surface de terrain suffisante pour éviter que le feu se propage aux buissons ou aux arbres. Nous avons encore de la chance qu’il n’y ait presque pas de vent. Autrement, il vaudrait mieux y renoncer.

— Dommage que nous ne puissions pas faire plus vite. Mon estomac commence à être torturé.

— Si tu es trop pressé, tu peux toujours manger la viande crue.

— Ouais, c’est sûr, Sieur Tulvarn, mais c’est nettement moins bon et moins facile. Et pour une fois, j’aimerais faire autrement. Avec mon métier, je n’ai pas souvent le loisir de la cuire.

— Tu vois, ceci est une autre bonne raison pour en changer. Avoir pris la décision de nous suivre te permettra sans doute de manger plus souvent de la viande grillée.

— Ça m’en a tout l’air, finalement, admit le voleur qui commençait à se dire que voler était plutôt une tâche ingrate.

S’intériorisant en aidant machinalement les autres à préparer le terrain pour le feu, Gnomil reconnut que si voler pouvait rapporter gros, cela pouvait aussi bien conduire à la mort ou procurer de cruelles blessures. Cette activité rendait la vie précaire, aléatoire et dangereuse pour un bénéfice qu’il perdrait de toute manière en mourant. Certains voleurs légendaires avaient pu un jour mener la grande vie et s’acheter des protecteurs. Néanmoins, plusieurs d’entre eux furent trahis ou volés à leur tour, et même les rares qui en sortirent indemnes ne purent rien emporter avec eux une fois morts de vieillesse. Si les moines avaient raison de parler de vie après la mort, que restait-il aux voleurs une fois de l’autre bord ? Ils n’y retrouvaient assurément pas la moindre miette de ce qu’ils avaient pu matériellement accumuler de leur vivant. À quoi cela leur servait-il alors d’avoir volé, triché, menti, magouillé ? À quoi pouvait-il utiliser leur savoir-faire dans cet au-delà que les moines décrivaient ? Selon eux, pour ce qu’il en avait entendu dire, il n’y avait rien à voler de l’autre bord. Il suffisait de penser à quelque chose pour l’y matérialiser ou le voir apparaître devant soi. Et l’on n’avait pas besoin d’y manger ni d’y dormir. Il n’y faisait pas froid, ni chaud, ni tiède. Il faudrait qu’il interroge leur moine pour en savoir davantage. Ça commençait à l’intriguer.

— Sieur Tulvarn, est-ce que je peux vous poser une question, interrogea Gnomil sur un ton peu assuré ?

— Bien sûr, mon ami, répondit aussitôt le moine alors qu’il achevait d’arracher un arbrisseau en ménageant ses racines, en vue de le replanter plus tard au même endroit.

— Que se passe-t-il lorsque nous mourrons ?

— Oh ! C’est une vaste question, mon ami. Il me faudrait des jours entiers pour vraiment t’y répondre. Et le Livre présente la réponse sous forme d’une théorie restant à démontrer. Elle mentionne que divers individus, dans d’innombrables races différentes, sont brièvement revenus de la mort pour témoigner de ce qu’ils ont alors vu et vécu. Cela est même arrivé à mon maître. Cependant, dans toutes ces races, il existe bien davantage de personnes sceptiques ou incrédules et elles argumentent que ces individus n’étaient pas complètement morts ou bien qu’ils ont inventé ce qu’ils ont vu, ou encore qu’ils ont été abusés d’une manière ou d’une autre… Pourtant, les témoignages convergent pratiquement tous, même s’ils peuvent différer sur de nombreux détails.

— Dans ce cas, qu’est-ce qui se retrouve toujours, et qu’est-ce qui diffère selon les individus ?

— Pour simplifier, la conscience de l’individu survit hors du corps charnel. Une fois mort, il peut se retrouver dans une sorte de copie de ce corps, mais celle-ci n’est pas aussi matérielle et peut en différer d’apparence de nombreuses manières. Elle peut être par exemple plus jeune, ou plus vieille. Elle peut être plus belle, plus raffinée, plus lumineuse… et parfois l’inverse. Cela dépend de l’état psychologique, psychique et spirituel de l’individu lors du passage. Cela dépend aussi de ses croyances et de ce qu’il veut exprimer de lui en priorité. Et de toute manière cette première apparence n’est pas fixe. Elle change par la suite, selon les circonstances, en fonction des autres entités rencontrées, ou en fonction des croyances, de l’état intérieur, de l’expression souhaitée… Elle peut aussi se déformer. Ses membres peuvent grandir, grossir, se rétrécir…

— Ça a l’air bien compliqué, intervint le chasseur.

— Si l’on retient que tout cela vient prioritairement de la Conscience de l’individu, alors ce n’est pas si compliqué. C’est sa conscience qui dirige l’état de ce genre de corps ou de projection de lui-même. Et si le mort est peu conscient, le Livre s’accorde avec mon maître sur le fait qu’alors c’est l’Esprit même de l’individu qui dirige le processus.

— Mais alors, qu’est-ce que c’est que cet « Esprit », s’enquit Gnomil de plus en plus avide de réponses ?

— Tu vois le feu que nous venons d’allumer ?

— Bien sûr, répondit le voleur, même s’il n’avait que très peu prêté attention à ce qu’ils faisaient, ayant à peine remarqué lorsqu’ils avaient accumulé plusieurs morceaux de bois mort et de brindilles au centre de la zone finalement dégagée.

— On peut comparer le feu à la Cause créatrice de l’Univers, à la volonté qui a fourni l’énergie phénoménale nécessaire à sa création. Le Livre mentionne que la matière et l’énergie sont interchangeables. Sur Veguil, nous nommons « Grand Satchan » cette Cause créatrice. Celle-ci est la source de toute matière et de toute énergie dans l’Univers. C’est aussi lui qui anime les diverses formes matérielles, vivantes ou apparemment inertes, qui peuplent le cosmos. C’est un feu qui peut aussi bien brûler et détruire que créer et construire.

— Et l’Esprit dans tout ça ?

— Patience, mon ami ! J’allais y venir. L’Esprit d’un individu, ce qui est son essence divine, c’est une étincelle du feu qu’est le Grand Satchan.

— Mais la conscience alors, demanda Reevirn, lui aussi intrigué ?

— Comment sais-tu que tu existes, répondit Tulvarn ?

— Euh ?… Je le sais, c’est tout. C’est évident. J’existe !

— Comment ou par quoi le sais-tu ? Qui ou quoi te le dit ?

— Je me le dis !

— Qui est ce « Je » ? Tu n’as pas de nom. Tu l’as oublié. Te souviens-tu de ce détail, lui demanda le moine avec un léger sourire ?

— « Je » ? Eh bien c’est moi, non ? Je sais que j’existe. Je le vois bien. Je le sens.

— Mais encore ?

— J’ai conscience que j’existe.

— Voilà ! Tu as « Conscience » que tu existes. Eh bien vois-tu, les plus grands maîtres moines, comme d’autres sages évoqués dans le Livre, mentionnent tous que ce qui « existe », ce qui « Est », c’est l’Esprit, l’étincelle du Grand Satchan. À un moment, une telle étincelle, même amnésique, prend « Conscience » qu’elle existe, qu’elle « Est », qu’elle Est une étincelle, une partie de la Création et de sa Cause. Mais la grande question qui reste est : comment prend-elle ou gagne-t-elle cette conscience d’exister ?

— Comment veux-tu que je le sache, répondirent en chœur Gnomil et Reevirn ?

— Comment prends-tu conscience que j’existe ?

— Eh bien, il suffit que je te voie, répondit le voleur ?

— Oui, bien sûr, ajouta le chasseur !

— Ce peut être un moyen, en effet. Alors maintenant, comment prenez-vous conscience vous-mêmes d’exister ?

— Il suffit qu’on se voie, hasarda le chasseur ?

— Ce peut être un moyen. Et comment peux-tu te voir toi-même ?

— En regardant mon reflet dans l’eau ?

— Oui, par exemple. Et l’eau, qu’est-ce que c’est ?

— Un liquide ?

— Mais encore, de manière plus générale ?

— De la matière ?

— Oui ! De la matière ! Les sages ont découvert que pour prendre Conscience, l’Esprit a besoin de la Matière ! Alors, l’Esprit — chaque étincelle du Grand Satchan, du grand feu cosmique — s’est plongé dans la matière, s’y est incarné. C’est ainsi qu’il y a une étincelle du feu cosmique dans chaque Vélien, dans chaque humanoïde habitant sur les autres planètes, dans chaque animal, dans chaque végétal et dans chaque minéral… jusqu’aux atomes mêmes qui sont dotés d’une étincelle divine. Et la conscience naît dans chacune de ces formes, qu’elles soient minérales, végétales, animales, humanoïdes ou même planétaires et galactiques. La Vie des étincelles est partout dans la matière. Et donc la Conscience y est en croissance partout !

— Oh !… s’exclamèrent ensemble Gnomil et Reevirn. Mais alors, ajouta ce dernier, nous sommes tous liés ?

— Oui, nous sommes tous liés. Nous sommes tous frères et sœurs, car nous découlons de la même source, ce feu cosmique, ce Grand Satchan. Nous sommes tous comme ses fils et ses filles. Cependant, il existe une ombre dans ce paysage par ailleurs magnifique : certaines étincelles ont plus ou moins totalement oublié d’où elles proviennent ; elles ont oublié qui est leur père ! Elles sont devenues amnésiques, en quelque sorte. La matière leur a fait oublier cela. Elle les a endormis. Elle les a rendus sourds et aveugles… De nombreuses comparaisons sont possibles. Alors, sous l’effet de cette amnésie, un jour certaines étincelles ont joué à être le père, le feu cosmique. Elles ont voulu mimer ou refaire la Création. Cependant contrairement au Grand Satchan, même si elles en ont presque tous les attributs, il leur manque la capacité à créer à partir du néant. Elles ne purent que transformer la matière ou la créer à partir de diverses sources d’énergie matérielle. C’est ainsi notamment qu’elles créèrent des humanités pour ensuite s’en servir à diverses fins. Elles le firent sur différentes planètes, sur différentes galaxies. Partout dans l’univers le phénomène s’est répété. Ces humanités artificielles ne disposent malheureusement pas de l’étincelle du Grand Satchan, puisque ce n’est pas lui qui les a directement engendrées. Elles ne disposent donc pas de la Conscience pure ou morale, mais seulement tout au plus d’un mental qui leur permet un certain niveau de compréhension, jusqu’à prendre conscience qu’elles existent. Cependant, elles ne peuvent ainsi pendre conscience du « bien » et du « mal ». Le premier est en quelque sorte ce qui a été voulu par le Grand Satchan. Le second est plutôt ce qui tend à s’opposer à son dessein et n’est que le fruit de l’amnésie. Comme ces humanités et leurs individus constitutifs ne sont pas fraternellement reliés entre eux en tant qu’étincelles du même feu universel, ils ne sont malheureusement pas capables d’empathie et de compassion et leur seul domaine d’attention et de pouvoir est celui de la matière. Pour eux, la mort signifie littéralement la fin, car effectivement, aucune étincelle en eux n’y survit. Aussi, ils recherchent l’immortalité des corps, des objets matériels et des structures sociales, car la mort physique est pour eux la fin et ils en ont fondamentalement peur. Mais dans cette recherche avide d’immortalité et de contrôle de la matière, ils tuent ou asservissent tous les êtres qui se mettent en travers de leur chemin.

— Tout ceci n’est guère réjouissant, se navra Reevirn.

— Ouep, ajouta Gnomil, guère plus enthousiaste, même s’il avait déjà adopté des attitudes et des choix proches de ceux de tels humanoïdes.

— J’en conviens. Néanmoins Veguil a pour l’instant été relativement exempte de la présence de tels humanoïdes artificiels, créés par manipulation génétique à partir d’autres races. D’un autre côté, certains événements de ces derniers temps, comme l’assassinat de tes deux collègues, Reevirn, pourraient être causés par de tels individus. Je n’avais pas voulu faire le lien jusqu’à aujourd’hui, mais cette conversation m’y a finalement amené.

— J’ai encore une question, mentionna Gnomil.

— Oui ?

— Est-ce que ces humanités artificielles sont définitivement condamnées, par le fait même de n’avoir pas été directement créées par le Grand Satchan ?

— Eh bien, le Livre précise, toujours dans la théorie majeure, que des étincelles du feu cosmique ont pu volontairement se sacrifier pour amener la conscience dans de telles humanités. Les corps ou véhicules humanoïdes de ces dernières ne leur étaient pas adaptés, mais elles sont malgré tout parvenues à s’y incarner pour y insuffler leur Vie — leur étincelle de feu — et ainsi pouvoir y faire naître la Conscience morale. Cela a été particulièrement le cas sur des planètes de la périphérie galactique, car cette zone avait été davantage touchée par le phénomène. Il s’agissait alors de diminuer le déséquilibre ainsi provoqué par l’apparition de cette ombre conséquence de l’amnésie. Ces humanités ont souvent vécu de très longues périodes de conflit jusqu’au jour où la conscience pure provenant des étincelles incarnées en nombre toujours plus grand a pu surpasser l’influence de l’ombre.

— Je ne saisis pas trop cette notion d’ombre, déclara le chasseur.

— Les zones non éclairées par les étincelles du feu restent dans l’ombre, dans l’ignorance du dessein du Grand Satchan et donc dans celle des lois cosmiques. Elles ne connaissent pas la fraternité et l’empathie. Sans Esprits incarnés, les humanités artificielles ne peuvent s’élever hors de la matière. Elles constituent, de fait, les races les plus matérialistes de l’univers, les plus dangereuses, et les plus destructrices aussi bien pour les autres humanités que pour les planètes.

— Eh bien, je n’avais jamais envisagé la vie sur Veguil dans une telle perspective, admit Gnomil. Ça me donne le vertige !

— Alors, il est temps de passer à autre chose. D’ailleurs, la viande doit être cuite maintenant, conclut Tulvarn avant de s’approcher des braises pour prélever à l’aide de son sabre un morceau de viande grillée, puis de le tendre au chasseur.

(Suite : Le Tétralogue — Roman — Chapitre 14)




Le Tétralogue — Roman — Chapitre 12

[Voir :
Le Tétralogue — Roman — Prologue & Chapitre 1
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 2
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 3
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 4
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 5
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 6
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 7
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 8
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 9
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 10
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 11]

Par Joseph Stroberg

​12 — Casse-tête

Dès que les trois compères eurent fini de se ravitailler, Tulvarn s’adressa aux deux autres :

— Bien, êtes-vous prêts pour la suite ?

— Tout dépend de ce qu’est la suite, répondit Gnomil sur un ton légèrement espiègle ? S’il s’agit de faire de cet endroit notre nouvelle demeure, je suis d’accord. Regardez, il y a tout ce qu’il faut : du bois, des matériaux divers, des rochers — il n’y a qu’à creuser un peu — et tous les outils nécessaires !

— Il serait au moins difficile de nous y laisser surprendre, tellement elle serait peu aisée d’accès, ajouta Reevirn en souriant.

— Oui, enfin, étant donnée la taille plutôt réduite de la surface disponible, notre maison serait tout juste assez grande pour un petit dortoir de trois personnes, rétorqua Tulvarn un peu plus sérieusement. Et je vous préviens, il paraît que je fais pas mal de bruit en dormant.

— Ah, vous faites partie des « bruiseux » de nuit, demanda le voleur dont le sommeil était quelque peu délicat ?

— Il semble bien, oui.

— Bon, mettons que je n’ai pas parlé de construction. Voyons donc ce que nous pouvons faire maintenant pour passer sur un prochain pilier !

— Eh bien, il va peut-être falloir que nous parlions quand même de construction, intervint le chasseur, même s’il ne s’agit pas d’une habitation. Je ne sais pas si vous avez vu, mais les rondins ne sont pas assez longs pour nous permettre d’atteindre le plus proche des piliers.

— Ouais, j’ai remarqué aussi, reconnut Gnomil. Il faudrait mettre deux longs rondins bout à bout pour avoir une longueur suffisante. Et il en faudrait au moins un troisième pour le lier, ceci en utilisant la seule corde disponible. Je ne vois rien d’autre ici qui permettrait de les attacher ensemble. Peut-être y aurait-il un moyen avec ces poudres de fabriquer une colle très résistante, mais je ne suis pas alchimiste et nous n’avons pas d’eau ici. Ce serait sans doute nécessaire d’en avoir.

— Il y a peut-être de l’eau sur le plateau des plantes, car il faut sans doute leur en fournir de temps en temps, intervint Tulvarn. Elles ont l’air en bonne santé. Cela signifie que quelqu’un ou quelque chose passe au moins occasionnellement pour les arroser. Mais pour les rejoindre, il nous faut d’abord construire un pont ou découvrir un autre moyen.

— C’est le serpent qui se mange la queue ! Nous aurions besoin d’eau pour faire la colle permettant de fabriquer le pont de bois, mais l’eau est à un autre endroit, accessible seulement après avoir fabriqué celui-ci ! Heureusement que nous avons de la corde et pouvons tenter de lier les rondins par ce moyen ! D’un autre côté, nous allons devoir la sacrifier pour la couper en plusieurs morceaux. Nous pourrons ainsi lier solidement plusieurs rondins et fabriquer un pont capable de supporter un lourd moine et ses quatre sacs.

— Comment ça, un lourd moine ? Je ne suis pas plus gros qu’un Vélien moyen ! Bien sûr, en comparaison de ton squelette de natchinn [un insecte local buveur de sang vélien]…

— Si je puis me permettre, interrompit Reevirn, le pont n’aurait pas besoin de supporter tout ce poids. Tulvarn pourrait marcher dessus à vide. Puis nous pourrions lui lancer les sacs un à un.

— Très juste, confirma le moine ! Eh bien, nous ferions bien de nous mettre au travail, conclut-il avant de s’approcher des rondins.

Les trois Véliens passèrent le quartier suivant à confectionner un assemblage de bois qui en d’autres lieux aurait presque pu servir de radeau, un de forme cependant particulièrement allongée. La largeur du pont de fortune équivalait en effet à moins de la moitié de la hauteur d’un Vélien, tandis que la longueur dépassait six fois leur taille. Pour l’instant, il était posé sur le sol, dans la partie du plateau dégagée à cet effet. Tous les rondins et les morceaux de corde avaient été utilisés. Pas un de plus, et pas un de moins ! Ça leur parut plutôt étonnant. Ils poursuivirent néanmoins leur travail en déplaçant péniblement l’enclume près du bord, du côté du pilier aux végétaux. Celui-ci se trouvait sur la droite et plus loin de la berge. Leur étonnement s’accrut lorsqu’après de gros efforts, ils parvinrent à lever verticalement l’ouvrage de bois avant de le faire basculer entre son appui contre l’enclume et le plateau visé. Ce qu’il y avait de remarquable était qu’ainsi posé de manière inclinée, le pont avait exactement la bonne dimension ! L’enclume, suffisamment lourde, permettait de caler l’ouvrage pour lui éviter de glisser. Et la longueur leur permettait tout juste de monter un à la fois sur le nouveau pilier ! Par contre, ils n’avaient pour l’instant utilisé aucun des tas de poudres.

Alors que le chasseur montait lentement sur l’assemblage pentu, suivi ensuite du voleur, plusieurs questions taraudaient l’esprit des trois compères. Est-ce que les poudres devraient être utilisées plus tard ? Ou bien représentaient-elles un leurre ? Comment se faisait-il que ceux qui avaient installé tout ce matériel sur les piliers rocheux n’avaient pas laissé sur place ce qui leur avait permis de le faire, surtout s’ils devaient régulièrement apporter de l’eau aux plantes ? Pourquoi avaient-ils réalisé cela ? Était-ce une forme de test ? À qui était-il dans ce cas destiné ? Il leur aurait été plus simple de construire quelque chose de plus définitif et de l’y conserver que de s’amuser à ce genre d’entreprise.

Lorsque Reevirn et Gnomil se retrouvèrent tous les deux sur le nouveau pilier, Tulvarn leur lança un par un tous les sacs, à charge pour eux de les récupérer intacts sans les laisser tomber, puis de les déposer sur le sol. L’opération ne dura que quelques instants et se déroula sans incident. Le moine put alors reprendre son souffle avant de rejoindre ses collègues.

Le pilier sur lequel ils se trouvaient maintenant ne contenait que des plantes en pot, mais aucune trace d’eau. Les végétaux n’en manquaient pourtant pas, car ils se portaient bien et plusieurs étaient dotés de fruits arrivés à maturité. Apparemment la seule fonction de l’endroit était de servir de ressource alimentaire végétale. Peut-être une partie au moins devrait-elle être utilisée pour les besoins des animaux en cage présents sur le pilier voisin. Ils apercevaient mieux celui-ci maintenant, d’autant mieux qu’il se trouvait très près d’eux, séparé de seulement deux pas. Par contre, il était plus élevé d’une hauteur de Vélien et demi. Pour autant, ce ne serait pas un gros problème d’y sauter, au moins pour deux d’entre eux. Tulvarn pouvait les propulser de ses mains. Avant de tenter l’exercice, ils décidèrent de manger quelques-uns des fruits qu’ils savaient comestibles et d’en ramasser d’autres pour combler ce qu’ils avaient pris dans leur sac lors de leurs repas précédents.

Lorsque le trio fut suffisamment ravitaillé, Tulvarn aida comme envisagé ses deux comparses à atteindre le plateau des cages animalières. Celui-ci se trouvait en direction de la berge opposée et les en rapprocherait de manière notable, puisqu’il se trouvait approximativement au milieu de la rivière. Il leur resterait ensuite deux ou trois piliers à atteindre. Ils ne savaient pas encore lesquels seraient les plus faciles d’accès. Les autres colonnes rocheuses étaient trop éloignées à leurs yeux pour leur paraître utilisables.

C’était maintenant le tour du moine. Mais lui ne disposait pas d’aide. Cependant, étant donnée la relative proximité du pilier, il n’eut aucun mal à sauter pour en atteindre le bord avec ses mains, puis s’y hisser. Par contre, s’il avait manqué son coup, il serait tombé d’une bonne hauteur, équivalente à trois ou quatre fois la taille d’un Vélien. Il se serait alors enfoncé assez profondément dans l’eau. Il n’aurait ensuite pas manqué d’être entraîné bien loin de ses camarades et aurait risqué de se noyer à cause de la force du courant et des nombreux tourbillons.

Les oiseaux, rongeurs et autres petits animaux divers maintenus en cage semblaient en très bonne santé, ce qui tendait à démontrer qu’ils devaient avoir été nourris régulièrement. Néanmoins, les trois compères passèrent les deux heures suivantes à faire la navette entre le plateau des plantes et celui des animaux afin d’apporter suffisamment de nourriture à ces derniers pour qu’ils puissent survivre deux jours de plus. Cela les retardait d’autant dans leur recherche de la Vélienne survivante, mais ils se seraient sentis mal de laisser les animaux mourir de faim. Ils ne s’autorisèrent cependant pas à les libérer, car ils ignoraient s’ils étaient nés ou non en captivité et dans ce dernier cas, les libérer pouvait signifier pour eux une mort certaine au cours des prochaines journées. Il était très rare sur Veguil de voir des animaux en cage, ce qui rendait l’endroit encore plus étonnant. Ceci ne faisait qu’ajouter à leurs nombreuses interrogations.

Le pilier suivant le plus proche était totalement hors de portée et le trio cogitait durement pour trouver une solution. C’est à ce moment-là que Tulvarn se réveilla et réalisa qu’il ne s’agissait que d’un rêve ! Il s’était assoupi puis profondément endormi à côté de ses compagnons lors d’une halte sous un grand arbre. Ceux-ci continuaient visiblement à dormir. Il en profita pour s’interroger sur la signification de ce rêve. Celui-ci était tellement réaliste qu’il s’en remémorait les moindres détails. Avait-il un rapport avec celui qui l’avait lancé dans cette aventure ? Ce qui y dominait était cette notion de besoins et de ressources, comme s’il devait en comprendre la nécessité de trouver des ressources adaptées à ses besoins, ou comme si son groupe d’aventuriers devait toujours trouver et mettre en commun ses ressources pour combler ses différents besoins. Ils avaient jusqu’à maintenant fonctionné de cette manière. Le message devait donc avoir une portée plus vaste. En y réfléchissant davantage, il réalisa que sans ressources suffisantes, notamment alimentaires, un Vélien pouvait aussi sûrement mourir qu’une plante en pot ou qu’un animal en cage. Mais ceci pouvait s’étendre à un groupe, et même à une civilisation entière ! Veguil avait la chance de disposer de suffisamment de ressources minérales, végétales et animales, compte tenu d’une relativement faible population humanoïde. Sa civilisation artisanale avait ainsi survécu même à la disparition de l’Empire zénovien. Alors que ce dernier s’était lui-même effondré ! Qu’est-ce qui avait pu causer cet effondrement ? Un manque d’une ou plusieurs ressources ? Si oui, de quelle nature ? Existait-il des besoins autres que minéraux, végétaux, animaux, et même humanoïdes ? À y bien réfléchir, oui ! Il existait au moins des besoins énergétiques, notamment pour les vaisseaux et machines qu’avait utilisés l’Empire. D’autres encore ? Des besoins intellectuels ou mentaux, probablement, pour assurer notamment la maintenance, la réparation et la création de ces mêmes vaisseaux et machines. Était-ce tout ?…

En creusant davantage, il découvrit qu’un individu ou une civilisation pouvait aussi avoir des besoins créateurs, mais bien sûr aussi des besoins procréateurs, pour se perpétuer. Les deux pouvaient aussi avoir des besoins de nature psychologique, comme le besoin de se regrouper, par exemple pour se sentir plus forts, plus rassurés, plus protégés… Sur Veguil un tel besoin était pratiquement absent. Les ressources de base ayant toujours été suffisantes, aucune nécessité de cet ordre ne s’était inscrite à la longue dans les gènes de la race vélienne. Aussi, si les Véliens avaient des besoins d’ordre psychologique, ils étaient autres. Il lui restait à déterminer plus précisément lesquels. En attendant, il lui paraissait finalement plus évident que les Véliens avaient aussi des besoins d’ordre spirituel et que les moines représentaient des ressources permettant de les combler. Les mages semblaient eux plus propices à remplir les besoins d’ordres psychique et parapsychique. Il existait peut-être ou sans doute d’autres types de besoins, mais pour l’instant Tulvarn ne les connaissait pas.

Tulvarn ignorait également les détails de l’histoire zénovienne et ne pouvait connaître les causes de l’effondrement de l’Empire. Il aurait alors su que celui-ci s’était effondré par une conjugaison de déséquilibres prononcés entre ses besoins et les ressources dont il disposait. Le principal besoin pour cet empire avait été le maintien de sa cohésion, de son homogénéité, de son ordre. Plus il avait absorbé de systèmes solaires et de planètes, et plus l’exercice d’un tel maintien était devenu difficile en raison même de la disparité des mondes et des civilisations absorbés. Plus un empire cherchait à contrôler son domaine et ses ressources par la centralisation hiérarchique, à uniformiser et normaliser ses lois, règlements, modes de fonctionnement…, et plus, du même coup, il devait faire face à une pression croissante opposée de la part de ses diverses civilisations composantes. En effet, un des besoins fondamentaux des individus et des groupes de tailles diverses était souvent celui d’autonomie, de souveraineté, de liberté…, même si certains pouvaient avoir au moins momentanément des besoins contraires, comme celui de s’en remettre à d’autres par manque de confiance ou de force, ou par recherche excessive de sécurité, au détriment de leur liberté. Donc, un Empire coercitif devait faire face à la pression croissante, à la montée de température de ses atomes constitutifs épris de liberté. Celle-ci ne se bornait d’ailleurs pas seulement à la liberté d’action et de décision, mais aussi à celle de s’exprimer et de penser. Or, l’Empire zénovien avait tant voulu tout diriger et tout contrôler qu’il avait fini par étouffer la créativité, l’originalité, les ressources mentales, psychologiques, psychiques et spirituelles… Toutes ces ressources, pour survivre et pour répondre à leurs propres besoins civilisationnels, n’eurent d’autre choix que de se tourner contre l’Empire. Ainsi l’on vit progressivement une montée des tensions, des troubles et des révoltes se répandre sur toute la vaste étendue des possessions impériales, sur des millions de systèmes solaires, sur des milliards de planètes, de planétoïdes, de satellites naturels et artificiels, de concessions minières… Les ressources dont pouvait jouir l’Empire finirent par se retourner contre lui et par le désintégrer, celui-ci revenant à un état de poudre éparpillée, constituée par ses myriades de civilisations constitutives. L’Empire avait tenté d’être un cube solide. Il s’était retrouvé ramené à un tas de poussière irisée. Nul système cohérent, nulle république, nulle synarchie, nul gouvernement central n’avaient remplacé le mort. En mourant, il avait simplement redonné sa pleine vitalité à ce qu’il avait bien trop étouffé. Des centaines de millions de planètes avaient ainsi retrouvé leur liberté.

S’il ignorait les causes réelles de la mort de l’Empire zénovien, Tulvarn se mit néanmoins à comparer celui-ci au corps d’un Vélien. Il imagina l’état de l’empire zénovien juste avant son effondrement comme ce qui risquait de se passer si la conscience d’un individu cherchait à contrôler directement la circulation sanguine, les échanges cellulaires, les influx nerveux, l’apport nutritionnel à chaque organe… sans réellement tenir compte des besoins de chacune des composantes d’un tel organisme complexe. Lorsqu’il n’y avait pas adéquation entre ressources et besoins, le corps mourait. Un manque d’eau, et la mort intervenait au bout de quelques cycles seulement. Un manque de nourriture, et elle intervenait après quelques dizaines de cycles. Un manque d’un nutriment particulier essentiel pouvait éventuellement demander plus longtemps, après de probables souffrances croissantes. Inversement, fournir des ressources en trop grande quantité ou de manière inappropriée représentait une forme d’empoisonnement. Le corps vélien pouvait même mourir s’il absorbait trop d’eau ! Celui-ci fonctionnait par contre très bien par lui-même s’il recevait régulièrement et modérément les ressources adéquates. Les seules décisions vitales à prendre par la conscience centrale étaient celle d’absorber adéquatement les ressources, celle d’éliminer les déchets, celle d’un repos régulier suffisant, et celle de rechercher un environnement compatible avec sa biologie. En général, la conscience n’avait même pas besoin de s’occuper de la respiration. Ceci était accompli automatiquement par l’organisme, au même titre que la circulation sanguine et de nombreuses autres fonctions biologiques. Par analogie, l’immense corps galactique que pouvait représenter la zone occupée anciennement par l’empire zénovien n’avait pas besoin de l’existence d’un pouvoir coercitif central pour vivre et échanger de manière harmonieuse.

Tulvarn commençait à entrevoir la clef de la vitalité, et donc de la survie, autant des individus que des civilisations. Il s’agissait d’un équilibre délicat entre les besoins et les ressources qui pouvaient les combler. Supprimer l’une des ressources et l’effondrement s’en suivait à plus ou moins brève échéance. En absorber une empoisonnée ou en trop grande quantité pouvait aussi conduire à la mort. En dehors de ces faits, il n’y avait aucune règle particulière, aucun ordre précis dans la déchéance, la dégradation, la décomposition d’un corps ou d’une civilisation. Un composant ou un organe pouvait être touché en premier plutôt qu’un autre, simplement en fonction de sa nature et des ressources nécessaires à sa survie. Et la mort d’un composant vital entraînait celle du corps tout entier.

S’il voulait mener à bien sa quête, il faudrait donc que Tulvarn garde cette découverte présente dans son esprit et dans son être. Il ne devrait notamment pas adopter d’attitude dirigiste envers ses compagnons de route, mais leur laisser toujours le choix. Leur groupe serait d’autant plus efficace qu’il saurait fonctionner en synergie, tirant ainsi mieux parti du potentiel de chacun de ses membres. S’il représentait ici la conscience centrale, du fait d’avoir initié cette quête particulière et d’en être par conséquent l’âme, il pensait devoir néanmoins laisser chaque organe libre d’accomplir son propre rôle, d’une manière si possible aussi automatique que celle qui avait cours pour ceux de son corps. Aurait-il l’intelligence et la sagesse d’y parvenir ? Il l’ignorait, mais l’espérait.

(Suite : Le Tétralogue — Roman — Chapitre 13)




Le Tétralogue — Roman — Chapitre 10

[Voir :
Le Tétralogue — Roman — Prologue & Chapitre 1
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 2
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 3
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 4
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 5
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 6
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 7
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 8
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 9]

Par Joseph Stroberg

10 — Les traces

La journée était maintenant plus avancée et Tulvarn commençait à sérieusement craindre de perdre définitivement la trace de Jiliern. Gnomil et lui-même devaient attendre un suffisant rétablissement de Reevirn et cela nécessiterait probablement plus d’un ou deux jours, même si le chasseur avait une solide constitution. Toute heure passée diminuait pourtant les chances de retrouver la cristallière. Même si celle-ci n’avait pas le moindre intérêt pour la quête de la sainte relique — hypothèse peu probable — les deux compères ne pouvaient se résoudre à l’abandonner à son sort. Le moine se faisait un honneur de la retrouver vivante et de la sauver d’un possible sort funeste. Le voleur était piqué de curiosité sur ce qui avait bien pu lui arriver et la trouvait plutôt à son goût. Ils passèrent l’heure suivante à ruminer des pensées diversement colorées, alternant entre la crainte de perdre définitivement la Vélienne et l’espoir de la retrouver saine et sauve dans les plus brefs délais.

Reevirn se rétablit plus vite que prévu, permettant aux trois Véliens de repartir vers la maison de Jiliern, alors que Matronix était au zénith et que Dévonia se trouvait maintenant dans leur dos, assez basse sur l’horizon. Les nuées se dégageaient progressivement et les deux astres transparaissaient légèrement au travers d’elles. Aucun autre Vélien ne se trouvait dans le voisinage et seuls quelques petits animaux attiraient parfois le regard du chasseur, du voleur et du moine. Le premier, encore un peu faible, ne portait aucun sac. Lorsqu’il aurait retrouvé toutes ses forces, et seulement alors, Tulvarn lui en laisserait un. En attendant, le groupe d’aventuriers devait sortir de la forêt pour rejoindre le passage vers la vallée.

Les trois Véliens sortirent de la forêt sans rencontrer personne d’autre, mais dès qu’ils approchèrent de l’ouverture vers la vallée, ils notèrent une activité plutôt inhabituelle en cette saison. À plus d’un millier de pas devant eux, quelques centaines de pèlerins se suivaient en une longue file, à plusieurs pas l’un de l’autre. Du moins, la couleur jaune particulière de leur accoutrement laissait supposer qu’il s’agissait bien d’un pèlerinage. À cette distance, les trois compères ne pouvaient en être sûrs. Quoi qu’il en soit, la procession provenait de l’ouest et marchait dans la bonne direction, si son but était bien le tombeau du prophète Lerdinn. Seul celui-ci attirait des pèlerins dans cette région. Mais habituellement, ces derniers venaient en automne, car leur prophète était né en cette saison-là, même s’il avait disparu depuis plusieurs dizaines de milliers de cycles.

En fait, le tombeau était vide. Et personne ne savait où pouvait bien se trouver le corps. Personne même, disait la légende, ne l’avait vu mourir. Pourtant, un jour il était encore là, riant et prêchant au milieu d’une foule d’amis. Et le lendemain, il n’était plus ! Il s’était comme évaporé ! Cependant, aucun témoin ne l’avait vu disparaître. C’était juste qu’à un moment il était encore vivant, bien présent parmi les siens. Et le suivant, il n’était plus là, sans que personne n’ait pu noter sa disparition ! Tout s’était passé étrangement, selon ses amis et ses proches. Ils en avaient laissé quelques traces écrites, quelques lignes encore présentes dans le Livre, dans leur langue de l’époque. Ce jour-là, ils eurent l’impression qu’on leur avait volé quelque chose. Oh ! bien sûr, cela aurait pu être le sentiment qu’on leur avait volé leur prophète, mais cela avait été bien davantage. On leur avait volé en plus des souvenirs, ou bien un intervalle de temps. Quelque chose n’avait pas collé, quelque chose avait manqué. Telle était la légende. Pour Tulvarn et Gnomil, elle n’avait guère de sens. Ils s’imaginaient mal comment quelqu’un pouvait disparaître aussi subitement sans même laisser de traces claires dans la mémoire des témoins. Quant à Reevirn, il était loin de se poser de telles questions, car il n’avait déjà pas de références mémorielles concernant les pèlerins et encore moins à propos d’une telle légende. Il observait simplement, de loin, ces Véliens habillés de jaune qui avançaient à quelques distances l’un de l’autre. Il n’y voyait rien de plus et rien de moins étrange que dans le reste de sa situation. Pour lui, d’une certaine manière, tout était nouveau et il observait chaque roche, chaque plante, chaque animal, chaque individu avec une curiosité juvénile, à la fois naïve et simple.

Les trois compères croisèrent le flot de pèlerins sans leur poser la moindre question, en dépit de leur curiosité. Ils avaient plus urgent à faire : trouver les traces de la cristallière. À quelques centaines de pas de la maison de cette dernière, ils augmentèrent l’allure, au risque de s’épuiser complètement. De plus, dans le ciel, les nuées changeaient rapidement d’épaisseur et de formes, prélude probable à une puissante tempête pluvieuse. Celle-ci risquait d’éliminer définitivement les traces telles que d’éventuelles empreintes de pas. Même s’il en restait quelques-unes, le travail du chasseur n’en serait que plus difficile, ceci d’autant plus à cause de son amnésie. Il ne pourrait contribuer à retrouver la cristallière que si au moins certaines de ses capacités de pistage étaient innées et naturelles. Celles reposant sur des connaissances ou un savoir-faire acquis étaient probablement pour l’instant oubliées. Tulvarn se demandait ce qu’il en était et ne pouvait compter sur Reevirn pour avoir la réponse. Seules les circonstances permettraient de le savoir. Et celles-ci seraient bientôt favorables pour le déterminer, puisqu’ils n’étaient plus maintenant qu’à quelques pas de chez Jiliern et sa maison était bien visible devant eux, par-dessus les buissons épars et les herbacées de tailles diverses.

Dès qu’ils furent à l’endroit où la cristallière les avait quittés la veille, Tulvarn demanda au chasseur s’il pouvait retrouver sa trace. Il répondit simplement qu’il pouvait toujours essayer, mais qu’il ne savait même pas comment faire. Il commença néanmoins à observer le sol avec intensité, oubliant rapidement le reste du monde, seulement conscient de la présence du voleur et du moine légèrement en retrait. Le sol herbeux ne permettait pas la formation d’empreintes telles que sur l’argile, le sable ou même les cailloux. Par contre, il remarqua assez rapidement certaines herbes anormalement tordues, couchées ou brisées, selon le cas, signe pour lui évident du passage relativement récent de Véliens ou d’animaux de poids au moins équivalent. Il en informa le moine qui constata qu’elles se dirigeaient dans la direction prise par la cristallière. Elles étaient donc très probablement les siennes, car il n’y avait pas de gros animaux dans le voisinage, d’après ce qu’il avait pu constater les jours précédents.

Les trois compères se mirent alors en route à faible allure pour laisser le temps au chasseur de repérer les traces suivantes, au fur et à mesure qu’ils s’en approchaient. Les eaux du ciel menaçaient toujours de tomber, mais sans pour l’instant s’y résoudre. Et peut-être ne le feraient-elles pas dans les heures suivantes, car les masses nuageuses s’amincissaient progressivement, fournissant une luminosité accrue. De temps à autre, ils croisaient des Véliens, isolés ou par petits groupes de deux à cinq individus, et qui s’adonnaient à des activités classiques en cette saison. Cependant, aucun d’eux ne se souvenait avoir rencontré Jiliern, alors que la plupart la connaissaient plus ou moins, quelques-uns ayant même bénéficié de traitements aux cristaux. Pourtant, les traces étaient encore présentes et se dirigeaient directement vers la maison du doyen de son village. On aurait pu croire qu’elle était devenue invisible. Pourquoi les traces indiquaient-elles sa venue effective, si par ailleurs personne ne l’avait vu ce jour-là ? Et où était passée Marnia, celle qui devait l’accompagner en principe jusqu’en ces lieux ? Plus personne ne l’avait rencontrée depuis lors. Et Reevirn avait rapidement perdu sa trace. À moins que ce fussent celles de la cristallière ? Au départ, et jusqu’à environ la mi-distance du centre du village, il avait observé deux ensembles plus ou moins parallèles de piétinements des étendues herbeuses traversées. Mais à partir de là, il n’en subsistait plus qu’une, comme si l’une des deux Véliennes s’était soudain volatilisée ! Ou alors, la seconde avait adroitement marché sur les pas de la première. Dans ce cas, on pouvait se demander pourquoi elle avait alors pris une telle précaution. Quoi qu’il en fût, aucune des deux n’avait été aperçue ensuite au village. Personne ici ne savait où elles pouvaient bien se trouver actuellement.

Les traces de l’unique Vélienne qui semblait avoir poursuivi le chemin jusqu’au cœur du village stoppaient net à l’entrée de la demeure du doyen. Reevirn avait fait trois fois le tour de cette dernière sans discerner le moindre indice d’un changement de direction ou d’un demi-tour. Ou bien la Vélienne avait scrupuleusement marché sur ses pas antérieurs pour retourner d’où elle venait. Mais pourquoi, par le Grand Satchan, l’aurait-elle fait ? Tulvarn ne savait plus quoi faire et commençait à être désemparé :

— Que pouvons-nous faire maintenant ? Prendre un chemin au hasard ? Où sont passées les deux Véliennes ? Je n’en ai pas la moindre idée ! Je n’ai jamais rien vu de tel et personne au temple n’avait évoqué une situation similaire. Est-ce que des mages sorciers seraient intervenus ? Et pourquoi ?

— Si vous permettez, Tulvarn, je ne sais pas ce que cela vaut, mais je sens qu’au moins une des Véliennes se trouve dans cette direction, indiqua le chasseur en pointant vers l’ouest.

— Ma foi, puisque de toute manière nous n’avons rien d’autre, dirigeons-nous dans cette direction. Ton amnésie ne semble pas affecter certains de tes dons. Nous pouvons en rendre grâce au Grand Satchan ! Nous te suivons donc. Ne marche cependant pas trop vite, car tu n’es pas entièrement rétabli et je suis un peu trop chargé pour trotter.

— D’accord, répondit simplement Reevirn avant de se mettre en route dans la direction ressentie.

Peut-être à cause de son désarroi, peut-être un peu par fatigue à force de porter tous ces sacs, à peine le trio s’était-il mis en marche que Tulvarn trébucha et s’étala de tout son long, face contre terre. Les hautes herbes plièrent sous son poids et les sacs se dispersèrent immédiatement à droite et à gauche. Le moine ne s’était pas blessé et se releva vite, mais il se sentait quelque peu ridicule. C’était typique du genre de bévues qu’il pouvait produire ou provoquer. Il avait beau s’efforcer de ne plus les reproduire, elles se manifestaient toujours à intervalle irrégulier et généralement, bien sûr, lorsqu’il s’y attendait le moins ou dans des circonstances peu enviables. Quelle serait la prochaine ? D’un autre côté, il y avait bien plus grave, notamment la disparition inexpliquée de Jiliern.

Les trois compères reprirent donc leur marche à allure modérée, Gnomil fermant la marche et regardant souvent à droite, à gauche et même derrière pour détecter d’éventuels pièges, embûches, et assassins sournois. Jusqu’à présent rien de tel ne leur était arrivé, mais en ces temps qui tendaient à devenir bizarres, ce dernier préférait ne pas prendre de risques ou plutôt les limiter au maximum par une observation minutieuse des environs lors de leur progression. Ce serait d’autant plus utile lorsqu’ils parviendraient en territoire inconnu. Le moine était trop occupé à maintenir en l’air ses quatre sacs et à éviter de se casser de nouveau la figure pour observer les alentours. Et le chasseur se concentrait tellement sur sa piste qu’il n’aurait guère la disponibilité d’esprit exigée par un tel travail de repérage des dangers. Par contre, comme ceux-ci faisaient presque partie du quotidien du voleur, et qu’il aimait les déjouer par son habileté et son sens de l’observation, celui-ci se réjouissait de s’attribuer ce rôle auquel d’ailleurs ses deux compères ne songeaient heureusement pas. Combien l’auraient-ils voulu pour eux-mêmes, hypothèse qu’il pensait très peu probable, ils n’en auraient pas eu autant les aptitudes. Finalement, Gnomil ressentait comme un genre de piqûre agréable de se sentir ainsi utile. C’était nouveau pour lui et surprenant. Cela tendait même à effacer les motivations plutôt égoïstes qu’il avait eues jusqu’alors dans sa recherche de biens à dérober pour diverses raisons, dont celle de se nourrir en les échangeant. Il découvrait de nouvelles perspectives, de nouvelles sensations, de nouveaux centres d’intérêt, et en quelque sorte tout un nouvel univers. Il commençait à remercier intérieurement le moine de lui être tombé dessus de tout son poids.

Le trio sortit tranquillement de la vallée, de nouveau par la trouée au sud-ouest, mais cette fois pour obliquer aussitôt vers l’ouest. Reevirn percevait toujours la présence de Jiliern ou de l’autre Vélienne dans cette direction. Il ne pouvait dire de laquelle il s’agissait, d’autant moins qu’il ne connaissait ni l’une ni l’autre. Tulvarn et Gnomil le sauraient le moment venu, en espérant pouvoir la rejoindre. Tant qu’il la détectait quelque part, c’était bon signe. Dans son état, et peut-être même avant, il ne pouvait savoir exactement comment ni pourquoi il la percevait ainsi. Il ne pouvait que constater. Il ne s’agissait pas d’une odeur, ni de sons, et encore moins d’une vision, mais de quelque chose de plus subtil que ni lui ni ses compagnons ne pouvaient définir. Il éprouvait incontestablement la sensation intérieure de la présence d’une Vélienne quelque part à l’extérieur. Un genre de fil de conscience le reliait à cette dernière.

Simultanément, aucun d’eux, pas même l’intéressé, ne comprenait pourquoi Reevirn ne percevait pas la seconde, en dehors de la seule explication qui leur paraissait possible : celle-ci était morte ! Tulvarn espérait vivement qu’il ne s’agissait pas de Jiliern, même si la vie de l’autre, cette Marnia, valait ou avait valu a priori autant. Néanmoins, la cristallière lui paraissait plus importante pour la quête du Tétralogue et elle avait bien volontiers accepté de s’y joindre. D’un certain point de vue, ceci pouvait lui paraître une motivation égoïste. D’un autre, il ignorait quelles seraient les conséquences de la découverte de cette relique, si jamais elle existait effectivement. Aussi bien, s’ils la trouvaient, les répercussions pourraient affecter nettement plus de Véliens que leur petit groupe. Tout dépendrait de sa nature et de son éventuel pouvoir. Avait-elle par exemple un rapport avec la prophétie évoquée par la cristallière ? Pour l’instant elle relevait surtout du mythe et celle-là pouvait signifier toute autre chose que l’interprétation suggérée par Jiliern. En tout cas, Tulvarn se voyait mal, avec ou sans un Tétralogue surpuissant, comme sauveur de la planète ou d’une bonne partie des Véliens.

Le trio avait laissé derrière lui les chaînes de montagne entourant la vallée et se trouvait maintenant à l’orée des plaines de l’Ouest. La vue portait loin sur ce paysage relativement plat alors qu’ils descendaient la légère pente du dernier contrefort. La végétation était plus dense et généralement plus haute. Bientôt, leur horizon serait limité, alors qu’ils s’enfonceraient dans le mélange de forêts et d’amas de buissons. Ils n’auraient cependant pas besoin de se tailler un chemin à coup de sabre, car les animaux herbivores y créaient presque en permanence de nombreux sentiers, rapidement suivis par les carnassiers. Par contre, il leur faudrait prêter attention à ces derniers qui aimaient tout autant la chair des Véliens. La réciproque était d’ailleurs souvent vraie, sauf pour quelques espèces dont la viande avait un goût infect.

Les plaines étaient aussi parsemées d’habitations, généralement cachées parmi les arbres, mais parfois visibles au milieu d’une zone buissonneuse. Il n’existait là pratiquement aucun village. Les seuls regroupements de Véliens n’y dépassaient pas quelques poignées de demeures. Et encore, celles-ci n’étaient pas du tout collées les unes aux autres, mais éloignées de quelques dizaines à centaines de pas. Les autochtones n’avaient pas vraiment l’instinct grégaire et ne ressentaient aucune nécessité à plus de rapprochements. L’éloignement relatif n’empêchait néanmoins pas la coopération ni les échanges de services et de productions. Il avait par contre l’avantage d’éviter qu’une trop forte promiscuité engendre les frictions. Le Livre rapportait que presque toutes les populations humanoïdes trop grégaires connaissaient une nettement plus grande tendance aux conflits. Sur Veguil, l’absence de guerres le devait fortement à la grandeur de la planète et à l’importance de ses ressources végétales et animales. Ces deux facteurs avaient en effet rendu vaine la nécessité pour les Véliens de se regrouper pour chasser ou pour développer l’agriculture. Il existait tant d’animaux bien nourris qu’il était inutile d’organiser des battues et de grosses parties de chasse. Et il existait tant de fruits et de plantes comestibles que l’agriculture était réduite à sa plus simple expression, à savoir la semence ici et là de quelques graines d’arbres et d’arbustes fruitiers pour la plus grande part. La surface planétaire habitable était si vaste que les indigènes avaient pu sans problème éviter de s’entasser dans des villes surpeuplées. Tulvarn, Gnomil et Reevirn étaient peu conscients de la chance qu’eux et leurs congénères avaient de vivre sur un monde aussi luxuriant et paisible. Quelques articles du Livre révélaient un certain étonnement quant au fait que l’Empire zénovien, même à son apogée, avait pu ainsi relativement ignorer le potentiel de cette colonie.

Aujourd’hui, l’Empire n’était plus qu’un lointain souvenir, et la chance millénaire de Veguil pouvait tourner. Certains indices récents le laissaient supposer. Tulvarn y songeait alors que ses compères et lui s’enfonçaient dans une partie plus épaisse de la forêt. Il y avait eu tout d’abord l’étrange blessure de Jiliern. Puis sa propre bataille avec celui qui voulait créer une armée. Pour finir, l’assassinat des deux chasseurs et les blessures graves de Reevirn, sans compter l’étrange prophétie mentionnée par la cristallière, puis la mystérieuse disparition de cette dernière. Tous ces faits étaient inhabituels, au moins autant que le rêve qui l’avait lancé dans cette aventure. Et maintenant il recherchait la disparue avec pour compagnons un voleur et un chasseur amnésique ! S’il tenait compte en plus d’une possible menace venant du ciel et d’un assassin qu’il ne fallait pas oublier, cela commençait à sévèrement menacer la quiétude de Veguil. Sa vie avait pris un tour inattendu depuis ce rêve concernant le Tétralogue. Et retrouver Jiliern ne semblait pas devoir mettre un terme aux étrangetés qui s’accumulaient jour après jour, presque heure après heure.

(Suite : Le Tétralogue — Roman — Chapitre 11)




Le Tétralogue — Roman — Chapitre 8

[Voir :
Le Tétralogue — Roman — Prologue & Chapitre 1
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 2
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 3
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 4
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 5
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 6
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 7]

Par Joseph Stroberg

8 — Disparition

Tulvarn et Gnomil s’étaient allongés face au ciel en attendant le retour de Jiliern. Dévonia se trouvait hors de leur vue sur la gauche, proche de l’horizon, alors que Matronix était dans la direction presque opposée. Ils se tenaient là, silencieux, ayant fini de s’échanger les dernières nouvelles. Le voleur avait pu récupérer ses accessoires les plus intéressants et en remplir un sac qu’il parvenait tout juste à porter sans trop fatiguer. Tulvarn ne lui en avait pas demandé la nature, même s’il brûlait de curiosité. Il le saurait au besoin assez tôt, lorsque son compagnon de voyage les utiliserait.

— Et maintenant, que faisons-nous, interrogea Gnomil ?

— Bonne question. Je n’en sais rien. Je dois me reposer et éviter les mouvements brusques pour éviter de rouvrir la plaie. Je ne pourrais donc pas pratiquer le moindre entraînement ni t’aider dans une telle entreprise. J’espère que Jiliern ne va pas tarder à rentrer. Elle accélérerait grandement la cicatrisation avec un de ses cristaux.

— Peut-être devrions-nous aller la chercher ?

— Pour l’instant, je peux à peine marcher, tellement la douleur est vive. Je dois me concentrer pour la diminuer.

— Oh !… Et comment faites-vous pour y parvenir ? J’en serais bien incapable ! Le moindre mal accapare toute mon attention et je ne pourrais m’en libérer l’esprit. C’est d’ailleurs bien pour cela que j’évite le plus possible de m’y voir confronté.

— Ah bon ? Et tu trouves que voler les gens est ainsi le meilleur moyen ? Surtout s’ils te prennent ?

— Euh ! Bien sûr que non ! Mais voler sans se faire voir peut aider.

— Eh bien, ça n’a pas marché la dernière fois sur ce point !

— En effet…

— Et tu as de la chance que je n’aie pas tiré mon sabre ! l’interrompit le moine.

— Je le reconnais. Ne pourrions-nous pas parler d’autre chose ?

— Je comprends que tu cherches à éviter ce souvenir peu agréable. Alors, choisis ce dont tu veux parler.

— Euh… Je ne sais pas.

— Dans ce cas, reposons-nous avant d’aller chercher Jiliern. Elle n’arrive toujours pas et je trouve ça de plus en plus inquiétant. Te sens-tu capable de prendre le sac contenant ton couchage en plus de ton paquetage actuel ?

— Hum ! Je trouve ce dernier déjà bien lourd. Je crains que non.

— Alors tant pis, je le prendrai, ainsi que celui de Jiliern. Nous marcherons moins vite que j’aurais souhaité.

Après une journée entière de repos et de récupération, Tulvarn se harnacha tant bien que mal avec les quatre sacs qu’il lui fallait maintenant porter. Il en avait deux directement sur le dos, un autre plus proche de l’épaule gauche et le dernier sur le droit. Le tout était plus lourd qu’il n’aurait cru, mais il était suffisamment costaud et endurant pour les porter au moins jusqu’au village où devait se trouver leur compagne de voyage. Sa blessure qui commençait à cicatriser était devenue supportable. Il espérait seulement ne pas rencontrer de malandrins sur le parcours, éventualité de toute manière fort rare, car il lui faudrait un temps non négligeable pour se débarrasser de son fardeau afin de pouvoir tirer son sabre sans entraves et surtout de pouvoir facilement l’utiliser. Des gestes trop brutaux risquaient de rouvrir la plaie.

Tulvarn et Gnomil se mirent en route en direction du village mentionné par Jiliern afin de l’y rejoindre au plus vite. D’une certaine manière, leur aventure commençait maintenant, car ce lieu leur était inconnu. Ni le moine ni le voleur n’y avaient déjà mis les pieds, le premier pour n’être sorti du temple que pour des entraînements en pleine nature et le second parce que le lieu se trouvait nettement hors du périmètre habituel pour ses larcins. Il ne s’était jamais aventuré auparavant aussi loin. Ceci expliquait peut-être pourquoi il s’était fait prendre cette fois. Il n’avait pas encore tout à fait digéré le fait. C’était la première fois que cela lui arrivait. D’un autre côté, il pouvait s’estimer chanceux d’être tombé sur ce moine (ou plus précisément et littéralement que celui-ci lui soit tombé dessus), car autrement son sort aurait pu être pire. Le dernier voleur qui s’était fait prendre dans la région avait eu les mains coupées ! Il trouvait cela particulièrement cruel, même si elles étaient conservées dans une substance spéciale héritée de l’empire zénovien et si un thérapeute talentueux pouvait encore les recoudre. Elles ne le seraient pas avant que le voleur ait purgé sa peine en effectuant des travaux en nombre suffisant pour la communauté. Ses tâches étaient rendues d’autant plus difficiles qu’il n’avait plus ses capacités manuelles. Il devait utiliser ses moignons, du moins pour les travaux manuels, car on lui demandait aussi d’autres services, d’après ce que Gnomil avait entendu dire, sans savoir précisément lesquels.

Le chemin serpentait légèrement entre quelques monticules couverts de végétation diverse plutôt fournie. L’odeur qui leur parvenait trahissait la présence d’épineux à sève collante et de plantes aromatiques souvent utilisées dans la confection d’onguents. Le ciel était couvert de brumes épaisses bleutées, probablement chargées de spores et d’autres minuscules composants végétaux. Dévonia ne parvenait pas à en percer l’épaisseur. L’ambiance était morne. Les animaux semblaient eux-mêmes la sentir, car les rares visibles vivaient comme au ralenti ou se contentaient d’observer les alentours. Était-ce le signe que quelques bizarreries se préparaient ? Le moine commençait à le suspecter, même si cela relevait probablement de superstition. Ce qu’il savait pour sûr était l’étrange sensation ressentie. Elle paraissait liée à la Vélienne, comme un signal qu’elle se trouvait en danger. Néanmoins, il ne comprenait pas pourquoi ni comment. Quoi qu’il en soit, suivant les recommandations de son maître, il préférait en tenir compte, au cas où…

Poursuivant leur marche à allure modérée, les deux compères arrivèrent en vue du gros du village, le reste étant largement dispersé dans les environs. La maison de Jiliern était considérée comme en faisant partie alors qu’elle s’en trouvait nettement éloignée du cœur, et située largement à l’écart des autres habitations. Cela pouvait se comprendre dans la mesure où en dehors de cette agglomération distendue, il n’y avait que trois autres petites bourgades bien plus loin dans la vallée. La planète était vaste et ses ressources largement suffisantes, presque partout, pour que les Véliens ne s’entassent pas. Il n’existait d’ailleurs aucune ville, à part la mythique cité de cristal que les ruraux évitaient comme la peste et les quelques villes d’érudits. Le plus imposant village ne devait pas excéder le millier d’habitants, ceux-ci répartis sur une large superficie, à l’image de ce qui existait dans la vallée.

Tulvarn et Gnomil devaient maintenant trouver la maison de Velnir, la plus petite et située près du centre, en espérant que celui-ci soit facile à découvrir comme tel. Au pire, comme plusieurs villageois vaquaient à leurs occupations hors de leurs maisons, ils pourraient toujours leur demander où elle se trouvait exactement. L’un d’eux martelait sur une enclume. Un autre sortait des plantes d’un chariot pour les déposer sur une table. Un troisième affûtait la lame d’un couteau à l’aide d’une meule mécanique à pédales. Un autre encore décorait le mur d’une maison avec différents pigments, la rendant quelque peu incongrue au milieu des autres laissées pierres nues…

Tulvarn jeta un coup d’œil aux alentours pour tenter de repérer leur destination. Si quelques villageois tournèrent leur regard vers eux, aucun d’eux ne les jaugea d’un air suspicieux, car rares étaient les problèmes de voisinage sur cette planète tranquille. Les Assassins et la Horde sauvage sévissaient généralement en dehors des agglomérations et interagissaient peu avec elles. Les premiers étaient les seuls à parfois s’aventurer dans la Cité de cristal, ou plutôt juste à sa périphérie, selon des rumeurs qu’il restait à vérifier. Mais jamais ils n’entraient dans un village en dehors des fois où ils devaient y remplir un de leurs contrats. Ils y étaient habituellement facilement repérés bien avant leur arrivée et les gens se calfeutraient alors chez eux dans l’espoir de ne pas être leur cible. Ces derniers tremblaient alors souvent de peur ou priaient. S’ils étaient le gibier et n’étaient pas eux-mêmes guerriers, chasseurs, voleurs ou assassins, ils n’avaient en général aucune chance de s’en sortir vivants. Par contre, les moines-guerriers s’en sortaient presque toujours lorsqu’ils avaient pu voir venir l’assassin, ce qui était le plus souvent le cas. Ils le mettaient hors de combat d’une manière ou d’une autre. Celui-ci considérait alors que sa mission était un échec et ne retentait pas ultérieurement de la mener à bien. Les chasseurs, eux, pouvaient facilement les tuer à distance. Et les assassins entre eux avaient une chance sur deux d’y laisser leur peau. Cependant, les autres n’avaient guère de défenses contre les agressions. Celles-ci étaient heureusement fort rares sur cette planète.

La maison de Velnir devait être la petite que Tulvarn apercevait maintenant en face de son champ visuel alors que sa tête finissait sa rotation vers la gauche. De manière non surprenante, elle avait le même aspect que ses quelques voisines immédiates, la seule différence étant sa taille moindre. En pierres naturelles, avec une porte et deux fenêtres sur sa façade avant, visible légèrement de biais, elle ne présentait aucun signe distinctif en dehors de sa dimension. Il se dirigea vers elle, suivi à quelques pas par Gnomil. Alors qu’il s’apprêtait à appeler le ou les éventuels occupants, une femme âgée en sortit pour leur demander brièvement la raison de leur visite :

— Que venez-vous faire par ici, jeunes hommes ?

— Nous recherchons Jiliern, venue soigner votre doyen, à la demande de Marnia.

— De quoi parlez-vous donc, jeune moine ? Notre doyen n’est pas malade ! Et personne ici n’a vu Marnia récemment. Elle habite pourtant cette maison, indiqua l’aînée en pointant de la main gauche une demeure située sur leur gauche après celle qui jouxtait celle du doyen.

— Hein ? Vous êtes sûre ?

— Aussi sûre que je le suis de vous parler maintenant.

— Ça alors, c’est stupéfiant et incompréhensible ! répondit Tulvarn quelque peu déconcerté. Merci pour l’information, termina-t-il avant de rebrousser chemin, toujours suivi par le voleur.

À peine hors de portée de voix de la Vélienne, ce dernier interrogea le moine :

— Et maintenant, que faisons-nous ?

— J’aimerais bien le savoir, répondit le moine de plus en plus désappointé. Pour commencer, que s’est-il exactement passé ? Jiliern a-t-elle été conduite dans un piège ? Était-elle de mèche avec Marnia ? Et dans ce cas, pourquoi donc ? Si elle ne voulait pas nous suivre dans notre aventure, il lui suffisait de le dire. Non, ce ne peut pas être ça !

— En effet, ça n’aurait pas d’allure, approuva le voleur.

— Donc, elle a suivi quelqu’un qui manifestement lui a menti. Mais pourquoi ? Pour l’instant, je ne vois aucune raison valable. Si l’on souhaitait la voir soigner quelqu’un d’autre que le doyen, il suffisait très probablement de le lui demander. Elle est visiblement très serviable, généreuse et gentille et n’aurait pas eu de raison majeure de refuser. Elle a accepté pour le doyen. Elle pouvait facilement faire de même pour un autre. Ça n’a guère de sens, poursuivit-il en s’arrêtant de marcher et posant ses sacs à terre. Je ne comprends pas. Nous allons la chercher. Et pour ça, nous allons devoir mettre nos compétences à l’épreuve. Nous allons retourner à sa maison, puis suivre le trajet qu’elles ont emprunté initialement et chercher la moindre trace.

— Très bonne idée ! C’est ici qu’un chasseur nous serait utile.

— Un chasseur ! « N’oublie pas le chasseur… »

— Qu’est-ce que ça veut dire ?

— Ah, c’est vrai, tu n’étais pas présent lorsque quelqu’un est venu nous délivrer ce message de la part d’une espèce de devin.

— Quel message ?

— « Sur ton chemin, n’oublie pas le chasseur et l’assassin ». Nous nous étions demandé ce que cela pouvait bien signifier. Maintenant, il se pourrait que nous ayons besoin de l’un comme de l’autre. Mais je n’en connais aucun !

— J’en connais quelques-uns, mais je ne tiens pas à leur rendre visite.

— Pourquoi donc, interrogea le moine ?

— Eh bien, disons que je leur ai emprunté quelques affaires sans leur permission, avoua timidement le voleur.

— C’est malin ! Pourtant, nous aurions bien besoin de l’un d’eux.

— Je ne tiens pas à me faire tuer, si vous n’y voyez pas d’inconvénient.

— Allons, allons ! Il est très rare et improbable de tuer qui que ce soit de nos jours, si l’on n’est pas un assassin. Et les chasseurs ne le sont pas.

— Mais un chasseur très en colère ?

— Pourquoi très en colère ? Que leur as-tu donc pris ?

— Euh… Eh bien, disons…

— Oui, mais encore ?

— … leurs meilleurs appeaux.

— Ah ? Et pourquoi cela devrait-il les mettre tellement en colère, interrogea encore Tulvarn quelque peu intrigué et légèrement dubitatif ?

— Cela leur permet d’attirer le gibier, même le plus rare, et leur donne une bien meilleure chance d’éviter de rentrer bredouilles de leurs chasses.

— Bon, d’accord. Cependant, je ne comprends toujours pas pourquoi ils t’en voudraient autant, surtout que tu ne t’es pas fait prendre.

— Oui, mais ça, c’est juste parce que je suis parvenu à les semer. Ils ont bien failli m’attraper la dernière fois.

— La dernière fois ? Qu’as-tu donc fait ?

— Pour tout dire, je volais un chasseur pour échanger son matériel avec un autre, par exemple contre du gibier. Je changeais souvent de lieu pour obtenir un plus vaste marché. Cependant, à partir d’un certain moment, je me suis quelque peu mêlé et j’ai fini par proposer un appeau à son propriétaire originel. Du moins, j’ai essayé, mais si je l’ignorais alors, lui s’en est tout de suite aperçu. Il a sorti son couteau pour m’en pourfendre tout en appelant à l’aide ses collègues.

— Ah ! Je comprends mieux. Et ensuite ?

— Ensuite, j’ai utilisé mes jambes pour fuir le plus rapidement possible et quitter la région. J’avais une meute d’une douzaine de chasseurs à mes trousses et ils ont rapidement retrouvé ma trace. J’ai dû recourir à toutes mes ruses pour les égarer et finir par leur échapper complètement. J’en ai même découvert de nouvelles pour l’occasion.

— Eh bien conserve-les en mémoire, elles pourraient toujours nous être utiles dans notre quête.

— Oh ! pour ça, vous n’avez pas de craintes à avoir. Je ne risque pas de les oublier ! Ma vie en dépendait, conclut Gnomil qui commençait à se lasser du sujet et aurait nettement préféré parler d’autre chose.

— Ils ne t’auraient sans doute pas tué. Je n’ai jamais entendu parler de chasseurs ayant recours à une telle extrémité. Cependant, je n’en connais pas personnellement.

— Je n’ai pas voulu prendre de chance.

— Je peux comprendre, répondit le moine. Pourtant, nous gagnerions maintenant à nous assurer les services d’un chasseur pour plus facilement retrouver la trace de Jiliern. N’en connais-tu pas un que tu n’aurais pas détroussé ?

— Pas vraiment, non. Depuis que j’ai changé de région pour celle-ci, j’ai décidé de chercher des cibles moins potentiellement dangereuses et qui pouvaient rapporter au moins autant. La cristallière en était une bonne, jusqu’à ce que vous me tombiez dessus.

— Bon, mais même si tu n’en connais pas de près, peut-être as-tu repéré l’endroit où ils gîtent ?

— Si vous y tenez, concéda le voleur, il y a un groupe de trois chasseurs dans un bois hors de la vallée, à moins d’un jour de marche. Mais le temps de les rejoindre, les traces de la dame Jiliern risquent de disparaître. À ce que j’ai pu deviner, les chasseurs n’observent pas seulement les indices physiques, mais ont accès à autre chose, même s’ils ne l’avoueront probablement jamais. J’ai dans l’idée qu’il s’agit de leur plus gros secret. C’est plus fort que notre flair. D’ailleurs, sans ce truc, ils n’auraient jamais pu me retrouver aussi facilement et me pister pendant des jours. Pour autant, d’après ce que j’ai pu constater, ceci est limité à trois ou quatre quartiers. Au cours des heures suivantes, la trace subtile disparaît.

— Mais les traces physiques demeurent, non ? Lors de nos exercices de survie, nous observions bien la trace d’animaux qui dataient de plusieurs jours.

— Sur des sols meubles ou boueux, oui. Mais les Véliens préfèrent marcher sur les sols herbeux ou pierreux que dans la gadoue.

— C’est vrai, reconnut le moine. Bon alors ! Changeons de direction, et dirigeons-nous vers la sortie sud-ouest de la vallée ! À charge pour toi de nous guider vers ces trois chasseurs.

— D’accord, d’accord, si vous insistez, répondit Gnomil à contrecœur.

À ces mots, les deux compères bifurquèrent pour se diriger dans la direction voulue, le voleur précédant cette fois le moine. Ce dernier portait toujours sa charge de quatre sacs. De loin, il paraissait trois fois plus gros que son fluet compagnon. Le ciel était maintenant couvert d’épaisses brumes sombres, masquant complètement leur soleil. Leurs pensées n’étaient guère plus claires. Le voleur craignait la fréquentation des chasseurs. Le moine doutait de pouvoir retrouver la cristallière, même avec l’aide de ces derniers. Pourtant, il s’agissait probablement de leur meilleure chance. Obtenir l’aide d’au moins un chasseur leur rendrait la tâche plus facile.

(Suite : Le Tétralogue — Roman — Chapitre 9)




Le Tétralogue — Roman — Chapitre 7

[Voir :
Le Tétralogue — Roman — Prologue & Chapitre 1
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 2
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 3
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 4
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 5
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 6]

Par Joseph Stroberg

​7 — Ultimes préparatifs

Jiliern et Tulvarn se réveillèrent assez tard, alors que Veguil était visible nettement au-dessus de l’Horizon est. Matronix apparaissait presque entièrement vers le sud, éclairée sur la moitié de sa surface. De larges et diffuses nuées grisâtres empêchaient une vision parfaitement claire de l’un comme de l’autre. Cependant, elles étaient insuffisantes pour amener de la pluie. La journée serait donc propice aux entraînements en attendant le retour espéré de Gnomil. Pourtant, elle n’allait pas se dérouler comme prévu. Ils sursautèrent tous les deux lorsqu’ils entendirent une voix féminine interpeller la Vélienne depuis le seuil de la porte :

— Jiliern ! Vite, peux-tu m’aider ?

— … Plaît-il ? ne put que réagir la cristallière dans un premier temps… Que se passe-t-il, Marnia ? interrogea-t-elle après s’être retournée et avoir reconnu la visiteuse.

— Dernio et Galdien sont impuissants. Toi seule peux peut-être faire quelque chose.

— L’herboriste et le thérapeute ? Impuissants à quoi ?

— Velnir est au plus mal et personne au village ne sait pourquoi. Avec un de tes cristaux, peut-être pourrais-tu trouver ou faire quelque chose ?

— D’accord, je vais te suivre. Tulvarn, il serait sans doute préférable que vous restiez ici pour attendre l’éventuel retour de Gnomil.

— En effet, répondit le moine. Néanmoins, j’aimerais que vous me fournissiez quelques indications sur votre destination, au cas où.

— Je ne devrais pas être absente très longtemps, mais si cela devait se prolonger, vous pourriez en effet m’y rejoindre. Tilnern est à moins de mille pas vers le nord et la maison de Velnir est la plus petite, près du centre. C’est le doyen du village, un érudit qui offre ses services contre de la nourriture. Il faut dire que sa maison ne contient rien d’autre que des livres, des parchemins et une couchette sommaire posée à même le sol. Bon, je vais prendre mon sac déjà rempli de cristaux et je laisse les autres sous votre garde. Marnia, Tulvarn ici présent est un des moines du temple, comme tu auras pu le deviner à son accoutrement.

— Oui, je le pensais bien. Salutations, noble moine !

— Noble ? Non, je ne mérite pas un tel qualificatif. Encore trop novice pour cela.

— Oh, mais vous êtes pourtant certainement plus noble que nous tous au village, à l’exception peut-être de ce pauvre Velnir. Puisse le Grand Satchan le maintenir en vie !

— Je prierai en ce sens, dame Marnia.

— Merci, noble moine. Cela pourrait faire une différence. Vite, il n’y a pas de temps à perdre, Jiliern !

— Voilà, j’arrive !

À ces mots prononcés à la hâte, les deux Véliennes sortirent en courant de la maison. Si elles pouvaient maintenir cette allure, Tulvarn ne leur donnait pas longtemps avant de rejoindre le malade. La grande inconnue serait ensuite le temps nécessaire au diagnostic, puis éventuellement au traitement, en espérant pour l’érudit que celui-ci soit possible. Il ne doutait pas des compétences de la cristallière, mais si le mal lui était inconnu, elle risquait d’avoir quelques difficultés à le traiter, surtout sans en connaître la cause.

Resté seul dans la maison d’une Vélienne qu’il connaissait encore très peu, Tulvarn n’avait rien d’autre à faire que d’attendre son retour et celui du voleur. Lequel des deux reviendrait en premier ? Ce qu’il ferait ensuite dépendrait prioritairement de la réponse à cette question. Si Gnomil revenait en premier, ils attendraient tous les deux quelque temps le retour de Jiliern avant de se mettre en marche à sa recherche. Si celle-ci revenait d’abord, ils reprendraient leurs exercices pendant deux ou trois cycles avant de décider de partir sans le voleur ou de poursuivre l’attente un peu plus longtemps. Dans un cas comme dans l’autre, cela retardait le véritable départ vers l’aventure et l’inconnu. Tulvarn ne savait pas trop laquelle des deux possibilités il préférait. Revoir Gnomil d’abord pourrait signifier ne plus pouvoir dormir profondément, de crainte qu’autrement il ne dérobe cette fois effectivement des cristaux. Et cela n’augurerait pas un bon déroulement des opérations pour Jiliern. À l’inverse, l’arrivée de cette dernière pourrait laisser supposer que le voleur s’était moqué d’eux et qu’ils auraient à faire une croix sur son aide en certaines situations particulières toujours possibles. Il était en effet très probablement capable de déceler et d’éviter divers pièges, surtout s’ils devaient traverser des zones de ruines antiques, la cité de cristal ou quelques labyrinthes particulièrement vicieux comme il en existait, semble-t-il, en certaines contrées. De vieilles légendes le laissaient croire. Il pourrait aussi ouvrir quelques portes verrouillées par des mécanismes plus ou moins sophistiqués, donnant alors accès à quelques rares trésors. Et qui savait si le Tétralogue n’était pas parmi eux ? Son adresse probable leur permettrait aussi probablement de grimper en des endroits qui autrement leur resteraient inaccessibles. Son faible gabarit lui permettrait de se glisser par certains passages interdits même à la Vélienne d’une taille pourtant dans la moyenne. Et combien d’autres habiletés pouvait-il avoir ? Cependant, les capacités de la cristallière se révélaient également appréciables. Finalement, ces deux personnes lui paraissaient soudainement plus importantes que lui-même pour l’atteinte de la relique, si jamais elle existait. Que pouvait en effet apporter un moine à une telle entreprise ? Repousser quelques carnassiers ? Mieux valait recruter un chasseur à une telle fin. Peut-être était-ce d’ailleurs une partie du sens du message apporté par l’érudit Déviorn ? Faire appel à un chasseur et à un assassin pour assurer plus facilement le succès de leur entreprise ? Ou bien au contraire, se méfier particulièrement de ceux qu’ils rencontreraient sur leur chemin ? Dans la première hypothèse, il n’en connaissait pour l’instant aucun. Dans la seconde, pourquoi le message n’évoquait-il qu’un chasseur et qu’un assassin ? Ce pouvait-il que ces deux individus plus spécifiques soient particulièrement dangereux, eux bien plus que leurs comparses ? Comment dans ce cas les reconnaître ? Cette possibilité lui paraissait finalement peu probable. L’ennui était que l’autre ne lui semblait pas tellement plus plausible. Il avait beau tourner et retourner cela dans sa tête, il ne percevait pas grand-chose de bien concluant pour l’instant. Ce message amenait bien davantage de questions que de solutions. Qu’en penserait son maître ? Il n’en savait rien, mais ne pouvait et ne devait de toute manière plus compter sur lui. Puis, à quoi bon se préoccuper de cela maintenant ? Il ne servait à rien pour l’instant de savoir ce qui pouvait être préférable ou non. Ce qui comptait était ce qui interviendrait effectivement. Il n’aurait alors d’autre choix que d’y faire face ou éventuellement de renoncer à sa quête de la relique, option qu’il préférait ne pas retenir. Finalement, penser aux diverses possibilités était de la perte de temps, même s’il n’avait pas grand-chose d’autre à faire qu’attendre, ou au moins de la perte d’énergie. Il pourrait probablement trouver mieux en attendant le retour de l’un ou de l’une. Et si aucun des deux ne revenait d’ici quelques cycles, il se mettrait alors en route pour chercher Jiliern ou pour découvrir ce qui pouvait lui être arrivé.

En attendant le retour de ses comparses, Tulvarn décida de faire une exploration des environs. Il prendrait garde de rester toutefois à portée de voix, si jamais ces derniers revenaient dans l’entrefaite. Il y avait peut-être quelques ressources végétales utiles dans les environs, en plus des baies sitjiennes dont il allait reprendre quelques poignées. Il les placerait dans la pièce de tissu déchiré à laquelle il avait eu recours la première fois. Lorsqu’elle serait pleine, il l’attacherait à son sac à l’aide d’une cordelette improvisée à partir d’un rhizome de hiélix dont il devait bien exister plusieurs spécimens par ici. C’était suffisamment résistant au point de ne pas pouvoir être coupé à mains nues. Il devrait pour cela recourir à son sabre. Maintenir ainsi les baies à l’extérieur du sac leur éviterait de se trouver malencontreusement écrasées. Et il resterait dans ce dernier suffisamment de place pour d’autres ressources médicinales ou alimentaires moins fragiles.

Tulvarn ne tarda pas à trouver un buisson à baies et à en prélever le maximum de ce qu’il pouvait emporter dans sa pochette de fortune. À seulement quelques pas ensuite, il découvrit du hiélix et en tira quelques cordelettes dont celle qu’il réservait pour attacher les baies. Poursuivant sa marche exploratoire, attentif aux types de plantes, négligeant par conséquent davantage les animaux, il s’éloignait progressivement et de manière spiralée de la maison de Jiliern.

La végétation était plus ou moins dense selon les endroits. Des buissons de taille et de largeur variable alternaient avec des herbacées et quelques arbres éparts. Divers petits animaux s’y faufilaient en espérant peut-être passer inaperçus du Vélien. D’autres étaient trop occupés à ronger une écorce, déterrer une racine ou marquer leur territoire pour fuir devant lui. Peut-être ne le ressentaient-ils pas comme dangereux. Il ne faisait qu’un faible bruit pour éviter autant de les surprendre que de les effrayer. Intérieurement, il émettait envers eux une disposition de paix, de calme et de symbiose, désirant se fondre au mieux avec l’environnement, afin de repérer plus facilement des plantes potentiellement utiles pour son aventure.

Durant ses longs cycles passés au monastère, Tulvarn avait appris la valeur de la moindre parcelle de vie animale autant que végétale. Et lorsqu’il devait manger l’une ou l’autre pour sa propre subsistance, il leur adressait d’abord une prière non formulée, un mélange d’imploration, d’excuses et de remerciements. Elle n’avait pas de mots, mais se traduisait en sentiments soutenus qui émanaient de son cœur. Ces êtres se sacrifiaient pour qu’il puisse lui-même survivre. Tel était le jeu de la vie sur cette planète. Le Livre laissait entendre que c’était pratiquement le cas sur tous les corps célestes dotés de formes de vie tangibles. Ces dernières servaient tôt ou tard de nourriture à d’autres. Mieux valait alors éviter que cela se fasse dans la souffrance. Un des rôles du moine était justement le soulagement des souffrances, autant morales ou psychiques que physiques. Même son aspect guerrier s’y vouait, car il était essentiellement défensif et nullement pratiqué dans un esprit de conquête, d’agression, de domination ou encore de destruction.

Tulvarn ne pensait pas avoir beaucoup d’occasions d’exercer son art martial défensif, mais son maître lui avait conseillé de ne jamais rien considérer comme acquis ni certain. La vie avait comme le don de nous surprendre. Et aussi bien il pourrait au contraire devoir souvent sortir la lame de son fourreau au cours de sa quête de la relique. Alors qu’il poursuivait l’exploration du voisinage pour sa récolte, il aperçut une variété qu’il ne connaissait pas encore. Intrigué, il l’examina de plus près.

La plante était basse, mais sa vingtaine de tiges couvrait le sol sur un rayon équivalent à celle de son bras. Sur ces dernières, les feuilles étaient disposées à plat en un dense réseau, de telle sorte qu’aucune parcelle du sol n’était visible. Ce dernier conservait ainsi son humidité. De plus, ces feuilles, épaisses, semblaient gorgées d’eau ou d’un liquide à déterminer. Elles devaient ainsi pouvoir facilement résister aux étés les plus chauds et les plus secs. Si un jour il revenait au temple, il faudrait qu’il demande à son maître s’il la connaissait et dans ce cas, qu’elles étaient ses vertus. Il ne voulait pas prendre le risque d’en manger la moindre partie. Elle pouvait être empoisonnée et peut-être même que son simple contact le ferait tomber raide mort. Il savait qu’au moins une plante sur le second continent était couverte d’un poison capable de ce genre de prouesse. Ce dernier parvenait à percer le cuir de la plupart des espèces animales ainsi que celui des Véliens. Les animaux à écailles y échappaient. Heureusement, elle était fort rare, de même que la présente plante semblait l’être pour ne jamais avoir été mentionnée au temple. Était-elle originaire de Veguil ? Ou venait-elle d’ailleurs ? Il l’ignorait, mais sa curiosité naturelle le poussait à rechercher la réponse. Peut-être devrait-il consulter quelques érudits. Cependant, ce n’était pas la priorité du moment et il poursuivit son exploration méthodique du voisinage.

La suite ne lui permit pas de découvrir de nouvelles espèces, mais de remplir largement son sac de denrées fortement nutritives et de remèdes utiles. Ses compagnons de voyage et lui seraient ainsi mieux à même, au moins au début, de résoudre plusieurs types d’ennuis de santé et d’incidents malencontreux. Alors qu’il arrivait en vue de la maison de Jiliern, il tomba en arrêt devant un imposant Vélien qui lui barrait manifestement le chemin. Celui-ci était armé de deux sabres pour l’instant dans leur fourreau et arborait un air menaçant. Tulvarn s’apprêtait à le contourner lorsque celui-ci ouvrit la bouche pour proférer l’injonction suivante :

— Si vous tenez à la vie, n’allez pas plus loin, mais écoutez plutôt ma proposition.

— Pour l’instant, je n’ai rien à perdre à vous écouter, du moins si ce n’est pas trop long, alors je vous écoute. Que voulez-vous ?

— Je suis en train de constituer une armée et j’ai besoin de soldats comme vous semblez en être un. Si vous refusez de vous mettre à mon service, je serai contraint de vous tuer. Je ne peux me permettre de laisser des ennemis en vie derrière moi.

— Comme vous y allez ! Première erreur : je ne suis pas un soldat, mais un moine…

— Et ce sabre, il sert seulement de décoration ? interrompit l’inconnu.

— C’est cela, oui — pourquoi pas ? — de décoration, ironisa Tulvarn amusé par la question. Et si vous le permettez, je dois poursuivre mon chemin.

— N’y songez même pas, avertit brutalement le guerrier, sortant ses deux sabres alors qu’il se précipitait soudainement en avant.

Le moine ne put que constater que le colosse ne plaisantait pas. Il fit un écart du côté droit en tirant prestement son propre sabre. Pivotant en direction de l’assaillant, il effectua un mouvement semi-circulaire rapide partant du haut pour frapper finalement au niveau du ventre avec une inflexion du poignet. Malheureusement, son adversaire évita de justesse l’attaque d’un saut en arrière avant de contre-attaquer d’un puissant coup de pied dirigé vers la tête. Du moins c’est ce qui apparaissait, mais Tulvarn ressentit une vive douleur au thorax qui le fit presque s’effondrer sur le sol. Il se ressaisit au dernier moment, effectuant une roulade sur la gauche pour éviter le prochain coup alors qu’une voie masculine se mit à crier depuis la même direction, mais légèrement en retrait derrière lui :

— Eh ! Qu’est-ce que vous faites là, interrogea le nouvel arrivant ?

Tournant la tête, Tulvarn reconnut le voleur et fut quelque peu soulagé de le voir arriver maintenant. Dans la foulée, il profita de l’effet de surprise sur son assaillant pour placer une estocade que ce dernier ne put cette fois éviter. L’inconnu recula vivement alors qu’une traînée de sang s’écoulait d’un autre endroit que celui visé. Jugeant peut-être qu’il ne pouvait alors faire face à deux adversaires, il battit en retraite et s’enfuit rapidement hors de leur vue.

— Qui était-ce, demanda Gnomil ?

— Je ne sais pas. Il veut apparemment constituer une armée.

— Et c’est comme cela qu’il s’y prend ?

— Il dit tuer ceux qui ne le servent pas. Mais heureusement que tu es revenu juste à temps. Cet énergumène a réussi à me blesser d’une étrange manière. Il tentait de me lancer un coup de pied lorsque j’ai reçu cette vilaine blessure, poursuivit-il en montrant une large entaille tout près du cœur.

— Oh ! Je vois.

— Je ne comprends pas comment il a pu faire ça. Un pied ne permet pas une telle déchirure dans le corps d’un Vélien, surtout pas au niveau du thorax. Et puis, à l’inverse, je l’ai visiblement blessé, mais pas du tout de la manière que j’avais supposément effectuée.

— Serait-ce un mage expert en illusions ?

— Peut-être. Je ne sais pas. Si c’est le cas, il est extrêmement dangereux, car il semble aussi disposer d’une grande force physique.

— Un mage guerrier ? suggéra le voleur.

— J’ignore si une telle classe d’individus existe, répondit Tulvarn.

— Et s’il était le seul de son espèce ?

— Il le vaudrait mieux, car s’ils sont plusieurs, la menace est encore plus grave, surtout si celui-ci ou plusieurs d’entre eux veulent créer une armée.

— Pour en faire quoi ?

— Je l’ignore aussi. Cela fait de nombreux cycles que les guerriers ont pratiquement disparu. Alors une telle armée serait unique, et très dangereuse, car sans véritables adversaires. Tout lui serait permis : conquêtes, pillages, viols… et que sais-je encore ? Je vais prier que cela n’arrive pas.

— Eh bien, j’espère que vos prières sont efficaces, car nous en aurons besoin, dirait-on.

— Je le souhaite aussi, mais habituellement je n’effectue pas de telles prières. C’est une situation exceptionnelle. Permets-moi de ne pas prolonger cet échange de questions, je dois me soigner, acheva-t-il.

— Faites donc, noble moine, vous en avez bien besoin !

— S’il te plaît, pas de lèche…

— D’accord, d’accord. Je me tais.

Tulvarn passa l’heure suivante à nettoyer puis refermer sa plaie, utilisant pour cela une partie de sa récolte. Déjà ! Ça commençait plutôt mal ! Il allait devoir la reconstituer avant le retour de Jiliern. Cependant, cette fois il aurait de l’aide.

(Suite : Le Tétralogue — Roman — Chapitre 8)




Le Tétralogue — Roman — Chapitre 5

[Voir :
Le Tétralogue — Roman — Prologue & Chapitre 1
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 2
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 3
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 4]

Par Joseph Stroberg

5 — Préparatifs

Attablés depuis quelques instants pour manger un premier repas, Tulvarn et Jiliern discutaient du programme de la journée. Ils allaient préparer soigneusement des sacs afin d’emporter ce qui serait le plus utile pour leur aventure vers l’inconnu. Jiliern prendrait ses principaux cristaux pour faire face à divers problèmes de santé et de blessures plus ou moins graves. Elle en prendrait également quelques autres, aux propriétés utiles, dont un capable de produire un faible rayonnement lumineux sous certaines conditions. Elle allait aussi confectionner deux répliques de l’abri portable de Tulvarn, avec son aide. Celui-ci rechercherait ensuite des plantes médicinales aux alentours. Il n’avait certes pas la connaissance des apothicaires, mais sa formation de moine lui avait permis d’acquérir de bonnes bases, assez pour survivre seul dans la nature. Pour finir, et peut-être seulement à partir du lendemain, Tulvarn enseignerait à Jiliern les rudiments de certaines techniques défensives et de survie, en cas de mauvaises rencontres.

Les préparatifs se déroulaient en silence. Le Vélien guidait maintenant sa collègue aventurière dans la confection du premier abri portable. Ils disposaient d’une pièce de tissu suffisamment solide et grande pour trois abris, mais n’en avaient pas besoin d’autant. La femme se montrait particulièrement adroite à tailler puis coudre le tissu de sorte à reproduire la forme voulue. Le fil utilisé provenait d’une plante fibreuse du voisinage et s’avérait assez résistant pour rendre l’assemblage capable de durer pendant plusieurs cycles. Les deux comparses espéraient qu’ils parviendraient à trouver la relique bien avant de voir l’abri tomber en lambeaux. Mais ils n’étaient pas devins et savaient que l’avenir pouvait réserver bien des surprises.

— Puis-je entrer ? demanda une voix masculine qui les fit sursauter.

— Hein ? Fut la seule chose que Tulvarn et Jiliern trouvèrent à dire avant de se retourner pour voir qui les avait ainsi sollicités et leur avait apporté une rapide première surprise.

— Puis-je entrer ? répéta l’inconnu, un Vélien d’apparence frustre, vêtu d’une toge verdâtre salie par de la poussière terreuse. Il paraissait assez âgé pour être leur père, ou même leur grand-père.

— Qui êtes-vous ? Et que voulez-vous ? demanda Jiliern, encore sous le coup de la surprise.

— Je me nomme Déviorn. Je suis l’érudit d’un village que vous ne connaissez probablement pas, répondit l’étranger en restant sur le seuil de la porte. Puis-je entrer ?

— Euh, oui, entrez ! répondit quelque peu timidement Jiliern en pensant qu’ils ne risquaient pas grand-chose de la part d’un tel érudit. Vous n’avez pas répondu à ma question. Que voulez-vous ? Pourquoi venir ici ?

— Chère enfant. Ça fait deux questions maintenant. Ou plutôt trois, si l’on compte celle à laquelle j’ai déjà répondu.

— Oui, bien sûr. Mais ne détournez pas le propos. Veuillez répondre, s’il vous plaît, pour que je sache si j’ai bien fait de vous laisser entrer.

— Merci. Je pense que vous ne le regretterez pas.

— Je l’espère. Nous vous écoutons.

— Bien. Dans notre village existe ce que certains nommeraient probablement un esprit simplet, un Vélien d’âge moyen ne disposant pas de toutes ses facultés intellectuelles, pourrait-on dire. Cependant, nous lui accordons beaucoup de crédit et d’attention, car il semble être un porte-parole du Grand Satchan lui-même.

— Oh ! Mais encore ? En quoi cela se traduirait-il ?

— Patience, mon enfant. J’y arrive. Nierl a le don de divination. Il parle peu, mais chaque fois qu’il ouvre la bouche, c’est pour proférer un avertissement ou un conseil à destination d’une personne en particulier, ou parfois d’un groupe. Et par expérience, les habitants du village ont pris l’habitude d’en tenir compte.

— Devrions-nous faire confiance à un devin dont nous n’avions jamais entendu parler ?

— Rien ne vous y oblige. Je suis juste là pour vous délivrer le message. Ce que vous en ferez ensuite ne dépend que de vous. Voici donc : Tulvarn de la retraite d’Ynil, sur ton chemin, n’oublie pas le chasseur et l’assassin.

— C’est tout ? interrogea Tulvarn. Ne pas oublier le chasseur et l’assassin ? Qu’est-ce que ça peut bien signifier ? Quel chasseur ? Quel assassin ? Sont-ils là pour me combattre ?

— Je n’en sais rien. Tout ce que je peux vous dire est que vous m’avez donné du fil à retordre pour vous trouver. J’ignorais au départ de quel temple pouvait être cette retraite. Et je vous connaissais encore moins.

— Mais je ne suis même plus au temple ! Comment m’avez-vous trouvé ici ?

— Ça, c’est le plus mystérieux. J’étais en route vers le temple, à moins d’une heure de marche, lorsque j’ai eu une vision. Je m’y voyais faire demi-tour, et me diriger droit vers cette demeure. C’est donc ce que j’ai fait. Et me voici !

— Plutôt étrange ! remarqua Jiliern.

— Ça pourrait me paraître de même si je n’avais pas connu le temple et certains miracles qui y eurent lieu. Eh bien, merci, érudit Déviorn, même si j’ignore quoi faire de votre message.

— Gardez-le seulement en mémoire pour l’instant. Il contient d’ailleurs le conseil de ne pas oublier.

— Ne pas oublier quelqu’un que je ne connais pas encore. Ça risque d’être difficile. Mais bon… Je verrai bien. Merci encore. Rien ne vous obligeait de parcourir tout ce chemin pour me trouver.

— Effectivement. Mais les érudits ont un principe auquel ils se tiennent : ne jamais rompre la chaîne de la connaissance. Et vous faites manifestement partie d’une telle chaîne, moine.

— Si vous le dites.

— Ce n’est pas moi qui le dis. Vous êtes au moins un maillon final de la chaîne représentée par la divination récente de Nierl. Pour le reste, vous aurez certainement le temps de vous en rendre compte. Voilà ! Ma partie est achevée. La vôtre commence.

— Merci et adieu, érudit, répondirent Jiliern et Tulvarn alors que Déviorn rebroussait déjà chemin pour se fondre rapidement dans le paysage.

— Que pensez-vous de ça ? demanda alors la Vélienne.

— Je ne sais pas. Franchement, je ne sais pas quoi en penser. C’est pour le moins assez troublant. Mais qu’est-ce que ça peut donc signifier ? C’est un message pourtant a priori limpide. On en comprend facilement tous les mots. Mais à quelle situation, à quelles personnes fait-il exactement référence ? Je n’en sais rien ! Est-ce une mise en garde contre des ennemis redoutables ? Tout ce que je peux faire est de redoubler de prudence et d’éviter si possible mes maladresses habituelles. Elles nous mettraient alors plus facilement en danger.

— Je ne vois pas non plus ce que nous pourrions faire d’autre. Revenons plutôt à nos préparatifs !

— Oui, c’est une bonne idée.

Tulvarn et Jiliern poursuivirent donc la préparation de leur voyage jusque tard dans la journée. La Vélienne avait sélectionné tous les cristaux les plus utiles. Et à eux deux, ils avaient enterré les autres aux alentours de la maison, dans l’éventualité où un voleur s’approcherait des lieux après leur départ. Ils n’attendaient pas Gnomil avant un jour ou deux. Mais s’il tardait trop, ils finiraient par partir sans lui, espérant alors qu’il n’en profiterait pas pour achever ce qu’il n’avait pu réaliser lors de sa première visite. L’objet qu’il avait laissé n’avait peut-être aucune valeur. Ce pouvait être une babiole tout juste bonne à tromper des naïfs tels qu’un moine et une cristallière trop confiants.

(Suite : Le Tétralogue — Roman — Chapitre 6)




Le Tétralogue — Roman — Chapitre 4

[Voir :
Le Tétralogue — Roman — Prologue & Chapitre 1
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 2
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 3]

Par Joseph Stroberg

​4 — Visite impromptue

Tulvarn émergea du sommeil en pleine nuit. Alors qu’il se trouvait sur le dos, il ressentit immédiatement le contact d’une masse tiède sur son côté gauche, avec un prolongement au-dessus de son torse. Ouvrant les yeux au maximum et cherchant à discerner dans l’obscurité ce qui pouvait bien le coller ainsi, il réalisa qu’il se trouvait sur le lit de Jiliern. Elle avait dû se coucher à côté de lui, car après tout c’était son lit et elle n’en avait pas d’autres. N’osant bouger par crainte de la réveiller prématurément, il poursuivit sa tentative de percer la noirceur environnante. Matronix et Dévonia étaient manifestement absents des cieux. Pendant combien de temps avait-il bien pu dormir ? Pendant qu’il essayait de l’estimer, il tressaillit légèrement sous l’effet de la fraîcheur nocturne ressentie sur les parties de son corps restées libres du contact de la Vélienne. Maintenant qu’il commençait à y voir légèrement plus clair et qu’il apercevait vaguement les formes du corps féminin qui semblait se lover sur le sien, ses autres sens étaient aussi en éveil. Les bruits extérieurs lui parvenaient, issus des divers animaux qui animaient les nuits de Veguil. Parmi eux il en perçut un plus insolite dont la provenance semblait en fait nettement plus proche. Y prêtant davantage attention, il réalisa rapidement que son origine se situait dans la maison même !

Quelque chose émettait des bruits feutrés et de légers cliquetis dans la pièce qui servait notamment de cuisine et de coin repas. En état d’alerte, Tulvarn prit le risque de soulever le bras de Jiliern pour sortir du lit, puis se glisser hors de la chambre. Par chance, elle ne se réveilla pas, probablement terrassée par la fatigue due à sa blessure récente. Elle avait besoin de récupérer beaucoup d’énergie vitale et seul le sommeil pouvait la lui offrir.

Tulvarn marcha si doucement sur le sol froid que le tissu noir recouvrant ses pieds ne déclencha pas le moindre bruit audible. Il conserva son sabre dans son fourreau pour éviter de provoquer le son caractéristique qui ne manquait pas alors de se produire. Celui-ci ressemblait à un genre de doux sifflement ondulé probablement produit par une vibration particulière de la lame sous l’effet du frottement et du déplacement d’air. Ce n’était pas le moment de le produire si par hasard un intrus était responsable de ces bruits anormaux.

Après plusieurs pas particulièrement silencieux, Tulvarn parvint enfin à la porte entrouverte de la chambre. Dans le même temps, il entendait de manière croissante les sons insolites dont il situait de plus en plus précisément la provenance dans la pièce voisine. Il distinguait mieux maintenant de légers chocs étouffés qui semblaient provenir d’objets tombant au fond d’un sac. Cependant, il percevait à peine le sol à seulement quelques pas devant lui et ne pouvait donc toujours pas confirmer visuellement son impression. Il n’en poursuivit pas moins sa lente et silencieuse progression pour espérer surprendre l’intrus. Il devenait presque évident que quelqu’un s’était introduit dans la maison de Jiliern. Comment d’ailleurs celui-ci pouvait-il y voir suffisamment pour effectuer ce que Tulvarn soupçonnait de plus en plus être un vol ? Aucune source de lumière n’était visible. Alors qu’il s’interrogeait et se trouvait une fois de plus entraîné par le flux de ses pensées, son attention se trouva diminuée d’autant. Ce fut ce moment que choisit l’inconnu pour lui asséner un magistral coup de pied dans l’entrejambe, le faisant lâcher un cri et se plier en deux sous l’effet de la douleur. Cependant, ses cours au temple l’avaient habitué à de tels traitements et il surmonta rapidement le handicap. Se fiant aux bruits, il réagit trop vite au gré de l’assaillant. Il lui sauta dessus à l’aveuglette, l’écrasant de sa masse. L’intrus se révélait frêle en comparaison du moine. Le choc semblait même l’avoir assommé.

Tulvarn vérifia à tâtons l’état du visiteur inconnu. Lorsqu’il fut suffisamment convaincu de son inconscience, il se releva en prenant soin d’aller vers la porte pour en bloquer l’accès. Une lumière inonda alors subitement la pièce, le faisant grimacer alors qu’il fermait les yeux sous l’effet de l’éblouissement soudain.

— Que se passe-t-il ? interrogea alors Jiliern, réveillée par le bruit de la chute récente des deux corps mâles.

— Ceci ! répondit Tulvarn en pointant du doigt gauche le corps inanimé d’un Vélien de petit gabarit revêtu d’une toge gris sombre.

— Oh ! Que fait-il ici ?

— Il tentait de vous voler, répondit le moine en montrant un sac à terre près de l’intrus.

— Par le Grand Satchan ! Mais pourquoi ? Personne ne m’a jamais rien volé.

— Il y a un début à tout. Vos cristaux peuvent attirer certaines convoitises, je suppose, poursuivit Tulvarn en s’approchant du sac pour l’ouvrir avant d’en disperser le contenu au sol. Celui-ci révéla un ensemble de cristaux manifestement pris dans le meuble de la pièce.

— Ça alors ! Heureusement que vous étiez là ! Sans vous, il aurait été déjà loin lorsque j’aurais constaté les dégâts à mon réveil.

— Probablement, oui. Mais effectivement, il est tombé sur un imprévu, ou plus exactement, un imprévu de trop grosse taille lui est tombé dessus.

— Ha ! Ha ! Oui, ça en a bien l’air. Mais d’où sort-il ! Et qui est-il ? Est-il mort ?

— Non, il n’est pas mort. Et pour le reste, nous allons le lui demander lorsqu’il se réveillera.

— Pour le réveiller, j’ai ce qu’il faut, déclara Jiliern avant de se précipiter sur un des cristaux qui gisaient par terre. Elle le dirigea alors sur le front de l’évanoui et l’y déplaça circulairement une poignée de fois à un doigt de distance du cuir bleu foncé. À peine avait-elle achevé sa passe, les yeux de l’intrus s’animèrent avant de s’ouvrir tout d’un coup. Semblant réaliser où il se trouvait, son premier réflexe fut alors de bondir sur ses pieds pour s’enfuir. Mais Tulvarn bloquait l’entrée et il n’eut guère de mal à le saisir au collet avant de le soulever de terre.

— Pas si vie, mon lascar ! Tu nous dois d’abord quelques explications !

— Pitié, je n’ai rien fait !

— Ah oui ? Et ça c’est quoi ? demanda Tulvarn en désignant le sac sur la gauche du voleur.

— Un sac, on dirait, répondit celui-ci d’un ton feignant la surprise.

— J’ai l’impression qu’il se fout de nous, mentionna le moine à l’adresse de la Vélienne.

— C’est aussi mon impression. Mais j’ai aussi ce qu’il faut contre cette maladie, poursuivit-elle en saisissant un autre cristal. Laissez-moi faire ! Dans quelques instants, il en sera guéri.

— Quoi ? Qu’allez-vous me faire ? cria le voleur en se débattant vainement pour essayer de fuir. Laissez-moi !

— Pas question, jeune insouciant, poursuivit la cristallière. Tu vas par la même occasion me servir de guilimiu. Je n’ai encore trouvé personne qui veuille bien tenir ce rôle.

— Pitié ! Laissez-moi partir ! Je ne veux pas mourir !

— Allons ! Tu ne crois pas que tu en fais un peu trop ? Intervint Tulvarn ? Elle veut juste expérimenter sur toi ses cristaux guérisseurs. Et puis, tu ne vois pas qu’elle s’amuse ?

— Mais, je ne veux pas qu’on s’amuse à mes dépens !

— Penses-tu qu’elle voulait que tu la voles à ses dépens ?

— Mais voler, c’est mon métier !

— Ah oui ? Et c’est un beau métier ? Et amuseur cristallier, ça n’en est pas un beau ?

— Non, je ne connais pas ce métier. Et je ne veux pas servir de guilimiu !

— Alors comment penses-tu réparer ta tentative de vol ? demanda Jiliern. Crois-tu que je vais te laisser partir comme ça, pour que tu puisses facilement recommencer plus tard ?

— Mais, c’est mon métier ! Je ne sais rien faire d’autre. Il faut que je vole pour vivre !

— Eh bien, il va peut-être falloir songer maintenant à te reconvertir, car nous allons te signaler partout dans la région. Tu ne pourras plus rien y voler, car tout le monde sera sur ses gardes en ce qui te concerne.

— Pitié ! Pas ça ! Plutôt mourir !

— Ah, mais pas de problème, Tulvarn ici présent à ce qu’il faut pour ça, répondit la Vélienne amusée en pointant sa main droite vers le sabre du moine.

— Non, pardon ! Pitié, je ne voulais pas dire ça ! Je ne veux pas mourir non plus !

— Il faudrait savoir, poursuivit la femme. Bon ! alors tu vas me servir de guilimiu !

— Vous ne pourriez pas plutôt chasser les vrais ? Il y en a plein dehors !

— Eux ne sont pas en mauvaise santé.

— Mais, je ne le suis pas non plus !

— Si ! tu voles les gens. C’est une grave maladie, ça !

— Non ! C’est mon métier ! Ce n’est pas une maladie, s’offusqua l’intrus en geignant.

— Les métiers ne font pas de tort aux gens. Voler leur nuit au contraire fortement.

— Et vous servir de guilimiu, vous croyez que ça ne va pas me faire de tort ?

— Bon ! Assez joué maintenant ! intervint Tulvarn qui commençait à trouver l’échange stérile. Que comptes-tu faire pour éviter de nous nuire à l’avenir ?

— Voler pour vous ?

— Tu trouves ça intelligent, alors qu’on vient de te parler de la nocivité du vol ?

— Pourquoi nocif, puisque ça me permet de vivre ?

— Et les autres ? Ceux que tu voles ? Ce n’est pas nocif pour eux ? D’où sors-tu ?

— Comment ça, sieur Tulvarn, d’où je sors ?

— D’où viens-tu pour ne pas connaître les torts causés par le vol ? Ou bien tu le fais exprès et tu te fous vraiment de nous ? Penses-tu que la patience d’un moine est à toute épreuve ?

— Non, sieur Tulvarn, je n’oserais pas.

— Ouais, j’ai du mal à te croire, vois-tu ? Un voleur est souvent quelqu’un de rusé, de roublard… et tu pourrais très bien t’efforcer de sauver ta peau en te jouant de nous. Trêve de bavardages ! Je vais t’offrir une occasion de te racheter. Jiliern et moi-même allons bientôt partir à la recherche d’une mystérieuse relique et tes aptitudes spéciales pourraient nous être utiles.

— Une relique ? interrogea le voleur avec une étincelle d’intérêt dans les yeux. Quelle relique ?

— Tu as peu de chances de la connaître. Même mon maître n’en sait presque rien.

— Dites toujours !

— Le Tétralogue.

— Hum, jamais entendu parler, répondit le voleur quelque peu déçu. Comment savoir ce qu’elle vaut alors ?

— Je ne m’occupe pas de savoir ce qu’elle vaut. La seule chose qui me préoccupe est de devoir la trouver. Alors, veux-tu nous aider à la trouver ? Oui ? Ou non ?

— Qu’est-ce que j’y gagnerais si je ne sais pas ce qu’elle vaut ?

— Tu y gagneras au moins de ne pas être montré du doigt dans tout le pays.

— Je pourrais toujours changer de pays.

— Ta réputation t’y suivrait. Plusieurs ici s’arrangeraient très bien pour ça. Ne cherche pas toujours ce que tu pourrais gagner. Si tu veux un conseil amical, cherche plutôt ce que tu pourrais apporter de mieux. Tu verras que c’est bien plus gratifiant que ce qu’un vol peut procurer.

— … Je ne sais pas. J’ai des doutes.

— Nous avons tous des doutes. Moi-même j’ai de gros doutes. Pour commencer, j’ignore si cette relique existe vraiment. Mais veux-tu tenter l’aventure avec nous ? Pour une fois, tes compétences pourraient servir un but plus noble.

— Qu’est-ce qui me garantit que votre but est noble, d’abord ?

— Rien ! Je pourrais même être un faux moine, tant qu’à y être. À qui ou à quoi fais-tu confiance d’habitude dans la vie ?

— Euh… Je ne sais pas… Je n’ai confiance en personne, en fait.

— Oui, c’est un peu compréhensible de la part de quelqu’un qui a érigé le vol en art de vivre. Confiance en quelque chose, malgré tout ?

— Maintenant que vous posez la question, sieur Tulvarn, oui, il y a une chose en laquelle j’ai confiance : mon habileté.

— Bon, c’est un début. Et cesse-donc de m’appeler « sieur », s’il te plaît. Comment te nommes-tu d’ailleurs ?

— Gnomil, sieur Tulvarn. Oups ! Pardon, Votre Éminence.

— Non ! « Tulvarn », simplement ! Un moine n’a rien d’éminent. Du moins à part peut-être lorsqu’il devient maître. Et je suis loin de l’être.

— D’accord… Tulvarn, répondit Gnomil avec une certaine difficulté. Il n’était pas habitué à s’adresser ainsi à un moine. Pour lui, les moines représentaient des personnes vraiment spéciales.

— Tu t’y feras, tu verras, du moins si tu acceptes ma proposition. Alors ?…

— D’accord. J’accepte de vous accompagner. J’espère ne pas m’en mordre les doigts et que cette relique existe bien.

— Bien, alors comme nous devons encore rester ici quelques jours, le temps que Jiliern se rétablisse suffisamment de sa blessure, tu as peut-être le temps de passer chez toi. Tu pourrais y chercher ce qui te serait utile. Habites-tu loin ?

— Non, à seulement quelques heures de marche.

— Nous attendrons ton retour. Au cas où tu nous fausserais compagnie, nous saurions avertir rapidement les gens du danger que tu représentes pour eux.

— Oui, je n’en doute pas. Mais n’ayez crainte… Tulvarn. Je vous donne ma parole.

— Hum ! intervint Jiliern, je me demande dans quelle mesure on peut faire confiance en la parole d’un voleur.

— Tenez, Madame Jiliern ! Est-ce que ça peut vous aider à me croire, répondit Gnomil en sortant quelque chose de sa toge à la hauteur de son torse (il s’agissait d’un petit cylindre métallique gravé de caractères et symboles inconnus. Il dépassait à peine de la paume de sa main). J’ai trouvé ça dans la maison d’un forgeron. Et je ne pense pas qu’il en soit l’artisan. Vous pourriez facilement l’échanger chez des érudits. Je le récupérerai à mon retour.

— Bon, d’accord ! finit par répondre la Vélienne seulement à demi convaincue. Allez-y Gnomil ! Nous attendrons votre retour avant de nous mettre en route. Je devrais être pleinement rétablie d’ici là. Au moins vous n’emportez pas mes précieux cristaux.

— Je serai normalement de retour d’ici deux jours si tout va bien.

— À bientôt, Gnomil, termina Tulvarn. J’espère que tu ne vas pas nous faire regretter de te laisser ainsi partir.

— Vous ne le regretterez pas. Vous m’avez trop accroché avec votre affaire de relique. Je suis un voleur, mais aussi très curieux.

Le jour commençait à se lever lorsque Gnomil sortit pour rentrer chez lui, laissant Tulvarn et Jiliern pensifs, toujours debout dans la cuisine.

(Suite : Le Tétralogue — Roman — Chapitre 5)




Le Tétralogue — Roman — Chapitre 3

[Voir :
Le Tétralogue — Roman — Prologue & Chapitre 1
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 2]

Par Joseph Stroberg

​3 — Soin urgent

Le chemin vers la demeure de Jiliern fut parcouru sans encombre. Elle habitait dans une modeste maison de pierres à plusieurs centaines de pas de Tilnern. Elle se sentait ainsi plus proche des lieux sauvages où elle devait rechercher les cristaux. La façade avant ne présentait que deux fenêtres et une porte en bois. La blessée se détacha de Tulvarn pour ouvrir cette dernière avant de rentrer et de lui demander de le suivre à l’intérieur. Ils se retrouvèrent dans une petite pièce équipée d’une simple table et d’un meuble accoté au mur qui leur faisait face. Les pierres des murs, la charpente de bois et les tuiles en terre cuite de la toiture étaient classiquement apparentes. Jiliern rangeait sa maigre vaisselle dans ce dernier sur l’étagère centrale, profitant de la place restante pour y stocker une grande variété de cristaux et de roches aux propriétés diverses. Elle vouait sa vie à ces derniers et n’entretenait qu’un rapport minimal avec la cuisine et les tâches ménagères. Sur la gauche de la cuisine se trouvait sa chambre et sur la droite, un garde-manger moyennement garni, surtout de fruits séchés et de conserves, ainsi qu’une pièce pour ses besoins corporels et d’hygiène.

— Votre demeure ressemble beaucoup à celle de mes parents, mentionna Tulvarn en s’approchant de la table.

— Oh ! vous savez, presque toutes celles du continent sont similaires, à quelques détails près, répondit Jiliern. Certaines, devant abriter des familles plus nombreuses, disposent de pièces plus grandes, mais rarement de davantage d’entre elles. Il paraît que sur les autres continents, elles peuvent être différentes, mais je n’y suis pas allée moi-même. La différence fondamentale entre les divers logis réside bien davantage dans leur mobilier, les artisans du bois se faisant une fierté d’apporter leur touche personnelle à leurs œuvres. Pour ceux de la pierre, il n’y a pas trente-six manières de construire des maisons solides qui peuvent franchir les siècles. Ceci explique leurs ressemblances.

— Je ne saurais dire, car j’ai vécu toute ma jeunesse sans sortir de mon village natal. Il a fallu le meurtre de mes parents pour m’en chasser. Je n’ai pas d’autre famille que mes relations au temple.

— Eh bien, je ne suis pas loin d’être dans la même situation que vous. Je n’ai qu’un lointain cousin qui réside sur le continent Gworni. Je ne l’ai jamais vu.

— Que sont devenus vos parents ? Vous n’avez pas non plus de frères et de sœurs ?

— Ils sont tous morts lors de l’épidémie de zeldis.

— Oh ! vous m’en voyez navré !

— Personne n’y peut rien. Ils sont dans un monde meilleur maintenant, s’il a plu au Grand Satchan.

— Soyez sûr que ça lui plaît toujours. Mon maître nous a souvent dit qu’il n’existait aucune ségrégation à ce niveau. Le processus de la mort est universel et tout le monde passe par les mêmes étapes, même si la perception de ces dernières peut différer pour différentes raisons, notamment à cause des croyances préalables de l’individu.

— Et vous le croyez ? Comment pourrait-il en être si sûr ?

— Lui-même est revenu de la mort, et lui et quelques autres maîtres du temple savent communiquer avec les trépassés.

— Mais comment être sûr qu’ils racontent la vérité ? Ce pourrait être des histoires pour nous rassurer, non ?

— Je ne pense pas. Nous avons appris aussi divers moyens de reconnaître quelqu’un qui ment. Tout d’abord, il se trahit par des gestes particuliers, tels que des rictus dissymétriques du visage. Mais surtout, sa vibration change.

— Comment pouvez-vous reconnaître cette « vibration » ?

— C’est une lecture subtile de l’individu, « psychique » si vous voulez. Et nous l’avons éprouvée lors d’exercices en commun avec certaines personnes qui mentaient volontairement et d’autres qui disaient la vérité sur divers sujets. Nous sentons lorsque quelqu’un ment, à condition de faire le vide d’émotions et de pensées, afin que celles-ci n’interfèrent pas sur le résultat de la lecture. Autrement, nous pourrions ne pas accepter le verdict, si je puis dire, et par exemple trouver que quelqu’un ment parce qu’il nous déplaît, engendre en nous des sentiments négatifs, alors qu’il dit la vérité. Et inversement, nous pourrions accorder du crédit à quelqu’un qui nous plaît alors qu’il ment manifestement et que nous le sentons bien. Nous tendons alors à nous baser sur les perceptions émotionnelles au lieu des plus subtiles et bien plus fiables. Nous refusons d’écouter la sensation de mensonge au détriment du caractère agréable de la présence ou de l’allure de l’individu.

— Je comprends. Mais je ne saurais pour ma part comment faire pour repérer cette vibration.

— Cela s’apprend. Et je pourrais vous montrer si vous m’accompagniez dans mon voyage. En fait, la plupart des gens l’ont déjà fait, mais ne le réalisent pas. Et je suis presque sûr que vous-mêmes savez déjà repérer ainsi le mensonge. Seulement, vous n’en avez pas pris conscience, peut-être parce que vous avez laissé cela se noyer dans des émotions ou des pensées diverses.

— Je ne sais pas. Je veux bien vous croire.

— Il ne s’agit pas de me croire sur parole. Je pourrais vous raconter des histoires ou simplement le résultat de mes propres illusions.

— Ha ! Ha ! Oui, je vois. Nous sommes en plein dans le sujet : apprendre à discerner la vérité du mensonge.

— En effet, confirma Tulvarn en souriant.

— Pour revenir à des préoccupations plus concrètes, voulez-vous manger quelque chose ? Pour ma part, j’ai horriblement faim.

— Dans votre état, c’est normal. Vous devez reconstituer votre volume sanguin perdu. Mais avant tout, il vous faudrait boire. Pour répondre à votre question, je mangerais bien quelque chose en effet, sauf peut-être des abats de tulkarn.

— Ha ! Ha ! Un fin connaisseur. Vous savez ce qu’il vaut mieux éviter. Pour ce qui est de boire, oui, je n’y manquerai pas. J’ai également dramatiquement soif. Je vais chercher de l’eau au puits.

— Je vous accompagne. Vous êtes encore faible.

— Si vous y tenez. Mais c’est tout prêt. Il ne devrait pas m’arriver grand-chose en si peu de temps.

— On ne sait jamais. Ce qui vous a attaqué pourrait nous avoir suivis.

— C’est vrai. Je n’y pensais plus. Bon, venez dans ce cas. Je serai plus rassurée de vous avoir près de moi, le sabre prêt à servir.

— Bien, alors allons chercher cette eau !

Jiliern et Tulvarn sortirent aussitôt, apercevant en face d’eux Matronix partiellement visible sur l’horizon. Vivement éclairé par Dévonia qui se trouvait derrière eux, l’astre énorme était magnifique. Ils contournèrent la maison par la gauche pour se diriger vers le puits qui se trouvait derrière, à l’abri d’un grand arbre aux larges feuilles. Son feuillage avait la propriété de faire s’écouler l’eau vers la périphérie. Celle-ci s’infiltrait progressivement dans le sol et se trouvait plus tard récupérée par le large réseau de racines. Le tronc et les branches demeuraient secs en permanence, évitant ainsi plus facilement la présence de champignons parasites.

Le puits lui-même était alimenté par une nappe d’eau plus profonde en provenance de la montagne. Dès qu’ils furent à sa hauteur, Jiliern se saisit d’un seau au pied du puits et l’accrocha à la corde du moulinet. Quelques instants plus tard, alors que Tulvarn surveillait les alentours, elle remonta le seau plein, puis ils rentrèrent sans problème à la maison.

— Finalement, nous n’avons eu aucune mauvaise surprise, constata Jiliern soulagée.

— En effet, mais tant que nous ignorons ce qui vous a blessée, peut-être vaut-il mieux se montrer trop prudent que pas assez. Vous sentez-vous d’ailleurs capable de rester seule ici ensuite, lorsque je serai parti ?

— Hum, je crains que non, maintenant. Jamais je n’avais eu pareille mésaventure. Peu de bêtes agressives demeurent maintenant dans la vallée, la plupart d’entre elles ayant été chassées par la Horde. Mais ignorer quelle en est la cause de ma blessure me paraît plus effrayant. Je ne pourrais plus continuer à chercher les cristaux comme avant en pleine nuit. Et le faire en plein jour m’est plus difficile, comme je vous l’ai mentionné.

— Alors, que comptez-vous faire ? Préférez-vous vous joindre à moi dans ma folle entreprise dont rien ne dit qu’elle aboutira ?

— Quelle entreprise ?

— Je pars chercher une relique mystérieuse nommée le Tétralogue.

— Jamais entendu parler !

— Pas étonnant, malheureusement. Même mon maître ne sait presque rien du sujet, à part le fait qu’elle aurait appartenu à un Saint-Homme de Zénovia. Je ne sais rien de lui, absolument rien, à supposer qu’il ait effectivement vécu.

— Mais alors, pourquoi partir à la recherche de cette relique ?

— Parce que j’ai rêvé d’elle et que je sens que je dois la chercher.

— Vous agissez toujours en fonction de vos rêves ?

— Non, c’est la première fois.

— Pourquoi seulement cette fois-ci ?

— Ce rêve était vraiment spécial. Je ne peux pas facilement expliquer en quoi. Son intensité. Son caractère très réel. Son étrangeté… Et son message. Je dois y aller ! Je n’aurai pas de repos tant que je n’aurai pas trouvé la relique.

— Eh bien, j’espère pour vous qu’elle existe !

— Je l’espère aussi. Maintenant que vous en savez un peu plus, je réitère ma question : voulez-vous vous joindre à moi ou préférez-vous rester ici ?

— En temps ordinaire, je vous aurais certainement répondu par la négative. Mais vous m’avez pratiquement sauvé la vie et j’ai désormais peur de rester seule ici.

— Vous ne connaissez personne au village qui pourrait vous aider ?

— Oui et non. Je connais presque tous les villageois, oui, car il est petit : quelques centaines d’habitants. Mais j’ai toujours été un peu marginale ici, n’en étant pas originaire et pratiquant un métier qui ne favorise pas l’intégration.

— Pourtant vos cristaux semblent prisés ?

— Les peaux de la Horde aussi, si on va par là. Mais ce n’est pas suffisant pour lier des relations profondes. Il faut quelque chose d’autre que je n’ai pas su trouver. Je me sens toujours comme une étrangère. Et les villageois le sentent aussi, même si par ailleurs ils sont très gentils. Alors, je dois être aussi folle que votre projet, car je vais vous suivre.

— Cela vous paraît plus facile de vous intégrer à un moine ? interrogea Tulvarn avec une pointe d’amusement dans la voix.

— Ha ! Ha ! Ha ! Vous ne manquez pas d’humour. Sérieusement, ce sera certainement plus facile pour moi de m’adapter à votre présence qu’à Tilnern.

— J’ose l’espérer, sinon vous risquez de regretter votre décision. En attendant, il vaut mieux que votre blessure soit suffisamment guérie avant de nous mettre en route.

— Oh pour ça, je vais accélérer le processus en utilisant un de mes cristaux de guérison, une teclonite dont la propriété est d’accélérer grandement la cicatrisation et la régénération des tissus lésés. En quelques heures de traitement, je devrais être de nouveau capable de marcher sans boiter.

— Alors, je vous laisse procéder. Et si vous n’y voyez pas d’inconvénient, je vais me reposer.

— Allez-y ! Vous pouvez vous allonger sur mon lit dans la chambre. Ce sera plus confortable que par terre ou que sur cette chaise.

— Merci, répondit Tulvarn en se dirigeant tranquillement vers la chambre.

Jiliern resta seule dans la pièce principale et alla chercher sa teclonite dans le meuble, avant de la déplacer à un pouce de sa blessure en suivant des mouvements apparemment aléatoires. En réalité, elle dessinait un motif complexe lié à ses méridiens énergétiques, ses vaisseaux sanguins principaux et les nerfs dont elle connaissait instinctivement la localisation précise. C’était inné chez elle, comme pour sa perception des roches et des cristaux, même si elle ignorait pourquoi.

(Suite : Le Tétralogue — Roman — Chapitre 4)




Le Tétralogue — Roman — Chapitre 2

Par Joseph Stroberg

[Voir Le Tétralogue — Roman — Prologue & Chapitre 1]

​2 — Vers l’aventure

En l’absence de Matronix, la nuit était noire et fraîche. Comme sur de nombreuses autres planètes de la galaxie, les animaux nocturnes emplissaient l’air de leurs cris ou de leurs chants variés. Le torrent situé à moins d’une centaine de pas de l’abri portable ajoutait sa touche fluide à l’ensemble. Tulvarn dormait paisiblement, inconscient de ce qui se passait à l’extérieur de son minuscule havre de fortune. Pourtant, une forme sombre en approchait. Un humanoïde avançait doucement en semblant traîner la jambe. Dans l’obscurité, sa présence était à peine discernable à seulement quelques pas de distance. Seuls les distirns velus, habitués à chasser la nuit et dotés d’yeux amplificateurs de lumière, auraient pu en faire leur repas. Mais ils ne vivaient pas sur ce continent, ni d’ailleurs dans les régions montagneuses.

Lentement, mais implacablement, l’ombre approchait. Elle marchait silencieusement sur l’herbe humide. Elle n’était plus qu’à quelques pas de l’abri lorsqu’elle posa malencontreusement le pied sur une brindille qui risquait de révéler sa présence. Mais le dormeur ne sembla pas s’en trouver le moins du monde perturbé. Il continua à dormir d’un sommeil profond. Cela permit à l’ombre de s’approcher jusqu’à l’ouverture et, après quelques tâtonnements, d’en tirer la glissière pour l’ouvrir. L’intrus plaqua fermement sa main droite sur la bouche du dormeur, puis le secoua rudement de l’autre main.

— S’il vous plaît ! Réveillez-vous ! chuchota alors la Vélienne, car il s’agissait d’une femme. Mais le dormeur demeurait inébranlable tandis qu’il poursuivait son sommeil.

— S’il vous plaît ! Réveillez-vous ! répéta-t-elle doucement.

Désorienté, Tulvarn émargea lentement du sommeil. Il ne réalisa pas immédiatement qu’on lui appuyait sur la bouche, ni même qu’on lui parlait. Après quelques instants, il commença à prendre conscience de son environnement et de la menace. Son premier réflexe fut de prendre son sabre, mais celui-ci était dans le fourreau partiellement coincé sous son corps. Voulant se lever, il se rappela qu’il se trouvait dans l’abri et qu’il pouvait à peine s’y mouvoir. Ne pouvant parler, il tenta de prendre la main qui lui appuyait sur la bouche, mais celle-ci s’y fit plus ferme, en même temps qu’il entendit une voix féminine lui adresser les propos suivants :

— Doucement ! S’il vous plaît, aidez-moi.

— Mmmmm… ne put que répondre Tulvarn qui avait toujours la bouche fermée par la main étrangère.

— Oh ! Excusez-moi, répondit la femme en enlevant sa main. Je devais éviter que vous fassiez du bruit. Nous sommes peut-être en danger. J’ai été blessée à la jambe par quelque chose. J’ai besoin de votre aide. Si vous acceptez, il vous faudra d’abord sortir de votre actuelle prison.

— Prison ? Ce n’est pas une prison !

— Vous trouvez ? Si j’avais été mal intentionnée, vous y seriez mort à l’heure qu’il est.

— Hum. Je dois avouer que vous avez probablement raison. Comment n’ai-je pas été plus prudent ?!

— Peut-être êtes-vous trop confiant ? Mais trêve de bavardages ! J’ai besoin de votre aide. Je ne peux me soigner seule ni rentrer chez moi.

— Vous soigner ? J’ai bien eu quelques notions de soin lors de mes leçons de survie, mais je doute que ce soit suffisant ici, car je n’ai pas de matériel pour cela. On nous a enseigné à tirer parti de ce que nous trouvions dans la nature et ça risque de prendre du temps. Est-ce que vous saignez ?

— Oui, et même un peu trop à mon goût !

— Nous ne voyons rien ici, il va falloir se risquer à faire du feu, en espérant que ce qui vous a blessé ne traîne pas dans le coin. Mais d’abord, si vous le permettez, je dois sortir de là-dedans.

— D’accord, dit la Vélienne en se reculant.

— Bien ! Maintenant que c’est fait, reprit Tulvarn après s’être extrait de l’abri, prenons les quelques morceaux de bois mort que j’avais repérés avant de me coucher. Il va seulement falloir tâtonner pour les trouver. Ils ne doivent pas être loin, légèrement sur la gauche. Laissez-moi faire. Vous devriez maintenant éviter le plus possible de bouger, tant que nous n’aurons pas fait un pansement.

— Entendu, mais faites vite, s’il vous plaît. Je me sens de plus en plus faible.

— Ce ne devrait pas être très long, la rassura Tulvarn avant de s’éloigner. Essayez seulement de maintenir la pression sur la veine proche de votre blessure.

Il trouva le combustible convoité assez rapidement aux environs de l’endroit ciblé, puis revint faire du feu près de la Vélienne et de l’abri. À cette fin, il avait emporté un petit allumeur basé sur un curieux effet de certains cristaux et fabriqué par un habile artisan d’un village environnant dont il avait oublié le nom. Les vives étincelles obtenues par l’allumeur permirent d’enflammer rapidement les morceaux de bois et au moine d’apercevoir enfin le visage de l’inconnue. Les traits réguliers et assez fins, elle lui paraissait plutôt jolie et plus jeune que lui de quelques cycles. Sous le faible éclairage, le cuir de son crâne luisait comme si elle l’avait couvert d’une substance huileuse. C’était l’indication qu’elle passait probablement beaucoup de temps dehors sous les rayons de Dévonia, auquel cas il devait être plus pâle. La femme était assise et revêtue d’un simple pagne clair dont il ne parvenait pas à distinguer la couleur. Ses quatre mamelles coniques et fermes étaient visibles et ne portaient pas la marque d’allaitement, ce qui indiquait qu’elle n’avait probablement pas encore eu d’enfants. Ceux-ci venaient au monde généralement par quatre, dans des œufs dont l’éclosion n’intervenait pas avant trois révolutions de Veguil autour de Matronix. Le pagne était couvert de sang au niveau de la cuisse gauche, là ou la femme maintenait sa main fermement appuyée. Tulvarn le souleva délicatement pour mettre en évidence la blessure dont le sang continuait à couler à flot continu et bien trop important pour que l’inconnue survive longtemps. Il fouilla rapidement dans son sac à portée de mains près de l’abri et en retira un des vêtements de rechange. Il le déchira en deux puis l’enroula sur lui-même avant de s’en servir pour faire un bandage compressif sur la plaie. Au moins, ça stopperait l’hémorragie ! La femme étouffa un cri de douleur, mais le remercia vivement avant de s’évanouir, basculant vers l’arrière. Il l’a retint pour lui éviter de se blesser à la tête et l’allongea par terre, cherchant dans le même temps comment la soigner mieux.

Alors que l’inconnue gisait toujours inconsciente, il réfléchissait à la meilleure chose qu’il pouvait faire maintenant. Et il ne trouvait rien d’autre que d’attendre la lumière de Dévonia. Celle-ci ne devrait pas tarder à se manifester. Il s’allongea donc par terre près de son abri, espérant qu’il ne tomberait pas d’eau au cours du reste de la nuit. Il sombra sans difficulté dans le sommeil, accompagnant ainsi la blessée dans les limbes oniriques.

Il ignorait combien de temps il avait dormi avant que la lumière matinale ne le réveille. Mais comme il se sentait plutôt reposé, cela devait faire un assez grand nombre d’heures. Sur Veguil, personne ne mesurait le temps de manière plus précise que celle basée sur les cycles apparents de Matronix et de Veguil, la journée visible étant divisée en quartiers, ceux-ci comptés chacun approximativement en heures galactiques standard, unité dont on avait depuis longtemps perdu la signification réelle. On se souvenait seulement qu’un quartier de jour représentait à peu près cinq de ces heures. Zénovia et la gloire de son empire étaient loin, très loin, presque complètement ravalées au rang de légendes.

Dès qu’il eut repris ses esprits, Tulvarn s’assura que la femme était toujours vivante avant de s’éloigner dans les environs à la recherche de baies sitjiennes. Celles-ci étaient connues pour leurs grands pouvoirs nutritifs et soignants. Avec cela, il devrait pouvoir la requinquer, de sorte qu’elle soit suffisamment forte pour repartir chez elle, au besoin avec son aide. Les herbes et les feuilles des buissons s’étaient couvertes de rosée à la faveur de la nuit. L’air sentait la fraîcheur et l’odeur de quelques essences végétales. À part l’inconnue, il n’y avait pas âme qui vive. Il ne semblait pas non plus y avoir de dangereux prédateurs, mais Tulvarn se tenait sur ses gardes, prêt à dégainer son sabre.

À quelques dizaines de pas, il trouva un buisson porteur des fameuses baies et s’empressa d’en cueillir plusieurs pleines poignées qu’il déposait au fur et à mesure sur l’autre moitié de sa pièce d’étoffe déchirée. Une fois suffisamment pourvu pour deux personnes, il referma le morceau de tissu autour des baies et termina par un nœud pour éviter d’en perdre en chemin, puis il se dirigea vers l’abri. Le plus délicat resterait à faire : réveiller la blessée, du moins si elle était toujours vivante, ce qu’il espérait.

Le trajet du retour fut rapide, alors que Dévonia était maintenant pleinement visible. La femme respirait toujours et il lui tapota délicatement le sommet du crâne dans l’espoir de la réveiller. Maintenant qu’il la voyait mieux, elle lui paraissait plus belle. Malgré son état de faiblesse et sa blessure, son visage reflétait douceur et paix. Il se demandait pourquoi elle s’était trouvée dans ce coin sauvage. Il se trouvait nettement à l’écart de Tilnern et des quelques bourgades environnantes. La vallée était vaste, presque entièrement entourée de montagnes. L’accès le plus facile s’y trouvait au sud-ouest. Les deux autres voies d’accès étaient des cols étroits, dont celui qu’il avait dû emprunter pour venir jusqu’ici.

Après quelques légères tapes qui ressemblaient plus à des caresses qu’à des coups, Tulvarn finit par obtenir une réaction de l’inconnue. Il lui tapota alors les joues pour stimuler d’autres nerfs et augmenter la probabilité de son réveil. Elle ouvrit enfin les yeux. Soulagé de la voir consciente, il l’interrogea :

— Comment vous sentez-vous ?

— … Bien. Du moins pas trop mal, même si je me sens toujours très faible et si la blessure de ma jambe se rappelle à moi. Cela pourrait être pire. Sans vous, je serais certainement morte à l’heure qu’il est. Merci.

— Pouvez-vous vous asseoir ?

— … Oui, répondit-elle simplement en le faisant péniblement.

— Tenez : mangez ceci pour vous redonner de l’énergie, lui conseilla Tulvarn en lui tendant une bonne poignée de baies sitjiennes.

— Merci, murmura-t-elle en prenant doucement les baies dans le creux de sa main gauche, puis saisissant délicatement l’une d’elles avec la droite.

— Comment vous appelez-vous ?

— Jiliern, répondit-elle dans un souffle entre deux bouchées.

— Eh bien, Jiliern, que faisiez-vous en pleine nuit dans ce coin isolé ?

— Je cherchais des cristaux. Je suis cristallière.

— Par ici ?

— Oui, il y a une grotte pas très loin et j’en ai déjà trouvé plusieurs dans quelques-unes de ses salles. Cette grotte est immense.

— Mais pourquoi en pleine nuit ? Vous ne pouvez rien voir, surtout dans une grotte !

— Je ne les cherche pas avec ma vue.

— Comment alors ?

— Par mes mains. Elles sentent les roches et je parviens ainsi à les différencier.

— Oh ! Mais ça ne vous empêcherait pas de tomber ni de heurter des parois rocheuses plus ou moins tranchantes.

— Si. Je sens non seulement la composition ou les propriétés des roches, mais aussi leur volume, l’espace qu’elles occupent.

— Vous ne croyez pas cependant que ce serait moins dangereux en pleine journée. Vous y verriez davantage, non ?

— Non. Cela me gênerait plutôt qu’autre chose. Je capte beaucoup mieux les pierres et les cristaux en pleine nuit, lorsque je n’y vois rien avec mes yeux.

— Quel genre de cristaux cherchiez-vous ?

— Des cristaux guérisseurs, pour les thérapeutes. Ils n’en ont jamais assez.

— Nous avons beau apprendre beaucoup de choses au temple, j’ignorais tout cela.

— Vous venez du temple ? Il est vrai que vous en portez une tenue.

— Oui, je suis encore apprenti. À mon âge, j’aurais dû déjà passer deux grades.

— Pourquoi ne l’avez-vous pas fait ?

— Je ne sais pas. Mon maître ne me l’a jamais proposé. Peut-être ne suis-je pas prêt. Ou pas assez doué ? Ou encore trop maladroit ? Je fais souvent des gaffes. Tiens, comme le fait que j’ai oublié de leur dire au revoir !

— En tout cas, vous avez été suffisamment adroit pour me sauver la vie !

— Je vous ai juste fait un bandage, rien d’autre !

— C’est énorme pour moi. Je vous suis redevable.

— Vous ne me devez rien. Un moine doit donner tout ce qu’il peut. S’il réclame quelque chose pour ce qu’il fait, ce n’est plus un don.

— Alors, c’est un peu comme les cristalliers. Nous ne demandons jamais rien pour les cristaux que nous offrons. Les gens nous donnent à manger et le gîte sans que nous leur réclamions. Ce n’est pas comme la Horde sauvage qui demande toujours un paiement pour son gibier et ses peaux.

— La Horde… Elle a tué mes parents !

— Comment ça ? J’ignorais que les membres de la Horde tuaient les gens.

— Eh bien, il y en a deux qui ont tué mes parents. Je m’en souviendrai toute ma vie !

— Êtes-vous sûr qu’ils faisaient partie de la Horde ?

— Ils en avaient l’apparence et s’en revendiquaient en tout cas.

— Est-ce suffisant pour conclure ?

— … Comment ça ?

— On ne vous apprend pas ça au temple ? À faire la différence entre l’apparence et la réalité derrière ?

— Euh… Si. Du moins, il me semble, oui.

— Pourquoi ne l’appliquez-vous pas à ce souvenir particulier ?

— Depuis le début, j’étais persuadé qu’il s’agissait bien de la Horde sauvage.

— C’est ce qu’on a voulu vous faire croire alors. Et si c’était deux membres de la guilde des assassins ?

— La guilde des assassins ? Je n’ai jamais entendu parler d’eux !

— Je commence à me demander ce qu’on vous apprend au temple.

— Je commence à me demander la même chose, figurez-vous, répondit-il avec consternation.

— Peut-être le saurez-vous un jour. Certains enseignements devraient avoir leur utilité, du moins c’est à espérer.

— J’espère, oui. Au moins une partie a été utile pour vous soigner.

— Oui, je dois le reconnaître, et c’est un très bon début.

— Dites-m’en plus sur ces assassins, si vous voulez bien. Pourquoi auraient-ils tué mes parents ?

— Ça, je l’ignore. Possédaient-ils quelque chose de valeur ? Un genre de trésor, par exemple ?

— Pas à ma connaissance. Ils passaient tout leur temps à planter des arbres et à soigner des plantes. Ils ne disposaient que d’une toute petite maison pratiquement vide. Nous mangions les fruits, les feuilles et les racines des plantes dont ils s’occupaient. Ils échangeaient le reste contre les rares vêtements dont nous avions besoin.

— C’est étrange alors. Les assassins ne tuent jamais gratuitement. Je veux dire : ils le font par contrat, toujours pour récupérer quelque chose de valeur ou au minimum pour empêcher à certains événements d’avoir lieu. Et dans votre cas, il n’y avait rien de spécial à récupérer. Et je ne vois pas ce qu’ils auraient pu chercher à empêcher… À moins que… Non, c’est absurde !

— Quoi ? Qu’est-ce qui est absurde ?

— Ce à quoi je pensais.

— Quoi donc ?

— Rien, je vous dis !

— Si ! Vous avez pensé à quelque chose ! Je suis curieux, trop curieux. J’aimerais savoir.

— C’est absurde, je vous dis. Ça n’a guère de sens. Ce n’est qu’une… qu’une vieille prophétie racontée parfois par les anciens aux visiteurs de Tilnern.

— Quelle prophétie ?

— Il est question d’un temple d’où viendrait le salut des Véliens par le biais d’un orphelin. Mais cette prophétie n’est que partielle. L’autre partie avait été confiée à un village dont nul chez nous ne sait le nom ni le lieu.

— Le salut contre quel danger ?

— Nous l’ignorons. La prophétie laisse seulement entendre que ça viendrait du ciel.

— En quoi cela pourrait-il me concerner, même si je suis orphelin et que je viens d’un temple ? Ça n’explique pas pourquoi mes parents ont été tués? Et si quelqu’un, venu par exemple de l’espace, avait voulu empêcher qu’elle se réalise, ce ne sont pas mes parents qu’ils auraient dû tuer, mais moi-même. Ceci en supposant qu’ils aient eu un moyen de deviner qu’un jour je serais recueilli dans un temple. Et puis non, c’est complètement absurde ! En tuant mes parents, c’était le meilleur moyen de me rendre orphelin !

— Effectivement, ça n’explique pas pourquoi vos parents ont été tués. Tout ce que je sais est que votre situation m’a soudainement rappelé cette prophétie. Le fait est que vous êtes orphelin et êtes un moine en provenance d’un temple. Vous devez donc avoir certaines capacités de combat défensif et peut-être que cela pourrait être utile contre quelque chose venant du ciel.

— Attendez ! Votre prophétie parle du salut des Véliens, pas juste de quelques villageois ! Je vois mal comment mes capacités pourraient nous sauver tous d’une telle menace. De plus, je suis encore trop maladroit dans bien des secteurs, trop étourdi, pas assez concentré.

— Vous vous sous-estimez peut-être.

— Non, je ne pense pas. Mon maître a bien vu les progrès qu’il me restait à accomplir, tellement certaines de mes lacunes sont visibles.

— Vous avez l’air de lui faire une grande confiance,

— Oui, et celle-ci me paraît méritée.

— Je ne le connais pas et ne peux donc en juger.

— Je comprends. Pour changer de sujet, comment vous sentez-vous maintenant ?

— Mieux. Ces fruits m’ont vraiment fait du bien. Je vous remercie.

— C’est inutile. Vous auriez certainement fait de même si les rôles avaient été inversés. Sur cette planète, je ne connais pas beaucoup de monde qui n’en aurait pas fait autant. Seuls ces mystérieux assassins peut-être ?

— Même eux ne tuent pas sans raison et ne laissent pas mourir un individu qui ne serait pas la cible d’un de leurs contrats. Ils ont leur code d’honneur, d’après ce que l’on dit.

— Il reste à savoir s’ils s’y tiennent toujours. Ou si certains d’entre eux ne l’ont pas abandonné. En attendant d’avoir peut-être un jour une réponse, vous sentez-vous assez forte pour que je vous raccompagne chez vous ? Vous n’auriez qu’à vous appuyer sur moi pour éviter d’avoir à trop le faire sur votre jambe blessée.

— Ça devrait pouvoir aller dans ces conditions. Encore merci.

— Ne me remerciez pas. Cela fait partie des tâches d’un moine. Allons-y, Jiliern !

(Suite : Le Tétralogue — Roman — Chapitre 3)




Le Tétralogue — Roman — Prologue & Chapitre 1

Le Tétralogue

Par Joseph Stroberg

Table des matières

  • ​ ​Prologue
  • ​ ​1 — Rêve décisif
  • ​ ​2 — Vers l’aventure
  • ​ ​3 — Soin urgent
  • ​ ​4 — Visite impromptue
  • ​ ​5 — Préparatifs
  • ​ ​6 — L’attente
  • ​ ​7 — Ultimes préparatifs
  • ​ ​8 — Disparition
  • ​ ​9 — Le survivant
  • ​ ​10 — Les traces
  • ​ ​11 — Le bazar
  • ​ ​12 — Casse-tête
  • ​ ​13 — Du feu à l’au-delà
  • ​ ​14 — Les larmes de la sorcière
  • ​ ​15 — Le gouffre
  • ​ ​16 — La survivante
  • ​ ​17 — Sorcellerie ?
  • ​ ​18 — Fin d’illusions
  • ​ ​19 — Secousses forestières
  • ​ ​20 — Blessures
  • ​ ​21 — L’éclipse
  • ​ ​22 — Disparition ?
  • ​ ​23 — Beltarn’il
  • ​ ​24 — Le port
  • ​ ​25 — Glisser sur l’océan
  • ​ ​26 — Sous l’eau
  • ​ ​27 — Étrange chair
  • ​ ​28 — Terre !
  • ​ ​29 — Fatigue fatale ?
  • ​ ​30 — Réveil brutal
  • ​ ​31 — Partie de chasse
  • ​ ​32 — Dans les limbes
  • ​ ​33 — Atterrissage
  • ​ ​34 — Les survivants
  • ​ ​35 — Vers la cité
  • ​ ​36 — Autour de la maudite
  • ​ ​37 — Dans la ville
  • ​ ​38 — Porte close
  • ​ ​39 — Le mort-vivant
  • ​ ​40 — L’archive
  • ​ ​41 — Vers le labyrinthe
  • ​ ​42 — Bientôt en vue des ruines ?
  • ​ ​43 — Pièges en vue ?
  • ​ ​44 — Grosse surprise
  • ​ ​45 — Combat mortel
  • ​ ​46 — Le mausolée
  • ​ ​47 — Le Tétralogue
  • ​ ​Épilogue

Ce livre est dédié à Michelle, Marielle, Marie-Thérèse, Marie-Diane,
Dominique, Philippe, Alain(s)
et tous les autres qui ont pu partager ou qui partagent encore
des moments de vie,
des pensées,
des sentiments,
leur espace
ou leur énergie
avec François, leur
fils, leur compagnon de route, leur frère ou leur ami.


Prologue

Le « Livre » n’avait pas de nom. Il était connu des Véliens simplement comme « Le Livre ». Le seul ennui avec cet ouvrage était son incomplétude. Au cours des âges, les érudits qui en avaient la garde en avaient perdu des morceaux. Dispersé en des myriades de tomes dans leurs bibliothèques, il ne recelait plus qu’une partie de la connaissance originelle de Veguil Matronix, la mère planète des Véliens. Certaines bibliothèques avaient été brûlées, d’autres avaient été pillées. Il ne restait maintenant, estimait-on, que le tiers des pages initiales.

La légende voulait que le Livre se soit écrit tout seul, en des temps tellement lointains précédant même l’arrivée des Zénoviens puis, bien sûr, leur disparition avec la fin de leur empire. Néanmoins, certains Véliens, plus particulièrement parmi les moines guerriers, considéraient que le Livre avait été produit par le Grand Satchan lui-même, au lieu d’être le fruit d’une obscure magie.

Les pages du Livre résistaient à l’usure du temps. Elles résistaient à tout, sauf au feu. L’apparence du texte et des illustrations diversement colorées semblait inaltérable. Aussi loin que les souvenirs des érudits remontaient, il en avait toujours été ainsi. Personne ne savait vraiment pourquoi il était vulnérable au feu, seulement à lui, mais à rien d’autre. Oh ! bien sûr des hypothèses avaient été émises. Certains sages y voyaient là la représentation de la vie dans la matière : rien n’y était absolument parfait ; tout présentait des limitations, des défauts ou des faiblesses.

Le fait le plus étrange concernant le Livre était que des pages s’y ajoutaient inexplicablement, et que le texte pouvait changer plus ou moins radicalement dans celles qui existaient déjà. Peu importait le tome considéré, peu importait la bibliothèque qui contenait ce dernier. Le texte et les illustrations du Livre s’adaptaient aux changements vécus par Veguil et les Véliens. L’Histoire entière de l’invasion, de la colonisation, puis du retrait zénoviens s’y trouvait ainsi rapportée, répartie entre différents volumes. Du moins, il y demeurait les passages qui n’avaient pas brûlé. Une partie de cette histoire était irrémédiablement perdue. Les livres et les textes détruits ne se régénéraient pas.

Il restait suffisamment de matière, suffisamment de connaissances dans les tomes intacts du Livre que les Véliens conservaient depuis des éons pour maintenir le savoir-faire de leurs ancêtres, des plus lointains aux plus récents. Leur civilisation d’artisans survivait ainsi depuis des centaines de milliers de cycles. Elle avait vu passer les Zénoviens. Elle ne s’éteindrait pas demain.

Si l’un des Véliens découvrait une nouvelle manière de fendre le bois ou de travailler le métal, dans la même journée celle-ci se voyait inscrite dans le Livre, quelque part sur Zénovia. Du moins, c’était ce que croyaient les érudits, sur la base des constats précédents rapportés par leurs ancêtres. Aucun d’eux n’avait cependant jusqu’à maintenant pu observer directement le phénomène. Ils ne pouvaient se fier qu’à leur mémoire, et celle-ci était généralement fiable. Certains érudits parvenaient à mémoriser le contenu de dizaines de tomes du Livre. Quoi qu’il en fut, cela confortait à la fois ceux qui pensaient que celui-ci s’était écrit tout seul autant que ceux qui pensaient qu’on le devait au contraire au Grand Satchan.

L’Histoire qui suit est tirée du Livre, reconstituée à partir de ses pages qui subsistent encore.


1 — Rêve décisif

— Maître, puis-je vous entretenir de mon dernier rêve ? Il est vraiment étrange, interrogea Tulvarn alors qu’il pénétrait dans la Retraite de Ynil, la salle exiguë et austère du temple réservée aux entretiens privés.

Son maître était assis sur l’un des deux seuls sièges tripodes du lieu. Leur forme était parfaitement adaptée au squelette trapu des Véliens.

— Oui, Tulvarn, assieds-toi et raconte donc ce rêve qui semble te perturber, répondit simplement le vieux moine Nignel, revêtu d’une toge de toile blanchâtre qui couvrait seulement son tronc jusqu’au niveau du bassin. Le cuir bleuté et luisant du reste de son corps demeurait visible. Tulvarn était couvert quant à lui de la tête aux pieds, son accoutrement de tissu noir disposant seulement d’ouvertures pour les mains, les yeux et la bouche. La raison n’était pas à rechercher dans une plus grande frilosité de l’apprenti que dans le respect du protocole du temple, car seuls les maîtres avaient la prérogative de leur léger vêtement, symbolisant ainsi leur plus grande libération des chaînes de la matière. Tulvarn, lui, n’avait que le premier grade parmi les aspirants du lieu, même si cela faisait maintenant presque vingt cycles qu’il se trouvait ici. Recueilli dans sa jeunesse après l’assassinat de ses parents par la Horde sauvage, il y avait trouvé une seconde famille.

— Je me trouvais dans une vaste construction soutenue par un millier de piliers disposés en quadrillage de trente-trois lignes sur trente perpendiculaires. Au milieu se trouvait un bassin surmonté d’une fontaine éternelle. Il était soutenu par neuf petits piliers disposés en carré sur trois lignes. De la liqueur de Sidarth en sortait sans fin, produisant des bulles irisées qui dansaient à la surface.

— Intéressant ! Continue, s’il te plaît.

— Je me dirigeais vers la fontaine, tentant d’y boire pour étancher une soif de plus en plus insupportable, mais un oiseau géant aux plumes dorées est rapidement descendu du ciel pour s’interposer et m’avertir…

— De quoi ?

— Que ce n’était pas cette fontaine qui pourrait combler ma soif, mais que seul ce Tétralogue le pourrait. C’est tout. Je me suis ensuite réveillé. J’ignore totalement ce que peut bien être ce Tétralogue.

— Seule une ancienne légende en parle. Il s’agirait d’une relique mystérieuse ayant appartenu à un Saint-Homme originaire de Zénovia et qui se serait exilé ici sur Veguil. Nul ne sait où elle se trouve ni même si elle existe vraiment.

— Me voilà bien avancé ! Comment pourrais-je trouver quelque chose qui n’existe peut-être même pas ? Et d’abord devrais-je chercher à le faire ?

— Tout dépend de ta soif, peut-être. Éprouves-tu un genre de soif ?

— … hum ! Sans doute, oui, mais ça n’a rien à voir avec des liquides !

— Mais encore ?

— Eh bien, Maître, pour tout dire, j’ai soif d’aventures. Et je pense que j’irais bien chercher cette relique… si elle existe. Mais j’ignore alors par où commencer. Ce rêve ne m’éclaire pas du tout. Que peut-il signifier d’autre ?

— D’après toi ? Que peuvent bien par exemple signifier les 999 piliers ?

— 999 ?

— 33 multipliés par 30, plus les neuf petits piliers.

— Oh ! Je n’y avais pas pensé ! 999 ? Il manque un pour faire mille ?

— Et… ?

— La fontaine pourrait-elle remplacer le pilier manquant ?

— Peut-elle remplacer un pilier ?

— Non, je ne pense pas, Maître.

— Si tu penses qu’il aurait dû y avoir mille piliers, pourquoi mille et qu’est-ce qui devrait remplacer celui qui manque ?

— Mille, eh bien, c’est comme l’exaltation de l’unité, Maître.

— Mais encore ?

— Cela représente dix multiplié par dix et encore multiplié par dix.

— Ce qui pourrait symboliser quoi ?

— Je l’ignore.

— Laisse venir ton intuition, Tulvarn. Écoute-la.

— Ce n’est pas facile, Maître.

— Quel est le mérite lorsque c’est trop facile ? Que te suggère ton intuition ? Quelles images te viennent spontanément à l’esprit ?

— Trente-trois par trente, c’est un rectangle. C’est plat. Et au centre de ce rectangle, il y avait un carré de trois par trois petits piliers. C’est également plat. Dix par dix par dix, c’est un cube, un volume. Ça représente une dimension supérieure. « Un » c’est l’unité physique. « Dix », l’unité astrale ? Est-ce cela, Maître ? Qu’en pensez-vous ?

— Ce qui compte, Tulvarn, n’est pas ce que je pense, mais ce qui te parle. Ce n’est pas la première fois que je te le mentionne. Est-ce que ce que tu viens de suggérer te parle ?

— Oui, Maître.

— Alors, continue, si tu veux bien.

— Cent, ou dix par dix, c’est l’unité sur le plan mental. Et mille… l’unité sur le plan de l’âme ?

— Et dans ce cas ?

— Il manque un pilier pour accéder à la dimension de l’âme. Se pourrait-il que la relique soit ce pilier ?

— Le crois-tu vraiment ? Cette relique n’a encore jamais été trouvée et pourtant il semble bien que certains sages soient parvenus déjà à cette dimension.

— Hum ! Oui… Je vois. Ou plutôt non, je ne vois pas ce que vient faire la relique ici dans ce cas.

— Es-tu sûr ?

— Bon, je récapitule. Il manque un pilier pour accéder à la dimension de l’âme, et je dois partir chercher ce Tétralogue. Est-ce que ce dernier me permettra de trouver le pilier ?

— Peut-être. Tu verras bien, si tu as l’intention de partir ainsi à l’aventure.

— Oui, je souhaite le faire, Maître.

— Alors Tulvarn, cher apprenti, je te souhaite bonne chance. Tu pourras toujours compter sur tes frères et sœurs moines pour t’aider sur ton chemin. Tu pourras aussi revenir ici quand le besoin s’en fera sentir. Tu y seras toujours chez toi.

— Merci, Maître, termina Tulvarn en se levant de son tripode pour se diriger vers la porte de la minuscule pièce.

À peine franchissait-il le seuil pour se retrouver dans un étroit couloir du temple, qu’il était assailli de mille images sur les dangers et les surprises qu’il pourrait rencontrer sur son parcours. Son imagination en ébullition lui montrait la Horde sauvage en train de le pourchasser par-delà les montagnes, des trondics hurleurs s’efforcer d’en faire leur repas, de larges rivières dans lesquelles il manquait se noyer, des lacs de lave qu’il devrait traverser sur d’étroits sentiers rocheux, des sols spongieux dont il devrait se méfier pour ne pas y finir étouffé, des serpents coraliens dont les éclats pouvaient transpercer son cuir comme s’il s’agissait d’une mince feuille de talès… Mais par-dessus tout, ce qui le fascina était la mythique cité de cristal qu’il devrait peut-être prendre le risque de traverser.

D’une démarche souple, malgré sa forme trapue capable de supporter la forte gravité de son monde, il se dirigea vers sa cellule pour y préparer son voyage. La tête encore pleine de visions terribles ou magnifiques, il entra dans la pièce étroite qui ne comportait qu’une couche posée à même le sol, un petit bureau ovale près du mur du fond, un placard dans le mur gauche, et un simple tripode sans le moindre dossier. Malgré les centaines de cycles écoulés depuis leur construction, les murs conservaient leur solidité et leur couleur originelle. Élaborés en lave vitrifiée rouge sombre, ils tendaient à assombrir l’endroit. La petite torche à huile attachée au mur droit parvenait à fournir un éclairage tout juste suffisant pour lire et écrire. Malgré sa modestie, la pièce représentait pour Tulvarn son temple dans le temple. La quitter, peut-être définitivement, lui procurait une sensation d’arrachement au niveau du cœur. Les pensées projetées dans l’avenir, il sentait déjà la nostalgie le gagner. Il avait beau être fait de l’étoffe des guerriers, le moine conservait la candeur et la sensibilité de sa jeunesse. Son maître lui avait pourtant maintes fois rappelé la relative fragilité représentée par de telles tendances s’il devait être amené à combattre comme le voulait généralement sa formation. D’un autre côté, il savait trop bien que la vie contribuerait certainement à lui durcir davantage le cuir, surtout maintenant qu’il allait se lancer dans une folle aventure. Était-il prêt ? Saurait-il affronter les défis qui se présenteraient sur sa route ? Même s’il avait reçu ici l’enseignement des techniques de combat les plus poussées, et exercé sur le terrain ses connaissances en matière de survie en milieu hostile, il ignorait s’il saurait faire face à tous les dangers. Pourtant, il partait confiant. Ce rêve ne lui avait pas été adressé pour rien. Bien sûr, il restait à déterminer s’il l’avait bien interprété. Il sentait que oui, au moins partiellement, mais peut-être se trompait-il.

Tulvarn se saisit d’un large sac à dos dans le placard et y emballa méticuleusement du linge de rechange, des rations de survie, et un minuscule abri portable. Il glissa sur la gauche de sa taille son sabre en lame de lumière, forgé aux temps lointains, et sur la droite le boîtier de commande du bouclier intégral portatif — avec ça, il serait paré pour faire face à de multiples situations, y compris l’absence de denrées alimentaires naturelles, telles que gibier et fruits, si jamais il devait traverser des régions désertiques. Et le Grand Satchan savait que Veguil en comportait un certain nombre, ceci sur chacun de ses quatre continents ! Le temple se situait sur le plus petit et le plus nordique d’entre eux, mais aussi le plus froid. Les déserts ici y étaient glacials, surtout la nuit, lorsque l’étoile centrale Dévonia, une géante bleue, était cachée à la vue. La lumière renvoyée par Matronix, la planète géante gazeuse autour de laquelle orbitait Veguil, était largement insuffisante pour compenser la nuit solaire et lorsque Matronix aussi était invisible, le froid se montrait encore plus intense et pénétrant — sans combinaison chauffante, on y gelait en moins d’une minute ! Et pour l’instant, Tulvarn n’en possédait pas. Dans l’état actuel des choses, il était donc hors de question qu’il se risque en ces lieux. De toute manière, quelles chances y avait-il de trouver réponses à sa quête en plein désert ?

Alors qu’il sortait, par la porte ouest, de l’enceinte du temple perché sur le flanc sud du mont Tadorn, Matronix était visible à l’Horizon — l’astre en occupait une bonne partie du ciel, ses nuages aux nuances bleues, grisâtres et rosées augmentaient le caractère majestueux de la scène. Dans le même temps, Dévonia se trouvait assez proche du zénith, vers le sud. La matinée était déjà bien avancée et Tulvarn hâta son pas sur le chemin caillouteux qui serpentait vers la vallée en contrebas sur sa gauche. À cette altitude de cinq mille six cents pas, la végétation était clairsemée, constituée essentiellement de petits buissons épineux et d’herbes courtes à feuilles luisantes, l’air était frais, malgré la présence de l’astre solaire, car l’hiver n’était pas terminé. Ce n’était peut-être pas la meilleure période pour partir en voyage, mais Tulvarn ressentait devoir partir maintenant, poussé inexplicablement dans cette direction plutôt qu’une autre. Alors qu’à son approche un serpent rouge filait se réfugier sous un tas de cailloux anguleux, il ignorait encore par où commencer sa quête de la relique. Cependant, comme lui avait enseigné maître Nignel, il essayait de suivre son intuition, ou au moins de se laisser guider par le « hasard » qui savait en général très bien ce qu’il faisait. En fait, il pensait alors que le Grand Satchan lui-même guiderait ses pas, mais peut-être était-ce bien présomptueux de sa part, alors qu’il n’était qu’un insignifiant bipède sur une planète quelconque de l’ancien empire zénovien. Certes, il s’agissait d’une planète tellurique plutôt massive, mais que représentait sa taille dans ce vaste univers ?

Veguil était depuis des éons une planète d’artisans, vouée à la création de meubles, poteries, verroteries, ustensiles, armes blanches et bijoux divers, grâce à ses ressources botaniques et minérales nombreuses et facilement accessibles, mais ses habitants n’avaient jamais développé eux-mêmes le moindre véhicule de transport, se satisfaisant de quelques puissants quadrupèdes pour les porter. Et comme Zénovia avait retiré les siens après l’abandon de ses colonies, Tulvarn, peu riche, devait s’en remettre à ses jambes pour se déplacer — il n’avait même pas les moyens de s’acheter ne serait-ce qu’un buldorg.

Les ressources alimentaires naturelles étaient suffisamment abondantes pour qu’aucune agriculture ne se soit développée. Tout au plus, certains autochtones semaient volontairement quelques graines ou noyaux de certains fruits dans l’éventualité assez fréquente où ils voudraient bien produire des arbres plus près de leur logis. Tulvarn se contenterait de ses rations de survie lorsqu’il serait loin du gibier et des végétaux comestibles, ce qui était d’ailleurs souvent le cas à ces hauteurs dans les montagnes. Mais même ici, il pouvait se nourrir : il disposait de serpents, d’insectes et de petits animaux poilus. Bien sûr, il n’en mangerait pas les écailles, les carapaces, les os, ni les poils, mais il lui resterait suffisamment pour survivre, sans avoir beaucoup d’efforts à faire en général. Il avait une dentition et des canines léonines suffisamment puissantes pour pouvoir manger même de la viande fraîche sans avoir besoin de la laisser préalablement faisander ni de la cuire. Dans des rivières ou des lacs, il pourrait même facilement pêcher à la main quelques animaux aquatiques souvent délicieux. Il avait des réflexes rapides, une grande vivacité de gestes et un regard perçant, en dépit de son squelette à grosse et dense ossature, et ses muscles étaient faits de fibres très élastiques et particulièrement résistantes, lui permettant au besoin de soulever quatre fois son propre poids et d’éjecter la masse à dix pas devant lui.

Alors qu’il marchait d’une allure soutenue avec le ravin sur sa gauche et le flanc montagneux sur sa droite, Tulvarn fut soudainement pris d’un doute : et si ce rêve ne signifiait en définitive rien ? S’il se lançait dans une aventure qui ne pourrait rien donner de bon ? Si cette relique n’était qu’une légende, un pur mythe sans le moindre fondement ? Ne s’épuiserait-il pas en vain ? Ne risquait-il pas bêtement la mort quelque part, ceci pour un simple mirage ? D’un autre côté, son maître ne l’aurait-il pas averti ? Non, en fait, il laissait ses apprentis libres de leurs choix, même si à leur demande il pouvait donner quelques conseils, ou plus exactement leur laisser entrevoir des conséquences possibles de leurs actes. Partir avait été le choix de Tulvarn. Il n’avait d’ailleurs aucunement envisagé les conséquences possibles lors de sa décision. Il s’en était simplement remis à son ressenti, même si ce dernier avait pu être abusé d’une manière ou d’une autre. Il avait pris ce risque sans se poser de questions. Cela avait-il été bien sage ? Rien n’était moins sûr ! Que ressentait-il maintenant ? À part le présent doute, il y avait toujours cette espèce de voix sourde en lui qui l’appelait vers le large, vers l’ailleurs du temple, vers le vaste inconnu. D’un certain point de vue, c’était pure folie, car il ne savait même pas si son objectif existait vraiment et il savait encore moins comment le trouver. D’un autre côté, chaque fois qu’il avait écouté cette voix, cela avait finalement conduit pour lui à quelque chose de bénéfique et il ne s’en était jamais mordu les doigts. Il lui en restait toujours le même nombre. De toute manière, qu’avait-il à perdre à part la vie ? Le contenu de son sac ? Ça ne valait pas grand-chose. Et puis même s’il perdait la vie… ce n’était pas la fin de tout. Par le Grand Satchan, il savait qu’il survivrait ailleurs, du moins que sa conscience survivrait, même s’il ignorait sous quelle forme, ou plutôt dans quelle forme, dans quel genre de corps. Alors, c’était décidé. Il ne se laisserait plus douter. Il devait poursuivre !

Le chemin avait commencé à se couvrir d’herbe au fur et à mesure de la longue descente serpentine. Il se trouvait maintenant à mi-distance, tourné cette fois vers l’est à la faveur d’un des nombreux lacets. La roche de la montagne était davantage couverte de végétation aux feuilles bleutées, parfois verdâtres, dont la hauteur n’excédait en général pas deux fois sa taille. Exceptionnellement, quelques arbres commençaient à être visibles çà et là dans son entourage immédiat, même s’il pouvait en apercevoir en bien plus grand nombre au loin.

Le temple était situé à l’écart de toute autre agglomération humaine et pour l’instant Tulvarn ne croisait pas âme qui vive en dehors d’animaux paisibles et de quelques autres en chasse. La plupart d’entre eux étaient dotés de l’épaisse fourrure qui leur permettait de résister aux rigueurs du climat lors de sa phase hivernale. En été, presque toutes les races poilues perdaient leurs longs poils pour une version plus courte. Mais le printemps n’était même pas commencé. Il le serait probablement d’ici quelques cycles ou peut-être même le jour prochain. La course des saisons sur Veguil était complexe et variable selon les années.

Les serpents et autres rares variétés à écailles profitaient de la lumière diurne pour se réchauffer et s’enfouissaient partiellement dans le sol lorsque la nuit tombait. Selon ce que Tulvarn en avait entendu dire, c’était un comportement assez commun sur de nombreuses planètes. Mais cela faisait bien longtemps que Veguil avait été visitée par des voyageurs en provenance d’autres mondes, au point que beaucoup d’indigènes commençaient à prendre toutes ces histoires extraplanétaires pour des légendes. Même l’existence de l’ancien empire zénovien colonisateur n’était souvent prise que pour une histoire destinée à faire peur aux enfants. Les érudits et les moines la prenaient cependant au sérieux, conservaient quelques extraits recopiés du Livre, et s’y rafraîchissaient occasionnellement la mémoire.

Alors qu’il poursuivait sa route d’une démarche ferme et décidée, Tulvarn réalisa soudain qu’il avait totalement oublié d’aller trouver une dernière fois ses collègues moines et les divers maîtres pour leur faire ses adieux ! Complètement focalisé sur son objectif, il avait négligé tout le reste ! Ce n’était pas la première fois que de telles maladresses lui arrivaient pour cause de se perdre dans ses pensées. Mais là, c’était le comble ! Seul le maître Nignel était au courant de son projet. Les autres ne le deviendraient progressivement que par la force des choses. Mais que pouvait-il y changer maintenant que le mal était fait ? Rien ! Il devait penser à autre chose ou chercher un moyen de se racheter si jamais il revenait un jour au temple.

Il devait poursuivre sa route et plutôt s’occuper des quelques animaux dangereux susceptibles de croiser son chemin. Dans ces montagnes, il n’y avait guère de risque d’en rencontrer, mais une fois dans la vallée ou dans les plaines de l’ouest, cela changerait radicalement. Il valait mieux qu’il s’y prépare physiquement et mentalement. Son sabre lumière serait insuffisant s’il n’avait pas le temps de s’en servir. Sa lame finement ciselée, convexe sur le bord tranchant, et légèrement bossue au tiers près du manche de l’autre bord, nécessitait un fourreau spécial. Elle était tellement tranchante, faite d’une matière lumineuse inconnue, qu’elle pouvait couper net toute arme de métal même le plus dur. Cependant, s’il se faisait surprendre par un prédateur rusé, il n’aurait pas le temps de la sortir. Il devait donc se préparer, affiner ses perceptions, demeurer vigilant dès que le paysage deviendrait plus dense et propice aux cachettes. Mais par-dessus tout, il devait stimuler son intuition, car c’est finalement elle qui serait sa meilleure alliée. À part elle, il devrait compter sur la chance ou sur le bouclier, à condition de l’avoir activé, ce qu’il devait réserver aux cas d’extrême urgence et danger, car sa durée de vie était limitée à moins d’une journée au total. Lui non plus, il ne savait pas d’où il venait — s’il avait été fabriqué un jour sur Veguil, le savoir-faire avait disparu. Le temple abritait certaines de ces merveilles et elles y resteraient tant qu’elles n’attireraient pas les convoitises; le mieux était d’éviter d’en parler.

Alors qu’il approchait de la vallée et que les trois derniers lacets étaient en vue, Tulvarn commençait plus sérieusement à chercher par où commencer sa quête de la relique. La journée avançait inexorablement, Dévonia étant à la moitié de sa chute vers l’ombre de la nuit, alors que Matronix était sur le point de disparaître sous l’horizon. Il n’aurait pas le temps d’atteindre Tilnern, le plus proche village, situé encore à plus d’une demi-journée de marche. Il devrait utiliser son abri portable pour passer la nuit dehors, si possible dans un endroit suffisamment sûr. En attendant, il devait se concentrer sur son objectif et le gros problème était que sa localisation n’était apparemment connue d’aucun Vélien. C’était comme s’il demandait à un chasseur de la Horde sauvage d’atteindre un drugnarn en plein vol, alors qu’aucun n’aurait été présent dans le ciel. Comment atteindre une cible qui était cachée ?

Parlant de drugnarns, il en observa plusieurs en formation serrée, dérivant lentement dans le ciel du côté nord sur sa droite. Ces animaux légers à peau élastique utilisaient les gaz chauds sous-produits de leur lente digestion pour gonfler une poche dorsale. Lorsque le volume de cette dernière était suffisamment rempli, elle donnait aux drugnarns l’apparence d’une boule sous laquelle étaient greffés quatre membres et une tête comparativement minuscules. Le gaz chaud leur permettait alors de s’élever naturellement dans les airs et de s’y laisser porter par les vents. Les drugnarns pouvaient ainsi dériver pendant des heures, voire des journées entières, ceci tant qu’ils n’ouvraient pas leur valve d’échappement pour laisser fuir les gaz ou tant que ceux-ci ne refroidissaient pas dangereusement. Dans la pratique, ces animaux timides redescendaient habituellement pour se nourrir de fruits et d’insectes ou pour dormir. Le reste du temps, ils le passaient ainsi dans le ciel. Leur drame était représenté par la Horde sauvage qui les chassait pour vendre ensuite leur peau dont on faisait notamment des vêtements spéciaux et des membranes pour caisses de résonance musicale.

Une fois de plus, Tulvarn s’était laissé distraire, cette fois par ces animaux volants. Son maître l’avait averti à maintes reprises de l’utilité de maîtriser davantage le flot de ses pensées. Il avait toujours autant de mal à le faire. Ce n’était pas faute d’essayer. Mais la moindre distraction était bonne pour le faire sortir de sa réflexion prioritaire. En l’occurrence, il s’était encore éloigné de sa principale préoccupation : trouver comment et où chercher la relique du Saint-Homme, ce mystérieux Tétralogue. Pour l’heure, il n’en avait pas la moindre idée. Devrait-il parcourir les quatre continents pour commencer à avoir un début d’indice ? Ce qui lui semblait sûr était le fait qu’il devrait très probablement interroger un grand nombre de Véliens partout où il se rendrait, ceci tant et aussi longtemps qu’il n’aurait pas obtenu un premier élément d’information suffisamment précis. Il gagnerait sans doute à commencer par interroger les sources de connaissance des villages, généralement les soigneurs, les herboristes et les cristalliers. Ces derniers fournissaient des cristaux de soin et des minéraux aux soigneurs. Les érudits étaient plus rares à trouver en dehors de deux ou trois villes par continent où ils se concentraient autour de vastes bibliothèques.

Quelques Véliens commençaient à être visibles ici et là, certains occupés à ramasser des fruits dans les arbres maintenant plus nombreux, d’autres à pêcher dans le torrent qui avait creusé la vallée, et d’autres encore à diverses activités dont certaines pouvaient lui paraître assez mystérieuses en absence de références adéquates. Il n’avait pratiquement pas quitté le temple depuis qu’il y avait été recueilli et il manquait quelque peu de connaissances sur la vie quotidienne des gens de la région. Les seuls étrangers au temple qu’il avait pu y apercevoir de temps à autre étaient des pèlerins de passage, dans leur pèlerinage vers le tombeau du prophète Lerdinn. Celui-ci était situé à plus d’une vingtaine de jours de marche en direction de l’est. S’il avait le moindre rapport avec le Tétralogue, il ignorait lequel. Et de toute manière, il était parti dans la direction opposée.

Parlant de tombeau, si Tulvarn commençait par chercher l’éventuelle sépulture du Saint-Homme à la relique ? Peut-être trouverait-il alors quelques rouleaux de parchemin contant la vie du saint ? Et ces derniers pouvaient contenir des informations relatives au Tétralogue. Dans ce cas, sachant sa nature, il serait peut-être plus facile de le localiser. Il trouvait que c’était une bonne idée. L’ennui était qu’il ignorait bien sûr où trouver l’éventuelle tombe, qu’elle soit dans un mausolée ou sur un simple terrain vague. Il en revenait toujours au même problème : l’absence totale de données sur cette relique et sur celui dont elle provenait. Et son maître n’en savait visiblement guère plus, à moins qu’il ait volontairement caché certains détails. Mais pourquoi l’aurait-il fait ? Quoi qu’il en fût, Tulvarn devait bien commencer quelque part, et une tombe pouvait être un début, s’il parvenait à rencontrer quelqu’un en ayant entendu parler. Cette personne pouvait aussi bien ne pas être érudite du tout, mais un simple artisan, ou même un pèlerin. Il ne devait négliger aucune source potentielle de renseignements.

Tulvarn était toujours plongé dans ses pensées lorsqu’il parvint en début de soirée dans la vallée elle-même. Tilnern était un peu plus loin, à moins d’une heure de marche, mais il préférait établir son campement à l’écart. Il avait réduit son allure vers la fin, car il commençait à ressentir la fatigue. De plus, il n’avait rien mangé et n’avait même pas songé à chasser ni à cueillir quelques fruits, ce qui fait qu’il devrait déjà puiser dans ses réserves. Alors qu’il cherchait du regard un endroit propice pour y poser son abri portable, il réalisait que ce n’était pas très malin de sa part d’avoir négligé de s’approvisionner.

Ayant trouvé ce qu’il cherchait près de trois arbres serrés, soit un terrain suffisamment plat et couvert, il sortit l’abri et le monta rapidement. Celui-ci était constitué de minces tiges métalliques droites disposées en étroit rectangle, de sorte à dépasser légèrement la taille de son corps allongé, et de deux autres tiges courbées, l’une du côté de la tête et l’autre des pieds. Le tout servait d’ossature à une toile cirée en forme de demi-cylindre. Celle-ci permettait de le recouvrir entièrement pendant son sommeil. Il devait s’y glisser par les pieds avant d’en refermer l’ouverture par glissière métallique. Pour respirer, il disposait de deux tubes en résine qui assuraient une circulation d’air tout en évitant en théorie à de l’eau de pluie de pouvoir entrer dans l’abri. L’un d’eux, situé assez près du sol, était recourbé et attaché par deux ficelles sur le haut d’une des tiges métalliques courbes, celle du côté de l’ouverture. L’autre, près du sommet de cette dernière, était court et dépassait simplement d’un pouce. Les deux pénétraient dans l’abri sur cette même distance et s’y trouvaient fixés sur la toile par une colle animale suffisamment résistante, souple et imperméable. Détail important : la cire imprégnée au tissu avait la propriété de couvrir son odeur corporelle et d’éviter la visite de prédateurs indésirables, du moins en principe. Tulvarn n’avait jamais vraiment cherché à savoir ce qu’il en était dans la pratique. Peut-être aurait-il dû s’en inquiéter davantage ?

Après avoir mangé rapidement deux de ses vingt rations de survie et adressé un bref salut au Grand Satchan, il se glissa dans l’abri et s’endormit dans les instants suivants. Savoir s’il aurait la visite d’un animal trop affamé ou simplement curieux, ou encore celle d’un orage peu amical ne pouvait plus le préoccuper ailleurs que dans ses prochains rêves.


(Suite : Le Tétralogue — Roman — Chapitre 2)




Une emprise sur l’Humanité

Éléments de réflexion

Par Joseph Stroberg

Hypothèses de base

Une intelligence non humaine dirige le bal.

Elle ne sera pas nommée ici, car elle a été qualifiée de différentes manières au cours des âges et selon les civilisations.

Elle établit des plans de longue haleine.

Elle est habituellement imperceptible aux sens humains ordinaires.

Conséquence immédiate pour l’être humain

Difficulté pour l’Homme d’envisager le fait ou l’hypothèse d’être victime de tels plans, en raison notamment d’une durée de vie individuelle bien plus courte et de son orgueil.

Objectifs de l’entité

Renverser l’Ordre cosmique naturel et démontrer que l’Homme n’est pas digne de son libre arbitre.

Méthodes utilisées

Toutes celles qui lui passent par l’équivalent de la tête humaine. La fin justifie les moyens.

Ce qui a déjà été mis en œuvre avec un relatif succès

Corruption de la conscience humaine et des créations de l’Humanité dans tous les domaines (religion, arts, philosophie, politique, commerce, éducation, etc.).

Remplacement du lien spirituel inné par un attachement de plus en plus fort à la matière, avec pour conséquence l’inversion des valeurs, une peur croissante de la mort, un vide intérieur croissant que les émotions extrêmes sont impuissantes à combler…

  • Être → Avoir
  • Synergie → Division
  • Organisation → Chaos
  • Sagesse → Stupidité
  • Amour → Haine
  • Foi → Peur
  • Humilité → Orgueil
  • Pardon → Vengeance
  • Charité → Égoïsme
  • Partage → Vol
  • Soin → Meurtre

Étapes déterminantes

Église (« assemblée de fidèles ») du Christ faite d’Hommes → Églises de pierres (à partir du sixième siècle)1

Lumière intérieure provenant de l’Esprit divin → Lumière extérieure provenant de la technoscience (à partir de la Révolution française, du siècle des « Lumières »)

Soins naturels (plantes, cristaux, chants, soleil, eaux thermales…) → « Soins » artificiels (médicaments pétrochimiques, radiations, inoculations « vaccinales » de poisons, etc. par Pasteur, Rockefeller et compagnie)2

La maladie comprise comme la conséquence du fait de s’écarter des lois naturelles ou divines, et/ou comme le résultat d’empoisonnements ou de mauvaise alimentation3 → La maladie attribuée à des germes minuscules (bactéries, virus…), parfois à des poisons, autrement à la « génétique ».4

Vie rurale proche de la nature → Vie citadine entourée de béton, artificielle par l’informatique et les machines électroniques, antisociale par les Réseaux « Sociaux ».

Alimentation naturelle issue de la pêche, de la chasse, de la cueillette et d’agriculture traditionnelle → Alimentation industrielle issue de l’agroalimentaire à base d’engrais chimiques, de pesticides, d’herbicides, de fongicides, d’additifs alimentaires divers, d’hormones de croissance, d’antibiotiques toxiques, de graisses artificielles (les margarines), de fausse viande, etc.

Contacts humains directs → Contacts virtuels par télégraphie, téléphonie, radio, télévision analogique, télévision numérique, Internet, téléphonie sans fil (Wi-Fi, Bluetooth, 2G, 3G, 4G, 5G…)5, masques, distanciation sociale, confinement…

Corps humain naturel doté éventuellement de prothèses extérieures (lunettes, béquille…) → Humain « augmenté » ou artificiel, transhumain, pucé…6

Décentralisation et souveraineté favorisées par la diversité des nations, des cultures et des croyances religieuses → Centralisation et asservissement favorisés par l’émergence d’une langue mondiale de communication (l’anglais), d’un modèle culturel dominant (hollywoodien) et d’une nouvelle forme de religion à l’extension désormais mondiale, le scientisme technologique. Cette religion a toutes les caractéristiques d’une religion dégradée : ses prêtres que sont les experts, ses inquisiteurs que sont les vérificateurs de faits médiatiques ; ses temples que sont les laboratoires et les salles de conférences ; ses doctrines et ses dogmes comme la théorie virale et le dogme vaccinal ; ses dieux et/ou ses saints que sont les prix Nobel, les Pasteur et autres Darwin ; ses miracles comme la réanimation cardiaque, le vol des avions plus lourds que l’air, la communication presque instantanée d’un bout à l’autre de la planète, etc. ; ses messes que sont les conférences « scientifiques » et les expositions technologiques ; ses rituels comme celui des virologues qui prétendent ainsi isoler des virus alors que leur méthode n’a rien de scientifique et ne démontre rien de tel ; et surtout plus de sept milliards de croyants qui croient en elle et en ses dogmes et doctrines, en la supériorité de ses dieux et de ses miracles…

Prochaine étape ?

Retour vers l’essence de l’Homme ? Ou son asservissement total et la fin de son libre arbitre ?





Dogma 20 – Un Réenchantement est-il encore possible ?

Édition 20. Été 2022

Par Dr. Lucien Samir Oulahbib et Dr. Isabelle Saillot

« Enchanter, réenchanter » ne seront pas ici des termes pris dans ce sens second spécifiant qu’un côté « magique » d’enchantement ou sortilège devrait être remis en selle dans une sorte de néopaganisme prôné à nouveau par tous les extrêmes (centre compris). Surtout s’il s’agit de cette ambiguïté faisant dire à Max Weber et Thomas Nipperdey que la lutte contre la magie d’exclusion aura permis l’éclosion de la Ville et la Technique en Occident (puis un peu partout ensuite) au sens de les « libérer » de certains interdits (des quartiers réservés officiellement) et superstitions (des supposées créatures maléfiques peuplant la forêt pour en empêcher l’accès) ; mais il ne faut pas oublier aussi que ce qui s’appela alors la « modernité » ce synonyme  institutionnalisé de la « liberté », fut depuis de plus en plus pris en otage par une instrumentalisation désormais intenable :   car ni la Ville ni la Technique pas plus que la Nature peuvent être réduites à leur fonctionnalité instrumentale sauf à leur enlever ce que Mauss nommait le « hau », l’esprit enveloppant êtres et choses, cet imaginaire permettant d’y accéder comme à leur insu, s’y insérer à la façon d’un songe éveillé que relatait si bien Rimbaud, cet océan intérieur enfin fait de souvenirs et de désirs sans cesse remodelés activement comme le fit cette jeune fille nigérienne chrétienne, Deborah Samuel, qui a été lynchée puis brûlée parce qu’elle voulait que sa radio étudiante parle aussi du mauvais réenchantement qui empêchait les gens comme elle de s’exprimer,  de parler rire rêver d’un réenchantement pour lequel les êtres et les choses ne seraient pas seulement des supports d’envies et de besoins, mais des créatures transcendentales au sens de dépasser leur assemblage d’atomes et de cellules de formes et de cristallisation pour atteindre cette ineffable « légereté de l’être » de Kundera, ce « Je-ne-sais-quoi et le Presque rien » de Vladimir Yankélévitch. Observez les dans le regard et le sourire de Deborah.

Le, les, monde(s) des êtres et des choses réellement « libres » auraient été « enchantés » de la connaître. Mais pour l’instant cela saigne et abondamment comme toutes ces images et caricatures qui seront étudiées ici et qui en signifient l’ampleur.

INFORMATION : dorénavant (depuis le numéro 16, été 21…) et suite à de nombreuses demandes, DOGMA est enfin disponible en version papier, mais, pour le moment, uniquement sur le site d’Amazon.

CONTENU :

UN RÉENCHANTEMENT EST-IL ENCORE POSSIBLE ?
Dr. Lucien Samir Oulahbib, Dr. Isabelle Saillot

BEYOND ENCHANTMENT: A CLASSICAL ESCAPE FROM GLOBAL SODOM
By Marco Antonio Andreacchio

RÉENCHANTER LE MONDE
Par Joseph Stroberg

TRUE PAINTING
By Paul Rhoads

L’AFFAIRE LAËTITIA PERRAIS OU L’IMPOSSIBLE ENCHANTEMENT
Par Rachel Viviane

GLOBAL THREATS AND THEIR ORIGIN
by Dr. Oleg Maltsev

THROUGH A GLASS DARKLY: UTOPIAN ENCHANTMENTS AND LOST ILLUSIONS
by Elvira Groezinger

LE « FÉMINICIDE » COMME MEURTRE MISOGYNE ET/OU « CULTU(R)EL » ?
RÉENCHANTER LES RELATIONS HOMME-FEMME
Par Lucien Samir Oulahbib

LE YOGA DE SHANKARA
Par William Neria

CONSCIOUSNESS EXPLAINED?
By James H. Cumming

ÉNERGIE : L’EUROPE SE SABORDE ET COURT À LA CATASTROPHE
Par Jean-Jacques Nieuviaert et Michel Gay

ISRAËL ET LA NUE PESTE BRUNE
Par Liliane Messika

WALTER BENJAMIN : UNE PHILOSOPHIE DE LA RÉVOLUTION
Par David Cumin

CE QUE GEORGES BERTIN M’A APPRIS
Par Lucien Samir Oulahbib

POISSONS DE PENSÉE LIBRE PÊCHÉS DANS L’OCÉAN MÉDIATIQUE
Par Lucien Samir Oulahbib

COMMENT NIER L’INEFFICACITÉ DES INJECTIONS GÉNIQUES ET LEURS DANGERS ?
Par le docteur Nicole Delépine

LUXE EN TRANSITION.  OU SAVOIR ÊTRE LE RÉENCHANTEMENT…
Par Lucien Samir Oulahbib




Réenchanter le monde

Par Joseph Stroberg

[Illustration : ISTOCK]

En cette époque particulière traversée par l’Humanité, suite notamment à une crise covidienne de nature largement artificielle qui a augmenté l’angoisse existentielle, la névrose ou la déprime de nombreux êtres humains, certains envisagent ou proposent de réenchanter le monde, de lui faire retrouver une dimension merveilleuse, envoûtante, féerique, magique ou surnaturelle depuis longtemps perdue si jamais l’Humanité connut cela un jour, peut-être en des temps antédiluviens ou édéniques. Il paraît alors nécessaire de s’accorder sur la nature des enchantements à mettre en œuvre, ainsi que sur celle des enchanteurs potentiels, selon les moyens qu’ils utiliseraient et leur manière de le faire, car la frontière est floue et rapidement franchie entre un enchantement et un sortilège maléfique. L’Humanité et la planète pourraient-elles en effet et en particulier se trouver réenchantées sous la contrainte ?

Un des pièges sur le chemin de l’enchanteur et de ses œuvres est celui du pouvoir de faire ce que bon lui semble, alors même qu’il ne peut être certain de ce qui est effectivement bon pour les autres. Chacun perçoit et envisage la vie selon sa propre perspective et a rarement la capacité d’enfiler réellement les bottes de ses frères et de ses sœurs. Merlin le prétendu enchanteur a-t-il vraiment contribué à améliorer la condition humaine et terrestre ? Ou bien n’a-t-il pas seulement cherché à imposer sa propre vision des choses, de ce qu’il croyait bien et juste pour son roi comme pour le peuple de ce dernier, produisant davantage de conflits qu’il ne pouvait en résoudre, davantage de morts que de guérisons ?… Avant lui, il exista un bien plus grand magicien, pressenti par trois rois mages, celui qui sut non seulement transformer l’eau en vin, multiplier les poissons, marcher sur l’eau, guérir les aveugles et les lépreux, ressusciter des morts, mais aussi se sacrifier pour l’avenir du monde et incarner ainsi jusqu’au plus profond de sa chair son message d’amour inconditionnel pour les autres et pour l’Humanité. Il a finalement laissé sa marque sur un simple drap, un suaire qui porte encore la trace de ses dernières souffrances et de sa résurrection.

Si par la suite, le monde connut des guerres en son nom, ce ne fut nullement de son propre fait, mais à cause d’individus qui ont cherché à imposer leur interprétation de la vie de ce grand mage, de celui que certains ont élevé au rang de Dieu. Lui, de son vivant, a généralement prôné le pardon, la non-violence, la miséricorde, la charité et bien d’autres vertus, se posant lui-même par sa vie en exemple de telles pratiques. Du moins est-ce ainsi, semble-t-il, que le veut la légende.

La clef d’un enchantement futur et réussi du monde pourrait se révéler être le respect du libre arbitre et des perceptions de chacun, sans qu’aucun enchanteur n’impose de suivre son exemple ou son chemin. En astrologie, il est assez coutumier d’affirmer que les astres proposent et les êtres humains disposent. Un enchanteur devrait probablement s’en inspirer et se contenter de proposer une vision, ou simplement d’éclairer les divers chemins possibles par sa propre lumière. Libre alors aux individus et aux divers groupes de choisir quoi en faire, quoi suivre, quoi imiter, quoi dépasser !…

Un monde ne peut paraître à tous pleinement enchanteur si certains d’entre eux au moins n’y trouvent pas leur place. La trouver implique non seulement le lieu, mais aussi le rôle et bien sûr la liberté de choisir l’un et l’autre. Ceci nécessite l’absence de contraintes, et donc de règles, de lois, de règlements…, surtout gravés dans la pierre (fût-elle de marbre) ou inscrits sur le papier. Cependant, une telle absence universelle de limites pourrait facilement conduire au chaos, les diverses libertés individuelles s’entrechoquant plus ou moins violemment, jusqu’à éventuellement en faire un plasma brûlant ou un gaz explosif. Pour l’éviter, il convient alors de trouver un moyen de combiner liberté de choix (et notamment celui d’agir dans telle direction plutôt que telle autre) et nécessité de tenir compte des autres êtres et de la manière dont nos choix vont les impacter et potentiellement les faire réagir.

Anticiper les réactions d’autrui suite à nos propres actions ainsi que leurs effets sur l’environnement immédiat comme plus lointain dépend de notre degré de conscientisation en ce qui concerne la loi de causalité selon laquelle toute cause a des effets et tout effet est issu de causes. La conscience intime de son existence procure un sens proportionnel de notre responsabilité quant aux conséquences possibles de nos actions, paroles et choix. L’irresponsabilité représente au contraire l’incapacité à envisager sérieusement ces conséquences ou le fait de ne pas s’en préoccuper, ou encore d’en amoindrir l’importance.

Nous ne pouvons espérer voir se concrétiser un monde réenchanté sans manifestation suffisante du sens des responsabilités lors de nos choix individuels et collectifs. Et de ce point de vue, si certains individus n’ont cure des autres et se fichent de leur propre impact sur autrui, du fait par exemple de tendances psychopathes ou d’immaturité notable, la collectivité gagnera à leur retirer tout pouvoir de nuisance, ceci en ne leur reconnaissant plus la moindre autorité et en ne leur fournissant plus la moindre occasion de l’exercer abusivement sur les autres. Un tyran, par exemple, ne peut exercer sa tyrannie que parce qu’en face de lui existent des individus qui acceptent de se soumettre à son autorité ou à son pouvoir et de lui obéir sans discussion, même lorsque ce qu’il demande est contraire à leur intérêt ou s’oppose à leurs sens du bien, de la justice, de la beauté, de la vérité, etc..

Réenchanter le monde nécessitera probablement de n’offrir aucun poste et aucun rôle de responsabilité aux individus qui n’ont pas développé le sens correspondant ou qui ne l’utilisent pas parce qu’ils n’ont d’intérêt principal ou exclusif que pour eux-mêmes. En d’autres termes, il sera utile et pratiquement indispensable de retirer les psychopathes du pouvoir, des postes de direction, des positions qui les amènent à interagir avec un grand nombre d’individus, et de les cantonner tout au plus dans des rôles auxiliaires. Un monde enchanté existe quand chacun y trouve la place qui lui revient naturellement en fonction de sa capacité à y interagir avec les autres et avec l’environnement sans leur nuire. Il est incompatible avec la production intentionnelle de souffrances comme celles qui le sont généralement sous la prérogative des psychopathes et des sadiques.

La place et le rôle de chaque être souhaitant participer à la création d’un avenir enchanté dépendent de ses capacités, aptitudes et prédilections naturelles dans son interaction avec les choses et les êtres de ce monde. On peut regrouper ces dernières et ces derniers sous le terme générique de « formes » plus ou moins organisées, notion que l’on peut même étendre aux sphères émotionnelles et mentales dans la mesure où émotions et pensées font partie de ce que l’on crée et de ce avec quoi nous interagissons, certaines étant bien délimitées et structurées alors que d’autres sont bien davantage floues ou évanescentes, à l’image de gaz.

Une humanité réenchantée ne peut être que saine, équilibrée et harmonieuse, à l’image d’un corps en parfaite santé. Par analogie avec ce dernier, ses divers groupes et individus — qui représentent organes, tissus et cellules — assument avec maturité leurs fonctions librement choisies et respectent celles des autres. Certains jouent en quelque sorte le rôle du cerveau, d’autres du cœur, d’autres encore des poumons, ou du squelette, ou des mains, ou des jambes, ou des reins, etc. selon qu’ils guident ou dirigent, qu’ils distribuent, donnent et aiment, qu’ils stimulent la vie et le développement, qu’ils construisent, qu’ils se bougent ou encore qu’ils assainissent, pour ne donner que quelques exemples. Cependant, à la différence d’un corps, les rôles et fonctions peuvent varier au cours d’une vie, dépendant de l’évolution (notamment des goûts et des aptitudes) des individus (ou cellules) constituant le corps Humanité.

La civilisation actuelle a perdu tout enchantement pour se voir au contraire en quelque sorte maudite, envoûtée par des sortilèges mortifères, parce qu’elle s’est éloignée de la nature et de la Création, perdant de vue sa source divine au profit d’un attrait croissant pour l’artificiel, le monde des machines, de l’informatique et des robots… Elle s’est laissée corrompre par des marchands, aveuglée par des porteurs de fausse lumière, subjuguée par des joueurs de flûte ou de pipeau, dirigée par des chacals déguisés en bergers… On lui a fait miroiter le confort, la sécurité matérielle, puis sanitaire, pour mieux l’emprisonner. Pour se réenchanter, l’Humanité devra abandonner à la fois le confort et la sécurité matérielle au profit de l’inconnu et du risque. Elle devra retrouver sa source spirituelle de confiance, de force, de vie et de conscience. On ne peut pas à la fois vivre l’enchantement qui implique nécessairement une dimension paranormale ou métaphysique et une vie confortable et sécuritaire fournie par la pure matérialité déconnectée d’une telle dimension, mais connectée aux réseaux informatiques. Plus l’Humanité se relie aux machines, plus elle abandonne son potentiel enchanteur ainsi que les individus qui pourraient le raviver. Plus elle compte sur les premières, moins elle utilise son propre pouvoir.

La technologie moderne a beau avoir voulu en quelque sorte faire la compétition avec les mages d’antan, elle a beau avoir réalisé des miracles artificiels avec le vol d’avions plus lourd que l’air en guise de lévitation de saints, avec la réanimation cardiaque en guise de résurrection des morts, avec la transmutation permise par la fission nucléaire en guise de transformation de l’eau en vin, avec Internet en guise de communication télépathique, les Jedi de Star Wars et la baguette d’Harry Potter font toujours davantage rêver que la technologie de Star Treck. D’un côté nous avons la dépendance aux machines et aux structures complexes de pouvoir, d’industrie et de commerce. De l’autre, nous ouvrons la porte aux dimensions sacrées et divines de l’Homme et de l’Humanité. Toutefois, il reste un piège propice à ces dernières : celui de chercher le pouvoir sur les choses, sur la nature et sur les autres au lieu de l’harmonie avec eux. D’un côté nous avons Palpatine, Voldemor et Sauron (du Seigneur des anneaux). De l’autre Obi-Wan Kenobi (ou Skywalker, Yoda…), Dumbledore et Gandalf. Là où les premiers cherchent toujours plus d’emprise et de contrôle sur les foules (à l’image de ceux recherchés par les transhumanistes et les « élites » autoproclamées), les seconds se mettent à leur service. Les premiers accaparent les pouvoirs, alors que les seconds offrent leurs dons.

L’Humanité se trouve à la croisée des chemins. Elle devra choisir entre celui suivi depuis au moins quelques siècles et qui la conduit directement dans l’abîme de l’asservissement global à la matière, à la technologie et aux « élites » contrôlant cette dernière, et celui de traverse, qui mène à l’inconnu, mais comporte un grand potentiel de libération et d’épanouissement grâce au rêve, au réenchantement du monde, au retour vers les valeurs sacrées et éternelles… Ce chemin n’abandonnera probablement pas toute technologie, du moins dans un premier temps, mais elle n’en sera plus l’esclave. La technoscience se bornera peut-être simplement à faciliter le réenchantement du monde, ceci en diminuant la charge des corvées et la difficulté des défis sans pour autant diminuer la masse musculaire faute d’exercices physiques ni celle des neurones faute de stimulation mentale. De même, ce nouveau chemin ne produira probablement pas immédiatement de résultats spectaculaires ni même notables en ce qui concerne d’éventuelles capacités paranormales telles qu’on peut en voir dans les films évoqués plus haut ou d’autres moutures hollywoodiennes modernes. « À grand pouvoir, grandes responsabilités », évoquait fort justement l’une d’elles il y a quelques années. Et si l’on ne veut pas voir l’Humanité sombrer dans une nouvelle forme d’enfer, il lui vaudra mieux mûrir avant d’être dotée de dons parapsychiques extraordinaires.

Réenchanter le monde de manière suffisamment sage requiert certaines conditions préalables telles que le développement et la manifestation du sens des responsabilités, la découverte et l’acceptation de la place et du rôle de chacun dans un but d’harmonie et de symbiose, la stimulation de notre dimension spirituelle pour mieux nous engager sur un chemin collectif commun, mais aussi la reconnaissance de la psychopathie comme facteur largement perturbateur d’un tel engagement. Si certains êtres humains, en nombre croissant, tendent à considérer que nous vivons actuellement un cauchemar, ils détiennent pourtant le pouvoir de transformer ce dernier en rêve merveilleux. Cela commence généralement par un travail sur soi, sur sa manière de voir la vie, sur sa capacité à discerner le véridique du mensonge, la réalité de l’illusion… Pour réenchanter le monde, nous devons d’abord découvrir en nous-mêmes la source et la capacité de l’enchanteur.

[Voir aussi :
Il est temps de tout dévoiler !]




Y a-t-il un cinéaste dans la salle ?

Une fois n’est pas coutume, je fais ici une demande aux visiteurs du site.

L’un d’entre vous connaît-il un réalisateur de films qui est en recherche de scénarios originaux ?
Plusieurs personnes et moi-même trouvons que les romans du triptyque Les couloirs du temps (à savoir dans l’ordre chronologique : Résurrection en terre étrangère, Projet Vulcain et La voie du Rinn’dual) donneraient bien en films. Étant donné leur potentiel, ils pourraient aussi faire l’objet de séries.

Le quatrième roman (en lecture libre sur le site), Le Tétralogue, se prêterait également très bien à une forme filmée.

Merci d’avance si vous êtes en mesure de lui signaler alors leur existence.

Joseph Stroberg




La fabrication des perceptions

[Voir aussi sur Dogma #19]

Par Joseph Stroberg

La perception de la réalité par les êtres humains représente un processus relativement complexe initié lors de la réception d’informations par les organes et les dispositifs sensoriels du corps. Elle présente au moins deux points de vulnérabilité qui offrent à des êtres malintentionnés des possibilités de manipulation de la perception : le premier est sa fragilité proportionnelle à sa complexité, de la même manière qu’une chaîne se brise d’autant plus facilement — par son maillon le plus faible — qu’elle est longue ; et le second provient de son caractère partiel et subjectif. Et si l’on cherche à pallier l’insuffisance, l’incomplétude et la subjectivité perceptive par des artifices technologiques, on ne fait souvent qu’accroître le degré de complexité et donc proportionnellement celui de fragilité, rendant l’individu encore plus vulnérable à la manipulation de ses perceptions par différents moyens. Or, il existe des individus ou des entités qui semblent avoir développé une spécialité : celle de remplacer la perception naturelle du réel par un récit artificiel, fallacieux ou factice qui peut au contraire s’en écarter plus ou moins drastiquement et dramatiquement.

Les moyens de perception offerts aux êtres humains sont actuellement de deux ordres : les naturels et les artificiels. Les premiers proviennent de son système sensoriel et les seconds ont été inventés à différentes époques comme autant d’instruments purement mécaniques dans certains cas, ou chargés d’électronique dans d’autres, généralement plus récents.

Parallèlement aux cinq sens classiques et bien connus, l’être humain dispose aussi de sens qui lui permettent de s’orienter dans l’espace, de trouver son équilibre, de ressentir les émotions (voire les pensées) d’autres individus à distance, d’anticiper des événements, etc. Par différents capteurs plus ou moins efficaces, précis, sélectifs…, ayant une plus ou moins longue portée et large couverture, il peut ainsi percevoir la position et le mouvement d’un objet ou d’un sujet d’observation, et d’autres caractéristiques perçues conventionnellement comme étant sa couleur, sa forme, sa texture, sa matière, etc., mais que la science a tendance de nos jours à considérer comme des assemblages dynamiques d’atomes ou de molécules. Cependant, ses capteurs et organes sensoriels ne représentent que la première étape du dispositif de perception des informations relatives aussi bien à lui-même qu’aux autres entités de l’Univers. Ces dernières sont ensuite transmises au cerveau, par le biais du système nerveux.

Le cerveau joue un rôle capital dans le traitement des perceptions, en les rendant intelligibles. Il renverse notamment l’image reçue du dehors par l’œil sur la rétine. Il transforme en couleurs les signaux reçus par les trois types de capteurs rétiniens. Il transforme en bruits, cris ou paroles les vibrations sonores captées au niveau de l’oreille. Il traduit en saveurs les substances chimiques perçues par les papilles gustatives. Il interprète sans cesse l’information reçue sous différentes formes et par de multiples capteurs sensoriels, tendant plus ou moins automatiquement à écarter ce qui ne cadre pas avec l’image du monde qu’il s’est déjà fabriquée grâce non seulement à ses sens naturels, mais aussi à ses moyens artificiels de perception.

Pour pallier ses handicaps sensoriels naturels ou accidentels ainsi que la limitation de ses sens de manière générale, par exemple par rapport à certains animaux, l’être humain a inventé au cours des âges divers moyens. Les plus anciens instruments qu’il a pu ainsi fabriquer à de telles fins sont probablement le monocle et la paire de lunettes. L’équivalent pour l’ouïe a pris d’abord la forme d’un cornet acoustique, puis plus récemment de prothèses auditives. De multiples dispositifs ont été créés pour nous permettre d’augmenter nos moyens de perception. Le microscope, le télescope optique, le radiotélescope, mais aussi le télégraphe, la radio, la télévision, les satellites de communication ou d’espionnage, et Internet font partie de ceux-ci. Nous percevons en effet le monde à travers eux.

Avec ou sans moyens artificiels pour augmenter ses sens ou pallier leur manque ou leurs limitations, les perceptions qui en découlent sont plus ou moins fortement tributaires du travail effectué au niveau du cerveau pour traiter les informations reçues. La grande majorité des individus, neurotypiques, tendent à ainsi à la « dissonance cognitive » quand de nouvelles données ne cadrent pas avec l’image du monde, la représentation interne qu’ils s’en fabriquent au fur et à mesure de leur évolution depuis le plus jeune âge. Ils le font d’autant plus que les réactions émotionnelles induites par ces données perçues sont négatives (par exemple sous forme de peur, de colère ou de haine). Dans un tel cas, la dissonance avec l’acquis est trop forte et ces dernières sont alors simplement rejetées. Lorsque les données plaisent ou laissent émotionnellement indifférent, mais sont en contradiction avec le schéma déjà construit, elles sont déformées par le cerveau pour pouvoir s’y intégrer.

L’image du monde que se fabrique un individu donné peut être plus ou moins déformée ou faussée par rapport à la réalité objective selon son fonctionnement neuronal (découlant notamment de ses habitudes de pensées) et selon ses capacités mentales d’analyse et de logique, mais aussi selon son degré d’humilité (ou au contraire d’orgueil) face aux champs de connaissance, ceux qu’il pense déjà connaître ou avoir suffisamment explorés, comme ceux qu’il ignore encore plus ou moins totalement. La vanité et la suffisance engendrées par un savoir acquis acceptent en effet mal la remise en question de ce dernier lorsque de nouvelles données tendraient à en détruire les fondations.

Une bonne maîtrise de la logique est pratiquement indispensable pour effectuer une analyse cohérente et relativement impartiale non seulement de la représentation du monde déjà élaborée (incluant théories et croyances diverses) que des nouvelles observations toujours susceptibles, d’ailleurs, d’entrer en contradiction avec celle-ci. La logique permet de séparer plus facilement la vérité de la fausseté et du mensonge.

Une bonne dose de réelle humilité est également indispensable, cette fois pour être capable d’accepter les erreurs, invraisemblances et incohérences du modèle du monde déjà construit en interne face aux nouvelles perceptions ou à un afflux de « lumière » qui les mettent en évidence. Quand nous avons basé notre vie sur une erreur (comme l’est par exemple assez probablement la théorie virale), l’orgueil favorisé par la notoriété (individuelle aussi bien que collective), le consensus (voire l’unanimité) et l’intelligence représente un puissant obstacle à la remise en question des connaissances acquises, combien même celles-ci seraient plus ou moins complètement fausses et frauduleuses.

D’autres obstacles à la remise en question de l’acquis s’avèrent de nos jours être l’intérêt financier, la volonté de contrôle social ou politique, et la peur de l’inconnu. Des individus ou des groupes principalement motivés par le maintien ou l’augmentation de leurs privilèges ont ainsi tout bénéfice et intérêt à maintenir l’Humanité dans l’état qui leur a permis d’arriver où ils en sont. À cette fin, ils peuvent jouer sur l’orgueil des « experts », l’abrutissement des masses par une éducation déficiente leur interdisant tout sens véritable de logique et esprit d’analyse élaboré, le contrôle de ces mêmes masses par l’émotionnel en lui offrant des loisirs stimulant ce dernier au détriment du mental et en la plongeant dans un état quasi perpétuel de peur (par une stimulation médiatique appropriée). Connaissant la psychologie humaine et la manière dont l’individu perçoit et imagine le monde, ils peuvent alors dicter à la masse humaine la manière dont elle doit désormais percevoir le réel. Ils obtiennent des résultats d’autant plus rapides et spectaculaires qu’ils interviennent à tous les stades du mécanisme perceptif.

En offrant à l’Humanité des capteurs et instruments d’analyse de plus en plus sophistiqués et démultipliés, si possible sur un seul support (comme le « smartphone »), on la détourne de l’usage de ses propres ressources naturelles. L’individu assujetti aux téléphones et autres instruments prétendument « intelligents » leur remet ses propres capacités d’observation, de mémorisation, d’analyse et de réflexion. Il abandonne son naturel pour l’artificiel et devient dépendant de la technologie pour assurer une partie croissante de ses besoins journaliers. Sans ces artifices, il est perdu, en état de manque, voire en véritable panique. Il ne sait plus mémoriser, calculer, réfléchir… analyser par lui-même. Il existe ainsi une différence fondamentale entre par exemple une simple paire de lunettes et un téléphone dit intelligent. Là où la première se contente de rectifier le trajet de la lumière reçue pour améliorer la vision, le second court-circuite le processus perceptif et l’empêche donc de fonctionner normalement en prétendant offrir mieux à l’individu. Or, un organe ou une fonction qui ne sont pas utilisés périclitent.

Après la phase de réception initiale de l’information, les individus mal intentionnés peuvent intervenir de nos jours au niveau cérébral lui-même, et ceci en de multiples zones ou phases du traitement de l’information. En particulier, par l’utilisation d’ondes sonores ou d’ondes électromagnétiques, selon la technologie utilisée, on peut maintenant créer des pensées artificielles, faire entendre des voix dans la tête, induire des émotions, du stress « flottant » (d’origine indéfinissable par l’individu), produire des hallucinations sensorielles, etc.. Dans le cas d’ondes électromagnétiques pulsées (4G, 5G, Wi-Fi, etc.), ces altérations de la perception et des fonctions cérébrales s’accompagnent de symptômes divers, variables selon les individus, mais dont la cause électromagnétique est alors assez rarement reconnue par la médecine et les médecins.

Cependant, il existe aussi et depuis plus longtemps des techniques plus douces et/ou « naturelles » (dans le sens de non technologiques), mais relativement efficaces qui relèvent davantage de la psychologie elle-même : hypnose, induction de « psychose de formation de masse », messages subliminaux auditifs ou visuels, manipulation, propagande et désinformation, conditionnement psychologique, bien que dans ce dernier cas, elles puissent être plus violentes lorsqu’elles s’accompagnent de privations, de stress, voire de torture physique ou psychologique, jusqu’à engendrer ce que l’on appelle classiquement un « lavage de cerveau » ou encore une dissociation de personnalité suite à des traumatismes multiples.

Plus leur connaissance relative aux êtres humains est poussée, plus des êtres mal intentionnés peuvent en tirer profit pour manipuler ces derniers et leur faire réaliser, dire ou être n’importe quoi, jusqu’à des actions, paroles et états qui sont pourtant contre nature. Et plus ils maintiendront l’Humanité dans les sphères de conscience matérielle et émotionnelle au détriment des sphères mentales, intuitives, psychiques et spirituelles, spécialement en stimulant les instincts animaux (de survie, de reproduction…) et l’émotionnel (en jouant par exemple sur la peur ou en utilisant la loi d’attraction et de répulsion), plus il leur sera facile de l’asservir et de lui imposer une fausse réalité. Les instincts et les émotions représentent la porte de la manipulation et du contrôle sur les individus lorsque ces derniers y sont déjà, par nature ou habitude, assujettis au détriment des sphères plus élevées. Et ce n’est pas pour rien notamment que les gourous de sectes tendent presque systématiquement à dénigrer le « mental » comme leur ennemi ou plutôt comme celui que leurs ouailles doivent combattre ou fuir. La raison et le discernement représentent en effet des obstacles à une bonne manipulation, alors que celle-ci gagnera à jouer sur la peur et l’instinct de survie pour placer le corps et le cerveau en mode approprié, celui du « fuis ou combat, mais surtout ne prends pas le temps de réfléchir à ce que tu fais ni à ce que tu perçois ».

Une lumière d’alerte ou de vigilance devrait s’allumer en chaque individu qui se voit proposer de rejeter son mental, son cerveau, la raison ou la logique, de revenir aux instincts primordiaux, de miser ou compter seulement sur ses sensations, d’assouvir ses envies, désirs ou passions sans retenue (et sans se préoccuper des conséquences pour soi et pour les autres)… Elle devrait aussi s’allumer lorsqu’on lui indique des ennemis à combattre, réels ou imaginaires, matériels ou idéologiques, visibles ou invisibles (comme des virus)… Dans une perspective évolutive ou spirituelle, le seul véritable combat à mener réside en soi-même, contre ses propres démons, ses propres illusions, ses fantasmes qui se font passer pour réels, ses mensonges sur soi-même, son orgueil, son étroitesse de vue, d’esprit et de cœur…

Plus nous saurons élever et maintenir notre conscience dans les sphères mentales, intuitives, psychiques et spirituelles, plus notre discernement, nos intuitions, notre âme et notre esprit nous permettrons de déceler les tentatives d’altérer notre perception libre et naturelle du monde, des autres et de nous-mêmes, quitte à nous tromper et à nous fabriquer notre propre perception ou image illusoire de la réalité. Nous gagnons à demeurer libres de nous tromper, de choisir notre voie, même si celle-ci se révélait temporairement sans issue (les demi-tours existent pour ceux qui ont l’humilité de les effectuer). Les conflits naissent dès que l’un de nous cherche à imposer sa propre perception ou vision du monde aux autres, d’autant plus facilement que cette perception prosélyte provient elle-même d’une manipulation. Face à la complexité et l’immensité infinie de l’Univers, en comparaison de moyens sensoriels limités, l’ultime Vérité ne peut provenir que du partage des multiples perceptions individuelles combinées (communément considérées comme des « vérités »), quand ainsi les multiples angles de vue et perspectives finissent par se chevaucher de proche en proche et par faire le tour de l’horizon, puis de la voûte céleste aussi bien que celle de l’inframonde.




Dogma #19. Printemps

[Source : dogma.lu]

Par Lucien Samir Oulahbib, Dr. Isabelle Saillot

LA MAÎTRISE DU RÉEL IMAGINAIRE COMME ENJEU HUMAIN ET CITOYEN

« Les secrets des phénomènes sociaux ne sont pas dissimulés dans des caves improbables de l’édifice social ou dans les coulisses de la scène politique, mais sont directement observables dans les manifestations les plus immédiates de la vie quotidienne. Si les observateurs ne les voient pas, c’est essentiellement parce qu’ils ne veulent pas les reconnaître. » (Alexandre Zinoviev. L’occidentisme, essai sur le triomphe d’une idéologie. Paris, éditions Plon, 1995, p. 12.)

Il semble bien que contrairement aux apparences (et comme il avait déjà été vu bien sûr par certains) l’action conjointe de l’image fixe et animée, aujourd’hui surmultipliée par sa modélisation numérique, peut appauvrir « notre » réel imaginaire de telle sorte que sa trame rétrécisse tel un bas résille effilé.

Il ne s’agit cependant pas de réitérer la querelle (permanente) entre idolâtres de l’image et ses ennemis, mais de se demander si notre actuelle « soumission volontaire » ne va pas acquiescer à « l’effacement » de la distance entre divers sortes de « réels ». Ainsi l’intimité de plus en plus « ciblée » se verra à nouveau habitée par des séries d’éléments fantomatiques qui, parce qu’ils pourront partager ainsi notre « secret », nous feront seulement croire que nous les avons vécus et de façon réciproque.

Mais il y a aussi un autre danger. Le fait de se voir dicter en plus « la » perception « corrigée » par exemple en amour et en politique, sa santé, ses voyages, en un mot sa liberté qu’il faudra à chaque fois justifier puisqu’elle serait, livrée à elle-même, « liberticide » paraît-il. Ou le paradoxe du Menteur, constamment renouvelé comme il sera vu ici en divers textes et dessins…

INFORMATION : dorénavant (depuis le numéro 16, été 21…) et suite à de nombreuses demandes, DOGMA est enfin disponible en version papier, mais, pour le moment, uniquement sur le site d’Amazon.

CONTENU :

LA MAÎTRISE DU RÉEL IMAGINAIRE COMME ENJEU HUMAIN ET CITOYEN
Dr. Lucien Samir Oulahbib, Dr. Isabelle Saillot

RELATION ENTRE L’ART ET LA CONSCIENCE
Par Monique Gelly

HINDU NONDUAL PHILOSOPHY, SPINOZA, AND THE MIND-BODY PROBLEM
by James H. Cumming

LA FABRICATION DES PERCEPTIONS
Par Joseph Stroberg

HOW DID THE WORLD’S MOST PROMINENT PUBLICATIONS TURN
INTO “TABLOID PRESS”?
by Dr. Oleg Maltsev

SUR QUELQUES FONDEMENTS DOCTRINAUX DES DESTRUCTEURS
Par Lucien Samir Oulahbib

LA PENSÉE COMPLEXE : SON ORIGINE ET SA FONCTION DE PIVOT UNIQUE
D’UNE MULTIPLICITÉ
Par Abdelkader Bachta

POURQUOI UN TEL DÉNI DES EFFETS GRAVES DES « VAX » ANTICOVID CHEZ
LES FEMMES ENCEINTES ?
Par le docteur Nicole Delépine 

LA DISPARITION
Par Rachel Viviane

LE  « PRÉCIS DE FOUTRIQUET » DE PIERRE BOUTANG
Par Lucien Samir Oulahbib

UN ENTRETIEN AVEC MARCEL LEROUX
L’ÉCHEC AVÉRÉ DES VACCINS COVID
Par le docteur Gérard Delépine

LE CHANT DE LA KUNDALINI (WILLIAM NÉRIA)
Par Lucien Samir Oulahbib

FLEEING EVIL: FRANCESCA, ULYSSES, MOHAMMED AND OTHER RIDDLES IN DANTE’S COMEDY
By Marco Antonio Andreacchio and Irena Elster

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La « variole du singe » comme possible effet secondaire de « vaccins » anti-Covid ?

[Source : planetes360.fr]

Miles Guo lanceur d’alerte chinois :

« La variole du singe n’est qu’une excuse ! C’est le désastre des vaccins Covid, Il a été causé à 100 % par les vaccins Covid ! Les éruptions cutanées sont les conséquences des vaccins Covid ! »


[Source : cosmopolitan.fr]

Vaccin contre le Covid-19 : un nouvel effet secondaire dangereux pour la peau ?

Par ELISE POIRET 09/02/2022

Une étude menée par des scientifiques turcs atteste que sept personnes ont développé une pathologie rare de la peau après la vaccination contre le Covid-19.

Plus d’une personne sur dix fait état d’effets secondaires liés à la vaccination contre le Covid-19, selon l’Agence européenne des médicaments. Si beaucoup souffrent de maux de tête, de fièvre ou encore de douleurs à l’endroit de l’injection, certains auraient aussi développé des symptômes cutanés.

Vaccin contre le Covid-19 : une maladie rare de la peau chez certains patients

Une récente étude publiée dans l’International Journal of Dermatology a mis en lumière ce qui semblerait être un nouvel effet indésirable lié à la vaccination contre le Covid-19. En effet, selon les recherches menées par des scientifiques turcs, plusieurs patients vaccinés auraient développé une maladie rare de la peau, appelée pemphigoïde bulleuse.

Qu’est-ce que la pemphigoïde bulleuse ?

La pemphigoïde bulleuse est une maladie bulleuse de la peau, qui se caractérise par des bulles (ou cloques), en général de grande taille, se développant sur une peau rouge (cela ressemble de l’urticaire ou à de l’eczéma), informe la société française de dermatologie. Le nombre de bulles présentes sur la peau est variable d’un individu à l’autre. Parfois, il peut même ne pas y en avoir, ce qui rend le diagnostic plus compliqué. Les patients atteints de cette maladie souffrent aussi de démangeaisons.

La pemphigoïde bulleuse est une maladie auto-immune, ce qui signifie qu’elle est, comme toutes les pathologies auto-immunes, liée « à la fabrication anormale par l’organisme d’anticorps dirigés contre soi-même », explique la SFD. Ce phénomène touche essentiellement la peau et notamment le corps et les membres, plus rarement le visage. La maladie peut aussi toucher les muqueuses (buccales et génitales) mais cela concerne moins de 10% des cas. Elle n’est ni contagieuse, ni héréditaire.

Cette pathologie affecte majoritairement les personnes âgées de plus de 70 ans.

Quel lien entre la pemphigoïde bulleuse et le vaccin contre le covid-19 ?

Les recherches dirigées par les scientifiques turcs mettent en avant les cas de sept personnes ayant développé la maladie bulleuse, quatre à six semaines après avoir reçu leur première, deuxième ou troisième injection de vaccin contre le Covid-19. À noter qu’il s’agit de personnes âgées.

Parmi les sept patients, quatre d’entre eux ont développé l’affection pour la première fois. Tandis que les trois autres ont eu un épisode récurrent après leur vaccination. « Dans deux des quatre cas d’apparition de la maladie, la pemphigoïde bulleuse a été observée après la deuxième dose de CoronaVac à virus inactivé. Pour les deux autres, cela s’est produit après leur troisième dose, pour laquelle ils ont reçu une première dose du vaccin Pfizer-BioNTech », indiquent les chercheurs. Avant d’ajouter : « La période de latence de la nouvelle pemphigoïde bulleuse variait de 2 semaines à 1 mois après la vaccination, alors qu’elle était aussi courte qu’une semaine après la première dose chez un patient présentant une exacerbation post-vaccinale. » Selon l’étude, l’état de la peau des patients s’est amélioré grâce à un traitement.

Les scientifiques sont tout de même prudents. À ce jour, ils ne peuvent établir un lien définitif entre la maladie et les vaccins contre le Covid-19. Ils estiment que d’autres recherches sur le sujet doivent encore être menées.


Par Joseph Stroberg

D’après les expérimentations et démonstrations de chercheurs qui suivent réellement la démarche scientifique (mais pas la mauvaise cuisine des virologues et autres microbiologistes), comme Stefan Lanka, les virus ne sont pas la cause des maladies, mais sont produits naturellement par les cellules qui subissent une agression (par des toxines chimiques ou d’autres facteurs agressifs ou stressants) ou une déficience plus ou moins grave en nutriments. Voir :

La théorie des exosomes contre celle des virus
Confirmation écrite : les scientifiques ne peuvent apporter aucune preuve de l’existence d’un virus pathogène
Démontage de la théorie virale
VIRUS TUEUR ??
L’enterrement de la théorie virale
La vérité sur la rage, le virus de la mosaïque du tabac, le graphène et les résultats de la 2e phase des expériences témoins
La fraude du Covid-19 et la guerre contre l’humanité
Un virus ? Quel virus ? – Dr Mark Bailey
Pourquoi il n’y a aucune preuve que le “SARS-CoV-2” soit contagieux et responsable d’une maladie
Dr Valentina Kiseleva  Le virus et autres mythes
Le SIDA et la Renaissance de l’Hypothèse de Duesberg
Le SIDA depuis 1984 : Aucune preuve d’une nouvelle épidémie virale – même pas en Afrique
Fauci et la grande arnaque du SIDA
Comment reconnaître que les virologues nous ont trompés ?
Sur le non isolement du SRAS-CoV-2 et des virus :
Déconstruction de l’arnaque Covid : les documents Ministère de la Santé admettent que le CDC n’a jamais isolé de « virus covid-19 » … le test PCR ne détecte que le BRUIT des instruments
Virus fantôme : à la recherche du SARS-CoV-2
Virus Mania : Comment Big Pharma et les médias inventent les épidémies
Comment l’analyse du génome crée des virus fictifs
87 institutions sanitaires/scientifiques du monde entier n’ont pas réussi à citer un seul cas d’isolement et de purification du “SARS-COV-2”, par qui que ce soit, où que ce soit, jamais
Comment créer votre propre “nouveau virus” généré par ordinateur
Pour en finir avec les virus et le Nouvel Ordre Mondial
Sur la contagion :
Parlons contamination
La contagion : quelques éléments de réponse, a contrario de la funeste doxa actuelle
Le mythe de la contagion virale — Pourquoi les virus (incluant les « coronavirus ») ne sont pas la cause des maladies
La microbiophobie ambiante est hors de contrôle ! De nouvelles perspectives sur la véritable nature des virus
Le culte de la virologie – Documentaire
Réfutation de la virologie par le Dr Stefan Lanka
La théorie des germes : Une erreur fatale
Épidémies et contagions
Terrain Le Film – Partie 1 : La Grippe Des Cigognes
Ebola : briser les mensonges et la supercherie

Alors pourquoi les militaires s’acharnent-ils à modifier des virus (en fait « exosomes ») pour en faire des armes biologiques ?

Parce qu’ils se fient aux croyances de virologues et autres prétendus experts des germes, des virus ou des épidémies (qui pourtant n’adoptent jamais intégralement les méthodes rigoureuses de la science, mais se contentent de reproduire ce que Big Pharma leur a enseigné lors de leurs études universitaires).
Et peut-être parce qu’accessoirement les récipients contenant les exosomes modifiés pour espérer en faire des armes bactériologiques contiennent au moins une partie des toxines qui sont à l’origine de la production de ces derniers et que ces toxines continuent à produire des effets néfastes sur la santé si elles entrent en contact avec des organismes vivants.




La voie du Rinn’dual

Par Joseph Stroberg

Troisième volet du triptyque de science-fiction Les couloirs du temps après Résurrection en terre étrangère
et Projet Vulcain.

Les trois romans peuvent se lire séparément et même dans le désordre, bien qu’ils gagnent à être lus dans l’ordre, les histoires se déroulant à des époques différentes.

Pour se procurer le livre, voir le site de l’éditeur :

https://dedicaces.ca/2022/04/04/la-voie-du-rinndual-par-joseph-stroberg/

Quand le jeune Dael est capturé par des Dévians puis revendu comme esclave aux Charlogs, son père Pastor se lance à sa recherche dans la galaxie. Ce dernier est aidé par une Vijnienne et son vaisseau. Sur Terre, cent mille ans après les âges sombres, l’Humanité a suivi la voie du Rinn’dual et ainsi abandonné toute technologie, préférant développer des dons tels que la télépathie et la télékinésie.

Pendant ce temps, les derniers Reptiliens sortent de leurs cavernes, l’Empire zénovien tente de se reformer et une menace extrême provient d’une autre galaxie. Les divers protagonistes finissent par interagir d’une manière ou d’une autre, par retrouver Dael, redonner vie à une planète reptilienne en ruine, accueillir quelques milliards d’extragalactiques et se lancer dans une course galactique contre les agents zénoviens.

Si vous voulez aider l’auteur ou le site Nouveau Monde, procurez-vous ces romans ou bien faites un don en cliquant sur le bouton suivant :


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Dogma #18. L’Hiver

[Source : dogma.lu]

Par Lucien Samir Oulahbib

La distinction entre croyance « supérieure » et « inférieure » peut-elle disparaître ?

Les notions dites « inférieure » et « supérieure » ont bien mauvaise presse pour des raisons historiques que l’on peut encore aisément deviner ; pourtant elles ont toujours pignon sur rue lorsqu’il s’agit de marquer une différence qualitative du « scientifique » sur la « croyance » en général (toujours affirmée par exemple en matière sociétale, climatique(([1] Ainsi contester ledit « changement climatique » ce « pléonasme » disait Marcel Leroux (climatologue :
https://www.youtube.com/watch?v=wVyeZXQCe2w) le tout dans une sorte d’errement épistémologique dont il faudra bien faire un jour le bilan (ce que Dogma cherche à faire d’ailleurs depuis quelques numéros).)) et désormais sanitaire(([2] On l’a vu lors de la crise dite « sanitaire » liée à C.19 lorsque d’aucuns se sont mis à dénigrer tels traitements dits précoces, ou la « supériorité » (justement) de traitements dits « vaccinaux » sur des protocoles plus empiriques (comme le repositionnement d’antiviraux et d’antibiotiques ou le recours à des traitements plus naturels, souvent mis à l’index comme l’ont démontré les professeurs de médecine Péronne et Raoult, sans conflit d’intérêt). Or loin de se contenter d’être un débat scientifique cette controverse a été immédiatement classée comme étant de type « conspirationniste » (parfois par des personnes non compétentes en matière de virologie) préconisés par des spécialistes reconnus sur la base de vérifications éprouvées, parce que tel dirigeant politique honni les avait mis aussi en avant, ou parce que le nombre d’articles dits « scientifiques » supportant la pratique des spécialistes en question semblait exagéré pour tel ou tel, le tout sans que l’on puisse établir une relation de cause à effet entre ces deux faits et l’efficacité effective de ces traitements (dont on peut voir ici l’application permanente : https://c19legacy.com/ ) et, surtout, sans que les éléments de base justifiant les injections censées « prévenir » C. 19 y compris dans ses formes graves aient été démontrées : Voir à ce propos l’analyse de l’experte en biostatistique, Christine Cotton, qui détaille certains essais cliniques rendus méthodologiquement incapables de prouver leur efficacité :
https://www.youtube.com/watch?v=YmO5Pde3Jak&t=2842s ;
https://www.francesoir.fr/videos-les-debriefings/christine-cotton-essais-pfizer))). Elles consistaient (et consiste encore) à souligner que sous un angle dit « scientifique » s’exprimerait l’aspect le plus « achevé de la rationalité » comme l’écrit Dominique Terré.(([3] Les dérives de l’argumentation scientifique, Paris, PUF, 1998, p. 1.)) S’opposant à ce qui n’est même plus nommé « obscurantisme » comme autrefois mais « conspirationnisme », « complotisme », toute une dichotomie étrange qui range désormais la controverse au rang de curiosité épistémologique à l’heure pourtant où le LancetGate(([4] https://www.francesoir.fr/opinions-tribunes-societe-science-tech/lancetgate-ou-sciencegate)) (ce lyssenkisme contemporain) a frappé les esprits.

Il semble bien cependant qu’il faille préserver cette distinction entre « inférieur » et « supérieur » car s’il s’agit de distinguer les aspérités du réel comme ces différences d’angles de méthodes et d’imaginaire pour parler comme Georges Bertin (qui nous a hélas quitté)

il n’empêche que c’est bien parce que les Anciens distinguaient, mais ne séparaient pas, les branches de la Connaissance qu’ils ont pu devenir « modernes » au sens du libéralisme « ancien » a indiqué Leo Strauss lisant Maïmonide ou comment ne pas perdre de vue la vision d’ensemble (ou cosmique) ; ce que cherchait sans doute Marcel Mauss lorsque en travaillant sur le « don » il cherchait à cerner « l’homme total » ce qui n’est pas contradictoire avec le fait que « la » science découpe aussi ses « objets ».

Ainsi la fameuse approche multidisciplinaire serait non seulement de mise (vœu pieux) mais indispensable, surtout aujourd’hui lorsque l’on apprend le rôle crucial des interactions et de leurs rétroactions sur l’organisme humain dont le Bios n’est pas plus réductible à un complexe physico-chimique que psycho-social ou sociopolitique comme l’indiquera ici le docteur Isaure Lamoureux dans les bonnes feuilles de cet ouvrage qu’elle a dirigée

Comment se soigner et guérir aujourd’hui ?(([5] Exuvie Éditions.))

Or, c’était la force de la Connaissance d’autrefois (en particulier celle des Premières Lumières) que de pouvoir tenir ensemble ces diverses lignes de force, d’où sa supériorité sur les Secondes Lumières d’un Helvétius ou Condillac et leur associationnisme (voir même sur le Premier Romantisme allemand) mais aujourd’hui s’est plutôt répandu l’idée que tout s’est tellement « complexifié » et, partant, « spécialisé », qu’il n’est guère plus possible de jouer à Pic de la Mirandole ou à Goethe (même Husserl, Bergson, Changeux, Dehaene…) ou de récréer les conditions d’une réelle Encyclopédie au sens de comprendre comment une « cellule » s’établit comme « Soi », non, il vaut mieux « croire » que le processus historique triera le bon grain de l’ivraie à l’heure pourtant où le génome humain risque d’être breveté s’il est « inventé » (via une ARN inter-rétroagissant sur l’ADN ?).

Á Dogma « nous » pensons que cette attente naïve de la « bonne » science dénuée de conflits d’intérêts (et au fond historiciste) reste une « croyance » d’autant plus « inférieure » que rien ne dit que la Connaissance puisse mécaniquement s’auto-réguler ainsi, surtout en situation politique et financière défavorable (Socrate a bien dû boire la Ciguë, et les nouveaux Lyssenko sévissent encore jusqu’à créer des commissions ad hoc de sinistre mémoire) ; répétons-le, il semble bien qu’aujourd’hui le balancier a été beaucoup trop dans l’autre sens de l’hyper spécialisation et des conflits d’intérêts ; le tout faisant par ailleurs perdre l’appréhension de la « big Picture » alors qu’il conviendrait de garder un équilibre juste, une « médiété », entre un « excès et un défaut » comme observer et analyser les liens entre intentionnalités et conséquences dans l’action humaine au lieu de seulement les nier, quitte à redoubler les « biais » comme certains aspects de l’actuelle syndémie mondiale (depuis plus de deux ans maintenant) ainsi que le catastrophisme climatique peuvent l’indiquer.

C’est en sens que sera considérée comme « inférieure », conceptuellement s’entend, toute dite « théorie » prétendant relativiser ou au contraire surdéterminer toute observation qu’une modélisation prospectiviste aura arbitrairement amplifiée ou réduite sans tenir compte du fait qu’il y a toujours une différentiation conclusive à retenir selon les « objets » traités.

Ainsi une approche uniquement démographique des flux de populations humaines pourra toujours en relativiser les « soldes » sans se rendre compte que ces derniers sont composés de personnes humaines portant avec et en elles des comportements multiformes qui matérialisent leur imaginaire, c’est-à-dire leur manière d’être au monde ; ce qui fait que leur présence n’est pas seulement quantitative mais qualitative et donc civilisationnelle au sens de transformer le monde dans lequel elles s’installent, et partant « effondrent » pour avoir de la place, ce qui fait qu’elles ne font pas que seulement l’interpréter sans conséquences : elles y perpétuent des croyances dont le côté « inférieur » ou « supérieur » apparaît sans importance pour une vision démographique alors que cette distinction sera de la plus haute acuité pour une approche réellement républicaine : 

INFORMATION : dorénavant (depuis le numéro 16, été 21…) et suite à de nombreuses demandes, DOGMA sera enfin disponible en version papier, mais, pour le moment, uniquement sur le site d’Amazon.

CONTENU :

LA DISTINCTION ENTRE CROYANCE « SUPÉRIEURE » ET « INFÉRIEURE »
PEUT-ELLE DISPARAÎTRE ?
Dr. Lucien Samir Oulahbib, Dr. Isabelle Saillot

THÉRAPIE PSYCHO ÉMOTIONNELLES. EXTRAIT DU LIVRE « COMMENT SOIGNER ET GUÉRIR AUJOURD’HUI ? »
du docteur Isaure Lamoureux

THE NONDUAL MIND
By James H. Cumming

DÉMOCRATIE, FIN DE PARTIE. NOTES DE LECTURE AUTOUR DE : “ADIEU LA LIBERTÉ” DE MATHIEU SLAMA
Par Karen Brandin

REFUSONS LE TOTALITARISME ET PROTÉGEONS L’AVENIR DE NOS ENFANTS !
Par Nicole Delépine, Gérard Delépine

L’ENTERREMENT DE LA THÉORIE VIRALE
Par Joseph Stroberg

THE PHENOMENON OF MENTALITY IS A CENTRAL PARADIGM THAT CRITICALLY CHANGES HUMAN LIFE
by Oleg Maltsev

NUCLÉAIRE, INCOMPÉTENCE, ET POUVOIR
Par Michel Gay

L‘AFP, C’EST HUIT « FAKE NEWS » EN UNE SEULE DÉPÊCHE  CONTRE LE PR PERRONNE
Par le docteur Gérard Delépine

THE INCARNATION, JEWS, AND PHILOSOPHY: A LESSON FROM DANTE’S PARADISO VII
By Marco Antonio Andreacchio

LA FIN DE LA CHRÉTIENTÉ
Par Lucien Samir Oulahbib

BREAKING NEWS: MEN ARE DIFFERENT FROM WOMEN, WOMEN FROM MEN
By Pr. Philip Carl Salzman

LES FORMES DE LA CROYANCE
Par Lucien Samir Oulahbib

TÉMOIGNAGE. « JE DOIS ÊTRE LIBRE D’ÊTRE CE QUE JE VEUX ÊTRE » –
UN ÉTUDIANT S’EXPRIME FACE AUX RESTRICTIONS COVIDISTES
Publié par @global_meri

SUITE (D’AUTOMNE 21). PHILOSOPHIE DES RELATIONS INTERNATIONALES II :
LA PHILOSOPHIE DE LA « PLURALITÉ DU MONDE »
Par David Cumin

« TOUT EST BON… TANT QU’ON NE LE POSSÈDE PAS »
Par Rachel Viviane

QU’EST-CE QUE L’ÉDUCATION MORALE ?  / WHAT IS MORAL EDUCATION?
By Marco Antonio Andreacchio

UNIVERSITÉS EN PÉRIL
Par Klaus Kinzler

JEAN-MICHEL BLANQUER : UNE NOUVELLE VISION DE LA REMONTADA
Par Karen Brandin

« À LA RECHERCHE DU TRAIT D’ESPRIT NATIONAL ». SOME TRAITS OF NATIONAL MENTALITIES IN JOKES AND HUMOROUS ANECDOTES
by Elvira Groezinger

DIVERSION UKRAINIENNE
Par Teresita Dussart

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Références :




Le Canada à un carrefour dangereux entre liberté et tyrannie

Par Joseph Stroberg

Quand un peuple voit ses libertés de plus en plus restreintes et bafouées, au point où l’individu n’a plus le droit de disposer de son propre corps s’il veut pouvoir continuer à manger, alors il est non seulement légitime de se révolter, surtout lorsque ceci est fait de manière pacifique, mais au Canada la sédition dans de telles circonstances est en plus légale.

L’usage de la force et de la coercition est l’arme des faibles. Donnez du pouvoir à un pleutre et il se transforme en despote. La tendance est malheureusement présente en l’Homme dès ses premières années. Dans les familles autoritaires qui vont jusqu’à martyriser, traumatiser, agresser et même parfois violer un enfant, celui-ci développe en général au moins trois tendances complémentaires :

  • il se désensibilise au point de perdre toute empathie et de devenir à son tour sociopathe ou psychopathe ;
  • il tend à reproduire le comportement violent de ses parents et peut finir par jouir lui-même de la souffrance qu’il inflige aux autres ;
  • sa peur désormais ancrée au plus profond de lui-même et reniée fait que pour faire face aux situations il a besoin de soldats ou de caïds capables d’agir à sa place face à des individus plus courageux et plus déterminés.

Il s’est ainsi établi dans l’Histoire humaine des lignées d’abuseurs, au minimum sociopathes, et dont la tendance a été de se hisser naturellement, en écrasant les autres, au sommet des hiérarchies. Dans leurs jeunes années, ils se comportent souvent comme des « fils à papa » et seront généralement entourés de « gros bras » facilement manipulables pour pouvoir plus facilement brimer des individus suffisamment petits ou faibles en apparence. Face à eux, il n’y a que deux choix possibles : subir leurs brimades ou résister. La peur ou le manque de confiance en soi fait malheureusement choisir le premier. À ce propos, voici une anecdote véridique :

Dans une famille de cinq enfants, deux des frères, de petite taille, ont toujours été les plus petits de leur classe tout au long de leur scolarité. L’un d’eux s’est fait brimer pendant toute la durée de celle-ci, jusqu’au bizutage à l’entrée en math sup. L’autre, à l’âge de huit ans, alors qu’il venait de changer d’école en cours d’année, passant d’une minuscule école de campagne à sept élèves par niveau, dans une salle unique, à une grande école de ville, s’est retrouvé face à trois gaillards lors de sa première récréation. Il a tout de suite perçu le « leader » de la classe et ses deux acolytes dont l’un le dépassait de plus d’une tête. Il ne sait plus ce que les lascars lui on dit pour le provoquer ou pour tenter de lui faire peur. Il se rappelle seulement sa réaction instantanée : il a sauté très haut pour entourer le cou du grand « dadais » (tel il le percevait) avec son bras droit et le faire ainsi dans la foulée tomber par terre. Les maîtres et maîtresses présents dans la « cour de récré » se sont alors précipités pour demander des explications. Il n’a pas répondu et n’a pas été inquiété. On l’a laissé tranquille pendant tout le reste de sa scolarité. Il était déjà habité par une force intérieure.

À quelle catégorie appartient Justin Trudeau, entre le genre brimeur « fils à papa » et le petit élève insignifiant qui pourtant résiste ? Observez sa manière d’agir face au peuple canadien et vous aurez la réponse. À quelle catégorie appartiennent les Canadiens ? Existe-t-il suffisamment d’entre eux qui soient habités par la foi (en eux, en l’Univers, en Dieu…) pour résister ? Le présent combat n’est pas contre un virus, mais entre des élites autoproclamées (et psychopathes ou sociopathes, pour la plupart) et le reste de l’Humanité. Il est aussi éventuellement un combat intérieur entre d’une part la peur de la maladie et de la mort, et d’autre part la volonté et le courage de faire face aux circonstances de la vie avec dignité et honneur, au risque de se faire dénigrer et piétiner par les soldats des tyrans.

La présente situation au Canada illustre le combat fondamental de l’Humanité à notre époque :

https://twitter.com/ban05063867/status/1495525046021992449?s=11



Le Convoi de la Liberté « Plein d’amour » : Témoignage émouvant d’une jeune mère de famille (avant que la police ne vienne tabasser les manifestants)

Jessica, mère de famille, nous livre un témoignage émouvant sur l’importance de la manifestation du Convoi de la Liberté « plein d’amour ». Elle est venue avec son mari et ses deux enfants pour venir manifester devant le parlement avec leur roulotte.  » C’était le mercredi 16 février alors qu’un débat sur les mesures d’urgence avait lieu au parlement canadien. (Vidéo > 2 min)




Les médias mainstream canadiens continuent bien sûr de mentir. Mise à jour 5

Par Joseph Stroberg

Tous les jours, plusieurs fois dans la journée, depuis le début de la démonstration pacifique des camionneurs canadiens, ces médias subventionnés par les entreprises pharmaceutiques, par le monde de la finance et/ou grâce à nos impôts passent leur temps à amoindrir et à dénigrer le mouvement et les camionneurs. Profitant au besoin de groupuscules néonazis ou d’individus isolés payés à cette fin et qui se sont infiltrés dans la foule qui soutient le mouvement, ces médias rapportent en boucle de rares actes dégradants tels que le vol de la nourriture de personnes sans domicile fixe, ou encore la défécation en pleine rue, alors que dans le même temps les camionneurs bénéficient de toilettes portables et de l’accès à certains hôtels pour leur douche, ainsi que d’une incroyable logistique de ravitaillement aussi bien alimentaire qu’en carburant pour les camions.(([1] Voir notamment : Camionneurs de la liberté à Ottawa : l’astucieuse et encourageante analyse d’une journaliste canadienne)).

Voici un témoignage significatif (source brighteon.com) :

J’y étais samedi soir. On estime qu’il y avait 2,2 millions de personnes. Pas les quelques milliers dont parlent les médias.

Il y avait des convois vers Ottawa en provenance de l’ouest, de l’est et du sud. Des camionneurs sont venus de l’Alaska (États-Unis) et se sont joints à la branche ouest…

Lorsque le premier camion du convoi de l’ouest a traversé le Manitoba pour entrer en Ontario, le dernier camion était encore en Saskatchewan ! Cette seule partie du convoi de protestation était aussi longue que le Manitoba est large, soit plus de 280 MILES [450 kilomètres] DE LONG.

On estime que 60 à 80 MILLIERS de camions étaient en circulation. J’ai lu des rapports des médias faisant état de « douzaines de camions ». Si vous avez vu des images du rassemblement (([2] Voir :
Canada : manifestation devant le parlement d’Ottawa et compléments sur le convoi routier. Mise à jour
Canada : un énorme convoi de camions se dirige vers la capitale pour protester contre l’obligation vaccinale des camionneurs. Mise à jour 4
Les routiers canadiens roulent vers la capitale Ottawa contre le pass vaccinal
100 000 camionneurs veulent bloquer Ottawa pour libérer le Canada)), vous ne voyez peut-être que 15 % des camions qui sont à Ottawa mais qui ne sont pas autorisés à y entrer. Les autoroutes environnantes sont bondées de camions. Les agriculteurs locaux font des aires de stationnement pour les camions qui ne sont pas encore à Ottawa. Je connais beaucoup de gens qui rassemblent des groupes pour aller participer aux journées à venir.

C’était l’une des choses les plus émouvantes que j’aie jamais vécues. L’amour et la joie qui régnaient partout étaient extraordinaires. Aucune arrestation, aucun problème. Quelqu’un a mis un drapeau canadien sur la statue de Terry Fox et l’a accroché à l’envers, signifiant un pays en détresse. Cela a entraîné des dizaines d’histoires honteuses de la part des grands médias (msm [MainStream Media]) sur les dommages causés par le rassemblement aux sites historiques. Les [mêmes] médias avaient à peine parlé des statues qui avaient été détruites et même brisées lors d’autres protestations de groupes que le gouvernement apprécie. Ici, la statue était recouverte d’un drapeau et les manifestants ont même nettoyé la statue avant de l’orner du drapeau canadien. Un certain nombre de bouquets de fleurs ont également été déposés aux pieds de la statue. (Il ne s’agit en aucun cas de profanation).

Toute la nuit, on a pu voir des manifestants tenant non seulement des drapeaux et des pancartes, mais aussi des sacs à ordures. Ils ramassaient les ordures. Les gens intelligents savent que le gouvernement cherche tout ce qu’il peut utiliser pour discréditer la manifestation. Apparemment, des piles de briques ont été repérées lorsque le convoi est entré dans Ottawa. Les organisateurs ont rapidement fait garder les briques par des personnes jusqu’à ce que la police soit informée et se présente pour les enlever. Je pense que les briques étaient là pour que les instigateurs soutenus par le gouvernement les utilisent pour tenter de déclencher quelque chose. La manifestation est tout à fait pacifique et bruyante 🙂 ET NE FAIT QUE COMMENCER. La page « go fund me » a maintenant dépassé les 8 millions de dollars [10 millions maintenant] ! Assez pour que les camionneurs restent là pendant des années ! Nous ne partirons pas, Trudum !

Mise à jour 5

Lors d’une émission télévisée populaire au Québec, sur la chaîne d’informations continues LCN, une chef d’entreprise qui était présente depuis 4 jours à Ottawa a témoigné de ce qu’elle a vu sur place et elle a complètement démoli ce que les présentateurs et les prétendus journalistes de ce même média répètent en boucle. Son témoignage est conforme à ce qui a été rapporté dans le présent article et dans les précédents sur le mouvement des camionneurs. Alors qu’elle a passé son temps à circuler dans la foule, à parler avec les uns et les autres, à aider les camionneurs… elle n’a notamment jamais vu des excréments humains par terre ni de pancartes néonazies ni de personnes radicales ou perturbatrices. Elle a reproché à ces « journalistes » de se focaliser sur au maximum 1 % de gens (qu’elle-même n’a pas vus) et d’en parler 95 % du temps, alors que sur place l’ambiance est calme, plutôt festive ou familiale, conviviale, avec de l’entraide de la part des habitants (contrairement au prétendu raz le bol de la population rapporté par ces médias).

Mise à jour 4

Mise à jour 3

https://twitter.com/brienico/status/1488793906141667343?s=11

Mise à jour 2

Mise à jour

https://twitter.com/karimamarkhodj1/status/1488805640218816512?s=11
https://twitter.com/ban05063867/status/1488615304464900104?s=11

Ce que fait la police par opposition au discours médiatique qui laisse entendre qu’elle va rapidement faire dégager les camionneurs :


Autres effets :




L’enterrement de la théorie virale

Par Joseph Stroberg

Pour déterminer la validité d’une théorie scientifique touchant une discipline particulière, il est bien davantage utile de connaître la démarche scientifique et le propre de la science que d’être un expert du domaine en question. Le propre de la science est le doute, la remise en question des connaissances acquises à la lumière de nouvelles données ou informations, par exemple suite à l’exploration de nouvelles voies ou à l’observation du réel sous un nouvel angle de vue ou selon une nouvelle perspective. Une théorie explicative de phénomènes observés ne peut être véritablement d’ordre scientifique que si elle est contestable par l’argumentation ou l’expérimentation dans le cadre de la démarche scientifique. Si a contrario elle se pose en vérité absolue ou définitive, alors elle ne relève pas de science, mais de superstition ou de croyances religieusement ou affectivement entretenues. À la lumière de nombreux faits et constats, nous allons tenter de montrer ici en quoi la théorie virale ne relève pas de science, mais de scientisme et de croyances erronées.

1)- La démarche scientifique

Il s’agit d’une méthode rigoureuse pour tenter d’expliquer la réalité objective, présentée schématiquement ici.

Les étapes de la démarche ou de la méthode scientifique

1. L’analyse

Elle consiste à subdiviser l’étude en éléments plus simples aux propriétés et fonctions particulières.

La modélisation

La modélisation est une phase de l’analyse consistant à rechercher les interactions entre les éléments de l’objet d’étude, dont les relations de cause à effet qui peuvent exister entre eux ou vis-à-vis de systèmes extérieurs.

La démonstration d’un lien de causalité

De manière rigoureuse, pour établir l’existence d’une relation de cause à effet entre un phénomène ou élément A et un phénomène ou élément B, il est nécessaire et suffisant de vérifier les conditions exposées ci-après.

(Voir https://nouveau-monde.ca/leffondrement-de-lhypothese-virale/)

La démonstration scientifique s’appuie sur la logique. En logique pure, pour qu’un phénomène, un événement, un objet ou un être vivant soit la cause unique d’un autre phénomène, événement, objet ou être vivant, il doit respecter les conditions logiques suivantes :
Il est suffisant que la présence de la cause entraîne la présence de la conséquence prévue
ou inversement que l’absence de la conséquence implique l’absence de la cause.
Si la cause est effectivement unique, il n’y a bien sûr aucune autre cause systématiquement présente.

Il est par contre nécessaire que l’absence de la cause entraîne l’absence de la conséquence prévue, ou qu’inversement la présence du phénomène prévu implique la présence de la cause.

Exemple en climatologie :

Si les nuages étaient la cause unique de la pluie, il serait suffisant que la présence de nuages entraîne celle de la pluie et inversement l’absence de pluie impliquerait l’absence de nuages.

Or, on observe assez souvent la présence de nuages sans qu’il y ait de pluie du tout et dans certains cas, au lieu de pluie, on a plutôt de la neige ou de la grêle.

De plus, il serait nécessaire que l’absence de nuages entraîne l’absence de la pluie
ou inversement que la présence de la pluie implique celle des nuages.

Mais dans la pratique, on a pu pourtant observer de la pluie fine en certains lieux et circonstances sans nuages visibles, par phénomène de condensation localisée de vapeur d’eau.

Donc, tout cela montre logiquement que les nuages ne sont pas la cause unique de la pluie et que d’autres facteurs (ou éléments causaux) interviennent, comme la température et la pression de l’atmosphère.

Exemple en virologie :

Si un virus donné (comme le supposé SRAS-CoV-2 pourtant jamais physiquement isolé) était la cause unique de la maladie Covid-19 qu’on lui attribue, alors il serait suffisant que sa présence entraîne la maladie associée, et inversement l’absence de la maladie impliquerait l’absence du virus.

Or, on observe assez souvent que des personnes auraient prétendument le SRAS-CoV-2 dans leur organisme alors qu’elles ne sont pas malades et n’ont aucun symptôme, au point qu’on les appelle « malades asymptomatiques ».

De plus, il serait nécessaire que l’absence du virus entraîne l’absence de la maladie ou qu’inversement la présence de la maladie entraîne celle du virus.
Or, comme les symptômes de cette maladie couvrent d’autres maladies ou phénomènes (comme les symptômes de la grippe ou comme les effets sur la santé d’ondes électromagnétiques pulsées) et que l’on a pu les observer sans le moindre lien avec le SRAS-CoV-2, on peut dire que l’on a des personnes qui aujourd’hui seraient diagnostiquées Covid-19 sans pour autant que l’on y détecte de SRAS-CoV-2.

Donc tout cela montre qu’au mieux le SRAS-CoV-2 n’est pas la cause unique de la Covid-19, mais que d’autres facteurs doivent logiquement intervenir s’il a quelque chose à y voir (et si par hasard il existe vraiment, mais n’est pas un simple artefact virtuel produit d’une méthodologie qui n’a rien de scientifique).

Exemple en électricité :

Si le courant électrique est la cause unique de la lumière d’une lampe, il est suffisant que la présence du courant dans le filament de l’ampoule entraîne son éclairage et inversement, l’absence de courant implique l’absence de lumière.

Ceci est effectivement observé à partir du moment où le courant est d’intensité suffisante. (En toute rigueur, on pourrait toutefois ici invoquer une cause secondaire, à savoir l’existence d’une résistance électrique au passage du courant dans le filament. Et donc en toute rigueur le courant électrique est la cause principale, mais pas unique de l’éclairage de la lampe.)

De plus, il est nécessaire que l’absence de courant entraîne l’absence de lumière dans l’ampoule
ou inversement que la présence de lumière implique celle du courant.

On n’observe effectivement pas de lampes électriques allumées sans qu’elles soient parcourues par un courant électrique

2. L’épreuve des faits

Ce n’est pas parce qu’un raisonnement est juste qu’il correspond aux faits objectifs. L’analyse intellectuelle d’une situation peut sembler cohérente et logique de prime abord, mais ne pas pour autant avoir le moindre rapport avec le réel.

  • Un raisonnement fallacieux qui n’a que l’apparence de la logique est appelé un « sophisme ».
  • Un raisonnement dissocié de la réalité est nommé « syllogisme ».

Exemple :

Le raisonnement suivant relève à la fois de syllogisme et de sophisme :

  • Tout ce qui est rare est cher ;
  • Les chevaux bon marché sont rares ;
  • donc les chevaux bon marché sont chers.

Il est sophiste, car la conclusion est en contradiction interne et se trouve donc fausse.

Il relève de syllogisme, car en réalité les chevaux bon marché sont peu chers, par définition et constat, et aussi parce que tout ce qui est rare n’est pas nécessairement cher, comme certaines formes de bactéries, de moisissures, d’insectes, ou encore de « mauvaises herbes » que pourtant personne n’aurait l’idée d’acheter et dont la valeur marchande est alors très voisine de zéro (quelle que soit l’unité monétaire considérée).

Les mesures

L’épreuve des faits consiste en particulier à effectuer des expériences, des mesures et des évaluations pour vérifier leur conformité à ce que prévoit la théorie. Une bonne théorie doit être prédictive.

Pour être significatifs, les expériences, les tests et les essais doivent être reproduits autant de fois que nécessaire afin de réduire la part d’erreurs et des biais psychologiques (comme ceux provenant de conflits d’intérêt ou de corruption et qui peuvent amener à fausser les résultats).

Contre-expériences

Appelées aussi expériences de contrôle ou encore expériences témoins, elles consistent à éliminer au moins une des causes supposées être responsables d’un des phénomènes étudiés dans le cadre de la théorie pour tenter pourtant d’obtenir les mêmes effets.

Par exemple, pour valider la théorie virale, il ne suffit pas d’observer de multiples fois des tissus infectés par un virus donné, puis de constater la mort des cellules biologiques pour conclure que le virus est bien le responsable de la maladie concernée. Il faut aussi réaliser plusieurs fois des contre-expériences dans lesquelles on a recours à exactement les mêmes conditions expérimentales à l’exception de la présence du virus. Si malgré l’absence de ce dernier les cellules meurent similairement, cela démontre que le virus n’en était pas la cause.

3. Retour à l’analyse

Si les mesures, les expériences et/ou les contre-expériences ne correspondent pas à la théorie ou ne parviennent pas à la valider, il est nécessaire de l’abandonner ou au moins de la revoir plus ou moins complètement.

2)- La théorie virale

Cette théorie suppose depuis 1954 que des virus de taille nettement plus petite que celle des bactéries et des cellules végétales, animales ou humaines sont susceptibles d’y pénétrer pour s’y multiplier en utilisant leur matériel génétique, puis d’en sortir pour aller infecter d’autres individus de même espèce, voire d’autres espèces, alors qu’ils ne sont pas eux-mêmes vivants. L’effet d’une telle invasion parasitaire serait alors l’apparition subséquente des maladies non bactériennes telles que la grippe, la variole et la polio. Le lien de causalité supposé est le suivant : la cause est le virus et l’effet automatique est alors une maladie virale spécifique aux symptômes caractéristiques. Le gros problème est que l’existence d’un tel lien causal n’a jamais été établie pour aucun des supposés virus, comme nous allons le voir, et que l’existence même de telles particules (non vivantes qui seraient externes aux organismes vivants végétaux, animaux et humains, mais guère capables de survivre hors d’eux plus de quelques heures) n’est pas non plus scientifiquement et rigoureusement démontrée.

Que font les virologues lorsqu’ils prétendent isoler un virus ?

« Les virologistes croient aux virus parce qu’ils ajoutent au tissu et aux cultures cellulaires du sang, de la salive ou d’autres fluides corporels supposés infectés — après avoir retiré les nutriments de la culture cellulaire respective et après avoir commencé à l’empoisonner avec des antibiotiques toxiques. Ils pensent que la culture cellulaire est alors tuée par les virus. »

Dr Stefan Lanka, qui ne revendique plus le titre de « virologue », dans https://nouveau-monde.ca/la-fausse-idee-appelee-virus-la-rougeole-a-titre-dexemple/

« Les virologues prélèvent des échantillons non purifiés sur un nombre relativement restreint de personnes, souvent moins de dix, atteintes d’une maladie similaire. Ils procèdent ensuite à un traitement minimal de cet échantillon et l’inoculent à une culture tissulaire contenant habituellement quatre à six autres types de matériel, qui contiennent tous du matériel génétique identique à ce que l’on appelle un « virus ». La culture de tissus est affamée et empoisonnée et se désintègre naturellement en de nombreux types de particules, dont certaines contiennent du matériel génétique. À l’encontre de tout bon sens, de toute logique, de l’usage de la langue anglaise et de l’intégrité scientifique, ce processus est appelé « isolement du virus. » Cette infusion [ou soupe chimico-génétique] contenant des fragments de matériel génétique provenant de nombreuses sources est ensuite soumise à une analyse génétique, qui crée alors dans un processus de simulation informatique la séquence présumée du prétendu virus, un génome dit « in silico » [du mot « silicium », pour indiquer sa nature purement logicielle, puisque les microprocesseurs à la base du fonctionnement des ordinateurs sont faits de semi-conducteurs en silicium]. À aucun moment un virus réel n’est confirmé par microscopie électronique. À aucun moment, un génome n’est extrait et séquencé à partir d’un virus réel. »

Dr Andrew Kaufman, dans https://nouveau-monde.ca/declaration-sur-lisolement-des-virus/

« La théorie des virus pathogènes remonte au XIXe siècle et les virologues ont passé la première moitié du XXe siècle à essayer d’extraire ces virus présumés directement d’hôtes vivants. Les échecs répétés les ont amenés à changer de cap dans les années 1950 afin de conserver une quelconque crédibilité. Les virologues devaient fournir quelque chose à montrer à leurs investisseurs potentiels, y compris à l’industrie pharmaceutique en plein essor qui s’impatientait de développer des vaccins et des traitements antimicrobiens.

En 1954, des scientifiques ont rapporté qu’ils avaient des preuves de la présence du virus de la rougeole en se basant sur l’observation qu’un échantillon provenant d’un patient atteint de la rougeole avait tué certaines cellules dans un tube à essai. Ces phénomènes sont connus sous le nom d’”effets cytopathiques”. Les auteurs ont admis que “bien qu’il n’y ait aucune raison de conclure que les facteurs in vivo [chez l’homme] sont les mêmes que ceux qui sous-tendent la formation de cellules géantes et les perturbations nucléaires in vitro [dans le tube à essai], l’apparition de ces phénomènes… pourrait être associée au virus de la rougeole.”

L’apparition du CPE (effet cytopathique) est à la base des allégations frauduleuses d’isolement et de pathogénicité de la virologie moderne : un échantillon (par exemple, un écouvillon nasal) est prélevé sur un patient et mélangé à des cellules dans un tube à essai, les cellules meurent et l’on déclare qu’un virus a été “isolé”. Ce que les virologues ne veulent pas que vous sachiez, c’est que les mêmes résultats peuvent être obtenus sans ajouter de prétendus échantillons de virus dans le tube à essai — en d’autres termes, c’est le processus lui-même, la privation de nourriture de la cellule et l’ajout de diverses substances toxiques telles que des antibiotiques et des antifongiques, qui provoquent la réaction et la mort des lignées cellulaires déjà anormales, sans qu’aucun virus ne soit nécessaire. (Des photographies d’infections “factices” sont parfois fournies, mais les détails de ces expériences se distinguent par leur absence).

Il y a, bien sûr, les images de ce qu’on prétend être le virus à l’origine de tous nos problèmes. Cependant, ces images 3D colorées ne sont rien d’autre que des images générées par ordinateur constituant une représentation artistique. »

Docteurs Mark Bailey et John Bevan-Smith dans https://nouveau-monde.ca/la-fraude-du-covid-19-et-la-guerre-contre-lhumanite/

Pour simplifier, les étapes du processus qui prétend isoler un virus et le caractériser sont les suivantes :

  1. récolte de matériel biologique infecté (sang, morve, peau, etc. selon le cas) ;
  2. prétendue « culture » des virus dans une préparation qui mélange le matériel infecté, des cellules prétendument propices à la culture virale, des antibiotiques et des antifongiques toxiques et des substances susceptibles de favoriser la multiplication virale ;
  3. après la mort des cellules de culture, centrifugation de la soupe résultante pour séparer les composants par densité et recueillir la couche supposée contenir les virus reproduits ;
  4. séquençage par logiciel informatique qui découpe d’abord en morceaux le matériel génétique recueilli avant de reconstituer virtuellement la supposée séquence génétique complète du supposé virus d’après un modèle de base supposé être celui du virus ou très proche de lui.

3)- Confrontation de la théorie virale à la rigueur scientifique

Avant même de chercher à déterminer la réalité ou non d’un lien causal entre virus et maladies qualifiées de virales, si au moins l’une des quatre étapes qui viennent d’être évoquées est démontrée sans fondement scientifique, alors c’est déjà suffisant pour faire s’effondrer la théorie puisqu’alors cela confirmerait qu’aucun virus ne peut être véritablement isolé en suivant une telle procédure. Et s’il ne peut pas être isolé, il devient impossible de démontrer ensuite qu’il provoque bien une maladie.

À notre connaissance, un seul scientifique s’est jusqu’à maintenant donné la peine d’effectuer des expériences de contrôle pour vérifier ou pour infirmer la validité du supposé processus d’isolement, de purification et de caractérisation d’un virus donné. Il s’agit de Stefan Lanka (Voir en particulier :
https://nouveau-monde.ca/stefan-lanka-conduit-les-experiences-temoins-refutant-la-virologie/
https://nouveau-monde.ca/la-verite-sur-la-rage-le-virus-de-la-mosaique-du-tabac-le-graphene-et-les-resultats-de-la-2e-phase-des-experiences-temoins/
https://nouveau-monde.ca/la-fin-de-la-virologie-la-3e-phase-des-experiences-temoins-du-sars-cov-2/)

Lors de la première phase, en plus des cellules humaines récoltées, on trouve au minimum le matériel génétique des cellules de cultures, mais aussi possiblement des cellules de chien, de chat ou de quoi que soit d’autre qui se trouve dans l’environnement de l’individu malade ou supposément infecté d’un virus.

Pour ce qui concerne la seconde phase, Lanka a effectué des expériences témoin qui démontrent que l’on parvient à faire mourir les cellules de culture sans ajouter aucun tissu biologique infecté, mais par le seul fait du processus lui-même. En d’autres termes, il a démontré ainsi que ce sont les conditions expérimentales seules qui produisent l’effet de mort cellulaire et de supposée multiplication virale qui en découle, ceci à cause des produits chimiques toxiques ajoutés et de l’insuffisance ou de l’inadéquation des nutriments reçus par les cellules de culture.

Lors de la troisième phase, en raison de la mixture présente dans l’étape 1, et compte tenu de l’absence à ce stade d’expériences de contrôle, il n’y a aucune assurance que le matériel génétique récolté après centrifugation et purification correspond uniquement à celui du malade ou de la personne soi-disant viralement infectée.

Et concernant la dernière phase, Lanka a démontré qu’il pouvait obtenir n’importe quelle séquence génétique virale, puisqu’au cours du processus, on commence par découper les brins d’ADN en petites séquences de nucléotides avant de les soumettre à un complexe processus de reconstitution logicielle lors duquel on élimine des éléments indésirables qui ne cadrent pas avec le modèle viral supposé et pour lequel on comble les trous en fonction de ce modèle, ceci à volonté. De plus et au final et le plus souvent, le puzzle ainsi reconstitué ne correspond même pas à 100 % du génome supposé. Pour donner une idée de la « valeur » scientifique d’une telle procédure qui n’est nullement expérimentale, mais purement informatique, ce procédé est similaire à celui qui consisterait à découper en petits morceaux les feuilles d’un millier de romans, à les mélanger au hasard, puis à s’efforcer de reconstituer un roman donné (par exemple Les trois mousquetaires) sans même être certain que ce roman faisait partie du lot des romans découpés en morceaux. Si les morceaux de feuilles sont suffisamment petits, après moult ajustements, rabotage de mots dans certains bouts de phrases, ou ajout de termes dans d’autres morceaux, on pourra presque sûrement à un moment donné s’approcher du roman voulu, disons avec le même pourcentage de précision que pour la séquençage génétique, à savoir quelque chose comme 99,7 %. Si le pourcentage descend trop bas, on parlera alors d’un roman « variant » : Omicron ou Delta, ou quoi que ce soit d’autre. Et si on est plus proche d’un des variants déjà trouvés que du roman original, on dira alors qu’on a affaire à un sous-variant. Quoi qu’il en soit, on ne reconstitue ainsi quasiment jamais le roman cherché et d’autre part, rien ne permet de s’assurer que ce roman viral était bien présent dans la mixture initiale.

Aucune des quatre étapes n’est scientifiquement rigoureuse, et lorsque Lanka a effectué les expériences témoins indispensables pour une telle rigueur, il a tout simplement démontré qu’il pouvait obtenir tout et n’importe quoi en matière de prétendus virus. Lui et quelques autres chercheurs ou médecins se sont penchés sur la littérature existante en matière d’isolement de virus et ont pu constater qu’aucun texte ne démontre scientifiquement et rigoureusement l’existence d’un virus avec un code génétique bien déterminé et qui aurait pu être simultanément observé par microscopie. La totalité du processus relève essentiellement de scientisme, voire de fraude involontaire ou intentionnelle, mais ne démontre scientifiquement rien et surtout pas l’existence de virus pathogènes non vivants, mais parasites qui se multiplieraient dans des cellules vivantes.

« La mort des tissus/cellules est également considérée comme l’isolation d’un virus parce qu’ils prétendent que quelque chose de l’extérieur, d’un autre organisme, a été apporté dans le laboratoire, bien qu’un virus n’ait jamais été isolé au sens du mot isolation, et n’ait jamais été photographié et caractérisé biochimiquement en tant que structure unique entière. Les micrographies électroniques des supposés virus montrent en réalité des particules cellulaires assez normales provenant de tissus et cellules en train de mourir, et la plupart des photos ne montrent qu’un modèle informatique (CGI — computer generated images — images générées par ordinateur ou images de synthèse — NdT). Parce que les parties impliquées CROIENT également que les tissus et cellules en train de mourir deviennent eux-mêmes des virus, leur mort est également considérée comme la propagation du virus. Les parties impliquées croient toujours ceci parce que le découvreur de cette méthode a reçu le Prix Nobel et ses articles sur les « virus » restent des articles de référence. »

Stefan Lanka dans https://nouveau-monde.ca/la-fausse-idee-appelee-virus-la-rougeole-a-titre-dexemple/

4)- Véritable cause des maladies et des apparentes contagions

La théorie virale s’avérant bidon, Lanka et quelques autres pionniers ont redécouvert les anciennes théories abandonnées à cause d’intérêts pharmaceutiques puissants et les ont améliorées à la lumière des dernières découvertes, notamment celle de l’existence scientifiquement démontrée elle des exosomes. Ces composants sont produits par les cellules organiques lorsqu’elles sont agressées d’une manière ou d’une autre par des toxines, par le froid, par des ondes électromagnétiques, par des champs électriques, par des émotions négatives ou par d’autres facteurs stressants. Ils ont la même apparence que celle attribuée à certains modèles de virus, parce que notamment le scientisme moderne de base matérialiste tend trop souvent à inverser causes et effets.

« Toutes les affirmations qui disent que les virus sont des agents pathogènes sont fausses et sont basées sur des erreurs d’interprétation facilement identifiables, compréhensibles et vérifiables. Les vraies causes des maladies et phénomènes qui sont imputées aux virus ont déjà été découvertes et recherchées : cette connaissance est désormais disponible. Tous les scientifiques qui pensent qu’ils travaillent en laboratoire sur des virus sont en fait en train de travailler sur des particules habituelles de tissus spécifiques en train de mourir ou sur des cellules qui ont été préparées d’une manière spéciale. Ils croient que ces tissus et cellules sont en train de mourir parce qu’ils ont été infectés par un virus. En réalité, les cellules et tissus infectés étaient en train de mourir parce qu’ils étaient affamés et empoisonnés suite aux expériences dans le laboratoire. »

Stefan Lanka dans https://nouveau-monde.ca/la-fausse-idee-appelee-virus-la-rougeole-a-titre-dexemple/

Par ailleurs, des expériences assez récentes tendent à démontrer que le corps humain, de nature électrique et magnétique, est également sensible à distance à la condition vitale des autres. Les phénomènes physiques de résonance et d’induction magnétique peuvent en partie expliquer l’influence contagieuse de la bonne ou au contraire de la mauvaise santé des uns sur les autres, en plus du fait que bien des prétendues « épidémies » ne résultent le plus souvent que de l’exposition à des facteurs communs à une région donnée, voire dans certains cas à la planète entière. Et dans pratiquement tous les cas d’épidémies historiques, on a pu trouver des explications alternatives à celle de bactéries ou de virus.

(Voir :
https://nouveau-monde.ca/la-contagion-quelques-elements-de-reponse-a-contrario-de-la-funeste-doxa-actuelle/

https://nouveau-monde.ca/le-mythe-de-la-contagion-virale-pourquoi-les-virus-incluant-les-%e2%80%89coronavirus%e2%80%89-ne-sont-pas-la-cause-des-maladies/
https://nouveau-monde.ca/epidemies-et-contagions/
https://nouveau-monde.ca/la-microbiophobie-ambiante-est-hors-de-controle-de-nouvelles-perspectives-sur-la-veritable-nature-des-virus/
https://nouveau-monde.ca/larc-en-ciel-invisible-une-histoire-de-lelectricite-et-de-la-vie)

Dans le cas particulier de la maladie Covid-19 qui regroupe de multiples symptômes (grippaux, cardio-vasculaires, etc.), il se trouve que ces symptômes ont été démontrés comme pouvant être causés par diverses ondes électromagnétiques, surtout sous forme artificielle pulsée et particulièrement dans la bande des micro-ondes. C’est comme par hasard le cas des ondes Wi-Fi, 3G, 4G, 4G+ et 5G. Et il apparaît que les lieux d’apparition de la Covid coïncident temporellement et géographiquement de manière plutôt précise avec celle de l’implantation de la 5G à laquelle le corps humain n’a pas encore eu le temps de s’adapter. Il apparaît également que des facteurs additionnels tels que la quantité de métaux, notamment lourds, dans le corps sont susceptibles d’aggraver les symptômes, car alors les cellules du corps éprouvent davantage de difficulté pour se purifier de l’agression subie. Le corps humain est de nature électrique et magnétique très sensible et l’existence des électrocardiogrammes et des électroencéphalogrammes en est une des preuves. Les ondes électromagnétiques pulsées évoquées ci-dessus sont fortement susceptibles de perturber les délicats équilibres et mécanismes biologiques qui reposent sur cette nature électrique et magnétique, comme le cycle énergétique de Krebs, les influx nerveux et les processus neuronaux. Chercher à ridiculiser la probable ou au moins possible causalité entre 5G et Covid ne relève pas de science, mais d’obscurantisme scientiste et de fermeture d’esprit ou au mieux de soumission à des intérêts financiers liés à l’industrie pharmaceutique et/ou à celle des télécommunications, secteurs particulièrement influents de nos jours.