Le Tétralogue — Roman — Chapitre 47 & épilogue

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Le Tétralogue — Roman — Chapitre 46]

Par Joseph Stroberg

​47 — Le Tétralogue

Une fois la porte du mausolée franchie, les quatre compères se retrouvèrent dans une pièce rectangulaire qui semblait plus vaste à l’intérieur que le bâtiment perçu de l’extérieur. Celui-ci était vide, à part une urne — qui devait logiquement contenir les cendres du Saint-Homme — et un empilement de quatre caisses cubiques de la taille d’une coudée. Le sol était lisse et poussiéreux, alors que les murs avaient la même apparence que ceux du temple où Tulvarn avait passé ses dernières années avant de se lancer dans cette folle quête : de la lave vitrifiée de couleur rouge sombre. De manière inusitée, un plafond plat et blanchâtre masquait la toiture.

— Quoi ? C’est tout ?! lança Gnomil quelque peu dépité. C’est ça le Tétralogue ? Quatre vulgaires caisses de bois en piteux état ?

— Patience, mon ami, répondit Tulvarn. Nous ignorons ce qu’elles contiennent. Il ne faut peut-être pas se fier à leur apparence. Elles pourraient aussi bien contenir des pierres précieuses.

— J’en doute fort. D’habitude elles se trouvent enfermées dans de solides coffres métalliques.

— Tu en as vu si souvent, intervint Jiliern ?

— En fait, non, mais c’est ce qui circule parmi les voleurs. Je n’ai pu voler que deux petits coffrets à bijoux qui ne contenaient que quelques poignées de gemmes. Cependant, ils étaient bien en fer.

— Quoi qu’il en soit, commençons donc par ouvrir la première, si vous le voulez bien.

— Sûr que je veux ! répondit Gnomil, qui espérait malgré tout vraiment se tromper.

Le moine souleva alors la première caisse, la déposa sur le sol et l’examina avant de tenter de l’ouvrir. Sur le dessus étaient mentionnées en écriture symbolique, utilisée seulement dans les temples, trois courtes phrases  : « Souviens-toi d’où tu viens. L’univers est ton berceau. Laisse-toi guider par ses étoiles. ». En palpant les bords, il détecta la présence d’une charnière qui courait le long d’un des côtés de la face supérieure. Il la fit facilement pivoter pour découvrir l’intérieur. Sur sa face opposée se trouvait la simple mention : « Résurrection en terre étrangère ». Plus bas, il releva aussi : « Yul Dal Rachid ». Et dans la caisse, se trouvaient 49 rouleaux, disposés verticalement sur sept rangées et autant de colonnes. Il tira au hasard l’un d’eux et se demanda de quelle matière il pouvait bien être constitué. Celle-ci était incroyablement lisse, souple, difficilement froissable et arborait une étrange luminosité, un peu comme si elle était vivante. Peut-être l’était-elle, après tout. Le déroulant, il vit un long texte, également en écriture symbolique, les mots suivants : « Chapitre neuf. L’élève ». Il en tira quelques autres et ils commençaient aussi par le même mot « Chapitre » et en parcourut quelques passages.

— Tu comprends cette écriture ? interrogea la cristallière.

— Oui. Heureusement. Je l’ai apprise au temple, répondit le moine. Elle est utilisée pour les textes sacrés, poursuivit-il avant de rapporter brièvement ce qu’il avait lu. Mais pourquoi se trouve-t-elle sur ces étranges rouleaux ? Ces écrits ne semblent rien avoir de sacré. Il s’agit de prime abord seulement d’une histoire rapportée, un genre de conte ou de récit historique, quelque part sur une autre planète. Voyons ce que contient la seconde !

Tulvarn se saisit alors de la seconde caisse de la pile et la posa à son tour sur le sol. Sur la face externe se trouvaient les trois courtes phases suivantes : « Les autres sont ton miroir. Les observer t’enseigne. Aime-les. ». Sur le côté intérieur, il pouvait lire : « Projet Vulcain », puis plus bas : « Ilmina ». La boîte contenait aussi quarante-neuf rouleaux organisés en sept rangées et sept colonnes. Il en tira aussi quelques-uns au hasard et en déduisit également qu’il s’agissait aussi d’un genre de récit. Au fur et à mesure de ses découvertes, il en informait ses compagnons. Mais ni lui-même ni eux ne comprenaient le sens de ce qu’ils voyaient. La troisième caisse comprenait également 49 rouleaux rangés pareillement, avec les mentions respectives : « Tes émotions et tes pensées sont vivantes. Apprends à les dompter. Elles participent à la création de ton destin. », « La voie du Rinn’Dual » et « Zénovia ». Enfin, la dernière caisse contenait aussi 49 rouleaux rangés identiquement, et cette fois avec les mentions : « La vie et la matière sont tes parents. Elles sont sacrées. Respecte-les et honore-les », « Le Tétralogue » et « Le Saint-Homme ».

— Par le Grand Satchan ! Mais qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire ?! s’exclama Tulvarn qui se trouvait presque aussi dépité que précédemment l’avait été son ami le voleur. Je n’y comprends rien ! Pourquoi se lancer dans cette quête insensée, vivre toutes ces aventures périlleuses durant lesquelles nous avons failli plusieurs fois perdre la vie, pour nous retrouver devant ceci ?

— C’est en effet à n’y rien comprendre, concéda Jiliern.

— C’est sûr ! approuva Gnomil. C’est vraiment décevant !

— Je dois dire que je ne m’attendais pas non plus à ce genre de chose, ajouta à son tour Reevirn. Que faisons-nous de ces caisses ? On les emporte, au détriment de nos vivres ? On les laisse sur place ? On les brûle pour qu’elles rejoignent les cendres de ce Saint-Homme bien farceur ?

— Allons donc ! entendirent-ils tous simultanément dans leur tête.

— Hein ? C’est quoi ça ? questionna brutalement le voleur. Qui parle dans ma tête ?

— Vous, plus tard, ou ailleurs.

— Qu’est-ce que vous racontez ? Ce n’est pas moi qui me parle ! Et je ne suis pas ailleurs, répliqua le voleur quelque peu décontenancé.

— Depuis votre point de vue actuel, c’est vrai, je ne suis pas vous. Cependant, depuis le mien, depuis cet ailleurs, ou plus tard pour vous dans l’avenir, nous sommes beaucoup plus proches que vous ne le pensez maintenant. Je représente ce que vous allez tous devenir, un jour. J’étais celui dont vous trouvez les cendres dans cette urne, celui qui vous a légué ces caisses, ce Tétralogue : quatre récits, quatre paroles, et quatre noms pour quatre compagnons dans la matière. Lorsque j’étais encore dans un corps de chair, j’ai accédé un beau jour à d’anciennes mémoires remontant à plusieurs centaines de milliers de vos cycles, sur cette lointaine planète insignifiante dont vous avez récemment entendu parler. Je me suis d’abord comme retrouvé branché sur celui qui alors se nommait Yul Dal Rachid, bien avant que n’y apparaisse le crucifié. C’était étrange. Je me suis vu comme pénétrant soudain son corps, puis vivant ce qu’il vivait, mais davantage comme un spectateur qu’en tant qu’acteur. Je ne commandais pas ses gestes, mais ressentais ses émotions et percevais ses pensées. Un autre jour, un peu plus tard, je me suis d’une manière similaire retrouvé sous la forme d’une femme, une certaine Ilmina, qui elle avait vécu plusieurs milliers de cycles après le crucifié. J’ai découvert ainsi le souvenir de maintes autres formes humanoïdes de cette planète-là et d’autres avant de revivre l’intégralité de ma vie sur Zénovia, puis mon arrivée ici. Quel lien existe-t-il entre ces différents êtres ? Je ne saurais dire, si ce n’est que le Grand Satchan, pour ce que j’en éprouve maintenant, expérimente simultanément toutes les formes pour y développer la Conscience.

Il existe apparemment une succession logique entre ces vies individuelles ainsi découvertes, un genre de lien de causalité, une poursuite expérimentale autour d’une voie particulière… Malgré tout, j’ai perçu ce lien d’une manière tellement intense que je comprends pourquoi tant de Véliens croient en la réincarnation. Pourtant, il n’y a qu’un Grand Satchan, qu’une seule cause créatrice fondamentale, qu’un seul principe de Vie universelle, même si celui-ci imprègne simultanément toutes les formes, dans le temps et dans l’espace. Du moins, c’est ainsi que m’apparaît clairement maintenant le cosmos.

Et puisque la Vie est unique, la Conscience qu’elle engendre au travers de l’infinité des formes est aussi unique, bien qu’au travers de ces dernières elle se perçoive de manière divisée et séparée. Au travers de chaque forme, la conscience se croit unique spécimen au sain d’une multitude d’autres, alors qu’elle est Unique sous une multitude de formes illusoires.

Si maintenant, je suis définitivement désincarné, ou « ascensionné » (comme auraient dit certains de nos très lointains ancêtres sur cette planète oubliée, la Terre, comme ce crucifié l’a été avant moi et comme vous le serez tous un jour), en même temps, je suis Tulvarn, Jiliern, Gnomil, Reevirn et tous les autres. Nous sommes tous des fils du Grand Satchan, et tous des fils de notre humanité lorsque nous nous incarnons. Le paradoxe est qu’en incarnation, nous ne pouvons nous percevoir que de manière limitée, isolée, séparée, parce que la matière qui nous accueille présente une structure infiniment morcelée.

Vous êtes actuellement des fils du Vélien, de même que ce crucifié était un fils de l’Homme autant qu’un fils de Dieu. Un jour, vous le rejoindrez, et vous me rejoindrez et vous réaliserez dans ce nouvel état l’unicité de la conscience à un degré tel que les individualités véliennes et humaines vous paraîtront bien étranges.

Nous provenons tous du même endroit et nous y retournons à la fin de notre voyage volontaire ici-bas. C’est ainsi que nous prenons, que nous gagnons Conscience.

Petit détail : le récit du Tétralogue est le vôtre. Il finit en ce moment même de s’écrire sur ces rouleaux que j’ai matérialisés pour vous. Autre précision : Jiliern a été sauvée d’une mort autrement certaine par Pastor dont vous lirez le récit dans « la voie du Rinn’Dual ». Il vous observe actuellement quelque part au-dessus de vos têtes, à bord d’un vaisseau interstellaire. Lui et plusieurs de ses amis vont très prochainement me rejoindre. Ils vivent leur dernière existence incarnée. Ils vont retourner dans l’Éden, le « jardin » des êtres sans forme, un jardin dont les arbres n’ont pas davantage de formes, mais sont au mieux de purs concepts abstraits, comme la « liberté », la « connaissance » et la « vie ». Pour l’instant, vous n’avez pas terminé votre voyage, ni même votre quête. La découverte de ce Tétralogue ne représente pour vous que le début d’une nouvelle étape. Dernière précision : le Tétralogue, c’est aussi dans une certaine mesure votre groupe ; vous êtes quatre Véliens et vous représentez quatre paroles, quatre voies d’action et de création : une cristallière artiste de la guérison sur un chemin finalement parallèle de celui de son actuel compagnon ; un voleur qui se transformera en constructeur ; un chasseur qui deviendra découvreur et un moine veilleur qui est devenu maître de son art et de lui-même.

J’allais oublier. Votre fameuse prophétie s’est bien réalisée : par son obsession du Tétralogue recherché par Tulvarn, celui que vous considériez comme étant une sorte de sorcier guerrier, mais qui en fait était un super soldat et agent secret en provenance de Zénovia a fait en sorte d’exterminer tous les guerriers qui s’étaient mis à son service avant de succomber lui-même de la main du moine. Sans Tulvarn et sa quête, il aurait très probablement transformé dans un premier temps Veguil en champ de bataille, puis aurait fini par en faire un champ de ruines, à l’image de ce labyrinthe.

Au revoir, amis — frères et sœur.

Lorsqu’ils retrouvèrent leurs pensées plus coutumières, ils se sentirent quelque peu hébétés — ces révélations les avaient plutôt sonnés. Après un assez long moment de silence, Tulvarn finit par rompre ce dernier :

— Et maintenant, que faisons-nous ? Passons-nous les quelques jours suivants à lire tous ces rouleaux ? Ou bien emportons-nous les caisses pour les lire plus tard chez Jiliern ? Devrions-nous les remettre au temple ?

— Faire tout ce chemin et avoir eu tous ces problèmes pour ne rien ramener ? questionna Gnomil sur un ton mi-plaintif, mi-révolté. Ah non ! Je suis d’avis de tout emporter, et même le plus vite possible, avant que quelqu’un d’autre l’embarque.

— Qui veux-tu que cela intéresse à part nous ? lui demanda Jiliern légèrement amusée. Personne d’autre n’a entendu parler de ce Tétralogue.

— Eh bien, on ne sait jamais, rétorqua Gnomil sur la défensive. Des voleurs pourraient nous avoir suivis. Et d’abord le sorcier en a bien eu connaissance, alors pourquoi pas des voleurs ?

— Ah oui ? Et nous ne les aurions pas vus ?

— Hum, pour ça, certains de ces « animaux » sont très rusés et fort capables de se fondre dans le paysage, intervint Reevirn avec un ton légèrement mécontent en se remémorant quelques mésaventures. Pour ce qui est du Tétralogue, je pense aussi qu’il vaut mieux l’emporter, car il n’est pas sûr que nous en comprenions tout le sens en une première lecture, surtout si elle est trop hâtive.

Les quatre compagnons échangèrent encore quelques avis sur la question, puis se mirent d’accord pour emporter chacun une caisse, avec Tulvarn qui prendrait le sac du voleur en plus du sien, vu le gabarit de ce dernier. Elles étaient étrangement légères et Jiliern n’aurait aucun mal à soulever l’une d’elles. Avant de prendre le chemin du retour, ils s’accordèrent une bonne nuit de repos, tout en prenant la garde à tour de rôle, au cas où les craintes de Gnomil auraient été fondées.

​Épilogue

Le Livre ne fournit que très peu de détails sur la suite de l’histoire de ces quatre compagnons véliens. Celle-ci continue-t-elle de s’y écrire ? Des morceaux ont-ils disparu lors de quelques incendies ? Ce qui reste présente quelques extraits de voyages interstellaires en compagnie du terrien Pastor et des amis de ce dernier. Le Tétralogue lui-même n’a pas été retrouvé, mais des copies en existent, au moins sur la planète du Crucifié.