Le Tétralogue — Roman — Chapitre 39

[Voir :
Le Tétralogue — Roman — Prologue & Chapitre 1
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 2
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 3
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 4
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 5
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 6
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Le Tétralogue — Roman — Chapitre 37
Le Tétralogue — Roman — Chapitre 38]

Par Joseph Stroberg

​39 — Le mort-vivant

L’intérieur peu lumineux était constitué d’une unique pièce aux murs presque entièrement meublés d’étagères, de coffres et d’appareils dont ils ignoraient la fonction. Au fond se trouvait aussi un creux dans le sol, d’où émanait une odeur d’excréments, et un tube métallique de petit diamètre qui jaillissait du mur. Légèrement sur la gauche, ils aperçurent un Vélien squelettique revêtu d’une combinaison bizarre qui le couvrait de la tête aux pieds. Grâce à une visière transparente étroite, celui-ci semblait absorbé par la contemplation d’une image animée provenant du mur qui lui faisait face. Alors qu’il tournait la tête vers les arrivants en reculant, ceux-ci parvenaient à peine à en distinguer les traits, derrière un genre de masque translucide fait d’une matière étrange à l’éclat mi-métallique et mi-cristallin.

— Que faites-vous là ? Partez ! Je vous en prie, partez ! Vous allez me contaminer ! Je ne veux pas mourir, partez ! La suite de ses propos devint indistincte alors qu’il se recroquevillait sur lui-même comme un serpent apeuré ou prêt à bondir sur sa proie.

— Qu’est-ce qu’il raconte ? demanda Gnomil éberlué. Contaminer ? Qu’est-ce que ça veut dire ?

— Je n’en sais rien, répondit le moine alors qu’il constatait que le malingre et pitoyable Vélien ne représentait pas du tout un danger, ceci lui permettant de ranger son sabre.

— Moi non plus, reconnut aussi le chasseur.

— Si ma mémoire est bonne, j’ai déjà vu cela quelque part dans un des tomes du Livre, mentionna la cristallière en rangeant son cristal, alors que l’occupant des lieux s’était muré dans un profond silence et demeurait terrorisé. Sur certaines planètes arriérées, il semble que les habitants croient que beaucoup de leurs maladies seraient dues à de minuscules choses indiscernables à l’œil nu. Ils les observent alors avec des instruments qui d’après une illustration du Livre ressemblent à celui-ci, précisa-t-elle en désignant de la main un des appareils présents dans la pièce, du côté opposé à l’étrange Vélien. Il est mentionné que cette croyance provient d’une vue limitée sur l’Univers, une perception qui n’en capte que la dimension la plus dense, la plus matérielle. Ils n’ont pas compris que si les êtres vivants, qu’ils soient de nature végétale, animale ou humanoïde, possèdent en eux-mêmes des milliards de ces minuscules choses, ce n’est pas pour devenir malade, même lorsque celles-ci sont sorties de corps différents du leur. Au contraire, ces petites vies participent à la plus grande vie représentée par le corps qui les contient habituellement. Elles fonctionnent en symbiose et sont indispensables. Lorsque le grand corps conteneur est empoisonné, ces petits êtres participent plus ou moins activement à la tentative d’élimination du poison et se mettent au besoin à se multiplier pour y parvenir plus facilement. Une partie d’entre eux sortent du corps pour évacuer les déchets provenant de ce processus de nettoyage. Le problème est que ces planètes arriérées croient alors que la présence en grand nombre de ces minuscules vies sur le corps d’un tel empoisonné est le signe non pas de cet empoisonnement, mais d’une maladie qui serait provoquée par ceux-là mêmes qui en fait tendent à soigner le corps, alors que la supposée maladie est repérée par des symptômes qui sont seulement les conséquences logiques de l’empoisonnement initial.

— Et la contamination dans tout ça, qu’est-ce que c’est ? l’interrogea Gnomil toujours aussi curieux.

— Les habitants de ces planètes croient que les vies minuscules se transmettent d’un corps à l’autre pour s’y multiplier et pour rendre malades leurs hôtes. Alors qu’en réalité si certaines variétés particulières d’entre elles se trouvent à un moment donné en surnombre sur ou dans le corps d’animaux, de végétaux ou d’humanoïdes par rapport à la normale, c’est parce que ces derniers ont été globalement victimes du même poison. La grande diversité de ces composants corporels infimes permet au corps de répondre à un très grand nombre de situations d’agression par des éléments qui se révèlent toxiques pour lui dès lors qu’ils sont présents en trop grande quantité ou intensité. Certaines de ces petites vies seront plus spécialisées dans le nettoyage de substances chimiques particulières pendant que d’autres sont plutôt chargées de communiquer certaines informations aux cellules du corps elles-mêmes pour y faire activer tel processus de nettoyage ou de rééquilibrage, par exemple. Et celles d’entre elles qui se retrouvent à l’extérieur du corps au cours du processus de guérison peuvent s’y retrouver en tant que porteurs évacuateurs de toxines ou pour avoir été elles-mêmes dégradées ou détériorées et désormais incapables d’accomplir leurs fonctions habituelles.

Pour résumer, les symptômes que les habitants de ces planètes pensent caractéristiques de maladies qui seraient causées par ces vies minuscules sont donc en réalité le signe que le processus de nettoyage du poison est en cours. Et plus celui-ci est rendu difficile pour diverses raisons (par exemple parce que le corps n’a plus assez de vitalité ou n’est pas suffisamment alimenté ou équilibré au départ), plus les symptômes sont douloureux et peuvent se révéler fatals.

Pour en revenir à la prétendue « contamination » ou « contagion » d’un corps à d’autres par de telles minuscules vies, elle n’existe tout simplement pas. C’est le poison qui est le contaminant, mais pas ces dernières qui participent ou tentent de participer à son élimination.

Le Livre mentionne également que les poisons peuvent être de diverses natures et pas seulement des substances chimiques trouvées dans les plantes, dans les sols ou dans les minéraux. Il peut s’agir aussi de nos émotions, comme la peur, la haine ou la colère et même de pensées négatives qui tendent à déséquilibrer le corps. Il peut aussi s’agir d’ondes particulières de même nature que la lumière, mais non visibles, surtout lorsque celles-ci sont artificielles et envoyées par saccades au lieu de manière plus continue ou plus fluide. Ces planètes arriérées tendent à utiliser de telles ondes pour communiquer à de grandes distances, alors que les planètes avancées recourent à la télépathie.

Enfin, pour compliquer la perception de ces planètes arriérées, il se trouve que les minuscules vies et composants de nos corps communiquent eux-mêmes à l’aide la lumière ou d’ondes de même sorte, mais non visibles, et sont capables d’informer de leur état de santé, pouvant même ensuite ainsi s’influencer positivement ou négativement selon les cas, en particulier selon l’état émotionnel de l’émetteur.

— Alors Veguil ne doit pas être très évoluée, en déduisit le voleur.

— Selon le Livre, elle est intermédiaire. Elle est plus évoluée sur le plan de certaines connaissances, comme celles relatives à la maladie et à la santé, grâce à l’héritage de l’Empire zénovien, mais elle est en retard pour la télépathie. Il précise également que le niveau technologique n’est pas un critère fondamental dans l’appréciation de l’évolution d’une planète ou d’un groupe de planètes, alors que la conscience l’est.

— Et donc, pour en revenir à l’habitant de ces lieux, il semble avoir reçu la croyance en cette fausse contamination, intervint Tulvarn. D’où sa peur de tomber malade et éventuellement d’en mourir. Que pouvons-nous faire pour lui ? Il semble complètement perdu et hors d’atteinte, comme si son esprit s’était retiré.

— Eh bien, je pourrais peut-être essayer un des cristaux asterns. J’en ai amené un à tout hasard. Ils sont supposés permettre la communication avec les morts, mais je n’ai jamais pu vérifier cela par moi-même.

— Mais, il n’est quand même pas mort, objecta Gnomil sur un ton intermédiaire entre doute et exclamation.

— Non, du moins pas pour l’instant, bien que… Son esprit n’est plus là. Il apparaît comme entre la vie et la mort. Alors, pourquoi ne pas tenter ?

— Allons-y, approuva le moine. Au point où il en est, ça ne risque pas d’aggraver son cas, en supposant que ce cristal agisse sur lui.

— En fait, je ne sais même pas vraiment ce que celui-ci est censé faire. Nous allons voir, acheva-t-elle en levant le cristal en direction de l’étranger recroquevillé.

L’astern ne semblait dans un premier temps rien faire, mais le chasseur dont les sens étaient toujours à l’affût eut soudainement son attention attirée légèrement vers l’arrière, près de la porte d’entrée. Là, il vit comme au travers d’une brume un genre d’ombre en forme de Vélien, un être fantomatique vaporeux et de couleur très pâle. Il pouvait deviner sa ressemblance superficielle avec l’étranger, sans être certain de la similitude — ses contours n’étaient pas suffisamment précis pour cela.

— Regardez par ici ! finit-il par crier, ne sachant pas quoi faire d’autre.

— Quoi ? interrogèrent simultanément ses trois compagnons.

— Oh ! continua seule la cristallière. Il ressemble à un mort-vivant. Essayons de communiquer avec lui !

Ils passèrent quelques heures suivantes à tenter d’en savoir plus sur ce pauvre Vélien et sur ce qui était arrivé à cette pourtant si belle ville. Le genre de fantôme qui leur faisait face représentait en fait la partie émotionnelle, affective et sensitive du Vélien et il était assez difficile d’en soutirer des renseignements rationnels et cohérents, d’autant plus que même dans cet état intangible il semblait encore dominé par la peur. Cela leur paraissait d’autant plus absurde que sous cette forme subtile il ne risquait pas d’être contaminé par quoi que ce soit de matériel, même pas par les microscopiques créatures qu’il percevait jusqu’à présent comme des ennemis mortels.

À force de patience et d’attention, ils finirent cependant par avoir une certaine idée de la situation. La Cité de cristal avait représenté un test pour l’ancien empire zénovien. Elle avait été destinée à vérifier une approche particulière de conditionnement des citoyens de l’Empire basée sur la peur. Pour cela, les stratèges militaires avaient développé toute une stratégie qui reposait sur un énorme mensonge, celui de l’existence de ces minuscules ennemis invisibles contre lequel les citoyens n’avaient qu’un moyen de se protéger : se revêtir de cette sorte de combinaison intégrale munie d’une visière, d’un dispositif de recyclage partiel des excréments et de l’urine (le reste étant expulsé par un orifice doté d’une valve), d’un respirateur, d’une pompe d’alimentation automatique par branchement à une prise extérieure sur une source alimentaire accrochée à l’un des murs, et de quelques autres gadgets dont le quatuor ne comprenait pas la fonction. De plus, ils devaient absolument éviter de s’approcher de tout individu qui ne serait pas lui aussi revêtu d’un tel attirail pour diminuer la probabilité de contamination en cas de faille dans la combinaison.

L’acceptation de ce conte pour enfants, puis de l’accoutrement à porter en permanence, jour et nuit avait ensuite permis la mise en place de mesures de plus en plus contraignantes, les pauvres habitants de la cité n’ayant rapidement même plus eu le droit de sortir de chez eux. À partir du moment où ils avaient cru naïvement l’affaire des minuscules ennemis, ils avaient mis le doigt dans l’engrenage de l’asservissement et de l’enfermement complets. Chaque étape franchie avec succès dans le plan de l’Empire avait rendu encore plus difficile et improbable un retour en arrière pour les malheureuses victimes. Celles-ci avaient même perdu le droit de se reproduire sexuellement et comme l’usine de procréation artificielle de Véliens n’avait pu être mise en place avant la chute de l’Empire, le nombre d’habitants de la ville diminuait de cycle en cycle.

Les quatre compagnons avaient été chanceux de tomber directement sur une maison habitée, alors que la population actuelle n’était plus que le vingtième de l’originelle, bien sûr composée de vieilles Véliennes et de vieux Véliens maladifs par manque d’air, d’aliments et de lumière naturels autant que par manque de contacts charnels et relationnels. Ils ne pouvaient malheureusement plus grand-chose pour aider ces pauvres âmes prisonnières de leurs croyances, conditionnées depuis si longtemps à vivre d’une telle manière miséreuse et aberrante. Le cœur lourd de les voir dans un état si pitoyable et de se trouver eux-mêmes si impuissants à les aider, les quatre aventuriers se résolurent à quitter la ville au plus vite dès qu’ils auraient découvert l’information cherchée concernant le Tétralogue. Cependant, le soir tombait et ils décidèrent d’en profiter pour prendre un bon repos avant d’explorer d’autres bâtiments.

Après une nuit de sommeil, ils se nourrirent de la nourriture artificielle insipide en provenance du distributeur alimentaire d’une maison inoccupée, puis ils se mirent à explorer un à un les bâtiments qui ne ressemblaient pas à des domiciles. Ceux-là étaient habituellement nettement plus grands que ces derniers. Cependant, ils ne trouvèrent pas de quoi se nettoyer et ils commençaient tous à puer sérieusement. L’eau était combinée à la nourriture qui ressemblait à une soupe épaisse délivrée par un tuyau et ils n’en avaient pour l’instant pas trouvé d’autre source dans la ville. Peut-être que quelque chose dans la combinaison intégrale portée par les habitants du lieu leur assurait automatiquement un minimum d’hygiène, mais est-ce que cela valait alors le contact direct avec de l’eau fraîche ?

(Suite : Le Tétralogue — Roman — Chapitre 40)