La peur et l’espoir comme outils politiques

Par Joseph Stroberg

Traditionnellement
et jusqu’à une époque récente, les mouvements et partis
politiques qui souhaitaient propulser leurs candidats jusqu’aux
fonctions suprêmes, spécialement la présidence ou l’administration
d’un pays, jouaient principalement sur deux émotions humaines
fondamentales, la peur et l’espoir. La première était plutôt
stimulée par les partis considérés comme étant à droite de
l’échiquier politique. La seconde était au contraire le plus
souvent utilisée par les partis de gauche. Pourquoi ces deux
émotions particulières sont-elles plus spécialement manipulées et
pourquoi le désespoir ne l’est-il pas ?

La peur est une
émotion fondamentale dans le registre de celles qui peuvent
assaillir un être humain. Elle est directement liée à l’instinct
de survie. Et d’un certain point de vue, on peut considérer que
toute forme de peur trouve son origine dans celle de la mort ou de la
souffrance qui peut en être le prélude. La peur des araignées, des
serpents, des lions… découle du fait que l’on craint de souffrir
ou de mourir à cause de leur venin, de leurs griffes ou de leurs
crocs. La peur des hauteurs découle du fait que l’on craint de
mourir ou de se blesser en chutant. La peur des espaces réduits
découle par exemple de la peur de mourir d’asphyxie. Etc.

Les partis
conservateurs et autres partis situés à droite tendent plus
facilement à jouer sur la peur de vivre des conditions plus
difficiles dans l’avenir, des conditions qui feront souffrir
davantage ou qui risquent de provoquer plus facilement la mort.
L’individu ainsi dominé par la peur aura tendance à se réfugier
dans les « valeurs sûres », dans le solide, dans ce qui
a fait ses preuves en matière de stabilité, de santé, de confort…
La peur de l’avenir favorise ainsi le repli vers les traditions et
les conditions conservatrices. La projection émotionnelle négative
vers le futur est annulée par un retour au passé, ou plutôt vers
la représentation intérieure que l’on se fait du passé, autant
affectivement que mentalement.

En face de cela, les
partis révolutionnaires et socialistes stimulent davantage l’espoir
en un avenir présentant de meilleures conditions de vie que celles
offertes ou imposées par le présent, un avenir qui tient davantage
compte des besoins du petit peuple. La projection vers l’avenir est
cette fois positive. La représentation intérieure que l’on a ici
du présent, autant émotionnellement que mentalement, pousse vers le
futur.

De nos jours, les
deux tendances opposées exposées ci-dessus tendent à se confondre
en une vaste manipulation qui recourt de plus en plus à toute la
gamme (ou presque) des émotions humaines, peur et espoir en tête.
Et tous les partis — de droite, de gauche et du centre — peuvent
y recourir. Ils ont nommé cet art, ou cette science, la
« communication » ou le marketing politique. En fait
d’art, il s’agit de celui du mensonge. En fait de science, il
s’agit de celle de la fausse représentation et de la fabrication
d’images. Ceci ne fonctionnera que tant et aussi longtemps que les
êtres humains réagiront prioritairement par leurs émotions au lieu
de prioriser la raison et la réflexion.

Il existe cependant au moins une émotion que les manipulateurs tendent à éviter : le désespoir. Un individu désespéré n’a en effet plus rien à perdre. Soit, il se suicide, dépassant la peur de la mort. Soit il tente les mesures les plus extrêmes pour survivre malgré tout, jusqu’à détruire ou tuer ce qui était responsable de son désespoir. Dans un cas comme dans l’autre, la peur est transcendée. Néanmoins, les manipulateurs politiques n’ont aucun intérêt à favoriser une situation susceptible de fortement mettre en danger le système qui leur permet une position dominante. Et donc, ils donneront suffisamment de miettes — d’illusion de liberté, de sécurité, de santé, de confort… — aux peuples pour que ceux-ci ne soient pas majoritairement poussés au désespoir. Ils leur donneront suffisamment de dérivatifs — drogues à bonheur ou à trips momentanés, jeux, divertissements… — pour les aider à supporter leur condition d’esclave.

D’un point de vue
ésotérique, la peur provient du fait même de l’incarnation de
l’âme dans la matière. La conscience immatérielle arrive dans un
univers qui est totalement étranger à sa nature. Et l’instinct de
survie fait en sorte qu’elle ne revienne pas immédiatement « à
la maison ». À l’opposé, l’espoir découle de la
connaissance (généralement inconsciente) de la vie de l’âme
après la mort physique. La peur est aussi puissamment liée à la
Matière que l’espoir l’est à l’au-delà. Maintenant,
qu’est-ce que peut donner une civilisation pour laquelle la seule
réalité est d’ordre matériel ? Une telle civilisation en vient
à perdre le germe de l’espoir et compense par la peur extrême :
sports extrêmes, films d’horreur, films catastrophes, jeux vidéo
d’assassinats en trois dimensions, montagnes russes et autres
manèges extrêmes, jeux de guerre, etc.

L’Humanité émotionnellement manipulable est adolescente. Lorsque les êtres humains accéderont collectivement à l’âge adulte, les techniques de « communication » et de marketing politique deviendront généralement sans effet. Le système actuel fera long feu, car il ne sera plus viable. Les partis politiques disparaîtront. La majeure partie des activités professionnelles actuelles disparaîtra. La civilisation humaine sera probablement aussi éloignée de l’actuelle que celle-ci est éloignée de celle des hommes des cavernes. Est-ce qu’un seul d’entre nous le verra ?

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