Vive le pelletage de neige !

Par Joseph Stroberg

Au Québec, pelleter la neige fait partie des habitudes du commun des mortels ayant la chance ou la malchance d’habiter dans une maison particulière, même lorsqu’il possède une souffleuse à neige qui ne soit pas en panne. Celle-ci n’est en effet pas des plus efficaces pour ôter la neige des escaliers ou de chemins étroits et encore moins la barrière de glace laissée à l’entrée de l’allée par la « charue » chargée d’évacuer la neige des rues du quartier. Et l’hiver québécois a la fâcheuse tendance à durer cinq ou six mois par an. Surtout pour un immigré en provenance d’un pays au climat généralement plus clément, le pelletage de neige peut paraître bien « chiant ». Plus il aura été habitué au confort, à la facilité matérielle, à l’absence d’efforts physiques, à la vie dans un cocon, et plus sa personnalité pourra avoir tendance à se révolter contre la nature de son pays d’accueil. Pourtant, d’un autre point de vue, l’hiver québécois est une bénédiction en ces temps modernes. Pourquoi, pourrions-nous nous demander?

Est-ce que soulever
la neige et casser la glace pendant de longues heures lors des
multiples tempêtes hivernales est une bénédiction? Est-ce que ce
n’est pas plutôt pénible et révoltant? L’auteur lui-même
n’est pas un être humain des plus enthousiastes dès qu’il
s’agit d’efforts physiques, surtout lorsque ceux-ci pourraient
être laissés à d’autres personnes beaucoup plus musclées ou à
des machines beaucoup plus efficaces. Il dispose de ce que l’on
appelle ici un « frame de maringouin », combinaison
d’anglicisme et de québécisme signifiant approximativement
« gabarit de moustique ». Son véhicule physique est
plutôt du genre de ces anciennes « deux cheveaux »
aujourd’hui disparues en dehors de chez quelques collectionneurs ou
de musées de l’automobile. Il ne s’agit certes pas d’une
Ferrari ni d’un Hummer.

Pourtant, bien
entretenu, ce petit véhicule tient la route depuis des années, et
même des décennies, sans pannes majeures. Il n’a connu que de
légers incidents de parcours, tels que des morceaux de peinture
écaillés, mais rapidement repeints. Il n’est pas gros, mais il
semble increvable. Qui plus est, depuis 2003, l’hiver québécois
l’oblige à rester performant, lui évite de rouiller dans un coin
par manque d’entretien et d’utilisation. Cet hiver est « chiant »
et long, mais pour l’occupant du véhicule, il est plutôt une
bénédiction. Il oblige le corps physique à fonctionner, à faire
des efforts, à faire marcher son moteur et ses rouages mécaniques.
Pendant que ce corps ou sa personnalité maugrée, le conducteur prie
pour que la déneigeuse tombe en panne, ce qui n’a d’ailleurs pas
manqué un beau jour d’arriver.

Oh! ce jour n’était
peut-être pas si beau, d’ailleurs, du point de vue du véhicule!
Il neigeait sûrement une fois de plus, la vingtième ou la trentième
de la saison. Pourtant, il était beau pour l’occupant, car alors
il ne restait guère que la solution de mettre en marche et
d’utiliser sa machine organique. Des muscles qui ne servent pas
s’atrophient. Mais si le conducteur veut voyager loin, il doit
entretenir sa monture. La ménager ne signifie pas seulement éviter
les surrégimes et l’explosion conséquente du moteur, mais aussi
la faire fonctionner régulièrement de manière modérée pour
maintenir ses capacités optimales.

Pelleter la neige
sur une base régulière et pendant une partie non négligeable de
l’année est une activité qui participe à l’entretien du corps
physique de l’être humain. De ce point de vue, l’hiver québécois
et l’absence de souffleuse représentent une bénédiction. Aussi,
on peut se demander dans quelle mesure l’invention des machines n’a
pas été la pire des malédictions. Celles-si semblent en effet
rendre l’Homme et la Femme de plus en plus fainéants et
dysfonctionnels. Non seulement elles ont largement contribué à
détériorer la nature de plusieurs manières (appauvrissement des
sols en retournant la terre, déforestation massive, explosions
nucléaires et conventionnelles…), mais en plus, elles contribuent
à abrutir et affaiblir les individus en leur évitant d’utiliser
leurs aptitudes naturelles (mémorisation, calcul mental, efforts
physiques…). Que donnera la génération élevée au téléphone
prétendument « intelligent »?